37e Bougie : Triple Impact !
Les trois voitures arrivèrent au pas face à l'entrée principale d'un grand hôpital parisien. Elles avaient passé les barrières de sécurité facilement, tous les gardes se tenaient prêts à leur ouvrir, tandis que d'autres les guidèrent vers leur destination. Pour Lola, il s'agissait de sa première sortie officielle depuis l'émission de télévision ratée. Son regard angoissé fouilla la foule agglutinée, mais aucune tête connue ne se profilait.
– Vous ne croiserez aucune personne déjà rencontrée, chuchota Sébastien qui avait bien remarqué son coup d'œil.
Elle approuva d'un sourire et se détendit un peu. L'absence de caméra l'aida aussi à se relaxer. Bien sûr, la centaine de badauds qui l'attendaient, représentaient un défi en soi, mais il restait moindre que l'oppressante présence des médias.
Dès que Kiryu stoppa le véhicule, Sam bondit au-dehors pour venir ouvrir la portière. Comme à son habitude, Sébastien sortit le premier et vérifia, l'air de rien, qu'aucun danger n'était visible alentour. Sa main fit alors signe à Lola qu'elle pouvait émerger à son tour de l'habitacle surchauffé.
Ses bottines fourrées claquèrent sur le trottoir bitumé et sonnèrent les débuts des cris de la foule amassée là. L'air froid la fit rougir autant que leur manifestation joyeuse ; ils ne semblaient pas dérangés par la température qui frôlait le zéro. Interdite, elle contempla quelques secondes tous ces gens, derrière les barrières de sécurité, qui portaient des banderoles ou tendaient des carnets, non sans s'interroger sur l'origine d'une telle popularité.
– O'Connor s'est occupée d'informer la presse et maintient votre site internet à jour... Vous avez déjà une excellente fanbase, commenta un Sébastien hilare. Venez.
Avant qu'elle n'ait le temps de réagir à sa remarque, il la poussait avec discrétion vers le groupe d'hommes plus âgés qui se tenaient face à eux. Oster serra la main de celui qui se présenta comme le directeur général de l'établissement, puis se retourna vers elle pour l'inviter à saluer à son tour.
– Bonjour, messieurs, claironna sa voix dans une atmosphère soudain silencieuse.
Tous les inconnus s'étaient tus, d'un commun accord, mais vrombirent de plus belle dès qu'ils l'entendirent. Lola se sentit encore plus gênée et elle allait le dire, lorsque la poigne ferme dans son dos la poussa sur le côté sans ménagement.
– Dépêchez-vous, susurra Sébastien d'un ton presque imperceptible.
Son expression angoissée alerta plus sûrement la jeune fille qu'une sirène de pompier. Elle tendit sa main vers les administratifs et praticiens devant elle.
– Pardonnez mon impolitesse, mais il serait plus sage de faire entrer tout le monde...
Plusieurs paires d'yeux se fixèrent sur elle avec étonnement. L'un d'eux allait lui répondre avec un sourire d'apaisement lorsqu'une première explosion retentit non loin d'eux. Une voiture venait d'imploser.
– Messiah ! hurla l'homme à ses côtés en se jetant littéralement sur elle.
Impuissante, Lola termina au sol sous les cris affolés des gens autour d'elle. Plusieurs agents de sécurité accouraient déjà vers eux pour éloigner les civils. Son instant de panique passé, elle recherchait l'origine de cette catastrophe.
– Relevez-vous ! Il faut vous faire rentrer dans le hall, commença Sébastien de sa voix autoritaire.
La seconde explosion l'interrompit.
Et la foule qui fuyait le danger en s'engouffrant dans le bâtiment salvateur prit le chemin inverse : cette fois, la bombe venait d'ébranler l'intérieur de l'hôpital !
– Ils visent les fondations ? hurla d'un ton estomaqué le directeur.
– Faites sortir tout le monde ! décréta aussitôt son second.
Les cris de douleur accompagnèrent rapidement ceux de terreur. Lola se sentit être relevée de force par une poigne ferme ; tout autour d'elle, ses agents de protection sortaient leurs armes et commençaient à prévoir son retour dans la voiture blindée qui revenait à toute vitesse.
– Non ! vitupéra la jeune fille.
Son refus d'obtempérer fut submergé par une troisième déflagration, plus forte que les précédentes. Elle pulvérisa les piliers extérieurs qui maintenaient toute une partie du bâtiment. Le craquement du béton en train de s'effondrer sur lui-même immobilisa d'angoisse toutes les personnes présentes... Sauf une.
– J'ai dit : NON ! martela la voix impérieuse de Lola.
Ses mots résonnèrent dans l'air avec encore plus d'intensité que prévu. Une seconde de silence avant une catastrophe inéluctable : la chute de la structure. Mais les mains levées de Messiah qui s'élança droit vers lui, suivie par sa ribambelle d'agents, amena une lueur d'espoir dans les rares spectateurs impuissants.
