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Les mains écorchées [Jinkook]

 
Le jeune garçon manqua de trébucher sur une racine rendue humide par la fine bruine nocturne. L'obstacle néanmoins ne fut pas en mesure de mettre un frein à sa course folle : haletant, respirant par saccades tant à cause de l'effort que de la peur, il courait aussi vite que possible sans même être certain de sa direction.

Elle importait peu, de toute manière. L'important, c'était qu'il fuie cet endroit au plus vite, qu'il n'y remette plus jamais les pieds.

La nuit était sombre et sans lune : le ciel était encombré de nuages qui, s'ils ne menaçaient pas d'exploser en un violent orage, indiquaient néanmoins que quelques gouttes de pluie étaient à prévoir. La nature était beaucoup trop calme.

C'était le début de l'été mais l'adrénaline faisait courir sur sa peau une myriade de frissons. Il avait la sensation d'avoir atrocement chaud et froid à la fois. Le cœur du jeune garçon battait si fort qu'il couvrait à ses oreilles les bruits de l'herbe qui ployait sous ses foulées rythmées ainsi que des branches qu'il écartait violemment sur son passage pour éviter qu'elles ne lui griffent le visage.

Connaître par cœur cette épaisse forêt était ce qui allait le sauver.

Une sourde détonation retentit au loin ; le garçon laissa une larme rouler le long de sa joue.

