Au prochain lever de soleil [Yoongi x Hoseok] 📗
C'était l'aube, le soleil se levait à peine, l'heure était au silence. L'hiver était installé dans ce paisible petit village de campagne que le givre avait recouvert d'un fin voile blanc. Tout était calme, on aurait cru le monde endormi. Une âme pourtant était réveillée, une âme seule qui semblait dénuée de sentiments.
À la fenêtre de sa chambre, le regard fixé sur l'horizon sans qu'il puisse en saisir ne serait-ce que la forme, Yoongi était immobile. Ses yeux n'exprimaient rien de plus qu'une vacuité qui traduisait une profonde mais indicible détresse, une détresse qu'il taisait de peur qu'elle ne l'écrase s'il la laissait parler. Le poids de la douleur n'était supportable que s'il était ignoré.
Yoongi était un jeune garçon aux yeux sombres qui, lorsqu'ils n'étaient pas perdus au loin, étaient aussi perçants qu'une lame et témoignaient de sa grande intelligence. Leur finesse leur conférait une beauté sans pareil, et c'était tout son visage qui avait la chance d'être doué de cette harmonie parfaite qu'avait tracée la providence à sa naissance. Une beauté à la fois brûlante et glaciale.
Ses cheveux de jais, désordonnés, retombaient sur son front pour y former des mèches folles qui prouvaient qu'il s'était réveillé peu de temps auparavant. Il n'avait pas trouvé la force de dompter ces épis sauvages, et de toute façon ça l'importait peu. Son corps maigre dessinait une silhouette étrangement imposante à la fenêtre. Il était comme une ombre qui veillait sur ce village encore assoupi.
Un soupir lui échappa ; il détendit ses membres, voûta le dos et ferma les yeux. Sa respiration était lente. On aurait pu la croire apaisée alors qu'en vérité elle était abattue. C'était la tranquillité de quelqu'un qui avait baissé les bras, quelqu'un qui avait connu la douleur, qui l'avait combattue, et qui avait fini par être vaincu par elle. C'était la tranquillité de quelqu'un qui acceptait que son destin soit misérable.
Yoongi tourna un regard dépourvu d'émotions en direction de son lit : son sac à dos y était posé, prêt. Il l'avait fait la veille au soir et avait vérifié à plusieurs reprises qu'il n'y manquait rien. C'était le cas, tout était là. Les billets de train, ceux d'avion, et une bonne partie de ses économies qu'il avait retirées pour ce long périple. Peu importait le coût, ce qui comptait à ses yeux c'était de pouvoir s'offrir ce voyage qu'il attendait depuis des jours.
Il en avait rêvé autant qu'il en avait cauchemardé, mais il savait que c'était le seul moyen pour que son cœur soit enfin serein et ses tourments apaisés. Ça ne lui permettrait sans doute pas de surmonter la douleur, mais du moins il espérait que ça la rende supportable. C'était tout ce qu'il pouvait souhaiter, il n'en attendait pas plus.
Simplement la paix.
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Hoseok prit sa sœur dans ses bras une dernière fois avant de lui adresser un sourire enjoué. Un sac à l'épaule, une valise à la main, le jeune étudiant était prêt. Trois années durant il avait mis de côté le moindre won pour pouvoir s'offrir un voyage au Japon, et voilà qu'enfin il allait réaliser son rêve. Il allait passer deux semaines dans ce pays merveilleux et avait fait en sorte de ne partir qu'une fois qu'il aurait assez de budget pour pouvoir se payer sur place tout ce qui serait susceptible de lui faire envie.
Habillé d'un sweat bleu et d'un jean noir, il avait coiffé ses cheveux bruns de sorte à découvrir son front. Son visage aux traits harmonieux quoiqu'encore enfantins malgré ses vingt ans était d'une beauté à couper le souffle et lui avait valu bon nombre de compliments. Il était élancé et son port droit trahissait toute la fierté qu'il ressentait à l'idée de découvrir le Japon par ses propres moyens.
Ses parents, encore en pyjama à cette heure matinale, l'étreignirent à leur tour et, confiant, Hoseok salua sa famille d'un dernier geste affectueux. Une fois seul dans le couloir du bâtiment où lui et les siens habitaient, il tira de son sac un billet de train à direction de Séoul où il prendrait l'avion pour se rendre à Tokyo. Son sourire s'agrandit en songeant à tout ce qui l'attendait, c'était si excitant d'aller au devant de l'inconnu !
