31. Pressentiment
- Javannah -
Un hurlement de terreur déchire le silence nocturne.
Je me lève, tous mes sens en alerte. Une succession de bruits résonne dans la chambre. Quelqu'un tombe de son lit, une autre personne pousse un grognement irrité et le cri a laissé place à des chuchotements étouffés.
J'allume ma lampe de chevet. Laurel se couvre de suite le visage à cause de la faible lumière. Abygaël, celle qui a visiblement dégringolé de son lit, se frotte le coude sur lequel elle a dû tomber. Mes yeux se posent finalement sur Julia, la cause de notre réveil forcé.
Elle se tourne et se retourne en gémissant et en s'empêtrant dans ses draps. De soudain bruits de gorge sinistres accompagnent des couinements suraigües. Ses cheveux roux collent ses joues rougies, à cause de la sueur et des larmes. Que lui arrive-t-il ?
- Mais qu'est-ce qu'elle nous fait encore, putain ! ronchonne Laurel, qui cligne encore des yeux pour s'accoutumer à l'éclat de la lampe.
Sur ce, elle tire sa couverture et replonge sous celle-ci en tentant de se rendormir. J'ignore à quel point elle peut se désintéresser des autres, mais il faut dire qu'on atteint les extrêmes. Je n'ai pas spécialement envie de m'approcher de Julia alors qu'elle dans cette transe. Cependant, même si je garde mes distances, rien ne veut dire que je m'inquiète pas un minimum pour elle.
- On dirait qu'elle nage en plein cauchemar, remarque Aby.
Bien plus inquiète, elle s'est relevée et se tient maintenant près de Julia. Cette dernière continue de murmurer quelque chose d'inintelligible, de plus en plus fort. On dirait qu'elle bouge les bras, mais que quelque chose restreint ses mouvements. Ses membres en tremblent.
Laurel ressort la tête de sa couette et me regarde. Je hoche la tête. C'est sûrement ça.
Abygaël s'assoit sur le lit de notre amie, décale légèrement sa couverture et lui caresse le front en l'appelant. La rousse se met à gémir davantage. Des gouttes de sueur perlent son front et de la salive menace de quitter de ses lèvres. Cette vision me met mal à l'aise, bien qu'elle me fasse de la peine, un léger dégoût se fait sentir. C'est bien trop embarrassant de la regarder faire une crise aussi violente et accentuée. Tout de même, n'importe qui peut se réveiller avec un peu de volonté. Julia exagère toujours.
- Réveillons-la, la pauvre...
- Non ! Surtout pas ! l'arrêté-je.
Abygaël me regarde avec des yeux ronds, déconcertée. Doucement, elle se laisse gagner par la colère. Le matelas rebondit lorsqu'elle quitte le lit. Debout, elle nous dévisage tour à tour. Laurel, confortablement installée dans ses draps et moi, en train de fouiller dans mon tiroir. Son regard noir veut tout dire.
- Quoi ? tonne-elle d'une voix outrée. Vous comptez la laisser délirer toute la nuit ?
Son indignation est justifiée. Enfin, justifiable. Elle ne vient pas d'ici et semble connaître beaucoup de choses. Alors pourquoi n'est-elle pas capable de saisir la situation ?
- Elle ne délire pas, rectifie Laurel. Julia est en train d'avoir une vision.
La Mage se contente de fixer le visage de notre Sibylle, interdite, qui étrangement baisser le ton et se contente de chuchotements inintelligibles. Elle hésite avant de dire :
- Elle... est en train de voir l'avenir ?
Comme si le répéter allait changer la donne. Je m'empêche de soupirer et développe :
- Exactement. Ce n'est pas la première fois que Laurel et moi assistons à ses prédictions. Cela arrive toujours sous forme de cauchemars. Julia ne s'en souvient jamais après son réveil, mais nous prenons des notes de ce qu'elle dit pendant son sommeil.
Abygaël déglutit, et fronce les sourcils en regardant Julia. Finalement, elle laisse sa place à Laurel, qui s'est munie du calepin que je lui ai prêté et de quoi écrire. Je me suis proposée de le faire à sa place, elle a refusé sèchement. J'aurais dû être plus ferme, Laurel n'a jamais été douée pour prendre des notes. Et elle ne prend pas soin de ses propres affaires. Et puis, je ne vois pas pourquoi elle s'intéresse à Julia.