Il ne se retourna pas, il courut le plus vite possible malgré l'épuisement.

~~~

Profitant du beau temps du mois d'août, Seokjin était allé rejoindre des amis dans le centre-ville pour passer l'après-midi avec eux. Il n'était pourtant pas de ceux qui sortaient beaucoup, mais une fois de temps en temps ça lui plaisait de voir ses camarades. C'était des garçons avec qui il s'était bien entendu au lycée, si bien qu'une fois entré à l'université il était resté en contact avec eux qui étaient tous plus jeunes que lui.

Aujourd'hui que chacun était en train de poursuivre des études supérieures, leurs liens étaient plus étroits encore qu'à l'époque. Ça faisait du bien à l'aîné de les revoir régulièrement.

Il faisait encore grand jour et par chance les températures n'étaient pas trop étouffantes. Seokjin s'était donc décidé à rentrer à pieds, profitant de cette petite heure de marche pour écouter ses musiques favorites. Contrairement à ses amis en effet il ne vivait pas au centre-ville mais tout près de la sortie de la ville. Il y était au calme, logé dans une petite résidence qui abritait de nombreux petits studios occupés par d'autres étudiants qui, comme lui, préféraient au brouhaha du centre-ville la tranquillité de cet endroit.

Plus il s'éloignait des principales artères commerçantes plus les rues étaient vides. Son sac sur les épaules avec à l'intérieur le reste du muffin qu'il avait acheté au café, il ne portait qu'un t-shirt avec un short en jean et des baskets. Ses cheveux noirs étaient en désordre – faute à ses amis qui n'avaient pas cessé de le décoiffer pour le taquiner, parfaitement conscients qu'il détestait ça – pour autant ça lui allait mieux que lorsqu'il passait un temps fou à les arranger devant le miroir.

En bref, c'était une journée de vacances banale.

Ça faisait déjà une bonne demi-heure qu'il ne croisait plus un seul touriste lorsqu'il fit halte, les sourcils froncés. Il lui restait une dizaine de minutes de marche, or son regard venait de capter la présence d'une silhouette étrange près d'un conteneur à ordures, dans la ruelle qui jouxtait l'avenue qu'il suivait.

Par réflexe il plissa les yeux sans que ça ne l'aide à deviner ce dont il s'agissait. Il haussa néanmoins les épaules, songeant qu'il devait s'agir là d'un simple sac poubelle mal rangé et à la forme trompeuse : le soleil commençait à se coucher et Seokjin préférait ne pas s'attarder.

Un songe lui traversa alors l'esprit : c'était peut-être un animal errant, blessé, qui avait besoin de secours. Si les quinze mètres carrés dans lesquels Seokjin vivait ne lui permettaient pas de recueillir un chien ou un chat, le jeune garçon, altruiste, estima qu'il pouvait au moins aller voir de quoi il s'agissait. Si c'était bel et bien un animal, il lui suffirait d'appeler le refuge le plus proche – il avait du temps devant lui, de toute façon.

Décidé, Seokjin fit demi-tour et retourna à l'angle entre l'avenue et la ruelle. Parce que le jour s'en allait peu à peu, les ombres s'étendaient sur les trottoirs, pareilles à de longs fantômes, et le ciel s'était teinté d'un jaune orangé d'une douceur qui laissait présager qu'il ferait beau le lendemain. D'ici quelques dizaines de minutes il y aurait sûrement plus de monde car il serait l'heure pour chacun de rentrer chez soi. Pour le moment en revanche Seokjin était seul.

Il eut un étrange pressentiment qui le mit mal à l'aise, pourtant il ne recula pas. Revenu près de la ruelle aux conteneurs, il repéra bien vite la silhouette qu'il avait remarquée un peu plus tôt. L'ombre qu'elle dessinait sur le sol était aussi petite et menue qu'elle. L'étudiant s'avança.

Ainsi, alors même qu'il n'y voyait pas mieux que quelques minutes auparavant, Seokjin se rendit brusquement compte qu'il ne s'agissait ni d'un sac poubelle ni même d'un animal : c'était un jeune garçon qui se trouvait recroquevillé là et somnolait, appuyé contre une benne à ordures. Un discret juron lui échappa qui ne réveilla pas le jeune endormi.

Lorsqu'il s'approcha, Seokjin put constater que c'était un garçon sans doute un peu plus jeune que Taehyung et Jimin – deux des amis qu'il avait vus cet après-midi-là. Il avait une chevelure noir corbeau en désordre et qui couvrait en partie ses yeux clos. Ses cheveux n'avaient probablement pas été coupés depuis des mois, ils étaient bien trop longs. Ils contrastaient d'une manière presque fascinante avec la pâleur éclatante de sa peau de lys ; étrange de la part d'un garçon qui semblait vivre dans la rue en plein milieu de l'été.

Habillé d'un t-shirt déchiré qui paraissait sale et d'un short en tissu aux ourlets abîmés, le jeune homme portait des chaussures de sport qui étaient dans le même état que le reste de sa tenue – avec ça de plus qu'elles étaient couvertes de boue sèche, détail qui surprit Seokjin puisque ce n'était pas ici que quiconque pourrait marcher dans une flaque de boue.

En vérité, ce qui frappa le plus le jeune étudiant, ce fut la corpulence du garçon : assis, les genoux ramenés contre son corps, il avait passé les bras autour de ses jambes comme s'il souhaitait prendre le moins de place possible. Et ses bras... ils étaient atrocement maigres, Seokjin eut la conviction qu'il suffirait d'un coup de vent pour lui briser un os. À y regarder de plus près d'ailleurs, les traits de son visage, quoique harmonieux, étaient particulièrement émaciés, preuve de sa malnutrition.

Depuis combien de temps ce gamin n'avait-il pas avalé un repas décent ?

Le cœur peiné de voir un portrait si criant de souffrance, Seokjin s'avança pour proposer au garçon un peu d'aide. Ce dernier néanmoins se réveilla en sursaut au son des pas qui se rapprochaient. Immédiatement il leva les yeux et eut un réflexe déchirant : il se protégea le visage à l'aide de ses avant-bras et recula pour s'enfoncer un peu plus dans l'ombre de la benne.

« Je vous en supplie, dit-il dans ce qui ressemblait à un sanglot, j'ai rien fait, pitié me faites pas de mal. »

Sa voix était cassée mais l'étudiant put y entendre un accent qui lui était inconnu. Il n'en fit cependant pas grand cas car, s'il n'avait pu les voir qu'un court instant, il jurerait néanmoins avoir vu briller dans les pupilles de cet adolescent une douleur et une crainte innommables. Désolé de lui avoir fait peur, il recula et leva les mains :

« Je te veux pas de mal, au contraire, affirma-t-il de sa voix la plus douce, je t'ai vu endormi ici et je me suis dit que t'avais sans doute... je sais pas, besoin d'aide... ou au moins de compagnie.

- Non, non ça va, souffla le garçon qui se protégeait toujours en cas d'éventuelle attaque, s'il vous plaît je n'ai pas besoin d'aide. Ne me faites pas de mal. »

Sa voix se brisa sur ces mots et son corps se mit à trembler, secoué par des sanglots qu'il ne pouvait plus éviter. Seokjin, debout à deux mètres de lui, contempla avec pitié ce pauvre enfant face auquel il se sentait parfaitement impuissant. Il s'accroupit et retira son sac de son épaule avant de l'ouvrir, l'esprit traversé par une idée qui pourrait l'aider à se rapprocher du mystérieux garçon.

Il sortit le reste de son muffin au chocolat et le tendit :

« Tiens, dit-il, mange au moins ça, t'es tellement maigre il faut que tu reprennes des forces.

- Je vous en prie laissez-moi, j'ai rien fait... »

Le regard caché par ses deux petits poings à l'aide desquels il essuyait des larmes qui ne cessaient de couler, le jeune garçon paraissait complètement hermétique aux mots de Seokjin qui décida de s'y prendre autrement.

« Écoute, si tu veux je te laisse tranquille, dit-il, mais seulement si tu manges ça, d'accord ?

- Je veux pas, s'il vous plaît laissez-moi, je vous en supplie.

- Seulement si tu manges. »

Insister lui faisait mal au cœur, plus encore lorsqu'il put voir une larme glisser jusqu'au menton du garçon et couler sur son t-shirt. C'était cependant la seule solution à ses yeux : dès lors qu'il aurait goûté à la pâtisserie, il serait sans doute un peu plus à l'aise avec lui.

Le jeune garçon resta silencieux de longues secondes pendant lesquelles les seuls sons qui brisèrent l'étouffant silence furent ceux de ses sanglots qu'il essayait de taire. Seokjin s'agenouilla – question de confort, être accroupi était loin d'être agréable. Il tenta d'avancer de quelques misérables centimètres mais fut surpris par son interlocuteur qui se crispa aussitôt et fit mine de reculer.

« Non, non, l'arrêta Seokjin en murmurant volontairement pour ne pas l'inquiéter, tiens, je voulais juste te donner ça. »

De nouveau il tendit le muffin. Le garçon acquiesça vivement de gauche à droite, refusant une fois de plus.

« Après je m'en irai si tu insistes, mais mange par pitié.

- Me faites rien, j'ai rien fait de mal...

- J'ai pas dit le contraire, je veux juste que tu manges. »

Il espérait que sa bienveillance s'entende dans sa voix à défaut de se lire sur son visage, car le garçon avait un voile de larmes qui lui couvrait le regard. C'était si douloureux de voir un jeune homme dans un état pareil.

« Pourquoi ? souffla le garçon d'un ton qui demeurait craintif.

- Parce que tu es maigre, tu dois manger.

- Pourquoi vous m'aidez ?

- Je... j'ai besoin d'une raison ? Il faudrait n'avoir pas de cœur pour continuer son chemin. Allez, mange et ensuite tu pourras me demander de partir.

- C'est quoi ? »

Le visage toujours caché derrière ses mains, le jeune garçon leva l'index pour désigner le petit gâteau que lui tendait l'aîné. L'étudiant fronça les sourcils, étonné de la question.

« Un muffin aux pépites de chocolat, indiqua-t-il. Tu en veux ?

- Du chocolat ?

- Oui, goûte tu vas voir c'est bon, c'est très sucré.

- Du sucre ? »

Ça tombait sous le sens pourtant, non ? Dans la plus grande incompréhension, Seokjin décida de mettre malgré tout ses questions de côté pour se concentrer sur le garçon en face de lui qui semblait un peu plus détendu.

« Oui, affirma-t-il, du sucre. Ça va te faire du bien, croque tu vas voir, c'est moelleux je t'assure que ça va te plaire. »

Le refus catégorique du jeune affamé s'était transformé en simple réticence. Seokjin arracha alors un petit bout du muffin qu'il mangea avant d'offrir un sourire au garçon qui surveillait ses gestes avec attention.

« Tu vois, c'est super bon : du sucre et du chocolat. Tiens. »

La réticence n'empêcha pas l'appétit : le garçon finit par écarter une de ses mains de son visage pour la tendre doucement vers le gâteau qui lui était offert. Seokjin sentit qu'au moindre mouvement brusque de sa part il effraierait le garçon qui reculerait aussitôt, si bien qu'il n'esquissa pas le moindre geste.

La petite main s'ouvrit pour saisir la moitié de gâteau qui restait, et ce fut alors bien difficile pour Seokjin de rester immobile et de marbre. Il eut un haut-le-cœur douloureux en voyant la paume de ce pauvre garçon : écorchée en de nombreux endroits, elle portait des coupures si nombreuses qu'elles s'y croisaient. Visiblement peu récentes, elles avaient mal cicatrisé et laissaient des traces laides sur une peau enfantine qui n'aurait jamais dû connaître pareil supplice.

Seokjin retint son souffle mais parvint à ne faire aucun geste ; il en fut récompensé lorsque la petite main blessée attrapa le gâteau et le ramena jusqu'aux lèvres du garçon qui hésita avant de finalement se décider à croquer un petit morceau avec méfiance.

Ses yeux rougis et bordés de larmes s'écarquillèrent de surprise et il prit aussitôt une plus grosse bouchée qui fit briller son regard de bonheur. Seokjin en fut soulagé mais demeura muet, préférant ne pas ruiner ses chances maintenant que le garçon venait de comprendre qu'il ne lui voulait réellement aucun mal.

« C'est vraiment vraiment bon ! dit-il entre deux bouchées. Où est-ce que vous l'avez trouvé ?

- Dans un café au centre-ville. Tu en voudrais un autre ?

- Je peux en avoir un autre ?

- Oui... mais seulement si tu me dis ton nom. »