Il rangea les billets et fila. Dehors il faisait encore frais en dépit du printemps qui avait fait fleurir la nature. Hoseok frissonna mais le brûlant enthousiasme qui lui réchauffait le cœur eut raison de sa tenue un peu légère. Le soleil s'était levé quelques minutes plus tôt, les lampadaires venaient à peine de s'éteindre, plongeant le village dans la clarté tamisée qu'offraient les rayons du jour encore timides.
Hoseok peinait à croire qu'il allait quitter pour deux longues semaines cette vallée qu'il avait toujours regardée comme le seul endroit où il se sentait chez lui. Pourtant il se sentait prêt, ce jour-là, à aller à la découverte du monde.
Le jeune garçon ferma un instant les paupières pour goûter à l'air frais qui venait s'échouer sur son visage à la manière d'une subtile caresse de la nature. Il aimait à vagabonder dans les rues désertes et arriva bien rapidement à l'avenue principale qui formait une longue ligne droite autour de laquelle le village était organisé. C'était là notamment que les quelques petits commerces du coin étaient tous regroupés.
Les rares bruits qui troublaient le silence de cette paisible matinée, c'était le bruit de ses pieds qui foulaient le sol bétonné et celui des roulettes de son sac qui s'accentuait chaque fois qu'il passait sur des graviers. Sans perdre son sourire, Hoseok ne lâchait pas du regard la sortie de son village, qu'il atteignit en une dizaine de minutes à une allure soutenue.
C'était un arrêt de bus. Un car passait là trois fois par jour. Ce matin-là il n'y avait personne - pas étonnant : c'était un jour de week-end en plein milieu des vacances scolaires.
Droit comme un piquet, le visage radieux, Hoseok vérifia sa montre puis demeura debout près de l'arrêt en attendant l'heure. Il avait une dizaine de minutes d'avance : il avait été beaucoup trop impatient pour avoir le courage de partir plus tard de chez lui.
Profitant de ces quelques minutes de tranquillité qu'il avait, il sortit son portable de sa poche, y brancha ses écouteurs et sélectionna la playlist qu'il s'était créée quelques jours plus tôt, une playlist « spécial voyage », comme il aimait à l'appeler.
Peu de temps après il entendit, par-dessus sa musique, le vrombissement sonore du moteur du véhicule qui approchait. Il leva les yeux pour découvrir un car à la carrosserie noire s'arrêter à sa hauteur et lui ouvrir la porte. Hoseok grimpa, adressa un salut respectueux au conducteur et se hâta d'aller trouver une place tandis que déjà le car redémarrait. Il n'y avait personne, si bien que le jeune homme eut l'embarras du choix. Il finit par opter pour une place au milieu, à côté de la fenêtre sur laquelle il dirigea son regard pétillant.
Le givre blanchissait élégamment le paysage et lui donnait l'air irréel. Il semblait sorti d'un conte hivernal. Le monde lui paraissait s'être arrêté, gelé comme l'herbe verte du printemps.
Le décor défilait, tout comme les chansons de la playlist de Hoseok. Le car s'arrêta quelques minutes plus tard, à la sortie d'un village voisin. Ce fut par réflexe que le jeune homme tourna la tête afin de voir qui allait monter et, d'une certaine manière, inconsciemment le rejoindre dans ce voyage jusqu'à la ville de Daegu.
C'était un garçon. Un garçon qui lui sembla avoir son âge - ou à peu près. Hoseok l'observa incliner légèrement la tête devant le conducteur et aller s'asseoir, sans la moindre hésitation, au fond du bus. L'inconnu n'accorda pas à Hoseok la moindre attention. Il marchait le dos légèrement courbé, le regard rivé au sol et l'air absent. C'était comme s'il n'avait aucun contact avec l'environnement qui l'entourait, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Une fois assis, il croisa les mains et prit sans s'en rendre compte un air mélancolique tandis que son regard se posait non sur le paysage mais sur l'horizon qu'il voyait sans le regarder.
L'inconnu dégageait pour Hoseok quelque chose d'indescriptible : il était mystérieux, son visage trahissait une indicible peine et Hoseok sentait son enthousiasme s'effriter peu à peu à mesure qu'il lançait de discrets regards à cet inconnu qui ne les remarquait même pas. Il était plongé bien trop profondément dans ses pensées.
Hoseok songea à aller lui parler. Il ignorait pour quelle raison il avait envie de rendre le trajet de cet inconnu moins morose. Lui qui était toujours le premier à faire en sorte d'apporter un peu de joie de vivre à ses proches, cette fois-ci c'était à ce garçon qu'il voulait la transmettre. Mais c'était étrange, non ? Ça n'avait pas de sens de vouloir approcher quelqu'un qu'il ne connaissait pas le moins du monde.
