13e Bougie : Bon ou Mauvais ?
Sébastien raccrocha d'un geste sec. Il venait de passer une bonne heure au téléphone avec le directeur de l'hôpital où madame Becquerel séjournait encore. En moins de trois jours, la situation s'était accélérée comme il l'avait prévu. La guérison totale d'un cancer au stade terminal ne serait jamais passée inaperçue, mais grâce aux médecins présents dans la chambre durant l'opération, tout prenait une ampleur plus importante. D'ici la fin de la semaine, une conférence de presse serait organisée et Lola deviendrait bientôt l'être le plus précieux du monde...
L'ancien agent du gouvernement soupira pensivement avant de s'accouder à son bureau. Un classeur de documents ainsi que plusieurs dossiers s'étalaient face à lui. Durant les six mois que sa protégée avait passés à s'entrainer, il n'était pas resté inactif. La préparation de l'entreprise ne représentait qu'une infime partie de ses plans d'ensemble. Pour une raison qu'il n'expliquait pas, il avait toujours été capable de sentir l'avenir. Dès qu'il réfléchissait à une situation ou une action à effectuer, il pouvait se visualiser ou non dans le futur. Suivant cette « divination » d'un genre particulier, il parvenait à prévoir certaines décisions.
Ainsi avait-il planifié son départ de l'agence spéciale, la méthode pour faire connaître Lola au monde, mais aussi d'autres détails que la jeune fille n'imaginerait pas même dans ses rêves les plus fous. Pour elle, tout cela ne revenait qu'à soigner sa mère et « peut-être » occasionner quelques remous dans la sphère médicale. Sébastien parvenait à entrevoir son futur dans une globalité mondiale où la Terre entière se prosternerait à ses pieds. À ses yeux, Lola représentait l'idée du Messie qu'une majorité de la population attendait désespérément. Aucun risque qu'elle pût passer inaperçue !
D'un geste lent, il prit la feuille face à lui où s'étalaient les informations personnelles d'un agent de sécurité. Après l'attentat de l'hôtel de ville avorté grâce à l'intervention de Lola, il s'était penché sur le cas de l'homme qu'elle avait sauvé. Cette expérience l'avait tellement traumatisé, qu'il était parti des forces gouvernementales pour le privé. Avec l'aide de Gaël, Sébastien n'avait eu aucun mal à obtenir toutes les données voulues. Maintenant que sa reine blanche allait se dévoiler sur le plateau, il allait avoir besoin d'autres pièces stratégiques... Et si Gaël faisait un fou intéressant, il fallait renforcer ses troupes.
L'homme se leva et sortit de sa chambre non sans la refermer à clef. Il possédait une totale confiance en Lola, sauf dès qu'il s'agissait de sauver la vie de quelqu'un. Or ses dossiers pouvaient l'aiguiller vers des personnes malades qu'elle s'empresserait de soigner quitte à risquer sa propre peau. Ce qu'il refusait définitivement. Cette gamine devait apprendre les limites de ses forces avant tout ! Surtout qu'après son « petit miracle » de dimanche dernier, elle ressemblait à un squelette...
– Sébastien ? Tu sors ?
La voix faible de Lola le fit émerger de ses pensées. Affalée sur le canapé du salon, elle engloutissait un pot de glace à la crème à la petite cuillère. Face à sa dénutrition évidente après l'expérience, il lui avait ordonné de manger et lui achetait toutes les fantaisies qu'elle voulait. Contrairement aux jours précédents, elle ne se plaignait pas d'un surplus de nourriture, car son épreuve de force l'avait laissée vraiment affamée.
– J'ai des affaires à régler pour l'entreprise... Ne sortez pas d'ici, j'en profiterai pour faire quelques courses en revenant. Vous désirez quelque chose de spécial à manger ce soir ?
Le visage de la jeune fille s'éclaira d'une lueur de gourmandise qu'il reconnaissait bien à présent. Depuis dimanche, il l'avait aperçu à de nombreuses reprises, ce qui le rassurait autant que ça l'inquiétait. Il commençait déjà à prévoir la possibilité d'embaucher un nutritionniste pour l'aider... Si Lola devait perdre autant de poids après chaque guérison, cela affecterait sa santé à coup sûr. Et ce qui pouvait nuire à sa protégée le dérangeait fortement.
– Chinois ! Des beignets, du riz cantonais, du canard laqué, du porc au caramel, des nouilles et...
D'un léger sourire presque paternel, il l'écouta énumérer tout le menu d'un restaurant asiatique sans sourciller. Leurs finances en berne devraient être réglées d'ici la fin du mois, mais il réfléchissait encore à une manière de tenir jusque là. Si l'appétit démesuré de Lola ne se calmait pas, il allait devoir songer à une méthode plus rapide...