Puisque c'était la seule manière de gagner sa confiance, alors soit : Seokjin allait le convaincre avec des muffins.

Le garçon parut hésiter, mais dès lors qu'il remarqua qu'il n'avait plus une miette de ce délicieux petit gâteau, il se décida :

« Je m'appelle Jungkook.

- Et moi Seokjin, enchanté. »

Un silence plana quelques instants avant que l'aîné ne reprenne :

« Demain je t'achèterai un autre muffin au chocolat, un pour toi tout seul cette fois-ci.

- Demain ?

- Le temps qu'on arrive le café sera fermé. En attendant, tu veux bien venir avec moi ? »

Seokjin n'avait pas réfléchi longtemps : il n'avait rien à craindre de cet enfant effrayé et rachitique, le ramener chez lui ne présentait aucun danger – au contraire, ça lui paraissait pour le moment être la meilleure solution pour éviter à Jungkook de dormir dehors contre une benne à ordures.

« J-Je sais pas, balbutia Jungkook qui semblait tétanisé à l'idée de le suivre. Vous allez pas me faire de mal, hein ?

- T'inquiète pas, Jungkook, je t'assure que tu peux me faire confiance. Je veux juste t'aider.

- Pourquoi ? »

Depuis cinq minutes ça n'avait pas changé, il n'avait toujours pas de réponse à cette question : pourquoi vouloir à ce point aider un parfait inconnu ? Seokjin n'en avait pas la moindre idée, son cœur charitable lui interdisait simplement de retourner à son petit quotidien alors qu'il pouvait être d'un quelconque secours à Jungkook.

« Si tu voyais quelqu'un qui a besoin d'aide, tu n'essaierais pas de faire quelque chose ? répondit alors Seokjin.

- Quand j'ai vu des gens avoir besoin d'aide, murmura Jungkook d'une voix empreinte de tristesse, j'ai fui comme un lâche et je les ai abandonnés. »

Conscient que transformer cette conversation en un interrogatoire serait la pire chose à faire, Seokjin se contenta de hocher doucement la tête.

« Parfois, tu sais, on peut pas aider les autres. Dans ces cas-là on n'est pas fautifs. Mais moi je peux t'aider, alors je veux le faire. S'il te plaît, viens avec moi. Ne reste pas là, c'est pas prudent. Et tutoie-moi s'il te plaît. »

Jungkook leva les yeux pour croiser son regard. L'étudiant put alors y lire une mélancolie et une souffrance qu'il n'aurait jamais pensé lire dans un regard si jeune. Où donc était l'innocence de la jeunesse ? L'insouciance et la joie naïve de l'adolescence ? Qu'est-ce qui avait bien pu ternir à ce point ce regard qui trahissait une infinie souffrance ?

« D'accord, » céda enfin Jungkook dans un murmure.

Rassuré de le voir obtempérer en dépit de ses craintes persistantes, Seokjin lui accorda un sourire qui se voulait rassurant puis il se redressa lentement et tendit la main à Jungkook. Ce dernier la saisit, laissant une fois de plus à l'étudiant l'occasion d'apercevoir sa paume mutilée qui lui tira un discret frisson d'horreur.

Jungkook eut du mal à se redresser et, une fois debout, il vacilla, pris de vertiges. Seokjin réagit immédiatement : la main du garçon toujours dans la sienne, il passa sa main libre dans son dos et fit un pas en avant pour le sécuriser contre son corps. Comme il aurait dû s'y attendre, Jungkook se raidit immédiatement... mais il ne le repoussa pas.

Il posa seulement le front contre son épaule et demeura immobile.

« Jungkook, tu vas bien ?

- Je suis fatigué... je suis désolé, pardonnez-moi.

- C'est rien du tout, avec ta maigreur c'est pas étonnant que tu tiennes à peine debout. Et tutoie-moi, je suis sûr que je suis pas tellement plus vieux que toi.

- Vous avez quel âge ?

- Tu le fais exprès de me vouvoyer ?

- Il faut toujours respecter ses aînés.

- J'aurai vingt-trois ans à la fin de l'année, et toi ? enchaîna Seokjin sans s'étaler plus longtemps sur le sujet précédent.

- J'aurai dix-huit ans dans trois semaines.

- Alors appelle-moi hyung... et tutoie-moi.

- Oui... hyung. »

Seokjin esquissa un sourire et s'écarta de Jungkook autour du corps de qui il garda un bras pour prévenir toute chute.

« Ça va aller ? lui demanda-t-il. On en a pour dix minutes de marche, ça va le faire ?

- Oui, oui, c'était rien, ne vous... ne t'en fais pas. »

Seokjin n'était cependant pas dupe : il voyait bien les tremblements de Jungkook à chaque mouvement qu'il faisait. Il se mit donc en marche sans lâcher son cadet qui se laissa faire, beaucoup trop faible de toute façon pour le repousser. Ils avançaient tranquillement et en silence, aucun des deux ne savait quoi dire. Jungkook était sur la réserve, prudent en dépit de son état lamentable : Seokjin pouvait comprendre qu'il ait du mal à lui accorder sa confiance, mais il savait que le jeune garçon lui cachait quelque chose d'extrêmement grave. Un seul regard suffisait, même bref, à le prouver.

Arrivés en bas de l'immeuble, ils mirent un peu plus longtemps à en grimper les escaliers, avançant marche par marche pour Jungkook qui arriva malgré tout au deuxième étage essoufflé.

« Quand on arrivera chez moi tu t'allongeras et je t'apporterai à boire et à manger, d'accord ?

- J'aurai encore à manger ? demanda Jungkook d'un ton surpris entre deux profondes inspirations.

- Oui, oui bien sûr.

- Mais tu... enfin...

- Vas-y, dis-moi. Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Seokjin avec bienveillance en le voyant hésiter.

- Tu avais dit que tu m'offrirais un autre muffin demain...

- Oui, je sais. »

Jungkook eut une moue dubitative.

« Je comprends pas, admit-il.

- De quoi ?

- On va encore manger aujourd'hui alors qu'on mangera aussi demain ? »

Seokjin crut un instant que sa mâchoire allait se décrocher.

« Jungkook... on mange en général trois fois par jour... au moins.

- Par jour ?

- Bien sûr.

- Trois fois ?

- Bah... oui.

- M-Mais... »

Tout à coup honteux de sa question devant l'air sidéré de son aîné, Jungkook baissa la tête et, par réflexe, s'excusa.

« Non, je... c'est moi qui suis désolé, répliqua Seokjin, j'ai... ouais, j'ai pas été délicat, pardon. Allez, entrons, on va pas rester sur le pallier pendant des heures, d'accord ? »

Jungkook acquiesça doucement et suivit le mouvement lorsque Seokjin se remit en marche. Ils passèrent la porte et le cadet ouvrit des yeux émerveillés en voyant le confort du petit appartement. C'était moderne, la décoration était épurée, c'était...

« Ouah, lâcha-t-il simplement d'un ton admiratif, tu dois être riche.

- Je suis étudiant.

- Les étudiants sont riches ?

- Oula non... »

Sa propre réponse fit sourire Seokjin qui guida Jungkook jusqu'au lit – son appartement était bien trop petit pour qu'il y installe un canapé, il s'estimait déjà heureux d'avoir une cuisine. Le garçon néanmoins opposa une faible résistance et son aîné n'insista pas, se tournant vers lui pour lui demander ce qu'il avait.

« Je... je peux pas...

- Comment ça ? s'inquiéta Seokjin.

- Hyung, ton beau lit tout propre... je... j-je vais le salir... »

Ce murmure qui témoignait du profond mal-être de Jungkook fit de la peine à son aîné qui hocha la tête de droite à gauche :

« Retire simplement tes chaussures, dit-il, le reste c'est pas important, je t'assure.

- Mais tes draps... ils sentent le propre, alors que je...

- Des draps c'est juste des draps, le coupa Seokjin, t'as pas à t'en vouloir, je t'assure. Allonge-toi, je t'amène de quoi récupérer des forces. »

Il lui aurait bien proposé de prendre une douche mais il n'était pas certain que Jungkook tienne debout... ni qu'il sache utiliser la douche, en vérité. Le jeune garçon en effet semblait tout redécouvrir à mesure qu'il passait du temps avec Seokjin.

Cédant aussi bien à son aîné qu'à sa fatigue, Jungkook se laissa tomber sur le matelas et retira ses chaussures – qu'il se maudissait de ne pas avoir pensé à enlever en entrant – avant de s'y allonger. C'était... c'était si confortable.

Seokjin sortit un paquet de gâteaux de riz qu'il mit à cuire avec un peu d'eau, de sauce soja et de pâte de piment. Après quelques minutes à peine l'alléchant fumet des tteokbokkis avait envahi la pièce et Seokjin se retourna vers son invité dans l'espoir que l'odeur fasse de nouveau briller ses yeux comme le muffin un peu plus tôt.

Mais ses yeux ne risquaient pas de briller : les paupières closes, Jungkook dormait paisiblement, son corps se soulevant doucement au rythme tranquille de sa respiration calme.

Seokjin l'observa un instant d'un air tendre et tourna de nouveau son attention sur son plat. Il en versa la moitié dans un bol, l'autre dans une boîte en plastique qu'il mit au frigo afin de la conserver pour le lendemain. Le jeune garçon famélique qui reposait dans son lit lui tira un soupir de dépit : qui était Jungkook ? Maintenant qu'il dormait, Seokjin avait tout le loisir de se poser cette question.

Une chose était certaine : il avait vécu l'enfer, mais qui pouvait bien avoir osé le traiter de cette manière ? Il fallait être inhumain pour empêcher un garçon à peine sorti de l'adolescence de se nourrir normalement, de vivre décemment.

Seokjin hésita avant de se décider à aller chercher son portable.

Seokjin – Nam, t'es le plus intelligent, j'ai besoin de tes conseils c'est important.

À peine son message fut-il envoyé qu'il reçut une réponse – heureusement que son ami était toujours si réactif quand on lui précisait que ça ne pouvait pas attendre.

Namjoon – T'as besoin de quoi ?

Seokjin – C'est totalement invraisemblable : en rentrant j'ai croisé la route d'un gamin de même pas dix-huit ans qui vit dans la rue (enfin je crois) et qui a l'air de sortir d'une salle des tortures. Je crois qu'il a subi des trucs horribles, tu le verrais le pauvre il me fait de la peine. Tu crois que je dois contacter la police ?

Namjoon – J'crois que c'est trop dingue pour moi, j'ai pas tout capté.

Seokjin poussa un soupir agacé ; il ne pouvait pas appeler Namjoon, ça réveillerait forcément Jungkook – et il n'imaginait pas une seconde laisser le jeune garçon seul. Il se décida donc bien malgré lui à écrire un long message pour résumer les évènements.

Namjoon – Alors ça, hyung, c'est l'histoire la plus débile que t'aies jamais inventée mdr.

Seokjin – Et ça alors c'est quoi ?

En dépit de sa bonne conscience, l'aîné prit Jungkook en photo et l'envoya à son ami. Si c'était le seul moyen pour qu'enfin la conversation devienne sérieuse, alors tant pis.

Namjoon – Oh bordel de merde, c'est un garçon ou un squelette ? O.O

Seokjin – Je me suis posé la même question. Il est horriblement maigre ça fait flipper, il tient à peine debout il a bien failli faire un malaise quand je l'ai aidé à se relever. T-T

Namjoon – Et tu penses qu'il faudrait prévenir la police ?

Seokjin – Je sais pas trop, il commence enfin à se détendre et ici il est en sécurité, mais d'un autre côté il faut absolument retrouver celui qui a osé lui faire ça. Même le regarder ça me brise le cœur, il a l'air d'avoir tellement souffert...

Namjoon – Tu devrais attendre qu'il se réveille et lui en parler. J'sais pas pourquoi mais je la sens pas cette histoire, y a un truc qui colle pas.

Seokjin – Comment ça ?

Namjoon – Je sais pas, c'est bizarre.

Seokjin – Ouais... Dans ce cas j'attendrai qu'il se réveille.

Namjoon – Tu voudras que j'aille l'acheter, ce muffin que tu lui as promis ? D'après ce que tu m'as dit j'ai pas l'impression qu'il sera capable de venir au café avec toi... et s'il vient il risque d'avoir affaire à des regards qui le mettront mal à l'aise.

Seokjin – Je veux bien, mais ça te dérange pas de juste me les amener sans entrer ? J'ai déjà du mal à faire en sorte qu'il ait confiance en moi, alors j'ai pas trop envie de le mettre directement en contact avec d'autres personnes...

Namjoon – T'inquiète je comprends, y a pas de soucis.

Seokjin – Merci beaucoup, tu me sauves la vie !

Namjoon – Je t'en prie, à demain !

L'aîné lui répondit et jeta un dernier regard à Jungkook avant de se mettre à table pour dîner seul. Quoi qu'il lui en coûte, il comptait bien aider Jungkook et découvrir qui était derrière son état lamentable.