Pourtant il avait envie de discuter avec lui.
Dans un soupir, Hoseok tourna son regard vers la vitre : de toute manière, ce garçon ne voudrait sans doute pas discuter, inutile d'aller lui adresser la parole. Il le dérangerait plus qu'autre chose. Ce n'étaient pas pour rien que le jour succédait à la nuit, ils ne pouvaient simplement pas exister en même temps. Hoseok avait le sentiment qu'il en allait de même pour l'inconnu et lui : il ignorait quelle était cette force pareille à celle qui régissait les astres, mais il avait le sentiment de ne pas pouvoir l'approcher. Il pouvait simplement graviter autour de lui. Il était un satellite qui observait sans se lasser celui autour de qui il tournait mais de qui il savait au plus profond de lui qu'il ne pourrait jamais le rencontrer. Deux astres qui n'entreraient jamais en collision.
Le car s'était à présent enfoncé dans la forêt. Hoseok observait les arbres se succéder de manière si rapide qu'il lui était à peine possible d'en entrevoir les formes. La couverture de feuilles qui formait une fine canopée au-dessus de l'endroit empêchait le soleil matinal de se faire une place dans cette nature encore obscure. Le car y filait à la manière d'une flèche décochée avec précision, la route était droite et Hoseok avait la sensation qu'ils avançaient sans avancer tant le paysage se répétait autour d'eux.
Ce fut après une heure de trajet que le car quitta l'autoroute sur laquelle il était lancé. Quelques autres personnes étaient montées entre temps, pour autant il y avait peu de monde et seul le premier garçon arrivé après lui suscitait toujours la curiosité de Hoseok - il en ignorait la raison.
Ce fut avec soulagement que le jeune homme observa le car ralentir et se garer sur une petite aire d'autoroute entourée de verdure. Ils étaient en train de traverser les collines pour rejoindre la ville, la moitié du chemin avait été faite. Toujours aussi bleu, le ciel était dégagé et lorsque Hoseok quitta le car pour profiter de la fraîcheur matinale, il put constater que l'air lui semblait ici plus pur. Les températures étaient légèrement remontées et le soleil brillait désormais de tout son apaisant éclat.
Une brise souffla, plus forte que les autres, plus revigorante. Les paupières fermées, Hoseok la laissa lui caresser le visage. Il inspira profondément et rouvrit les yeux pour observer la beauté du lieu où le petit groupe de voyageurs se trouvait : l'aire d'autoroute était parsemée d'herbe, il n'y avait que peu de place pour le bitume. Un bâtiment qui abritait entre autres une supérette et un café se trouvait un peu plus loin, entouré d'arbres au feuillage vert et dense.
Tout était harmonieux, la présence de l'homme s'était faite discrète pour laisser à la nature sa prédominance.
Hoseok était en train de se nourrir de ces superbes images lorsque son attention fut attirée par le mouvement d'un certain jeune homme qui ne cessait de l'intriguer. Le garçon revenait de la petite station. Contrairement aux autres personnes qui s'y étaient rendues et en étaient ressorties avec quelques confiseries en guise de petit déjeuner, lui n'avait rien entre les mains - du moins il avait les mains plongées dans les poches de son jean, si bien que Hoseok songea qu'il n'avait probablement rien acheté.
Le regard absent et rivé sur le sol, il marchait d'un pas traînant, le dos courbé comme lorsqu'il était monté dans le car. On aurait dit qu'il portait un fardeau imaginaire au poids tel qu'il peinait à le soutenir. Hoseok lui trouvait encore l'air mélancolique.
Le garçon marchait dans l'herbe sans paraître vouloir retourner dans le car pour le moment. Hoseok crut qu'il souhaitait se dégourdir les jambes, néanmoins il changea d'avis lorsqu'il surprit l'inconnu à s'immobiliser tout à coup devant une barrière naturelle formée par quelques buissons et une végétation plus abondante. Il fronça les sourcils mais son air s'adoucit en voyant le garçon se baisser et cueillir quelques unes des plantes à sa portée. Accroupi, il ne faisait pas attention au regard dont le couvait Hoseok sans s'en rendre compte.
