- Jonathan -

Lorsque je rentre dans la chambre, la fenêtre est encore grande ouverte. Je fais à peine un pas dans la pièce que mon pied bute sur quelque chose. Une cannette de bière. Dimitri et ses amis ont visiblement passé l'après-midi à jouer et à boire.

Je pousse un long soupir, puis commence à nettoyer la pièce. Une forte odeur d'alcool atteint mes narines. Je fronce le nez. Un imbécile a sûrement renversé sa boisson.

Une fois m'être assuré que la chambre ait une allure convenable, je m'accoude à la fenêtre et respire un bon coup.

L'air nocturne me détend aussitôt. J'ai toujours eu l'impression que la nuit, l'oxygène devenait plus sain, plus respirable. Mes épaules se détendent et mes pensées se libèrent.

Je ne sais quoi penser de ce dîner. Revoir Chris après tout ce temps m'a fait plaisir. Pourtant je regrette amèrement d'avoir accepté l'invitation d'Hannah.

On ne m'avait pas prévenu. Ni concernant les deux invités supplémentaires, ni à propos de leur vraie nature. Même Julia, à qui on ne confie généralement pas de secrets dans l'immédiat, semblait être au courant.

Alors, comme ça Abygaël est une Magicienne – désolé – une Mage ? Eh ben c'est génial, maintenant on a même un putain de loup parmi nous !

Je me demande si dans ce Monde il y n'aurait pas plus de non-humains que d'humains. Non mais qu'est-ce que je fais dans ce groupe ?

C'est évident que je ne suis pas à ma place. Je suis qu'un pauvre humain qui sait juste taper dans un ballon.

***

Ma mère s'installe sur la chaise longue de la véranda, un verre de jus dans la main. Elle nous regarde en souriant.

Judith et moi sommes perchés en haut du cerisier, comme à notre habitude. Je balance doucement mes jambes dans le vide, appréciant la vue. Ma sœur, elle continue de s'époumoner.

- Je te dis que si !

Ses cheveux bruns tressautent tandis qu'elle se déchaine. Elle a hérité de la chevelure de mon père, la mienne est du même blond doré que ma mère.

- Les zombies et les fantômes existent, j'en suis persuadée !

Cela fait une heure qu'elle essaie de me convaincre. Et cela fait également soixante minutes que je rejette toutes ses thèses.

- Tu n'as aucune preuve.

Et elle ne risque pas d'en trouver. Elle se met debout sur la branche, faisant trembler les feuilles.

- Tu veux des preuves ? Ce soir, on invoquera Satan.

Ses délires vont loin, très loin. Je me demande d'où elle sort toutes ses histoires, elle n'est même pas du genre à lire énormément de livres.

- Si les vampires et loups-garous existent, alors les spectres et les morts-vivants aussi, ronchonne-t-elle, c'est logique, voyons !

Voyons !

- Il faudrait déjà que ces deux espèces existent, soupiré-je.

Les mains sur les hanches, elle me regarde avec un air de défi.

- Je te l'ai déjà dit, tu ne reconnaitras jamais un vampire ou un loup-garou, ils sont bien trop mélangés à la population humaine, réplique-t-elle. Il est donc impossible de les reconnaitre à première vue. Ecoute un peu ta grande sœur quand elle t'apprend quelque chose !

Je me mets à rire. Décidément, qu'est-ce qu'elle est bête ! Et dire qu'elle est l'aînée.

- Le jour où tu te trouveras un petit-ami, je croirais aux bêtises que tu viens de sortir. Peut-être même que les aliens nous contacterons, qui sait !

Elle prend un air faussement indigné.

- Ne raconte pas de sottises. Je n'ai pas besoin de petit-ami pour te prouver quoi que ce soit.

Eh oui, ma sœur est extrêmement bizarre.

Elle me tire la langue et saute de la branche avant d'atterrir avec souplesse sur l'herbe verte. Tandis que ma mère la gronde pour son imprudence, Judith lève la tête.

- Tu verras, Nathan, un jour tu regretteras de ne pas me croire !

***

Le souvenir intact des moments passés avec ma sœur me terrifie. Je suis enchainé à elle, à ces instants qui sont restés gravés dans ma mémoire.

L'absence de Judith s'accentue d'année en année. Je sais que je ne pourrais jamais l'oublier et passer à autre chose.

Elle faisait partie de moi et aujourd'hui encore, mon âme réclame désespérément qu'on lui rende sa moitié. Même si nos avis divergeaient, j'adorais discuter avec elle.

Je me penche un peu plus, dans l'espoir d'inhaler davantage d'air frais. Mon regard s'arrête sur la pelouse en-dessous de moi.

A la vue de tous les mégots tombés sur la pelouse depuis notre chambre, je comprends pourquoi mon colocataire laisse toujours la fenêtre ouverte.

Maintenant ça me parait évident que Dimitri fume. Le règlement l'interdit, c'est surement pour ça qu'il me le cache.

Dimitri. Je devrais me faire plus d'amis comme lui, complétement ordinaires, et vivre paisiblement ma vie d'humain insignifiant. Ça me conviendrait mieux que de trainer avec Julia et les autres.

Je suis toujours le dernier au courant, la preuve : je ne savais pas que Zander et Abygaël étaient invités, ni même que mes amis les suspectaient de ne pas être normaux. Je ne suis qu'un fantôme.

Je respire une dernière fois cette odeur envoutante de la nuit avant de fermer les volets pour aller me coucher, en priant pour ne pas faire de cauchemars.