~~~

Jungkook battit des paupières quelques instants et se frotta les yeux en bâillant. Il ne reconnut pas l'endroit où il se réveillait. La panique l'envahit aussitôt et il se redressa d'un mouvement précipité en rejetant la couverture qui le tenait au chaud.

Sa tête se mit à tourner et il dut s'appuyer sur le matelas, fermant les yeux pour éviter à la jolie pièce dans laquelle il se trouvait de tourner. Immédiatement une main se posa avec délicatesse sur son genou et une voix qu'il reconnut s'éleva.

« Hey, Jungkook, tu vas bien ? C'est moi, c'est Seokjin. Tu veux manger ? »

Manger ?

Il hocha la tête en déglutissant : depuis quelques jours déjà, chaque fois qu'il se redressait un peu trop vivement son corps le lui faisait payer cher. C'était une sensation désagréable, il ne s'y habituerait jamais.

Pourtant, derrière cette sensation déplaisante, il y avait celle, apaisante, de savoir que Seokjin était là : il ne lui avait pas fait de mal, il avait tenu sa promesse et il lui avait même offert pour la nuit le confort de son lit. C'était quelqu'un à qui il pouvait faire confiance, quelque chose en lui le lui criait.

« Respire, Jungkook, ça ira mieux quand t'auras mangé un vrai repas. »

Un vrai repas ? Qu'est-ce que Seokjin entendait par là ?

Jungkook acquiesça une fois de plus avant de pouvoir rouvrir les yeux. Son aîné, accroupi devant lui, tenait en équilibre à l'aide de la main qu'il avait posée sur son genou. Jungkook lui offrit un sourire qui sonnait faux, mais l'autre ne s'y attarda pas. Déjà Seokjin se redressait.

« Reste assis ici, j'ai juste à faire réchauffer ce que j'avais préparé hier soir. »

De nouveau le garçon opina, et après quelques minutes Seokjin lui apporta un bol de tteokbokkis chauds et dont l'odeur appétissante eut le don de mettre l'eau à la bouche du jeune invité. Ce dernier attendit la permission de son aîné avant d'entamer son plat, politesse qui déstabilisa Seokjin – car ce n'était pas Taehyung et Jimin qui risquaient de faire preuve de respect envers lui un jour.

L'hôte observa du coin de l'œil Jungkook se régaler et avaler goulument toute la portion qui lui avait été servie.

« C'était super bon, tu cuisines tellement bien ! le félicita Jungkook avec émerveillement.

- Merci beaucoup ! Tu te sens mieux ? Tu veux aller prendre un bain ? »

Jungkook acquiesça vivement, le sourire aux lèvres : être propre, il en rêvait !

« Ça va aller, t'es sûr ? Tu tiens debout ?

- Oui, oui, ça ira. »

Seokjin lui indiqua donc l'emplacement de la salle de bain et le laissa s'y rendre en ajoutant un « et prends tout ton temps surtout » qui lui parut nécessaire : Jungkook n'avait visiblement pas eu l'occasion de prendre ne serait-ce qu'une douche depuis des lustres, il avait bien le droit de profiter un peu du bain.

