1.29. Débat
L'idée c'était ça. Ensuite il y allait avoir tout le travail sur les procédés cinématographiques qui me permettraient de faire ressentir au public l'angoisse et l'enjeu de ce qu'il se passe à chaque instant. Voilà qui serait diablement intéressant : représenter, faire ressentir, la montée progressive de l'oppression qui prend le masque de la liberté, les bonnes intentions du manager qui disparaissent complètement au profit du profit.
Contrairement à ma prof, ton papa a compris que cet emprisonnement se faisant passer pour liberté était effrayant. Lui comprenait que ce qui est vraiment effrayant dans les histoires c'est la réalité qu'elles nous dévoilent. Et j'ai essayé de lui expliquer que c'était ce que je voulais faire avec cette histoire là.
Mais il n'était pas d'accord. Il trouvait l'histoire irréaliste. Il disait que le personnage, le manager, n'aurait pas réagi ainsi, qu'il aurait trouvé de meilleures solutions. Pourquoi n'était-il pas possible de choisir son rôle chaque matin ? Pourquoi ne pas à chaque moment choisir plusieurs étiquettes ? Pourquoi même avoir besoins d'étiquettes ?
Pourquoi partir de l'idée que les clients du café sont un public voulant des personnages ? Après tout, les gens aiment prendre un café chez leurs amis, c'est absurde de penser qu'ils ne veulent pas de la complexité de vrais humains et préfèrent des stéréotypes. D'accord on n'a pas le temps de comprendre quelqu'un le temps d'un café, mais chaque miette de la réalité de la personne vaut le coup. Pourquoi penser que les gens ne veulent pas de ça ?
Pourquoi avoir changé le concept de départ à leurs premières plaintes ? Pourquoi ne pas faire la promo du café comme d'un lieu surprise où l'on ne sait pas sur qui l'on va tomber ? Ancrer dans le concept que l'on peut avoir une bonne ou une mauvaise surprise et que ça fait partie du jeu, comme avec les personnes réelles.
Peut-être que la tentation de surjouer, simplifier, devenir des personnages, est séduisante. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait rien d'intéressant dans le concept de départ. Rien ne permet de conclure que c'est le concept de ce café qui contient en lui les germes de ce qui a lieu ensuite. Ce serait comme dire que les documentaires sont une mauvaise idée juste parce que leur concept de base a été détourné par la télé-réalité.
Du coup en fait l'histoire n'est pas si effrayante que ça, parce qu'elle n'est pas si réelle que ça. Parce que dans la vraie vie la plupart du temps les gens sont réels, qu'ils ne s'enferment pas dans des rôles. Voilà tout ce que pensait ton papa. Il pensait que j'étais trop pessimiste.
On n'était pas d'accord ton papa et moi. Il était à deux doigts de vouloir développer en vrai ce concept de café. On a débattu pendant longtemps. On a débattu longtemps.
Puis il m'a demandé si je ne m'étais pas enfermée dans le rôle de celle qui n'est pas d'accord avec lui, si je n'étais pas aveuglée au point d'oublier ma liberté de me rallier à son avis. A ce moment là, je l'ai embrassé. Parce que j'en ai eu envie, tout simplement.
Puis je me suis écartée pour lui préciser que ça ne voulait pas dire que je m'étais ralliée à son avis, parce qu'il ne fallait pas exagérer quand même. Et on s'est embrassés de nouveau.
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