Notre colocataire de l'autre monde est restée couchée sur son lit, les yeux rivés sur son téléphone. Elle lance quelques fois un regard soucieux à Julia lorsque celle-ci s'emporte un peu trop. Elle a bien bavé sur son oreiller, jusqu'à le rendre humide, mais cela ne dérange pas Laurel qui se penche toujours plus près de ses lèvres pour mieux capter chacun des sons parfois inhumains qu'elle produit. Je réprime une grimace écœurée en fermant mon tiroir.
J'ai voulu bouquiner mais le cœur n'y est pas. Mon esprit est bien trop préoccupé par ce que Laurel écrit sur son cahier. Le stylo glisse sur le papier, s'arrête, barre, gribouille et recommence indéfiniment.
Il faut que je comprenne pourquoi Julia est en train d'avoir une vision. Ce n'est pas anodin, le moment est toujours méticuleusement choisi lors de ses prémonitions. Je décide de m'intéresser aux pouvoirs des Sibylles. Il pourrait y avoir des indices sur le genre d'évènements prédits. Avec précaution, je me dirige vers mon bureau et m'empare du plus gros livre parmi la pile d'encyclopédies, dictionnaires et autres livres d'apprentissage.
En me rasseyant, je passe la main sur la couverture, savourant encore une fois cette sensation particulière qui lui est propre. Rien que la matière m'interpelle, c'est un mélange étrange de cuir et de velours, aussi rigide que doux au toucher. J'ouvre avec délicatesse le Manuel Des Fondamentaux. Même le craquement des pages et l'odeur du papier sont autant habituels que nouveaux.
Mes doigts parcourent le volume, et s'arrêtent à la partie consacrée aux définitions. J'ai beau avoir mémoriser l'intégralité de ce passage, je préfère relire pour éviter de passer à côté de détails essentiels.
"Les Sibylles sont des êtres qui maitrisent l'art de prédire l'avenir, capables de décrypter les émotions et les sentiments des individus. Ils peuvent aussi accéder au passé des gens, notamment par le biais des rêves. Ce peuple ancien préserve depuis longtemps cette capacité de projection. Cependant, ce pouvoir n'apparait pas forcément à toutes les générations, chaque famille ne compte que quelques-uns porteurs de pouvoirs. Ces ascétiques sont d'une grande générosité et leurs dons de prescience a longtemps été l'objet de convoitise des Sentinelles. Selon certaines études, il s'agirait de l'espèce la plus proche des Humains. "
Le reste traite des auras spécifiques, et ce n'est pas vraiment le sujet. Voilà donc toutes les informations dont je dispose. C'est bien trop généralisé pour m'aider. De toute façon, je devrais me concentrer sur la cause de la vision, et pas sur le rêve prémonitoire en lui-même.
Je ferme le Manuel ainsi que mes yeux. La réponse est ailleurs.
***
J'ai dû finir par m'assoupir lorsque mon amie me réveille en me secouant doucement l'épaule. Le mauvais rêve de Julia a duré jusqu'à l'aube.
Elle semble maintenant s'être calmée et est plongée dans un sommeil des plus banals. Son visage a retrouvé son éclat enfantin et n'est plus ridé par le rictus de douleur qu'elle toujours arbore lors de ses phases de divination.
Celui de Laurel, en revanche, est tourmenté. Elle s'assure qu'Abygaël dorme avant de me présenter le carnet. Sa main tremble légèrement en me tendant le calepin. Enfin, je lis la prédiction de Julia.
Je repense à mes hypothèses émises juste avant ma sieste. Depuis l'arrivée de notre nouvelle colocataire, j'ai su que quelque chose allait arriver. Quelque chose de grave. Abygaël est l'élément perturbateur de la narration, telle est la conclusion de mon intense réflexion.
Je n'avais aucune preuve concrète de ce que j'avançais. Juste des pressentiments. Encore et encore ces pressentiments qui font froid dans le dos. Je ne faisais que me fier à mon instinct, comme je l'ai toujours fait. Seulement, ce que j'ai devant mes yeux me prouve avec certitude qu'un malheur va s'abattre sur nous. À cause d'elle.
Trois mots m'ont suffi.
L'écriture ronde de Laurel a bavé, et les trois quarts de la feuille sont raturés. On distingue trois termes, qu'elle a pris soin d'entourer pour les mettre en évidence sur le carnet noirci de suites de mots dénuées de sens.
SANG
MORT
RÉVEIL
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