Ce fut trois quarts d'heure plus tard, alors que l'eau avait cessé de couler depuis un bon moment dans la baignoire, que Seokjin entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir. Jungkook en sortit, les cheveux encore humides, et avec sur le dos ses vêtements délabrés qui tirèrent une moue ennuyée à Seokjin.

« Je vais te passer des habits, décida-t-il, enlève ça, je suis sûr que c'est affreusement sale.

- Oh oui... désolé, je voulais pas salir. »

Seokjin se gifla mentalement.

« Non, non, c'est pas ce que je voulais dire, se reprit-il aussitôt, t'y peux rien, t'inquiète pas c'est pas pour te blâmer. Je... je vais chercher les vêtements, ok ? »

Les yeux rivés sur le lino, Jungkook ne répondit pas. Il avait honte de son apparence, de ce qu'il était. Seokjin était aussi grand que beau, et il était d'une si grande générosité. Jungkook, lui, il n'avait rien, plus rien du tout.

Seokjin lui passa un t-shirt et un short de sport – short avec un cordon, sinon quoi il serait beaucoup trop large pour le corps maigre de Jungkook – ainsi qu'un caleçon. Le cadet retourna à la salle de bain se changer et lorsqu'il en ressortit, un léger sourire éclaira le visage de son aîné :

« Maintenant il ne reste plus qu'à arranger un peu ta coupe de cheveux. Tu veux bien me laisser m'en charger ? »

Jungkook haussa les épaules : ça l'indifférait, même s'il fallait bien admettre qu'elle n'était pas tout ce qu'il y avait de plus pratique.

Ce fut de cette façon qu'une demi-heure plus tard, Jungkook put s'admirer dans le miroir, les cheveux parfaitement coupés.

« J'ai laissé de la longueur, indiqua Seokjin après avoir passé l'aspirateur, je trouvais que ça t'allait pas si mal mais fallait juste remettre un peu d'ordre dans ta tignasse. Ça te plaît ?

- J'aime beaucoup, approuva Jungkook. C'est... une coiffure qui me va bien, je trouve.

- Je trouve aussi. »

En fin de matinée Namjoon apporta le muffin aux pépites de chocolat pour Jungkook. Il passa en coup de vent, si bien que le benjamin, planté devant la télévision depuis une bonne heure, ne remarqua même pas son passage.

« Jungkook, sourit Seokjin en refermant la porte, j'ai un petit cadeau pour toi : j'ai demandé à un ami d'aller nous chercher le muffin que je t'ai promis. »

La seconde qui suivait Jungkook avait tourné la tête en sa direction et le regardait avec un enthousiasme et un bonheur juvéniles. Allongé sur le lit, il s'assit et observa Seokjin sortir le muffin du sachet de papier aux couleurs du café où il avait été acheté. Il le plaça dans une petite assiette qu'il lui tendit. Jungkook le remercia au moins trois fois avant de prendre la pâtisserie dans sa paume pour y croquer avidement, prenant bien garde de manger au-dessus de la soucoupe qui lui avait été fournie.

Au cours de la matinée Seokjin avait pu remarquer non seulement que Jungkook était encore plus maigre qu'il n'en avait l'air, mais en plus que c'était ses deux paumes qui étaient striées d'égratignures et de coupures. L'air hésitant, il décida de s'asseoir aux côtés de son cadet qui avait la bouche pleine et mâchait avec plaisir.

« Jungkook-ah... est-ce que tu me laisserais soigner tes mains ? »

Le garçon lui adressa un regard interrogateur. Il avala sa bouchée et put répondre :

« Qu'est-ce qu'elles ont, mes mains ?

- Toutes les coupures sur tes paumes... elles sont pas belles à voir. Je sais pas quand tu t'es fait ça, mais c'est dangereux, elles sont même pas complètement cicatrisées. Tu comprends ce que je veux dire ? Jungkook ? Jungkook tu vas bien ? »

Le regard rivé sur une de ses paumes blessées, Jungkook ne réagissait plus aux appels de son aîné. Il regardait simplement ces striures rouges qui témoignaient de son calvaire et peu à peu les larmes lui montèrent aux yeux. Les souvenirs se bousculèrent dans sa mémoire, de même que les émotions qu'ils faisaient ressurgir en son cœur.

Un premier sanglot le fit hoqueter et tandis que deux larmes venaient creuser son visage déjà émacié, il sentit tout à coup une étreinte chaude se refermer autour de lui. Seokjin venait tout simplement de le prendre dans ses bras.

Jungkook ferma les yeux et murmura un « je suis désolé » auquel répondit la main de Seokjin qui vint lui caresser les cheveux avec tendresse afin de le consoler. Finalement Jungkook lui rendit son étreinte, s'abandonnant à ce geste de réconfort qui soulageait un peu les tourments de son âme.

Ils demeurèrent enlacés de longues minutes durant.

~~~

Le soir venu, Jungkook et Seokjin avaient dîné devant la télévision. Une fois la crise de larmes du jeune garçon passée, un peu plus tôt dans la journée, il lui avait autorisé à panser ses blessures. Seokjin cependant n'avait pas le nécessaire chez lui, si bien qu'il avait été décidé qu'ils iraient au supermarché le lendemain faire quelques courses – ça tombait bien, le frigo était presque vide.

Ils avaient passé le reste de la journée chez Seokjin qui avait pu remarquer la fascination que Jungkook avait pour la télévision – et pas pour un programme en particulier, puisque son activité favorite était visiblement de zapper pour regarder chaque émission quelques minutes seulement. Il avait été admiratif quand Seokjin lui avait montré son smartphone et il avait même joué à un jeu, aidé par l'aîné qui lui indiquait quoi faire.

Il avait adoré !

Après le dîner, Seokjin s'employa à faire la vaisselle puis alla se laver. Lorsqu'il sortit de la salle de bain, il vit Jungkook qui luttait contre le sommeil.

« On devrait aller se coucher, décida-t-il donc.

- Dis, hyung, tu dors où ?

- J'étends un petit matelas sur le sol, j'en ai un dans le placard au cas où un ami vienne passer la nuit.

- Non, non, laisse-moi dormir sur le matelas, je veux pas prendre ton lit.

- T'en fais pas pour moi, le rassura Seokjin qui déjà sortait un fin matelas de l'armoire près du lit, un matelas ça me va très bien.

- J'ai l'habitude de dormir dans la rue, dormir sur un matelas c'est déjà un luxe, répliqua Jungkook dans un murmure embarrassé mais sincère.

- Raison de plus pour que tu prennes le lit.

- Alors... s'il te plaît, hyung, dors avec moi. »

La demande surprit Seokjin qui, en train de dérouler son matelas, se figea. Il tourna vers son cadet un regard étonné.

« T'es sûr que ça te dérangerait pas ?

- Ça me rassurerait, » affirma Jungkook d'une petite voix.

Seokjin marqua un temps d'hésitation et finit par céder, repliant le matelas qu'il rangea. Quelques minutes plus tard, une fois qu'ils furent tous deux prêts à aller se coucher, ils s'étendirent côte à côte dans le lit pourtant prévu pour une seule personne. Dos à son aîné, le simple fait de le savoir si proche soulageait le cœur de Jungkook de toute la peine qui y régnait.

Il s'endormit sans même se rendre compte que l'autre était toujours occupé sur son téléphone.

Seokjin – J'ai pas osé lui proposer d'en parler à la police, j'essaierai demain.

Namjoon – Il va mieux au moins ?

Seokjin – Étonnamment oui, ça se voit qu'il a un putain de mental de fou furieux : il s'émerveille de tout, il sourit, il a même ri quand je l'ai laissé jouer à un jeu sur mon portable. Il était mignon. Mais ça se voit que son passé le hante, quand j'ai évoqué ses blessures il s'est mis à pleurer et il lui a fallu au moins dix minutes avant de se calmer.

Namjoon – Alors t'en sais pas plus sur ce qui a pu lui arriver ?

Seokjin – Nope.

Namjoon – Tu penses qu'il a pu être torturé ?

Seokjin – Je sais pas... ça me tue mais j'ai l'impression qu'il a au moins été maltraité, oui.

Namjoon – Tu crois que quelqu'un a pu abuser de lui... physiquement ?

Seokjin – Violé ?

Namjoon – Oui.

Seokjin – Non, il ne l'a pas été.

Namjoon – Pourquoi t'es si catégorique ?

Seokjin – Quand je l'ai ramené chez moi je l'ai fait asseoir sur le lit, il a eu aucun souci avec ça. Puis ça lui a posé aucun problème de prendre un long bain dans la pièce d'à côté. Et là... bah il a voulu qu'on dorme ensemble. Je pense honnêtement pas que quelqu'un qui aurait été abusé agisse comme ça – après je dis pas, je sais pas ce qui lui est arrivé, mais ça me paraît réellement improbable.

Namjoon – Donc il est mignon quand il rit et maintenant vous dormez dans le même lit. Prochaine étape ?

Seokjin – Nam, un peu de sérieux, je veux pas déconner avec cette histoire...

Namjoon – D'accord, d'accord. Tu crois que ses parents ont pu le maltraiter jusqu'à ce qu'il trouve la force de s'enfuir ?

Seokjin – Honnêtement c'est ce que j'envisage depuis le début, mais je sais que si je lui posais la question il se braquerait, je vois bien qu'il ose pas me dire ce qui va pas.

Namjoon – Tu comptes faire quoi ? Tu vas quand même pas l'héberger, si ?

Seokjin – Juste le temps de trouver une solution.

Namjoon – Je vois...

Seokjin – Je vais te laisser, je suis crevé et Kook dort comme un bébé, ça me donne envie de dormir aussi. Passe une bonne nuit.

Namjoon – Merci beaucoup, toi aussi. Et bon courage à tous les deux, fighting.

Seokjin – Merci <3

