- Jonathan -

La porte claque avant que je ne puisse la retenir. Je suis sûr que ce n'est pas à cause de la dispute qu'elle est partie, mais parce qu'elle n'a pas pu retenir ses dernières paroles.

- Ce n'est pas grave, dit le concerné. Il vaudrait mieux la laisser seule un petit moment.

Heureusement qu'Asher n'est pas du genre à se vexer facilement. Laurel aussi à l'air inquiète pour Julia. Javannah réfléchit tandis qu'Aby fixe la porte.

- Je crois qu'elle a compris qu'on avait raison, conclus-je. Surtout après le discours d'Aby.

Celle-ci qui détourne enfin le regard se trémousse sur son lit, nerveuse.

- Je n'aurais pas dû parler aussi vite...

Elle a l'air de s'y connaître en matière de relations, amicales comme amoureuses d'ailleurs.

- C'est moi qui l'ai énervée, rappelle Hannah.

- On ne va pas aller loin si on commence à culpabiliser ! C'est autant la faute de Julia que celle de Javannah. Et fallait s'y attendre, avec son complexe d'infériorité, qu'elle allait nous sortir des vieilles histoires.

Laurel a le don de remettre les choses dans l'ordre quand il le faut. Tandis qu'elle fait la morale à son amie, je remarque qu'Abygaël et Asher se lance des regards pour le moins suspicieux.

Aby aurait-elle relevé ce qu'a dit Julia à propos de lui ? C'est la plus grosse erreur qu'elle aurait pu faire. Mais je me demande pourquoi Asher semble  également dévisager Aby. Celle-ci passe une main sur son front, songeuse.

- Vous pensez qu'elle pleure ? demande Aby d'une voix hésitante.

- Certainement, mais c'est assez courant chez elle, la rassuré-je. J'vais descendre la voir, elle doit être assise sur un banc.

Je ne l'ai pas trouvée tout de suite. Elle a choisi un banc assez éloigné du dortoir. Je m'approche d'elle, les mains dans les poches. Julia essuie une dernière larme sur sa joue et sourit piteusement.

- Je savais que tu viendrais, dit-elle d'une voix enrouée.

Je m'assois à côté d'elle et lui prends la main. Comme d'habitude, j'attends patiemment qu'elle me dise tout ce qu'elle a sur le cœur.

- Je vais aller m'excuser auprès d'Asher, j'ai dit des choses terribles que je ne pensais pas du tout et...

Sa voix se brise, prévenant une nouvelle vague de larmes. Je resserre mes doigts autour de sa main.

- Et le pire c'est que j'ai dit ça devant Aby. Elle doit se poser tout pleins de questions, maintenant.

- Elle doit juste penser qu'Ash était un motard rebelle pendant son adolescence... hasardé-je.

Le visage de Julia se détend – sûrement parce qu'elle est en train d'imaginer notre gentil petit Asher en train de jouer les durs. Elle lâche ma main.

- Tu as raison, se reprend-elle. On peut s'en sortir si on lui raconte une histoire qui tient la route.

Je fixe les arbres en face de nous. Ils sont tous pareils : même taille, même couleur, même forme. Si le monde était fait d'arbres (on peut toujours rêver), je ressemblerais sûrement à ceux que je regarde, en d'autres mots, tout ce qu'il y a de plus banal.

Mes amis, eux, seraient des arbres exotiques. Uniques en leur genre, qui attireraient tous les regards. Même si personne ne connaît leurs plus sombres secrets, ils ont quelque chose de particulier qui charme les gens.

Pourtant, tout le monde les fuirait s'ils apprenaient ce qu'ils sont réellement. Ou bien ils n'y croiraient pas, tellement c'est inimaginable.

***

Je monte les escaliers et tourne dans le couloir qui mène à ma salle de classe. Il fait sombre et cette vision nocturne de mon lycée me met mal à l'aise. Je n'ai pas peur, c'est un sentiment différent, inexplicable.

Je ne veux pas continuer à m'aventurer dans ce bâtiment pour vérifier une chose dont je suis absolument certain. Mais je dois y aller. Je consulte l'horloge accrochée au mur. 23h08.

Il y a exactement neuf minutes, Julia m'a téléphoné, en panique. Elle m'a dit des trucs incompréhensibles avant de m'ordonner d'aller au lycée le plus vite possible et que c'est – je  cite – une question de vie ou de mort.

Julia n'est pas douée avec les mots et peut vite s'emballer pour un rien. Seulement, j'ai récemment découvert qu'elle peut prédire certains évènements. Je me suis donc fié à ses intuitions et me voilà sur les lieux.

Heureusement que Blue River est une toute petite ville, et surtout que les rues sont complétement désertes à partir de 21h.

Ce vieux lycée n'a même pas de dispositif d'alarmes, enfin je ne vais pas m'en plaindre. Et puis de toute façon, quelle idée de cambrioler un bahut ?

J'avance dans le couloir en évitant de faire le moindre bruit afin d'écouter attentivement ce qu'il se passe.

J'entends des voix, vers le fond de ma salle de classe. Je m'approche un peu plus de la porte. C'est bien ce que je pensais. Il s'agit de Laurel et d'une autre voix masculine. J'avais espéré avoir tort.

Laurel me trompe. Mais je ne veux pas le voir de mes propres yeux. Mon corps bouge tout seul et ouvre la porte. Mes yeux se posent involontairement sur les deux jeunes gens au milieu de la pièce.

Les rideaux sont ouverts pour laisser place à un ciel étoilé. Les cheveux blonds de Laurel sont emmêlés, chose incroyable. Elle a l'air perdue, puis surprise en remarquant ma présence.

En face d'elle se tient Asher Fosco, le nouvel élève. Je vois, elle a donc craqué pour celui qu'on surnomme ''la Beauté Mystérieuse'' Je ne suis pas en colère. Je suis habitué à ma malchance. C'est pourquoi je m'attends à de plates excuses de la part de ma petite-amie. Au lieu de ça, elle crie :

- Jonathan ! Va-t'en, dépêche-toi de partir !  Je t'expliquerai tout plus tard mais il faut que tu t'en ailles !

Je ne l'ai jamais vue dans cet état. Elle semble plus que sérieuse. Je la dévisage et me rends compte qu'elle a peur. Il y a des taches sombres sur son t-shirt. Je me tourne vers Asher, enfin énervé.

Mon regard se pose sur un jeune homme que je ne reconnais pas. Le nouveau est quelqu'un de relativement calme et discret. Son sourire doux et poli me revient en mémoire.

Celui qui se tient devant moi n'est pas le même que le lycéen habituellement assit trois rangées devant moi, près de la fenêtre.

La personne en face de moi me regarde avec ses yeux verts à l'éclat meurtrier. Pourtant, il a l'air de souffrir énormément. Je me fige sur place lorsque j'aperçois ses dents.

Deux crocs luisants sortent de chaque côté de sa bouche. Un filet de liquide rouge coule sur son menton.

Est-il ce qu'on appelle... un vampire ?