Ce n'était rien de plus que de la curiosité ; du moins c'était ce dont Hoseok s'était convaincu. Parce que c'était bien plus que de la curiosité. C'était un mélange entre une inexplicable fascination et une profonde envie d'aller parler à ce garçon qui semblait si fragile et si fort à la fois. Cette errance qu'il paraissait subir lui donnait l'air fragile, le fardeau qu'il paraissait porter sans ciller lui donnait l'air fort. Pourtant ce n'était pas tout, il y avait forcément quelque chose de plus pour que Hoseok se sente à ce point attiré par ce parfait inconnu.
Sans doute était-ce l'excitation due à son voyage qui lui donnait l'irrépressible envie de découvrir de nouvelles personnes, et puisque ce garçon était le premier qui avait croisé son chemin c'était sur lui que son attention s'était portée. Ça expliquait tout, non ? Du moins cela dut être une explication assez logique aux yeux de Hoseok pour que ce dernier ne se pose plus de questions quant à l'intérêt qu'il portait à un garçon sans doute aussi banal que lui.
Celui-ci justement se redressait, un bouquet entre les mains et un léger sourire au visage. C'était un rictus à peine perceptible et qui relevait de façon discrète les coins de ses lèvres, Hoseok se demanda si l'inconnu avait même conscience qu'il souriait. Ça ne semblait pas être le cas, car dès lors que ses yeux félins quittèrent le bouquet pour se reposer sur le sol, son sourire disparut. De nouveau on avait l'impression de faire face à une âme errante, bouleversée et perdue. Une âme capable de sourire à la seule beauté éphémère de la nature en fleur.
L'inconnu tira de son sac une boîte en plastique dans laquelle il plaça avec grand soin le petit bouquet. Hoseok le regarda faire sans un mot, perplexe, curieux de savoir pourquoi ou pour qui le garçon réservait ces fleurs. Plusieurs idées lui traversèrent l'esprit, pourtant aucune ne lui sembla cohérente.
Hoseok, parti acheter un casse-croûte au café de l'aire d'autoroute, revint d'un pas tranquille, un brownie entre les mains, près du car dans lequel les passagers remontaient déjà un à un. Son inconnu - car désormais c'était ainsi qu'il le considérait - était déjà de retour à sa place. Hoseok donc ne tarda pas et fila rejoindre la sienne.
Lorsque le car redémarra, il regretta de ne pas avoir pensé à changer de place pour s'installer aux côtés du garçon.
Hoseok tira ses écouteurs de sa poche et se mit de la musique pour faire passer le temps, surpris alors à l'idée que depuis qu'il était monté, l'inconnu ne s'était octroyé aucune distraction : il ne faisait que regarder par la fenêtre. Pas de musique, pas de livres, il n'avait pas même jeté une seule fois un regard à son portable - car Hoseok supposait que comme presque tout le monde il en avait sans doute un. L'inconnu était resté dans sa bulle, concentré sur l'extérieur alors même que l'extériorité n'avait pas la moindre prise sur lui : il n'avait eu de contact avec personne, rien n'avait l'air de pouvoir l'atteindre.
Il devait être concentré sur ses pensées, c'était à cette conclusion que Hoseok était parvenu...
Parce qu'il écoutait de la musique et jouait sur son portable, Hoseok eut la sensation que le temps passa plus vite pour cette seconde moitié de trajet. Son euphorie à l'idée de découvrir le Japon lui était peu à peu revenue à mesure qu'il s'intéressait de moins en moins au garçon immobile et muet du fond du bus. Il en trépignait d'impatience et, incapable de tenir en place plus longtemps, c'était après quelques minutes qu'il s'était retourné pour discuter avec les personnes derrière lui, une mère d'une trentaine d'années accompagnée de son fils, un bout de chou de six ou sept ans.
La femme s'était révélée être d'une grande amabilité, et l'enfant était un petit garçon à croquer, l'esprit aussi vif que le regard, le sourire malicieux. Les éclats de leur conversation joyeuse avaient animé le car ; l'inconnu n'avait même pas jeté un œil dans leur direction.
Hoseok eut une mine ennuyée lorsque le véhicule fit halte à la gare de Daegu : ils étaient arrivés. La mère et son fils allaient rejoindre le père de l'enfant, un homme dont la jeune femme n'avait eu de cesse de faire l'éloge chaque fois qu'il devenait le sujet de la conversation - Hoseok avait été touché de voir briller dans son regard tant d'amour. Ils se saluèrent donc et Hoseok fila à la gare vérifier l'heure de son prochain trajet.
