1. Versailles et pain d'épices
- Abygaël -
Le bâtiment est énorme. Et dire qu'il y a encore cinq autres dortoirs de la même taille. Je n'imagine pas le nombre d'étudiants qu'il y a dans cette université. Pas étonnant que l'Organisation ait choisi de m'inscrire ici. Heureusement, une place s'est libérée à la dernière minute.
Une grande allée mène jusqu'à l'entrée de l'immeuble. Elle est bordée de bancs en bois et de lampadaires. L'ambiance et l'architecture rappellent Versailles. Bon sang, combien ont dû payer les étudiants pour rentrer dans cette école prestigieuse ? Ou bien ce sont tous des gosses de riches. J'espère au moins que mes colocataires seront convenables.
Je m'engage sur le sentier tout en chassant mes mauvaises pensées. Je pousse la lourde porte d'entrée et entre dans la résidence. Elle est aussi imposante de l'extérieur que de l'intérieur.
De grandes fenêtres laissent passer quelques rayons de soleil malgré les rideaux épais. Un vitrail de l'emblème de l'université se présente sur le mur en face, comme dans une église, et projette sa lumière divine sur le sol ciré. Mais où est-ce que j'ai atterri ?
Sur ma droite, une vieille dame habillée en tailleur strict, coiffée d'un chignon assortit m'interpelle de la voix la plus monotone possible.
- Vous devez être Mlle Wexford. Vous êtes en retard, veillez à respecter vos horaires. Voici votre clef, ne la perdez pas.
Je prends le porte-clé qu'elle me tend. Une odeur de pain d'épices me chatouille les narines.
- Merci, euh... et je suis désolée, le train a eu des problèmes et... enfin bref. Je vais y aller. Au revoir Mme la concierge.
- Je suis Mlle Delafontaine, articule-t-elle.
- Excusez-moi. Bonne journée, Mlle Delafontaine.
Pas étonnant, qui voudrait se marier à une femme pareille ? J'examine la plaquette qui sert de porte-clés : '' Chambre 27 Etage 3 '' et au dos, '' Abraham's Church University Bâtiment A (fille) '' Je me dirige vers les escaliers en trainant ma valise. Après avoir gravi les majestueuses marches de marbre blanc, je fais face à un long couloir. Je m'arrête devant la chambre 27 et respire un grand coup. Apparemment, on peut s'attendre au pire.
Je frappe trois coups secs. A peine quelques secondes plus tard, une jolie rousse vient m'ouvrir. Je suis donc attendue. La fille en question a un visage d'enfant mais ses grands yeux verts donnent une tout autre impression. Ils sont pleins de curiosité, mais aussi de sagesse. De grandes boucles d'oreilles roses encadrent son visage illuminé d'un sourire radieux. En bref, elle a l'air de quelqu'un d'à la fois joyeux et naïf – un duo qui pourrait lui apporter bien des problèmes, d'ailleurs.
- Bonjour ! Entre, je t'en prie, dit-elle d'une voix douce. Je suis Julia Hastings, ravie de faire ta connaissance.
Mon dieu, mais combien de bracelets porte-elle ? Ça monte presque jusqu'à son coude !
- Abygaël Wexford, tout aussi heureuse, dis-je en tentant le même sourire.
La chambre est très spacieuse, peut-être même un peu trop pour seulement quatre personnes. M'enfin, c'est typiquement le genre d'endroits où les Grandes m'enverraient... Pourtant, je n'ai pas besoin de tout ce luxe (et je n'ai pas spécialement envie de me retrouver avec des filles à papa).
Sérieusement, cette chambre a plutôt des allures d'appartement avec son balcon et sa mini-cuisine. Il y a – à ma grande surprise - que des lits individuels. Je remarque alors une jeune fille assise sur l'un d'eux d'une façon très droite. Assez inconfortable, ma foi. Elle lit un énorme volume ouvert sur ses genoux.
En même temps que je l'aperçois, elle ferme son livre, repasse sa chemise d'un geste rapide et se lève :
- Javannah Lecter. Enchantée, dit-elle d'une voix froide, qui je suppose n'était pas voulue.
- Enchantée, répété-je.
Nos regards se croisent. Le sien est d'un brun clair, mêlant savoir et détermination. Ses cheveux châtains parfaitement lisses donnent à son visage un air sérieux malgré son sourire, ce qui doit faire tout son charme. Ce doit être une grande intellectuelle. Encore une jolie fille. Je me demande à quoi ressemble ma troisième colocataire. Comme si j'avais pensé tout haut, Julia s'exclame :
- Laurel, tu pourrais te dépêcher, au moins !
- Oui, oui, j'arrive ! Désolée ! crie une voix depuis la salle de bain.
Et alors une magnifique fille déboule dans la pièce, une brosse à cheveux dans la main.
- Salut, Abygaël, c'est bien ça ? demande-t-elle. Je suis Laurel. Laurel Timarley.
- Appelez-moi Aby.
On se sourit avant qu'elle ne parte se coiffer dans la salle de bain. Si Javannah et Julia sont jolies, alors Laurel est tout simplement sublime. Sa voix cristalline et son visage parfait m'évoquent affreusement ceux d'un ange.
J'ai déjà vu de nombreuses femmes comme elle durant ma longue existence, mais elles avaient toutes fait de la chirurgie, ou bien mettaient des lentilles de couleur. Or ce n'est définitivement pas le cas de Laurel. Ces yeux bleus comme un ciel sans nuage, ces cheveux cascadant sur ses épaules tels des fils d'or blonds, ce sourire étincelant... On ne peut qu'en être jaloux.
Hum, trois mignonnes étudiantes comme elles se doivent d'être populaires. Je risque de faire tâche dans ce groupe.
Je ne suis pas le genre de fille qui se fait facilement remarquer par les autres, du moins pas ici.
Lorsque Laurel a fini de se préparer, je vais me rafraîchir le visage. La salle de bain comporte deux lavabos surmontés d'un grand miroir. Je me regarde dedans. Jamais je n'ai vu une tête aussi pitoyable. En même temps, je ne me trouve pas franchement belle, ni même ''potable'' (comme le diraient les gens d'ici). Encore moins après avoir rencontré ces filles.
J'ai des yeux noirs en amande cernés par d'éternelles traces de fatigue. Avec ma peau mate et mes cheveux bruns, je suis tout à fait banale. En revanche, je suis heureuse de constater que mon sourire moqueur, lui, est toujours là. En y repensant, ces trois étudiantes sont très différentes les unes des autres. Et j'y rajoute une autre variété.
Je sors à peine de la pièce que Julia m'interpelle :
- Ça va, tu n'es pas trop fatiguée par le voyage ?
- Oh nan, j'ai dormi pendant presque tout le trajet. Je suis en pleine forme !
Après tout, il n'est que 10h33. Il faut que je m'habitue à ce fuseau horaire. Même s'il faut que je mente.
- Super, nous aussi ! annonce Laurel, d'humeur joyeuse.
Julia fronce légèrement les sourcils, ce qui lui donne un air encore plus adorable.
- Installe-toi tranquillement. Ensuite, allons faire un tour, me conseille-t-elle.
Javannah, quant à elle, ne dit rien. Elle s'est replongée dans sa lecture aussitôt que nos présentations se sont finies. A croire que je ne l'intéresse pas. Ou alors, elle est juste un peu réservée. Du moins, je l'espère.
Je m'apprête donc à suivre l'idée de Julia lorsque je reçois un message :
Expéditeur : Bien arrivée ?
Abygaël : Mais dans quel genre d'école m'a-t-on inscrite ??
Expéditeur : LOL. Bienvenue dans le Monde des Humains, Aby.
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