~~~

« Mais... c'est... énorme ! Ouah ! »

Seokjin s'esclaffa devant l'air ahuri de Jungkook qui contemplait les allées du supermarché. Ce n'était pourtant pas une grande surface, c'était à peine plus grand qu'une supérette.

« Y a des tas de trucs c'est fou ! C'est parce que vous mangez tous beaucoup qu'il y a beaucoup à manger dans les rayons ? »

La matinée était bien entamée ; les deux garçons s'étaient réveillés deux heures plus tôt, l'un près de l'autre dans le lit de Seokjin. Ils avaient passé une nuit agréable ensemble et ça avait été rassurant pour Jungkook d'ouvrir les yeux sur le visage de Seokjin qui l'observait avec un sourire tendre. L'aîné avait proposé à son nouvel ami de cuisiner avec lui le petit déjeuner, ce qui avait enchanté Jungkook ; ça avait été un moment qu'ils avaient adoré partager.

Désormais au supermarché, ils étaient à peine arrivés que déjà le jeune garçon observait avec admiration ce qui se trouvait devant lui. Il y avait peu de monde, si bien qu'il était à l'aise – d'autant plus que Seokjin était juste à côté de lui, ça le rassurait. Un panier à la main, l'aîné saisit délicatement de sa main libre le poignet de Jungkook qui reporta son attention sur lui.

« On va aller acheter ce dont je vais avoir besoin pour te soigner, ensuite on prendra de quoi préparer les repas, et enfin on ira traîner au rayon des gâteaux et des confiseries, je suis sûr que tu vas adorer.

- Des rayons de gâteaux et de confiseries ? Des rayons entiers ? »

L'immense sourire de Jungkook illumina son visage angélique au point que Seokjin en fut heureux en même temps que ça lui fit mal au cœur. Il hocha simplement la tête et attira le garçon à sa suite au rayon pharmacie. Là, l'aîné attrapa des bandages et un désinfectant avant de marquer une hésitation qui lui attira un regard interrogateur de Jungkook.

« Je... écoute, Jungkook, m'en veux pas, c'est pas de la curiosité mal placée je veux juste te venir en aide : est-ce que tu as des blessures ailleurs que sur les paumes ? »

Le garçon hocha doucement la tête de gauche à droite. Seokjin avait pu remarquer qu'il avait d'anciennes marques de griffures sur les jambes et les bras, mais des griffures de moindre importance qui étaient déjà presque complètement parties. Celles sur ses mains étaient beaucoup plus profondes.

Rassuré que son ami nie, Seokjin retrouva son sourire et reprit ses courses, le poignet de Jungkook toujours serré dans sa main. Il lui fit découvrir les différents rayons et lui proposait de choisir lui-même certains des plats préparés qu'il acheta, parfaitement conscient qu'il n'était pas du genre à avoir le courage de cuisiner tous les jours.

Puis ils arrivèrent au rayon des sucreries : bonbons, barres de chocolat, biscuits et gâteaux, c'était le paradis du sucre.

« Ouah ! s'émerveilla Jungkook. Mais hyung, comment tu fais pour choisir ? Y a trop de choses ! Oh, c'est quoi ça ?

- Une tablette de chocolat : prends-la, on la goûtera, tu vas en devenir dingue.

- Merci, merci ! »

Ravi, le garçon revint vers son aîné avec entre les mains la tablette Milka qui avait attiré son attention. Il se concentra ensuite sur les gâteaux, et ce fut devant un paquet de muffins qu'il se stoppa.

« Hyung, on peut en prendre ?

- Tu veux ceux aux pépites de chocolat ? Parce que ce paquet-là, c'est ceux avec un cœur fondant : le chocolat est à l'intérieur et il est liquide.

- Oh... je veux goûter ! »

