10e Bougie : Proposition inattendue
6 mois plus tard
Lola patientait avec sagesse face à la page internet vide. Toutes les cinq minutes, elle appuyait sur F5 afin d'espérer voir apparaître les résultats du baccalauréat. Comme prévu après son réveil de cet « endroit bizarre » elle s'était jetée à corps perdu dans les études. Personne n'avait pu lui tirer les vers du nez sur son coma ni sur sa manière d'en revenir subitement, pas même Sébastien. Mais elle avait vite compris qu'il n'était pas dupe ; pourtant il respectait son vœu de silence.
En apparence, elle ressemblait à la parfaite lycéenne studieuse désireuse d'obtenir une mention et intégrer une classe préparatoire ou une bonne université. Mais sous sa peau bouillonnait sa puissance en permanence éveillée. Depuis ce jour fatidique, elle apprenait tous les jours. Au début, elle ignorait comment faire appel à cette force alors elle s'entraînait tous les jours pour comprendre comment l'exploiter. En parallèle, elle se documentait sur toutes les énergies connues de par le monde et finit par trouver de grosses similitudes avec le « ki » surtout celui lié aux arts martiaux asiatiques. À peu de chose près, ils se ressemblaient beaucoup. Le temps qu'elle mit à l'utiliser à volonté fut la période la plus laborieuse, mais une fois cette étape franchie, tout devint bien plus rapide.
Son doigt appuya mollement sur la touche pour rafraîchir la page qui restait désespérément blanche avec le même message d'information qu'elle connaissait par cœur : « Les résultats seront affichés à 15 heures le 03/07/18. Merci de vous munir de votre numéro de candidature pour effectuer vos démarches en ligne. » Elle soupira avant de récupérer un crayon qui traînait sur son bureau pour le lancer en l'air et l'arrêter en pleine course d'une pression de son énergie bizarre. L'objet s'interrompit immédiatement et resta planté en plein vol comme un idiot alors que Lola reportait son attention sur ce fichu site de l'éducation nationale.
Après avoir appris à déployer sa force à volonté, elle s'était mis dans la tête de trouver une solution à ces soucis d'utilisation. Elle refusait de sombrer dans le coma et envoyer son âme dans des plans spirituels inconnus à chaque fois qu'elle devait sauver la vie de quelqu'un ! Elle s'était donc employée à tester toutes les idées qui lui venaient... La plus dangereuse aura été d'essayer des piles... L'électricité ne lui était d'aucune utilité ! Et sa réponse se trouva dans le chien de la voisine, qu'elle laissa en pension un week-end à cause d'un déplacement professionnel. Cette jolie trentenaire flirtait sans vergogne avec Sébastien qu'elle considérait fort à son goût, visiblement. Et ce benêt avait accepté de s'occuper du toutou de sa tête d'idiot du village qui ne comprenait pas ses avances ! L'adorable roquet de la voisine, donc, lui fournit un début d'explication : dès qu'elle tenta de capter son énergie, la pauvre bête s'endormit pour une bonne nuit de sommeil. Le regard sombre de Sébastien sur l'animal sans aucun commentaire le soir même la mit un peu mal à l'aise...
La jeune fille appuya rageusement sur F5 à plusieurs reprises comme pour punir son clavier des pensées qu'elle venait d'avoir. Son garde-chiourme la collait toujours autant et lui avait passé un savon maison après l'attentat raté de l'hôtel de ville. Il s'était même disputé sévèrement avec ses supérieurs pour qu'elle puisse mener une vie normale jusqu'au BAC. Elle avait signé une promesse de participation une fois son diplôme en poche. Elle doutait de plus en plus de réussir à l'obtenir honnêtement, mais sa mère le désirait tant...
Juliette fut le cobaye involontaire et inconscient de sa fille. Lola tenait en premier lieu à la soigner elle avant toute autre considération. Seulement elle se voyait mal récupérer l'énergie de toutes les infirmières de passage dans la chambre pour réussir cette entreprise... Alors pendant qu'elle réfléchissait à une méthode pour ne pas projeter son âme vers l'Emeth dans l'affaire, elle s'amusait à balancer des objets en l'air qu'elle maintenait en suspension. À défaut d'être utile, elle s'entraînait. Les premières victimes de paraboles aériennes furent des boulettes de papier innocentes, puisqu'au-delà d'un certain poids, elle n'y arrivait plus. Au fil des jours, elle passa aux stylos, aux bonbons, aux couverts, aux livres puis de plus en plus gros, plus lourd et plus imposant. Son défi de juillet devenait son lit ou le canapé du salon...