– D'accord, j'ai compris. Je m'en occupe. À ce soir, mademoiselle !
– Lo-la ! Mon prénom n'est pourtant pas compliqué ! Pourquoi tu te mets à me parler aussi cérémonieusement ? Sébastien, reviens ici tout de suite et-
Il esquiva le sermon sur la montagne non sans une pensée désolée pour elle. Dès que la porte d'entrée se referma sur lui, il poussa un soupir de soulagement non sans entendre Lola crier derrière qu'il allait devoir lui rendre des comptes à son retour. Il esquissa un sourire amusé et attendit d'être dans sa voiture pour émettre un rire franc. La seconde d'après, il serrait son volant à s'en faire blanchir les doigts.
Pour Sébastien, il visualisait déjà Lola en belle robe sur une estrade face à un micro et un parterre noir de monde venu exprès pour la voir ne serait-ce qu'une seconde... À ses yeux, il ne représentait rien, alors qu'elle symbolisait tout. Peut-être anticipait-il un peu trop vite, mais il ne parvenait déjà plus à la considérer comme une personne ordinaire. Dans sa tête, elle incarnait déjà tous les espoirs de l'Humanité... Et elle désirait naïvement se faire appeler par son prénom ? Un autre sourire étira son visage. Au fond, il aimait bien son humilité...
L'immense portail noir luisait de mille feux. Il aurait été lustré le matin même ou acheté la veille qu'il n'aurait pas pu présenter un meilleur aspect. Sébastien arrêta sa voiture devant et descendit sa vitre pour sonner à l'interphone. L'écran afficha aussitôt un homme en costume noir à la chevelure disciplinée qui le toisa de son regard sombre.
– Nom et raison de votre présence ?
– Sébastien Oster, je viens à propos du projet « Messiah »...
– Entrez.
Son interlocuteur avait réagi en moins d'un quart de seconde et le portail s'ouvrit sans un bruit. Il semblerait que tout ici soit parfaitement entretenu... La voiture reprit sa course dans un crissement de pneus et remonta l'allée de graviers au pas. À mesure qu'il avançait, les grands jardins de la propriété s'étalèrent sous ses yeux étonnés avant qu'une immense bâtisse digne d'un château s'imposa à l'horizon. Un véritable domaine de maître s'offrit à sa vue. Il siffla dans l'habitacle en se garant non loin de l'entrée d'après les consignes d'un autre homme en costume noir qui lui faisait des signes en ce sens.
Dès qu'il coupa le contact et sortit de son véhicule, ce dernier vint l'accueillir d'une inclinaison du buste respectueuse.
– Veuillez me suivre, monsieur Oster, le maître va vous recevoir.
Il approuva en silence. Seuls le bruit du gravier sous ses pieds et le pépiement joyeux des oiseaux trahissaient un semblant de réalité. Songeur, Sébastien fut emmené dans la demeure dont la porte s'ouvrit à leur arrivée sous la poigne calme d'un majordome stylé. Ils pénétrèrent dans le hall faste où des armoiries d'un ancien temps s'étalaient encore à la vue de tous. D'un geste il fut convié vers un long couloir décoré avec un luxe discret. Là, l'homme en costume toqua à l'une des portes.
– Entrez !
La voix autoritaire qui répondit étonna quelque peu Sébastien, mais il préféra ne rien laisser paraître. Son guide l'incita à pénétrer dans le bureau avant de s'effacer aussitôt et refermer derrière lui. En moins d'une seconde, il se retrouvait seul avec son hôte. Toute la richesse de la pièce, de la bibliothèque aux dorures, fut balayée par la présence écrasante du maître des lieux. Son regard le capta, ainsi que le fauteuil roulant à la place de celui en cuir habituel et l'attirail d'oxygène accroché dessus. L'homme rachitique qui lui faisait face ressemblait assez à l'image des vilains des films d'action qui se payaient le luxe de torturer le héros. Mais les yeux marron autoritaires de son hôte l'incitèrent à conserver une attitude professionnelle. Il semblerait que son « client » soit bien plus fier que prévu...
– Monsieur...
Il se mit à parler lorsque le malade face à lui l'interrompit d'un ton acerbe qui n'admettrait pas d'être contrarié.
– Vous êtes en retard, Oster ! Voilà des mois que j'attendais de vos nouvelles ! J'espère pour vous que vous m'apportez réellement la solution à mon problème, sinon vous risquez de gros ennuis ! Et je veux des preuves, Oster ! Arrêtez avec vos belles promesses, vu ?
