2.22. Tomber amoureux
Parfois, l'une de ces personnes qui croisent ton chemin finit par entrer complètement dans ton univers et par te montrer le sien. Et c'est encore plus merveilleux.
C'est ce qui est arrivé avec ta maman. Un jour elle est apparue dans le café. Elle portait un tee-shirt blanc et un jean, une queue de cheval, un ordinateur, trois carnets et deux stylos. Elle a commandé un café et a étalé ses affaires en occupant deux tables. Elle griffonnait dans ses carnets, tapait sur son clavier, et laissait son café refroidir.
Je me suis imaginé qu'elle était une étudiante en médecine, qui venait réviser là parce que chez elle ses trois frères et sœur faisaient trop de bruit. Elle est revenue le soir suivant, et presque tous les autres soirs ; jusqu'à celui où elle m'a parlé. J'étais un peu amoureux d'elle : juste assez pour remarquer quand elle ne venait pas, mais pas assez pour lui parler.
A vrai dire, je tombais un peu amoureux de tout le monde.
Il y avait eu cette fille que son copain avait quittée juste devant moi. Ils s'étaient installés, avaient commandé deux part de gâteau, un thé et un café, avaient commencés à se disputer, et étaient sortis du café avant que leur commande ne soit arrivée. Ils étaient partis chacun de leur côté et la fille avait réapparu deux minutes après : elle pleurait, a mangé les deux parts de gâteau, bu le thé et passé une demi-heure à fixer le café comme si elle espérait y trouver les réponses qu'elle cherchait. Puis elle est partie et n'est jamais revenue. Je m'imaginais que son copain et elle étaient ensemble depuis le collège et qu'il venait de la quitter pour l'une de ses amies. J'aurais voulu lui montrer que tous les garçons ne la feraient pas forcément souffrir.
L'année d'avant il y avait ce groupe d'amies qui venait tous les mercredi après-midis : trois d'entre elles parlaient énormément, et la quatrième souriait et rigolait mais ne disait jamais une phrase de plus de trois mots. J'étais convaincu que son univers devait mériter d'être découvert mais qu'elle ne le savait pas, et j'aurais voulu lui en faire prendre conscience. Je m'imaginais qu'elle manquait de confiance en elle, que ses amies ne remarqueraient même pas si elle était là ou non, et que personne n'avait jamais vraiment pris la peine de l'écouter.
Et il y en a eu d'autres, dont j'ai été amoureux l'espace d'une soirée, pour deux ou trois détails remarqués et une histoire inventée. Tout ça pour les oublier aussitôt qu'elles étaient sorties du café.
Et bien sûr je savais que ces histoires n'étaient pas réelles, mais je savais que ces filles l'étaient, et que j'aurais aimé avoir l'occasion de découvrir ce qu'étaient vraiment leurs univers.
Ta maman n'était pas une étudiante en médecine qui venait au café pour travailler dans le calme. Mais il y avait quelque chose en elle, quelque chose qui m'avait donné envie de la connaître. Et même si je ne sais pas ce que c'était, je n'ai pas besoin de la savoir. Peut-être que c'est de la magie, peut-être que c'est une coïncidence, peut-être que c'est autre chose encore. Mais quand elle est véritablement entrée dans mon univers, j'ai su que cette impression initiale, d'où qu'elle provienne et qu'elle qu'elle soit, était juste. Ta maman a rendu mon univers plus beau et j'ai aimé chaque recoin du sien et chaque détail qui fait d'elle ce qu'elle est. Et cela n'est pas prêt de s'arrêter.
Elle m'a parlé à la porte du café et m'a demandé de l'aider avec son devoir. Elle m'a demandé ça comme si elle était déjà convaincue que j'allais lui dire non. Je lui ai proposé de venir prendre un café chez moi et elle a accepté, mais seulement à condition que ce soit elle qui prépare le café parce que je lui en avais déjà préparé assez. Je lui ai dit que mon petit frère était chez moi, qu'il était sourd qu'il faudrait pas s'étonner, et immédiatement elle m'a demandé de lui apprendre à dire bonjour et se présenter en langue des signes. Je l'ai laissée faire le café et elle a failli casser la machine et renversé de l'eau partout.
On est allé dans le salon et elle s'est installée en tailleur sur le tapis plutôt que sur le canapé. Elle a commencé à me raconter son projet et des étoiles brillaient dans ses yeux tellement elle aimait son idée. Je l'ai contredite sans cesse parce que je n'étais pas d'accord avec elle, et ça a eu l'air de lui faire plaisir plus que de la contrarier. Elle avait une feuille avec des questions à poser et et elle l'a sortie avec un crayon mais n'a jamais rien écrit dessus, ni jamais posé les questions qui étaient prévues. On a juste parlé comme si on se connaissait depuis toujours.
Chaque détail était parfait.
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