– Elle ne va quand même pas... commença l'un.
– Vous pensez qu'elle peut... ? demanda l'autre.
Elle s'interrompit dans sa course brutalement et posa ses deux paumes contre l'un des murs porteurs encore entiers. L'idée de « soigner » un hôpital l'aurait fait sourire si une chape de plomb de plusieurs milliers de tonnes ne venait pas de s'abattre sur ses épaules à travers ses doigts gelés.
– Messiah ! Mais que faites-vous ? s'enquit un Sébastien paniqué.
– Je sauve des vies ! répliqua-t-elle dans un gémissement déchirant.
– Mais...
– Je ne... sais pas... combien... je vais... tenir...
Habitué aux promptes décisions, Oster se retourna vers le paquet d'agents avec lui. Son esprit calculait déjà les implications de cet événement, mais aussi le temps qu'il leur restait pour réagir et secourir le plus de monde que possible.
– Kiryu, Sam, vous me trouvez l'endroit d'où ces bâtards ont appuyé sur l'interrupteur ! Toi, toi et toi, vous prévenez le directeur qu'ils doivent évacuer cette partie en priorité ! Vous cinq, vous entrez pour aider ! Vite, vite, vite !
– Et vous, chef ? demanda Sam d'un air soupçonneux.
– Je m'occupe de Messiah. Allez ! Dépêchez-vous !
La volée d'agents s'égraina. Oster remarqua alors que l'atmosphère, chargé de poussière, ne renvoyait plus de cris et paraissait soudain bien calme, mais paradoxalement plus tendue. Ses yeux scrutèrent alentour et s'il releva la longue file d'inconnus et de malades évacués d'urgence, il vit également une partie conséquente de cette foule, plantée là, aussi pâle que des fantômes, à contempler sa protégée.
Seuls quelques-uns, au début, l'observèrent. Mais à chaque seconde, les langues se déliaient et les explications angoissées du directeur ramenaient les curieux vers eux. Bien sûr, la sécurité les incitait à quitter les lieux, mais les gens semblaient incapables de s'éloigner une fois leurs regards vrillés sur elle.
Sébastien comprenait bien leurs pensées. Il n'osait pas lui-même y réfléchir, mais imaginer qu'une jeune femme aussi frêle puisse maintenir tout l'hôpital debout...
– Lola, murmura-t-il d'une voix blanche.
Les yeux fermés, plus pâle encore que la neige, il l'entendit chuchoter, mais ne saisit pas ses paroles. L'homme se pencha alors vers ses lèvres qui bleuissaient peu à peu.
– Père, aide-moi... Prête-moi ta force... Je ne tiendrai pas... plus...
La main chaude de son protecteur qui se posa sur son épaule, raviva un vieux souvenir dans son esprit vide. Ses pouvoirs s'amenuisaient chaque seconde, elle n'hésita donc pas une seconde à aspirer l'énergie de Sébastien. Ce dernier ne broncha pas. Il demeurait à ses côtés dans ce but : l'aider, qu'importait comment.
– Monsieur, le directeur demande combien de temps Messiah pourra tenir, il reste encore du monde dans...
L'agent envoyé pour servir de relais venait d'attraper son supérieur par le bras, dans l'espoir de le faire réagir, mais s'interrompit. À son tour, ses forces se voyaient drainées par la jeune femme.
– Ne bouge plus, chuchota Sébastien à son intention.
– Monsieur ?
– Il faudrait plus de personnes...
Le dernier arrivé, qui ne comprenait rien sinon qu'il soutenait Messiah d'une manière ou d'une autre, récupéra son téléphone de ses doigts déjà tremblant. Il composa le numéro de son collègue resté avec les responsables de l'hôpital.
– Karl, dis au directeur qu'on n'en sait rien, mais qu'il faut des volontaires pour l'aider à tenir.
– Des gens en forme, surtout, précisa Sébastien qui salua intérieurement la réactivité de cet homme.
– T'as entendu ? ... OK.
Il raccrocha. Son portable tomba sur le sol la seconde suivante.
– Je ne sens plus mon bras, marmonna-t-il, perplexe.
– Et moi je ne sens plus rien... Interroge-toi une seconde sur l'état de Messiah, souffla Sébastien.
Leurs regards pivotèrent vers elle. Son corps n'avait pas bougé de position depuis le début, mais toute couleur avait déserté sa peau et son visage reflétait une telle souffrance qu'aucun des deux n'osa commenter.
– Je suis là ! clama une voix féminine quelques secondes plus tard. Karl m'a dit de venir, mais...
– Accroche-toi à moi, on commence une chaîne. Messiah récupère notre énergie pour garder cet hôpital debout.
