40. Plus de mal que de peur
- Abygaël -
Christian me toise à travers ses mèches brunes. Après avoir attaché ses cheveux, il s'empare de la théière remplie d'un liquide à l'écume douteuse.
Je me laisse tomber dans un fauteuil, prends soin de rajuster mes bandages et accepte la tasse qu'il me tend.
Mon aîné soupire en voyant l'état de mes avant-bras. J'explique :
- Des éclats de verre, j'ai voulu me protéger de l'explosion.
- Félicitations, grimace-t-il, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Je serre le poing, des picotements aigus me rappellent les nombreuses petites plaies qui parsèment mes membres.
- Rien, j'ai vu rouge quand on s'est moqué de Nick.
Je relâche l'étreinte, le sang se remet à circuler dans mes jointures en même temps qu'un flot de paroles haineuses s'échappe de ma bouche :
- J'comprends pas, ça arrive souvent pourtant. Même si ça me coûte de l'avouer, on s'est tous habitué aux railleries des collègues en salle de réunion. Mais ça n'a jamais provoqué de cyclone!
Tian éclate de rire. Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour, bien que je ne comprenne pas le propos de son amusement.
- Oh Aby, tu t'es déchaînée devant tes supérieurs, et les supérieurs de tes supérieurs ?
Mon rictus retombe aussitôt.
- Oui, dans le petit amphithéâtre avec plus de baies vitrées que de murs.
Dans d'autres circonstances, j'aurais trouvé cet événement hilarant. Seulement, l'éventualité que je ne puisse plus contrôler mes pouvoirs m'inquiète.
Le visage horrifié de Nicolas me suppliant de me calmer va sûrement resté gravé dans ma mémoire.
Plus que les réactions de fillettes des plus hauts gradés présents.
Christian s'assoit en face de moi, et se penche en avant, les coudes sur les genoux et son menton sur ses paumes.
- C'est la première fois que ça t'arrive ?
Je me redresse dans mon siège, incertaine.
- Je pense que non.
Son regard à l'éclat doré s'attarde sur les petites bulles qui se forment à la surface de la tisane. Comme si c'était tout à fait normal pour une boisson chaude.
- Je vois.
Il se passe la main dans les cheveux.
- Disons que tes pouvoirs représentent un flux sanguin trop puissant pour être drainé par ton corps. Tu as besoin de libérer l'excès de magie de temps en temps.
Ses doigts s'attardent sur ses lèvres, et bientôt il se ronge les ongles.
- Provoquer deux ou trois bourrasques peuvent parfois suffire, et si tu n'entretiens pas un équilibre entre l'énergie que tu emmagasines et celle que tu dépenses...
- Mon état émotionnel risquerait de provoquer un débordement à la moindre occasion. Ouais, j'ai cru comprendre.
Je porte pour la première fois la tasse tiède à ma bouche, non sans avoir jeté un dernier regard inquiet au liquide verdâtre.
- Il me reste encore un mystère à élucider, Professeur. Pourriez-vous éclairer ma lanterne ?
Son visage s'éclaire à l'idée de pouvoir exposer ses talents de pédagogue, il libère son pouce de ses lèvres.
- Avec plaisir, mon enfant.
Je prends mon air le plus innocent.
- Qu'est-ce que t'as foutu dans ton putain de thé ? C'est imbuvable.
***
La migraine insoutenable s'est atténuée en bourdonnement continu, ponctué de douleurs lancinantes à chacun de mes mouvements.
Petit à petit, les images qui flottaient devant mes yeux se dissipent et laissent place à une réalité alarmante : je viens d'utiliser mes pouvoirs dans le Mundis Humanum.
Mes souvenirs se sont mêlés à la colère, j'ai délibérément menacé des humains en m'appuyant sur ma magie.
La ruelle est vide et nous nous sommes mises dans un coin, dans l'ombre des murs.
J'enfourne le cutter dans ma poche droite et sors mon téléphone.
Nicolas va me tuer.
Je lève la tête en entendant Laurel déchirer sa belle écharpe pour l'enrouler autour de la main blessée, à défaut de mouchoirs. Étonnant qu'elle sacrifie un de ses vêtements pour une blessure qui ne saigne plus.
- Merci, chuchote Julia en tremblant.
J'aurais imaginé qu'elle se jetterait dans les bras de Laurel en braillant. Mais elle se redresse, et essaie tant bien que mal de stopper ses tremblements. Son amie la prend par les épaules, bien qu'elle soit celle qui frémisse le plus.
- Tu en as peut-être trop fait.
Ah tiens, Javannah.
Ayant abandonné son calme olympien, elle croise les bras et tape du pied pour libérer son adrénaline.
- Ils n'oseront pas cafter, ils sont en tort, l'interromp la blonde. Avril pourra témoigner en notre faveur s'il le faut.
Hélas, si c'était aussi simple. Non, j'ai bel et bien merdé.
- Et alors ? On n'aurait pas de blessée si elle avait agi autrement. Cette prise d'otages armée aurait pu mieux se conclure on avait appelé des secours.
Je serre les dents, ma mâchoire encaisse les élancements violents de mes tempes.