Le crayon qui flottait au-dessus d'elle depuis cinq bonnes minutes retomba sur sa tête avant d'échouer au sol. Lola le foudroya de son regard et le ramassa, encore plus en colère. Si elle parvenait à stopper la chute d'un objet de plus en plus volumineux, la durée ne variait pas beaucoup. Un peu comme si le « temps » lui-même refusait d'être contrôlé par elle.
– Alors, tu l'as ?
Dans un sursaut digne d'un gamin pris la main dans le sac de bonbons, Lola se retourna vers la porte de sa chambre pour y découvrir Sébastien, les bras et les jambes croisés, adossé au chambranle. Il la fixait de son air indéchiffrable, mais à la lueur dans ses yeux, elle comprit tout de suite qu'il venait de la griller...
– Ils sont en retard ! J'en sais rien !
Elle rafraîchit la page une fois encore et le message habituel s'effaça pour laisser place à un formulaire pour y inscrire les informations personnelles afin d'accéder à ses résultats. Lola sauta sur son clavier pour entrer son nom et son numéro avant de valider, les mains moites.
– Hein ?
– Que se passe-t-il ? demanda-t-il en se rapprochant du bureau.
Lola n'en croyait pas ses yeux. Elle espérait une mention, certes, mais « Très bien » ? Jamais ! Comment aurait-elle réussi cet exploit alors qu'elle était persuadée d'avoir échoué en anglais ?
– Toutes mes félicitations...
Le ton docte de Sébastien l'alerta aussitôt et son regard acéré se reporta sur lui.
– Ils n'auraient quand même pas trafiqué les résultats ? Rassure-moi !
« Ils » soit le bureau de l'agent Oster, ces grosses limaces qui la collait depuis qu'ils avaient eu confirmation de son pouvoir. Depuis sa rencontre avec le chef de cette cellule, Lola était vraiment mal à l'aise. Elle sentait que cet homme qui lui paraissait avenant et pragmatique dissimulait une volonté de fer et des besoins pas très honnêtes.
– Possible. Quoi qu'il en soit, vous êtes officiellement diplômée, vous devriez prévenir votre mère pour ne pas qu'elle s'inquiète...
Lola pesta jusqu'au dîner. Elle détestait leurs méthodes de faux-cul afin de parvenir à leurs fins ! Sa mère la rassura bien un peu, mais la pauvre ne se doutait pas de l'étendue de mélasse dans laquelle sa fille se trouvait. L'idée désagréable d'être un moucheron emprisonné dans une toile d'araignée persistait dans son esprit. Elle mangeait donc en silence le repas de fête préparé par un Sébastien plus calme qu'un cimetière à minuit.
– D'accord, vas-y ! Parle ! Tu m'énerves avec tes regards lourds de sens que je ne comprends pas ! explosa Lola une fois arrivée au dessert.
Son agent-majordome-nounou soupira et déposa une part de gâteau dans son assiette. Il se servit à son tour avant de se rassoir et la contempla de ses yeux verts qui brillaient d'une lueur étrange. À cet instant, la jeune fille se sentit happée dans un autre monde. Pourquoi la regardait-il ainsi ? Ils restèrent à se fixer comme deux imbéciles durant plusieurs minutes. Puis un frisson fit réagir Lola. Elle détourna ses prunelles sur le morceau de forêt noire sous son nez, ce qui réveilla Sébastien à son tour.
– Je réfléchis à démissionner du bureau...
Les paroles imprévues relevèrent la tête de la jeune fille à toute allure. Son cœur se serra, ses oreilles bourdonnèrent et des pensées confuses se bousculaient déjà. Face à son inquiétude manifeste, il reprit rapidement.
– J'aimerais créer une entreprise, mais j'attends le bon moment pour cela.
– Je... Je ne comprends pas...
Pour la première fois depuis une dizaine de mois, Lola sentit avec plus d'acuité la place qu'avait prise cet homme dans sa vie. Même si elle le repoussait sans arrêt et qu'elle clamait qu'il n'était pas son père, sa présence l'avait tellement aidée qu'à l'idée de le voir disparaître, elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Il sourit face à sa réaction et son envie de pleurer se mua en rage sanguinaire de lui arracher les dents !
– J'ai juré de vous protéger depuis que j'ai menti à mes supérieurs. Aujourd'hui ils savent que je leur ai peut-être dissimulé des informations cruciales, mais ils ne possèdent aucune preuve. Mais cette situation qui me place en porte-à-faux m'est désagréable. Si je faisais ce boulot, c'était juste car j'y excellais, mais je ne l'ai jamais aimé. Dès que j'ai vu ce que vous étiez capable de faire, j'ai senti qu'il me fallait agir. J'ai parfaitement conscience des raisons qui vous ont poussé à me cacher la vérité depuis janvier, mais aujourd'hui que vous avez votre diplôme, le bureau va essayer de vous enrôler pour travailler avec eux.
Sébastien reposa sa serviette sur la table pour se lever et se rapprocher d'elle. Son visage dur et sérieux s'animait d'une flamme incandescente dans son regard. Lola ne l'avait jamais contemplé dans un tel état d'excitation. Il paraissait transcendé...
– Lola, j'ai moi aussi travaillé depuis votre réveil. J'ai mis en place toutes les ressources que je possédais et que je pouvais réunir pour fonder cette entreprise, afin de vous protéger et vous soutenir. Je vous ai observé depuis six mois et je connais vos progrès, j'ai bien conscience qu'il vous reste sans doute beaucoup d'obstacles, mais si je vous proposais de créer votre propre marque afin d'offrir vos services officiellement au monde, qu'en diriez-vous ?
Elle ouvrit la bouche de surprise et la referma aussitôt. Sa colère et sa peine venaient de fondre comme neige en été. Sébastien lui donnait la lune, le soleil et la galaxie entière ou elle rêvait ? Elle préparait des plans pour refuser de rejoindre ce fichu bureau, mais s'imaginer que son garde-chiourme aurait une proposition pareille... !
– Tu y gagnerais quoi dans tout cela ?
Si la jeune fille pensait ses surprises terminées, elle se trompait. À sa question, Sébastien posa un genou à terre à ses côtés et lui prit la main comme un vrai chevalier avec sa dame. Mince, pourquoi faisait-il cela ? Et pourquoi rougissait-elle ?
– Mon seul et unique souhait depuis notre rencontre, c'est de vous protéger, vous aider et vous soutenir. Si vous l'acceptez, Lola, je resterai à vos côtés dans ce but. Je serai tout ce qu'il vous faudra que je sois. Je deviendrai tout ce que vous voudrez que je devienne. Je ne vous quitterai plus jamais, à moins que vous me renvoyiez. Je vous dédie ma vie...
Plus rouge qu'une tomate en été, son énergie qui s'affolait dans tout son corps et son cœur au bord de l'infarctus, elle sentit sa tête tourner un peu. Lola se retrouva bien en peine de répondre... Le cellulaire de Sébastien qui se mit à sonner brisa la scène. Il se redressa aussi naturellement qu'un prince et décrocha comme si de rien n'était. Elle, de son côté, essayait de recoller les morceaux de son esprit en surchauffe et son orgueil mouché. Depuis le début, elle le rabrouait, le rabaissait et le traitait d'agent du gouvernement pour mieux refuser son aide...
Il raccrocha et reporta son attention sur elle. Avec qui venait-il de discuter ? Les oreilles de Lola bourdonnaient comme deux abeilles au printemps et toute la conversation lui échappait. Et ce n'était pas les yeux pers de son dévoué serviteur qui l'aidèrent à se remettre d'aplomb. Sébastien ne la jugeait pas, ne se moquait pas, il attendait avec une patience d'ange une réponse.
– C'était qui ? murmura-t-elle dans un souffle.
– Gaël. Un agent passera demain pour vous.
Elle hocha la tête dans un état second. Il continuait de la regarder en silence. Que devait-elle dire ? Elle sentit des larmes dans ses yeux et, cette fois, ne les refoula pas.
– Pourquoi... ? Je t'ai traité n'importe comment...
Sébastien esquissa un sourire désarmant avant de revenir vers elle et poser une main apaisante sur sa tête. Il s'accroupit pour pouvoir être à sa hauteur.
– Vous êtes encore jeune Lola, et ce que vous vivez n'est pas facile. Une autre que vous aurait profité de moi... Vous vous êtes montrée particulièrement forte dans cette épreuve. Il est l'heure pour vous d'obtenir de l'aide. Laissez-moi devenir votre soutien. Vous n'avez plus à lutter seule...
Lola sentit le barrage de ses émotions céder et s'effondra contre lui. D'énormes sanglots secouaient ses épaules. Sébastien referma ses bras autour d'elle et la berça en silence, une expression farouche au fond de ses iris déterminés...
Publié le 19/04/17
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