Il poussa un soupir de soulagement en constatant que tout était en ordre : aucun retard à signaler, le train arriverait d'ici une petite heure et demie. Rassuré, Hoseok jeta un œil autour de lui : il était dans le hall principal de l'immense gare de Daegu, jamais il n'aurait pu y croire, ça lui semblait irréel. Son voyage avait à peine débuté que déjà il avait la sensation d'en prendre plein les yeux : tout lui semblait merveilleux, il avait tant de fois rêvé de quitter le petit hameau dans lequel il avait grandi. L'université le lui avait permis, pour autant c'était bien différent : cette fois-ci, il voyageait par simple plaisir, pas par obligation.
La gare fourmillait de monde. Le hall était immense, si vaste et si haut. Tout semblait ici bien plus moderne que dans son village de campagne, et si Hoseok n'aimait pas vivre dans l'agitation, il devait pourtant avouer qu'il était heureux d'être là, parmi cette foule hétérogène. C'était une nouvelle expérience, ça avait quelque chose de tout bonnement envoûtant.
Mais ce n'était pour Hoseok pas aussi envoûtant que le jeune garçon sur qui il posa un regard surpris : son inconnu était assis là, sur une des banquettes d'une salle coupée de la gare par une vitre transparente et qui offrait le calme à ceux qui y entraient. C'était une petite salle meublée de sièges et de tables, notamment utiles à ceux qui souhaitaient travailler en silence en attendant leur train.
Hoseok jeta un regard circulaire autour de lui : épiceries, cafés, pâtisseries, petits magasins divers. Il y avait de tout, et il y avait du monde partout. Quelques instants plus tôt il songeait à se mêler à eux, à devenir une fourmi de plus dans cette gigantesque fourmilière, néanmoins il était désormais focalisé sur une seule chose : aller s'asseoir dans la même salle que son inconnu.
Tenter de lui adresser la parole.
Il se mordit la lèvre et se décida : il alla en direction de la salle, en poussa silencieusement la porte et alla s'installer à quelques mètres du garçon à l'air absent. Les yeux rivés sur l'écran qui indiquait les départs prochains, Hoseok était d'apparence calme alors même qu'il était en plein débat intérieur : parler, se taire, oser, craindre, se lever, rester immobile. Il ignorait quoi faire.
Et puis il y avait de nouveau cette force inconnue qui l'empêchait d'approcher. Parce qu'il gravitait autour de lui, effrayé peut-être à l'idée d'un choc imminent. Alors il n'osa pas. Et l'inconnu continua de regarder le sol, le dos courbé, le regard perdu, les mains croisées.
Ici et pourtant ailleurs, coincé dans ses songes. Hoseok le trouvait beau sans savoir pourquoi : était-ce son physique ou bien tout ce mystère qu'il voyait planer autour de lui ? C'était étrangement attirant.
Hoseok resta silencieux. Il resta à l'écart. Il n'approcha pas son inconnu.
Les yeux rivés sur son téléphone, c'était sur l'étranger que son attention était rivée quant à elle. Plus le temps passait, plus il se convainquait de ne pas l'approcher, plus le jeune garçon devenait une énigme qu'il souhaitait déchiffrer. À force de se tenir éloigné Hoseok brûlait d'envie de lui parler. Il avait l'impression de fuir un interdit qui l'appelait de plus en plus fort à mesure qu'il y résistait. Or dès lors qu'il souhaitait céder, tout en lui s'y opposait et il demeurait immobile.
Le temps passa, le train en direction de Séoul entra en gare. Lorsqu'il fut annoncé, Hoseok leva les yeux sur l'écran un peu plus loin qui indiquait les quais de chaque départ. Il repéra rapidement celui qu'il attendait et se redressa avant d'attraper son sac et sa valise.
Du coin de l'œil il aperçut que l'inconnu avait disparu. Il ignorait depuis quand : la dernière fois qu'il lui avait jeté un regard discret, c'était une demi-heure plus tôt. De nombreux trains étaient partis entre temps et il n'avait pas la moindre idée de celui dans lequel son inconnu avait pris place.
Hoseok était à la fois dépité à l'idée ne plus jamais recroiser sa route et soulagé d'une certaine manière de ne plus subir cette attraction magnétique qui le tourmentait. Il alla tranquillement à son quai, profitant du temps qu'il avait encore avant le départ du train pour se payer un plat à emporter dans une épicerie.
Il traversa la gare et la foule, le bruit des gens et des véhicules, et il accéda finalement à la voie où était arrêté un long train dans lequel quelques personnes avaient déjà pris place. Hoseok jeta un regard à son billet et se dirigea vers le wagon où était sa place. Il marqua un arrêt lorsqu'il le trouva, il l'observa avec un air qui disait tout de sa hâte, puis il replaça son sac sur son épaule et monta.
