Et quand je me suis   réveillée dans ses bras le lendemain matin et qu'il dormait toujours,   j'ai cru que le script m'imposait de partir. Alors je suis partie. J'avais   oublié que les scripts c'était à moi de les écrire.

Je suis retournée  au  café le soir suivant, comme tous les soirs, et je croyais vraiment   qu'il allait agir comme d'habitude. J'étais sûre qu'il allait suivre le script du serveur,  sourire  et me traiter comme n'importe qui, faire comme si de rien  n'était.

C'était quelque chose que j'avais pu repérer dans la façon de  vivre des  humains dans ce monde : quand tu sors du cinéma, le film est  fini et la  vie reprend comme si de rien n'était. Tu es sérieux dans la  salle de  classe et tu ris en dehors. Tu passes des moments magiques  avec des gens  et tu les ignores le jour suivant. Ton attitude change en  fonction du  contexte et les émotions positives ne semblent jamais  faites pour durer  très longtemps. Tu alternes d'un rôle à l'autre d'une  façon qui semble surprenante mais au final est très prévisible.

La magie ne  semble jamais  être faite pour durer. Et je croyais vraiment que la  magie de cette  soirée là ne serait rien de plus qu'une de ces magies pas faites pour durer. Parce que ça semblait la  suite logique de  cette histoire là. Parce que les contes de fées ne  commencent pas comme  ça.

Mais ton papa n'a pas  laissé les choses finir ainsi. Il a choisi  de nous laisser une chance. Puis j'ai choisi moi aussi de nous laisser une chance.

Il est arrivé à ma table en  me disant « J'ai eu une super idée ! Et si,  au lieu de faire porter des  étiquettes aux serveurs, c'est aux clientes  qu'on demandait de choisir  la leur ? Comme ça, les serveurs voir par qui le client doit être  servi. On fait un test ? »

Il m'a tendu trois  étiquettes : la  première disait "client qui veut qu'on lui apporte son  café et le  laisse tranquille", la deuxième "client qui accepterait un  rendez-vous  si le serveur le lui proposait", la troisième était blanche. Il  m'a dit  qu'il pensait que c'est important que le client ait la  possibilité de  créer sa propre étiquette s'il le souhaite, plutôt que d'être forcé de choisir  parmi un lot existant.

Je lui ai répondu que j'étais  tout à fait  d'accord avec tout ce qu'il venait de dire. J'ai ajouté que par contre il faudrait étoffer le lot d'étiquettes, et que ce n'était probablement pas une  bonne idée  d'y inclure la deuxième étiquette. En disant ça, je lui ai  rendu la  première étiquette et la troisième. Il a eu l'air déçu. J'ai  collé la  deuxième sur mon front. Il a eu l'air heureux. Il m'a proposé  un  rendez-vous.

Puis d'innombrables rendez-vous plus tard, on en est là : à toi.