22. Doutes
- Julia -
Nous apercevons Abygaël devant le café à la jolie enseigne "The Violet Jasmine". Elle est en effet mauve, bordée de fleurs de jasmin et de petites feuilles vertes. La façade vitrée jusqu'à mi-hauteur est encadrée de rideaux du même bleu pastel que les fleurs de l'écriteau.
À l'instant où la silhouette qui se tenait près de mon ami se glisse à l'intérieur, les lettres s'allument ainsi que l'intérieur du café. Une lumière claire inonde alors cette partie de la rue et j'aperçois même un bar, au fond. Il faudrait qu'on y aille un jour, tiens.
Aby nous fait un sourire timide en nous rejoignant. Elle peine à adopter une démarche normale et sur la courte distance qui nous sépare, elle manque de percuter au moins deux passants et une poussette. Sa maladresse me surprend et je remarque pour la première fois qu'Aby parait totalement épuisée.
J'ai envie de l'inonder de questions mais je me ravisse en repensant à ma discussion avec Asher. Je dois me faire discrète... comme si c'était possible.
- Comment te sens-tu ? demande Hannah. Tu ne sembles pas très en forme.
Aby frotte furieusement ses yeux qui virent au rouge et se pince les joues.
- Je vais très bien, assure-t-elle. Pas besoin de s'inquiéter, c'est juste un coup de fatigue.
Difficile de la croire. Elle fixe le sol et sa main droite ne quitte pas son bras gauche. C'est dans cette posture crispée qu'Aby effectue tout le trajet.
Laurel et moi jetons des regards vers elle de temps à autre, mais notre colocataire reste plongée dans ses pensées. Je me demande s'il s'est passé quelque chose avec son ami...
Pour le dîner, nous décidons d'acheter des sandwichs sur le chemin du retour. J'en profite pour leur raconter ma réconciliation avec Asher, en excluant bien évidemment certains détails.
Arrivées au dortoir, nous sommes interpellées par la dame qui sent le pain d'épices, Mlle quelque chose-Fontaine je crois, qui nous demande de faire attention dans la rue lorsque la nuit tombe.
Drôle de conseil, vu que près de la moitié des locataires de ce dortoir rentrent très tard sans pour autant écoper d'avertissements de la part de la vieille femme.
Contrairement aux apparences, celle-ci n'est pas stricte du tout, c'est à peine si elle vérifie que tout le monde est là tous les soirs.
Je la trouve plutôt gentille, même si son visage laisse transparaître une certaine froideur, pour moi elle n'est qu'une surveillante à la douce odeur à la fois sucrée et épicée.
Nous montons dans notre chambre et nous installons sur nos lits respectifs avant de commencer à manger. Étonnamment, c'est Hannah qui lance la conversation :
- Il m'a dit que dimanche lui convenait, on pensait aller au restaurant vers 20h. Êtes-vous libres ?
Elle parle de Christian. On va enfin pouvoir le voir ! Ça fait longtemps qu'il était parti en vacances. Presque un an, si je me souviens bien.
Aby regarde une vidéo sur son téléphone en décapsulant sa canette de limonade, se disant que la conversation ne la concerne pas. Sauf qu'elle fait aussi partie de la discussion :
- Il a vraiment hâte de vous rencontrer, Zander et toi, lui dit Hannah.
Aby lève ses yeux fatigués de l'écran pour regarder son interlocutrice. Je mords dans mon pain.
- Euh... Excusez-moi mais... de qui est-ce que vous parlez exactement ?
Elle porte sa boisson à la bouche et commence à boire en attendant une réponse. Javannah est bien trop coincée pour lui répondre et j'ai la bouche pleine, alors Laurel s'en charge :
- On parle de Christian, le petit ami d'Hannah.
Notre nouvelle colocataire avale sa limonade de travers et la boisson gazeuse lui remonte par le nez. Elle finit par recracher sa gorgée sur la moquette en toussant. Laurel et moi éclatons de rire tandis que Javannah commence à rougir.
- Oh merde ! jure Aby en voyant l'état du sol.
Elle dépose sa cannette sur sa table de chevet et descend de son lit pour nettoyer sa bêtise. Tout en frottant frénétiquement, elle continue la conversation qui semble soudainement l'intéresser.
- Tu disais ? dit-elle en s'adressant à Laurel.
Cette fois-ci, c'est moi qui lui réponds :
- Hannah sort avec Christian, c'était un prof remplaçant au lycée de Blue River. Il a réussi à trouver un poste d'infirmier ici.
J'ignore le regard menaçant de mon amie, qui ne semble pas apprécier ce que je viens de révéler. Abygaël reste silencieuse quelques instants. Puis un étrange sourire se dessine sur ses lèvres et elle se retourne vers Javannah.
- Alors comme ça, tu apprécies les hommes mûrs ? Qui aurait cru qu-
Un coussin volant s'écrase violemment sur la figure d'Aby, et Laurel et moi riions de plus belle.
***
- Aby ? demandé-je, surprise. Qu'est-ce qui se passe avec elle ?
Qu'Asher ait besoin de mon aide est déjà assez étonnant alors si en plus ça concerne Abygaël...
- Je voudrais que tu vérifies quelque chose pour moi.
Je le regarde, consternée. J'ai l'impression d'avoir raté un épisode. Comme pour faciliter les choses, Ash tourne autour du pot, ne sachant pas comment s'y prendre pour m'expliquer la situation.
- Hannah et moi avons discuté... hésite-t-il. J'appréhende ta réaction donc j'essaie de prendre des pincettes.
Ma curiosité est à son comble et mon ami me torture à parler pour ne rien dire.
- Crache le morceau, Asher ! m'impatienté-je.
- Que s'est-il passé à chaque fois que tu as touché les mains d'Abygaël ? As-tu senti quelque chose d'inhabituel ?
- Non... Enfin oui. Mais ce n'est rien de surprenant. Aby est facilement mal à l'aise. Et j'ai aussi l'impression qu'elle refoule beaucoup ses sentiments.
Asher semble réfléchir. Ne me dites pas qu'il pense que mon amie... déjà que j'ai du mal à comprendre pour Zander, je ne sais pas trop quoi en penser. Il y a tant de personnes non-humaines ici que ça en deviendrai vite inquiètant.
- Tu es sûre qu'il n'y a rien de suspect ?
Je fronce les sourcils. Il douterait donc de moi ?
- Aby est tout à fait normale, répondé-je brutalement. Et puis je ne comprends pas pourquoi tu me poses cette question, dis-je en secouant la tête. Je vous en aurais parlé si j'avais senti que quelque chose n'allait pas.
Asher lève les sourcils avec surprise, mais je lui lance un petit sourire en reprenant mon calme. Il acquiesce mais rajoute :
- On ne sait jamais.
***
On ne sait jamais. C'est pourquoi je me suis sentie obligée de vérifier. Je m'accroupis près d'Aby qui est toujours en train de nettoyer la moquette.
Je commence à l'aider et ma main frôle "accidentellement" la sienne. Je retiens ma respiration lorsque je sens sa peau m'effleurer. Je vais devoir décrypter son ressenti en quelques fractions de secondes.
D'abord cette sentation de picotement, qui traduit une certaine consternation, ensuite une vague de froid, conséquence d'un certain stress ou d'une légère angoisse. Et... rien d'autre.
Non, c'est bien ce que je pensais. Abygaël est juste une humaine aux mains très moites.
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