Sébastien esquissa un sourire affable.
La journée tirait à sa fin qu'il conduisait encore. Son entrevue avec le vieil homme avait duré plus longtemps que prévu et il rentrerait sans doute assez tard. Qu'à cela ne tienne, s'il fallait cela pour s'en sortir... De toute manière, sa prochaine cible ne terminait pas son travail avant dix-huit heures, il avait encore une bonne demi-heure avant d'être en retard. De quoi lui laisser le temps de réfléchir à la suite de son plan...
Tout à ses pensées, il se gara non loin de la banque et sortit pour se diriger vers le café à côté. Il commanda un verre histoire de dire qu'il consommait et se mit à patienter. Son esprit surchauffé continuait de mouliner sur ses prochaines actions et les décisions qu'il lui faudrait prendre. Sébastien ne perçut pas sa présence immédiatement. Une ombre furtive prit place sur l'unique siège face à lui et son regard acéré se redressa. Chapeau, pardessus, col remonté jusqu'aux oreilles, gestuelle de pratiquant en arts martiaux, il comprit de suite qu'il n'avait pas affaire à un débutant.
– Que voulez-vous ?
L'inconnu ricana derrière son foulard qui lui mangeait tout le bas du visage.
– Vous protégez une petite personne très intéressante... Laissez-moi vous offrir un conseil, monsieur Oster : déménagez vite. Votre demoiselle ne sera pas en sécurité longtemps.
– Et pourquoi je tiendrais compte de votre avis ?
Si Sébastien n'appréciait pas d'être surpris, il détestait encore plus s'entretenir avec quelqu'un qui dissimulait son identité. Son interlocuteur sembla comprendre le réel souci et se remit à rire. Il se payait sa tête ?
– Considérez-moi comme une autre pièce de votre échiquier, Oster. Vous allez avoir sérieusement besoin d'aide pour la petite. Vous ne pourrez pas la protéger à vous tout seul et vous le savez, sinon vous n'auriez pas rendez-vous avec Mike Wilkes, n'est-ce pas ?
– Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous en échange de votre... coopération ?
Il fulminait ! Il détestait déjà ce type qui se la jouait supérieur alors qu'il n'osait même pas montrer son visage à découvert. D'un autre côté, il le haïssait encore plus pour avoir raison. La sécurité de Lola devenait sa priorité depuis qu'il s'était désolidarisé de l'agence.
– Mieux n'vaut pas que vous sachiez qui je suis, ce sera plus simple. Quant à mes motivations, elles me regardent. Considérez juste qu'un ennemi commun fait de moi votre ami...
– Ennemi commun ? De quoi vous parlez ?
– N'jouez pas au plus con avec moi, Oster. Vous savez aussi bien que moi que Morel vous traque depuis votre départ. Et bientôt, vous en aurez un bon millier au cul à cause de votre mioche. Arrêtez de faire votre type coincé et vieux jeu. Acceptez mon aide et trouvez un endroit sécurisé pour votre princesse.
L'homme en pardessus se redressa et s'en alla sur ces dernières paroles. Sébastien le laissa partir d'un air renfrogné. Il n'avait plus besoin de connaître son identité, ce type en avait après l'agence et surtout après Jean-Jacques Morel, son responsable. Du temps où il travaillait pour lui, il avait des doutes sur certaines actions louches, mais depuis son départ, il avait assez fouiné dans les autres agences avec l'aide de Gaël pour savoir qu'il trempait dans des affaires glauques. Et il semblerait que son enquête ait ferré un petit poisson... Voilà qu'il venait d'obtenir un « cavalier » sans effort pour sa partie d'échecs...
En parlant d'échecs, sa « tour » arriva dans le bar sur cet entrefait. Il lui fit signe et le grand type noir se rapprocha avec un sourire penaud.
– Bonjour, monsieur Oster, désolé pour le retard, un incident de dernière minute au travail...
Ils se serrèrent la main et il invita Mike Wilkes à commander de quoi boire et manger en guise d'excuse pour le dérangement. Durant toute l'opération, Sébastien jaugea rapidement sa potentielle recrue. Pas plus âgé que lui, cet homme avait été reconnu pour ses dons divers dans son agence de sécurité et son départ pour le privé n'avait pas été compris de ses supérieurs. Baraqué, intelligent, vif, enjoué et calme, il possédait toutes les qualités recherchées par Sébastien. Plus qu'à le recruter...
– Monsieur Wilkes, si j'ai demandé à vous rencontrer, c'est pour vous proposer une offre assez spéciale, qui, j'en suis persuadé, vous intéressera beaucoup...
Publié le 10/05/17
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro