Collectionne le bonheur. Collectionner, ce n'est pas seulement accumuler ; ce n'est pas seulement chercher la quantité. Collectionne les moments de bonheur comme mon petit frère collectionnait les timbres. Tu voudras la collection la plus riche possible ; des formes de bonheur aussi différentes que possible.

Du bonheur de recevoir et du bonheur de donner, du bonheur de consommer et du bonheur de créer, du bonheur d'être en activité et du bonheur de se reposer, du bonheur de parler et du bonheur d'écouter, du bonheur d'exister et du bonheur d'admirer, du bonheur de la stabilité et du bonheur du changement, du bonheur du rire et du bonheur du sérieux, du bonheur du soleil en été et du bonheur de la neige en hiver, du bonheur de la douceur d'une pêche et du bonheur de l'acidité d'un citron,...

Pour collectionner le bonheur, il faut non seulement en rechercher des formes aussi différentes que possible, mais aussi savoir reconnaître les nuances entre des formes de bonheur à priori semblables. J'espère que tu seras capable de reconnaître que chaque instant est unique. Chaque instant de ta vie sera absolument unique, et il y aura en chacun d'eux une beauté infinie. Mais seulement si tu es capable de la voir.

Collectionne le bonheur en le cherchant, en le voyant, et en t'en souvenant.

Prends des photos, tient un journal, dessine, raconte, ou simplement repense à tous les bons moments. Garde en mémoire ces bons moments. Ils te serviront dans les temps difficiles : pour te rappeler que ta vie a été pleine de bonheur, et qu'elle le sera encore. Souviens toi des grands bonheurs et souviens toi des petits aussi. Souviens toi des instants absolument uniques et souviens toi des bonheurs récurrents. Mais ne développe pas une compulsion du souvenir, une phobie de l'oubli.

En grandissant j'ai regretté d'avoir si peu de souvenirs de ma maman ; j'en ai voulu à mon papa d'avoir pris si peu de photos, fait si peu de vidéos. En grandissant j'ai commencé à faire des photos de tout, tout le temps. Et un jour j'ai réalisé que je risquais de passer à côté de tout le bonheur que je ne pouvais pas photographier : j'étais en train de perdre ma capacité à les apprécier.

J'avais passé la journée à la mer avec mon petit frère et pris plein de photos du paysage, des châteaux de sable, de lui. Mais je n'avais pas capturé son sourire au moment où une mouette s'est posée sur son château, son rire pendant qu'on faisait une bataille d'eau, sa fierté quand il a appris à nager sans avoir besoin de sa bouée. Et c'était les instants que je voulais retenir de cette journée : ceux que je n'avais pas pu photographier.

Mais ces instants avaient quand même la même valeur. Ils vivaient dans ma mémoire et dans la sienne. Et si un jour ils en disparaissaient ça n'enlevait pas de leur valeur. On a été heureux ce jour là. Rien ne pourrait effacer ça. La mémoire s'efface mais le bonheur ne s'efface pas.

N'oublie pas que chaque instant de bonheur compte. Nos moments sur cette planète sont malheureusement comptés. Et heureusement aussi, parce que je suis à peu près sûr qu'autrement on ne serait pas capables d'en profiter. Alors n'oublie pas que tes moments en ce monde sont comptés, et fait en sorte d'en tirer le meilleur parti. Tu n'auras qu'une seule vie ; alors fais en tout ce que tu voudras en faire, arrange-toi pour y caser le plus d'instants de bonheur et de formes de bonheur possible.

Fais des châteaux de sable qui s'écrouleront au premier coup de vent sans jamais avoir servi à rien. Tu te seras amusé à faire un château de sable, tu auras eu le plaisir de l'admirer, et si ça c'est de l'inutilité alors je ne sais pas ce qu'est l'utilité. Parce qu'il n'y a pas de but plus grand que de créer un peu de bonheur dans l'esprit d'un être humain ; tout ce qui contribue à ça d'une façon ou d'une autre a une valeur et une utilité infinies.

Je t'ai dit que j'espérais que tu voudras être utile au monde. Je voulais seulement dire : sois source de bonheur. Tout ce qui participe au bonheur, de façon directe ou indirecte, est utile. Et tout ce qui existe pour nous permettre de survivre, d'être en bonne santé, et cetera, devient strictement inutile dès lors qu'on oublie de profiter de notre existence. Contribue à la vie ou contribue au bonheur, mais n'oublie pas que la vie ne sert à rien d'autre qu'à avoir la possibilité du bonheur.