Sa collègue contempla la scène un instant. La jeune fille qu'elle protégeait ne bronchait pas et Sébastien fixait le sol d'un œil vitreux.
– Faut se dépêcher.
Elle lui attrapa la main et sentit la fatigue s'abattre sur elle immédiatement. A contrario, les deux autres semblaient se reprendre un peu. Comment Messiah parvenait-elle à supporter un truc pareil ?
– On peut aider, à ce qu'il paraît ?
La question, lancée par un homme presque aussi haut que large, fut suivie par d'autres. Vu l'état de ses coéquipiers, la dernière arrivée décida de faire au plus court.
– Nous devons nous tenir la main. Messiah a besoin de force pour laisser le temps à l'évacuation et...
– OK.
L'inconnu ne lui permit pas de terminer sa phrase qu'il lui attrapait déjà les doigts d'autorité. Il siffla ensuite vers d'autres hommes qui regardaient sans oser s'approcher.
– Venez là, vous ! Si ce bâtiment tient encore debout, c'est grâce à cette gamine, alors la moindre des choses, c'est de l'aider, nan ?
Sa remarque, lancée en l'air d'une voix forte, fit écho. Et du chaos général commença à monter une clameur : « Tenez ma main ! Il faut aider Messiah ! Il faut sauver tout le monde ! ». Les explications devenaient de plus en plus superflues. Les consciences se réveillaient enfin, après l'angoisse des explosions qui avaient semé la mort et le trouble. Un besoin de protéger ceux toujours à l'intérieur, celui de survivre autant que de pouvoir dire « J'y étais ! J'ai aidé ! J'étais là ! »...
La vie triomphait via cette longue chaîne humaine qui continuait de s'étendre sans s'arrêter.
– Prenez ma main !
– Pourquoi ?
– Messiah empêche l'hôpital de s'effondrer !
– Mamaaaaaaan ! Je veux mamaaaaaaaan !
– Que s'est-il passé ?
– Dépêchez-vous d'emmener monsieur...
– Reste-t-il encore quelqu'un dans l'aile ?
– Directeur ! Les blocs ont deux opérations impossibles à stopper, il faudrait...
– Je suis le chef des pompiers, éloignez-vous d'ici !
– Bordel, mais qu'est-ce qu'il se passe... ?
Les voix s'entremêlaient. Un bourdonnement ininterrompu et incroyable qui parvenait à la conserver aussi consciente que possible. Lola avait l'impression de contempler son corps, tenu par Sébastien, puis une longue file de personnes derrière lui : des jeunes, des plus âgés, des hommes, des femmes, d'origines, de religions et de mentalités diverses. Plus rien ne comptait plus pour eux que sauver ceux encore à l'intérieur.
Messiah les sentait. Tous. Leurs forces qui grandissaient à mesure que d'autres se rajoutaient. Leur chaîne qui s'étendait jusqu'à l'horizon. Leur envie de voir son combat remporté contre la fatalité... Depuis combien de temps se trouvaient-ils ici ? Elle ne savait plus. Mais l'hôpital, toujours debout, semblait narguer tous ses détracteurs.
Un homme se rapprocha d'elle. Lola pouvait le contempler de ses yeux et le sentir grâce à son énergie. L'impression de voler au-dessus de tout le monde autant qu'elle pouvait regarder en eux la déstabilisait.
– Messiah ?
Oui ?
– Vous m'entendez ?
Bien sûr ! Pas vous ? Mince, comment faire pour qu'ils puissent communiquer ?
– Bon, écoutez... Je ne sais pas si vous êtes encore consciente, mais nous avons deux problèmes. Le premier, c'est que des opérations ne peuvent pas être interrompues. Le second, c'est que d'après l'équipe de déminage qui vient d'arriver, il serait possible qu'il y ait d'autres bombes. Nous allons devoir demander aux civils de s'éloigner et...
« Non ! »
L'homme sursauta. Il entendait sa voix dans sa tête, là ! Où devenait-il complètement fou ?
« J'empêche les explosifs de s'enclencher, vous ne risquez rien ! »
– M... Messiah ? interrogea-t-il d'une voix qui partait dans les aiguës.
« Qui d'autres ? ... Cette chaîne humaine m'aide à empêcher que tout l'hôpital s'effondre. Remplacez chaque personne trop fatiguée ! Je vais tenir. Dites-moi juste une chose... »
– Q... Quoi ?
« Sauf les opérations, tout le monde a été évacué ? Tout le monde va bien ? »
L'inconnu, sans doute un responsable quelconque ou un inspecteur de police, se fendit d'un sourire très doux et approuva de la tête avant de répondre, rassuré.
– Oui, plus de peur que de mal... Grâce à vous.
Publié le 28/02/18
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