Son enthousiasme et sa naïveté touchèrent profondément Seokjin qui opina puis mit le paquet dans son panier. Il prit également un paquet de cookies puis fit signe à Jungkook de le suivre jusqu'aux caisses. Les achats payés, les deux amis rentrèrent.

~~~

Le regard protecteur, Seokjin caressait avec douceur la chevelure de son cadet qui ne pouvait pas cacher sa nervosité. La journée était passée tranquillement : Jungkook avait pu goûter à un muffin qu'il avait dévoré dès lors qu'il s'était rendu compte que c'était absolument exquis. Or le sourire qu'il avait alors esquissé, il l'avait perdu en fin d'après-midi lorsque son ami lui avait demandé de venir avec lui à la salle de bain pour qu'il puisse s'occuper de ses mais écorchées.

« On mangera du chocolat devant la télé une fois que j'aurai fait les bandages, ça marche ? promit Seokjin sans stopper son geste dans les cheveux de son ami.

- D'accord... »

Ce ne fut qu'un souffle tremblant.

« Très bien. Ça va aller ?

- Oui.

- Je te ferai pas mal, ne t'en fais pas. »

Il savait bien que ce n'était pas ça qui troublait Jungkook, pour autant il préféra ne rien ajouter et passer directement aux choses sérieuses. Assis sur le rebord de la baignoire, Jungkook avait les mains posées sur ses genoux maigres que son short laissait visibles. L'aîné était agenouillé face à lui, prêt à s'occuper de ses blessures.

Ça se voyait qu'il était particulièrement mal à l'aise, Seokjin donc décida de faire au plus vite : il attrapa d'une main le spray désinfectant et de l'autre le poignet de son ami. Il le força avec douceur à tourner la paume vers le haut puis utilisa le spray et enroula aussi délicatement que possible sa main dans une bande soyeuse. Il répéta l'opération sur l'autre main du jeune garçon et à peine eut-il fini que Jungkook se laissa tomber à genoux devant lui et le prit dans ses bras. Il avait arboré une expression crispée tout au long de ces courtes secondes qui lui avaient semblé bien longues, désormais il se sentait soulagé.

« Ça va aller, lui promit Seokjin.

- C'est comme si elles avaient disparu, murmura Jungkook, je peux plus les voir...

- Elles guériront, elles s'effaceront. »

Les blessures, oui, mais pas les actions qui les avaient tracées sur ses mains.

Seokjin le serra un peu plus fort contre lui et, sans même s'en rendre compte sur l'instant, il lui embrassa délicatement la tempe. Il sentit alors contre ses lèvres l'humidité des larmes de Jungkook.

« Eh, Kook, tu veux en parler ? s'enquit-il avec douceur.

- Non... s'il te plaît me lâche pas.

- C'est pas grave, c'est pas grave du tout. »

Seokjin sécurisa le garçon dans ses bras et se redressa, veillant à ce que Jungkook suive son mouvement. Les bras autour de la nuque de son aîné, il se laissa faire, les yeux clos. Parce qu'il était plus léger qui quiconque, Seokjin n'eut aucun mal à le soulever. Aussitôt l'autre eut le réflexe d'enrouler les jambes autour de sa taille.

Il avait l'air d'un enfant effrayé, le visage au creux du cou de son hôte.

Seokjin alla s'installer sur le lit, l'autre refusant de quitter ses bras. Jungkook tremblait par moments, preuve des sanglots qu'il essayait de taire. Tandis qu'il lui caressait le dos d'un bras, Seokjin prit une couverture qu'il lui mit sur les épaules comme il le pouvait, puis il reprit les caresses dans ses cheveux.

Une nouvelle fois il fallut de longues minutes avant que Jungkook ne soit complètement apaisé, et lorsque ce fut enfin le cas il remercia son ami d'une petite voix avant de s'excuser. L'autre lui offrit un sourire et lui ébouriffa les cheveux en lui assurant que ce n'était rien.

« D'ailleurs j'y pense, songea Seokjin avec un air malicieux, il me semblait t'avoir promis du chocolat devant la télévision, non ? »

Les yeux de Jungkook avaient beau exprimer toujours cette douleur qu'il portait, un léger sourire se fraya un chemin sur ses lèvres et il acquiesça doucement. Ce fut donc de cette manière que s'acheva la journée : Seokjin partagea en deux la tablette choisie par son cadet au supermarché et chacun dégusta sa part devant la télévision.

La douceur de ce goût sucré apaisa Jungkook qui ne put pas réprimer un regard en direction de Seokjin ; il se sentait revivre auprès de lui.

Non, en vérité, tout bien réfléchi, il comprenait à ses côtés qu'il n'avait jamais réellement vécu. Alors... oui, auprès de Seokjin, il se sentait vivre. Il était vivant. Il était heureux. Pour la première fois.

~~~

Un sanglot étouffé réveilla Seokjin en plein milieu de la nuit. Il se tourna pour faire face à Jungkook, endormi à ses côtés. En dépit de l'obscurité il le vit alors en plein milieu de ce qui ressemblait non à un mauvais rêve mais à un affreux cauchemar : Jungkook avait les traits tirés par l'angoisse, des larmes s'étaient mises à couler seules et il haletait en poussant à intervalles réguliers des gémissements plaintifs qui trahissaient sa peur.

Avec peu de doutes quant à ce qui constituait ce cauchemar, Seokjin décida de l'extirper de ce passé qui revenait le hanter. Il posa la main sur son épaule et la secoua doucement.

« Jungkook, dit-il, ouvre les yeux, c'est juste un cauchemar. »

Néanmoins quand Jungkook ouvrit les paupières, une telle terreur brillait dans ses pupilles que Seokjin ne fut qu'à moitié surpris par la réaction qu'il eut :

« Non, hyung, s'il te plaît, les laisse pas venir me chercher, je veux pas ! Je veux pas y retourner ! »

Il se réfugia sous la couverture alors qu'il se laissait submerger tant par les sanglots que par la peur.

« Kook, personne va venir, lui assura son ami en essayant de relever la couverture. Je te jure que t'es en sécurité avec moi.

- Je veux pas qu'ils me retrouvent, gémit Jungkook sans l'écouter.

- Y a personne, Kook, t'as plus rien à craindre. »

Mais le garçon ne l'écoutait pas, de nouveau complètement hermétique à toute tentative de le rassurer venant de Seokjin. Ce dernier, désespéré, tenta le tout pour le tout : il arracha brutalement la couverture sous laquelle Jungkook se dissimulait puis il prit son visage en coupe et l'obligea à demeurer immobile, le regard plongé dans le sien.

« Chut, murmura-t-il avec une douceur à laquelle se mêlait une pointe d'autorité, respire Jungkook, regarde-moi. Je suis là, et toi aussi t'es là, là où personne ne viendra jamais te faire le moindre mal. Compris ? »

La respiration hachée, la lèvre inférieure tremblante et le regard effrayé, Jungkook fit un léger mouvement de tête pour acquiescer. Les mains toujours sur ses joues, Seokjin en profita pour passer les pouces sous ses yeux afin d'en essuyer les larmes. Il obligea Jungkook à garder ses yeux plongés dans les siens tandis qu'il continuait de lui assurer que tout allait bien se passer.

Et comme les fois précédentes ce ne fut qu'au terme de longues minutes que le garçon parvint enfin à retrouver ses esprits et à s'apaiser. Alors Seokjin lui caressa la joue et lui embrassa le front.

« Je te protègerai autant de temps qu'il le faudra, lui promit Seokjin.

- On reste ensemble ?

- Oui, ensemble.

- Ça te dérange pas ? craignit Jungkook.

- Je suis heureux avec toi.

- Moi aussi, hyung.

- Alors on reste ensemble.