- T'abuses, tout de suite les grands mots, soufflé-je. T'avais qu'à te bouger plus tôt alors, puisque tu es censée avoir de meilleur réflexes.
Elle en reste bouche bée. Je la toise quelques secondes, avant de remarquer le regard bleu et furieux de Laurel. Julia prend Javannah par le bras :
- Calmez-vous, c'est fini. Je vais bien, c'est pas grave. On s'en est sortie grâce à vous deux et je suis contente qu'il n'y ait pas eu de réels accidents.
Génial, maintenant c'est la victime qui rassure les témoins.
***
À ma grande surprise, la première personne que Julia a voulu contacter est Jonathan. Celui-ci a accouru jusqu'à notre localisation, perdue dans des ruelles à l'aménagement illogique.
Jonathan a néanmoins oublié de préciser un détail. Un détail de presque deux mètres et quatre-vingt-dix kilos.
Zander est arrivé le premier, suivi de loin par Jonathan. L'un anormalement silencieux, le second sérieusement essoufflé.
- Zander ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? s'enquit Laurel, de son ton toujours aussi aimable.
Le Loup a pali, alors que ses yeux se sont foncés lorsqu'il a aperçu Julia. Les cheveux dressés sur sa nuque, il détourne son regard à l'éclat meurtrier de la petite rouquine.
Jonathan bégaie en voulant se justifier. Il est clair que son coéquipier n'a lui pas demandé l'autorisation de l'accompagner.
- Il a entendu notre conversation et...
Il laisse sa phrase en suspend, et se tourne à son tour vers sa précieuse amie. Il laisse échapper un soupir nerveux en la prenant dans ses bras.
- Comment nous avez-vous retrouvées ?
Drôle de question à poser à un métamorphe, "Hannah".
- Zander a vraiment un super bon flair... euh, odorat je veux dire.
Peu importe le terme, un simple coup de fil et son instinct canin lui ont suffit pour nous rejoindre.
- Je vous avais dit, en profité-je, on est pas loin de l'université.
Je me frotte l'œil en baillant.
- On bouge. Je suis en retard pour mon boulot.
Cinq paires d'yeux se sont alors braqués sur moi, exprimant surprise, exaspération et incompréhension.
Zander, parlant pour la première fois, m'aboit dessus :
- Quoi ? Mais t'es sérieuse ?
- As-tu vu dans quel état nous sommes?
Les vis infernales qui s'enfoncent dans mon cerveau m'ont empêchée d'intercepter les autres exclamations, mais Javannah et Zander ont été les plus agressifs.
- Justement, pas question qu'on retourne au campus maintenant. Suivez-moi.
Eh bien, me retourner pour faire face au ciel clair a suffit pour inviter un marteau-piqueur à démonter ma boîte crânienne, en chœur avec les tournevis qui veulent ma mort.
Javannah se place devant moi et me considère de ses yeux d'acier.
- Non.
Je refreine une envie sauvage d'hurler en un grognement intelligible, les mains pressées contre mes yeux. Quelle douce sensation de s'écraser les globes oculaires...
Soudain, une idée surgit dans le site de construction qu'est devenu mon esprit : j'ai encore mon joker. Je la défie en levant un sourcil :
- Appelle Christian pour savoir ce qu'on fait.
N'ayant aucun contre-argument valide, elle se résigne à le contacter.
Au bout de quelques sonneries, une voix joyeuse décroche :
- Hey, Hannah. Comment ça va, ma belle ?
Tous les autres se précipitent sur le pauvre smartphone. Laurel a été la plus rapide :
- Ta belle et nous sommes dans une situation de crise, Christian. On s'est fait...
Julia s'incline à son tour sur le téléphone.
- ... embêtée par des personnes qui veulent se venger de Zander, complète-t-elle sous le regard sévère de ses amis.
- Joli euphémisme, chuchote Jonathan.
Il a suffit d'un seul claquement de langue de la part du propriétaire du téléphone pour faire reculer les gêneurs. Sauf Zander, qui lui se tenait déjà à plusieurs mètres de nous depuis son arrivée.
- Christian, Javannah à l'appareil. Abygaël a usé de ses aptitudes surnaturelles pour se débarrasser, à sa manière, des aggresseurs.
Elle me lance un énième regard significatif, qui ne me fait ni chaud, ni froid. Par contre, je pense avoir un début de fièvre.
- Et maintenant Julia se retrouve avec la main en sang, enchaine Javannah, et ta collègue a en sa possession l'arme du crime. Que devons-nous faire ?
Un silence chargé de réflexions a suivi. Un sourire de triomphe m'est monté aux lèvres avant même d'entendre la réponse.
- Faites ce qu'Aby vous dit, j'arrive.
Et il raccroche.
Au moins on sera deux à se faire botter le fessier par Nick.
Une petite voix se fait entendre.
- Aby ?
Julia me fixe de son regard vert, les sourcils froncés.
- Tes yeux, ils sont tout rouges et gonflés. Tu fais une allergie ?
Nicolas : Je prépare la trousse de soin, dépêchez-vous avant que ça ne s'infecte.
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