1.2. Attentes
Tu arriveras dans ce monde et déjà tout le monde aura des attentes envers toi. Tu naîtras et, sur la base de tes caractéristiques physiques, ils détermineront quel genre de personne tu devras être, quels rôles dans la société tu devras adopter, quels traits de caractère tu devras posséder, ce que tu seras ou non autorisé à faire, qui tu pourras ou non aimer, à quels jeux tu devras jouer, de quelles couleurs tu pourras ou non t'habiller, quels devront être tes goûts et ce qui devrait ou non être important pour toi.
Ils réduiront de moitié le champ de possibilités de ton existence, sur les aspects les plus importants comme sur les plus anecdotiques. La plupart des parents sont si pressés d'enfermer leurs enfants dans une case qu'ils font appel à des techniques élaborées pour savoir à l'avance à quelles attentes le réduire. Et avant même que tu ne naisses, ils décident qu'il y a des choses que tu pourras être et d'autres que tu ne pourras pas être.
Ils n'ont pas tort au fond : c'est comme ça que ce monde fonctionne. Savoir à l'avance ou pas, ça ne changera rien au fond. Ton papa et moi ne voulons pas savoir. Nous ne voulons pas t'imposer d'attentes : ni maintenant, ni après. Mais des attentes te seront imposées de toute façon. Parce que l'on ne vit pas isolés. Et, que nous le voulions ou non, nous faisons partie de ce système.
J'ai écrit un scénario là dessus il y a quelques années. Un avion s'écrasait sur une île et il y avait là bas de quoi survivre et créer une société fonctionnelle. Mais pour fonctionner, la société avait besoin que les individus acceptent d'effectuer différentes tâches. Certaines semblaient plus amusantes que d'autres, certaines semblaient plus importantes que d'autres, et ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord.
Alors, ils ont décidé d'attribuer à chacun un métier sur la base de la couleur de ses yeux. Ils ont fait une liste de toute les tâches nécessaires au fonctionnement de la société et chacun effectuait celle qu'on lui imposait. Personne n'était satisfait mais le monde tournait, et c'était là la fin de l'histoire.
Bien entendu, mon scénario a été rejeté. Ils ont dit que c'était l'histoire la plus absurde qu'ils n'avaient jamais lue. Ils ne comprenaient pas comment les personnages pouvaient prendre une décision aussi insensée : pourquoi ne pas imposer à chacun de faire un peu de chaque tâche ? Pourquoi ne pas permettre à ceux qui n'aiment pas la tâche dont ils ont écopé d'échanger avec quelqu'un d'autre ? Pourquoi la couleur des yeux ? Pourquoi des gens disposant d'un territoire et de la possibilité de créer une société parfaite se résigneraient-ils à créer une société insatisfaisante pour chacun ?
Bien sûr ils avaient raison. Bien sûr leurs questions étaient pertinentes : ce sont celles que je me pose tous les jours. Ils n'ont pas compris que c'était justement là le propos du scénario. Si dans le monde dans lequel l'on vit les humains ont pris cette absurde décision et continuent de l'accepter chaque jour de leur vie, pourquoi dans ma fiction les humains prendraient-ils une décision différente ?
Ils ne sont même pas capables de reconnaître leur propre absurdité quand tu essayes de la leur mettre sous les yeux. C'est pourtant pour ça que je voulais écrire des films. Je voulais essayer de secouer leurs esprits. Mais rien à faire. Ils sont trop bêtes pour se rendre compte que ce qu'on exprime parle d'eux. Ils jugeront les personnages mais ne se remettront jamais en question. Ce n'est pas vraiment de leur faute : le système les a rendus ainsi.
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