- Oui, ensemble. »

~~~

Une fois le dernier invité parti, Seokjin poussa un soupir soulagé.

« Et voilà, dit-il, la fête est finie. Ça t'a plu ?

- Oui ! C'est trop bien les anniversaires ! s'exclama Jungkook qui l'aidait à ranger.

- J'en suis heureux, alors. Le gâteau était bon ?

- Le meilleur que j'aie mangé !

- P'tit flatteur. Mais merci, c'est gentil. »

Jungkook lui adressa un large sourire auquel son aîné répondit. Plus de deux semaines étaient passées depuis cette nuit où Seokjin lui avait promis qu'ils resteraient ensemble. D'à peine quarante-et-un kilos, Jungkook était passé à presque cinquante. Seokjin veillait à ce qu'il mange tout ce dont il avait besoin – et parfois un peu plus. Ainsi, même s'il demeurait maigre à en faire peur, Jungkook avait cependant repris tant de poids que son ami était convaincu qu'il suffirait d'un mois de plus pour qu'il retrouve une corpulence normale.

Les deux garçons s'étaient rapprochés à mesure que Seokjin lui avait appris à vivre, à être heureux. L'aîné lui avait fait rencontrer ses amis une semaine auparavant, Jungkook s'était aussitôt bien entendu avec eux et, malgré sa timidité, tout le monde s'était vite attaché à lui.

Quelques jours plus tôt Jungkook avait pu retirer les bandages de ses mains, observant avec bonheur ses paumes desquelles avaient presque disparues les écorchures parfois boursoufflées qui s'y trouvaient jusque là.

Et aujourd'hui, pour l'anniversaire de son cadet à qui il s'était puissamment attaché, Seokjin lui avait organisé une fête d'anniversaire : il avait convié leurs amis et avait lui-même cuisiné des muffins aux pépites de chocolat.

Ils avaient tous passé un merveilleux moment.

« C'est mon premier anniversaire, tu sais, confia-t-il une fois qu'ils furent tous deux assis sur le lit après avoir fait la vaisselle. Enfin... c'est la première fois que je le fête. C'est quelque chose que j'oublierai jamais, tu sais. »

Seokjin lui sourit sans savoir quoi répondre : pouvoir rendre Jungkook à ce point heureux était la plus belle des récompenses. Il ignorait encore tout de son passé et n'avait pas osé lui proposer d'aller parler à la police, mais s'il pouvait se montrer utile c'était l'essentiel à ses yeux.

« Dis, hyung... pourquoi... enfin...

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta son ami qui baissa le son de la télévision pour l'inciter à s'exprimer.

- Je me demandais quelque chose en fait...

- Oui ?

- Juste... bah... pourquoi Jimin et Yoongi... ils se sont embrassés ? »

Jungkook vira au rouge après avoir osé poser sa question. Il avait été troublé lorsqu'il avait vu les deux garçons, assis côte à côte, se pencher l'un vers l'autre pour s'embrasser avec tendresse.

Un sourire s'étira sur les lèvres de Seokjin.

« Parce qu'ils s'aiment, tout simplement, répondit-il.

- Deux garçons ? s'étonna Jungkook dans la voix de qui Seokjin fut soulagé de n'entendre que de la surprise.

- Pourquoi pas ?

- On peut tomber amoureux d'un garçon ?

- Eh ouais, rit-il. Ça te surprend ?

- Et... c'est pas interdit ?

- Je t'accorde que c'est pas bien vu, mais c'est pas interdit.

- Ouah... Et les filles peuvent aimer des filles ?

- Oui, aussi. Tu es libre d'aimer qui tu veux, Jungkook, peu importe le sexe ou le genre.

- C'est incroyable... »

Les grands yeux innocents de Jungkook brillaient d'admiration. Réflexe qu'il avait développé ces dernières semaines, Seokjin posa la main sur sa joue pour la lui caresser avec tendresse. Il était rassuré que Jungkook ne juge pas ses amis... probablement parce que lui-même aimait les garçons... et plus probablement encore parce que celui pour qui son cœur battait désormais était justement Jungkook.

Il l'aimait, voulait le protéger, lui offrir tout ce à quoi il n'avait jamais eu le droit. Il voulait pouvoir prendre soin de lui aussi longtemps qu'il le pourrait et lui permettre de n'avoir plus jamais peur. Jungkook était extrêmement attachant et ces derniers jours, à mesure qu'il prenait peu à peu confiance en lui, son caractère s'affirmait. Il était encore plus attendrissant que ce qu'avait imaginé Seokjin : soucieux du bien des autres, altruiste, Jungkook était quelqu'un qui, aux yeux de son aîné, méritait le monde – et non tous ses malheurs.

Apaisé par ce toucher délicat, Jungkook s'avança pour enrouler les bras autour de la nuque de son ami et réfugier le visage dans le creux de son cou.

« Je me sens bien ici, susurra-t-il. Merci pour tout.

- T'as pas à me remercier. Je suis heureux de te voir aller un peu mieux chaque jour.

- T'imagines même pas à quel point je te suis reconnaissant. Hyung... tu m'as sauvé. »

Seokjin ne réfléchit pas à sa réponse et le regretta à peine la phrase prononcée :

« Mais de quoi est-ce que je t'ai sauvé, Kook ? S'il te plaît dis-le-moi, je veux t'aider à surmonter ça. »

Jungkook resta immobile.

« Désolé, s'excusa Seokjin, j'aurais pas dû demander, je...

- J'ai jamais connu tout ça, le coupa Jungkook d'une voix faible et qui témoignait de sa fragilité à l'évocation de ces évènements. Ce qui est normal pour toi ne l'a jamais été pour moi.

- Te sens pas obligé, Jungkook.

- S'il te plaît serre-moi contre toi. »

Seokjin obéit et put le sentir se détendre. Avoir la chaleur réconfortante de son aîné tout contre lui le rassurait profondément. Jungkook, décidé à puiser enfin au fond de son cœur la force de se libérer de ce poids monstrueux, poursuivit :

« Les blessures sur mes mains... c'était... j-je me les suis pas faites volontairement.

- Quelqu'un t'a fait du mal ?

- Ils nous font du mal à tous. Ils sont venus chez nous et mes parents m'ont dit de courir, de courir sans jamais me retourner.

- C'est en fuyant que tu t'es blessé ?

- Oui, affirma Jungkook dont la voix tremblante laissait présager qu'il allait finir par laisser libre cours à sa peine. Il y avait des barbelés mais je devais continuer, alors je les ai écartés comme je pouvais avec mes mains pour pas qu'ils me blessent trop.

- Des barbelés ?

- Oui, près de la grande clôture qui nous retenait prisonniers.

- Oh non... Jungkook, me dis pas que...

- J'ai réussi à quitter la Corée du Nord il y a bientôt deux mois. »

Alors malgré les larmes Jungkook raconta son histoire : fils unique d'une famille qui vivait dans la campagne reculée de Corée du Nord, il n'avait rien connu d'autre que la famine qui détruisait son pays. Il savait lire et écrire uniquement grâce à sa mère qui s'était attachée à l'éduquer. C'était une femme admirable et aimante... trop malheureusement : elle avait réussi à entrer en contact avec un soldat sud-coréen près de la frontière à six kilomètres de laquelle ils vivaient. Elles espérait pouvoir offrir à sa famille une vie meilleure en Corée du Sud.

Elle avait été repérée en pleine négociation par un soldat nord-coréen ; à l'aube elle était rentrée paniquée. Son mari avait tenté de la calmer, mais lui aussi savait ce que ça signifiait : les soldats étaient sans doute déjà en route.

Alors elle avait donné à son fils un sac avec toute la nourriture qui leur restait – quelques légumes – et elle l'avait fait sortir par la fenêtre qui donnait sur la cour arrière de leur petite maison. Elle lui avait ordonné de courir, de courir sans jamais s'arrêter, même si ses poumons le brûlaient. Elle lui avait dit de passer la grande clôture et d'aller se réfugier en Corée du Sud. Sans doute la vie n'y serait-elle pas un paradis... mais au moins il aurait quitté les enfers.

Le garçon avait alors erré pendant de longues semaines sans le moindre sou en poche pour se nourrir, et finalement il était arrivé près de cette benne où Seokjin l'avait recueilli.

Avoir fui seul demeurerait pour toujours aux yeux de Jungkook sa pire erreur... mais il avait pris conscience grâce à Seokjin qu'il ne pouvait de toute manière plus changer le passé. Alors à défaut de sauver ses parents, au moins il était décidé à garder en mémoire leur courage pour les honorer comme ils le méritaient.

Il avait quitté les enfers, oui, et auprès de Seokjin il avait trouvé un havre de paix.

Un havre de paix qui se changea en un paradis lorsque son aîné le laissa poser délicatement ses lèvres contre les siennes, et que ce fut au tour de Jungkook de poser les mains sur ses joues avec amour.

Ses mains desquelles Seokjin avait pris autant soin que de son cœur auquel il faudrait sans doute encore de longues années pour guérir complètement.

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