Hoseok repéra sans difficultés sa place. Il s'y avança. Son regard alla toutefois s'égarer sur les autres passagers du wagon. Sur un passager en particulier. Un inconnu à la peau pâle et au visage dénué de la moindre expression. Un visage qui frappa aussitôt Hoseok.
Son inconnu.
Dans le même train. Dans le même wagon. À moins de cinq mètres de lui, mais dos à lui.
Hoseok déglutit et alla s'asseoir près de la fenêtre. La torture recommençait. La répulsive attirance qu'il ressentait se raviva à la manière d'une flamme inextinguible. Son attention en apparence concentrée sur l'extérieur, Hoseok brûlait d'envie de se lever pour aller discuter avec l'inconnu. Encore. Mais il ne se leva pas, il alla sur son téléphone pour penser à autre chose. Il se cala correctement sur son siège et, après avoir mis un peu de musique, il ferma les yeux avec l'espoir de s'endormir.
Il ne s'endormit pas. Il plongea simplement dans une légère torpeur, à mi-chemin entre rêve et éveil. Ils étaient après tout en milieu de journée et le jeune garçon n'avait pas sommeil, si bien qu'il profita du trajet pour manger ce qu'il s'était acheté à la gare un peu avant le départ. Quelques coups d'œil furent jetés en direction de son inconnu, celui-ci demeurait impassible, comme détaché à tout ce qui pouvait exister dans ce monde.
Hoseok se demanda même s'il avait mangé ; il n'en était pas sûr. L'étranger n'avait rien acheté, du moins à ce qu'il lui semblait, et pas une fois Hoseok ne l'avait vu se nourrir depuis leur rencontre - si on pouvait considérer comme tel le moment où le garçon était monté dans le même car que lui. Hoseok voulut se lever, lui parler, lui proposer de partager son déjeuner. Comme il s'y attendait, il n'osa pas. Il resta assis, le regard fixé sur son repas qu'il se décida à manger seul. Il en fut peiné.
Le train arriva à Séoul et ce fut dans l'après-midi que Hoseok fut à l'aéroport. Il était évident que dès l'arrivée de son train en gare, il avait perdu de vue son inconnu, pour autant il ne cessait pas de penser à lui, de se dire qu'il aurait dû lui parler, de se rappeler qu'un quelque chose l'en avait empêché.
Il se sentait déçu alors même qu'il ne s'en expliquait pas la raison : il ne reverrait de toute façon jamais cet inconnu, et même s'il le revoyait il ne comptait pas s'en faire un ami. Alors pourquoi avait-il tant ressenti le besoin de l'approcher ? De le connaître ?
Les yeux fermés, perdu dans ses pensées, il attendait tranquillement de pouvoir embarquer pour Tokyo. Le temps passa, mais il ne savait pas combien de temps était passé. Quand il rouvrit les yeux, ce fut au moment où l'on annonçait que les passagers pour son vol pouvaient monter dans l'avion. Il retrouva aussitôt le sourire et attrapa ses bagages.
Un long moment lui parut être passé entre l'instant où il s'était levé de son siège et l'instant où il avait pu s'asseoir dans celui de l'avion. La nuit était tombée, pourtant le jeune homme avait la sensation de déborder d'énergie. Il était sur le point de quitter son pays natal pour un bref voyage qui, il en était certain, lui laisserait mille souvenirs plus beaux les uns que les autres. Il avait tout prévu, tout pour que ce moment soit inoubliable.
Ce qu'il n'aurait en revanche jamais pu prévoir, c'était la présence de son inconnu. Dans l'avion. Assis au siège juste à côté du sien.
Ce serait la première fois qu'ils seraient si proches.
L'inconnu n'avait pas changé, il avait toujours ce même air impénétrable au visage, impénétrable quoique songeur. Il avait l'air perpétuellement perdu dans ses pensées.
Hoseok s'assit, posa son sac à ses pieds pour en tirer son portable et ses écouteurs, et il se mit de la musique en se faisant la remarque que son voisin quant à lui semblait avoir pour seule activité celle de rêvasser. Un coude au niveau du hublot près duquel il était assis, l'inconnu en effet regardait l'extérieur d'un air presque mélancolique.
Hoseok, lui, il regarda l'écran de son téléphone. Les images se succédaient mais il n'y prêtait pas la moindre attention. Son esprit était tourné ailleurs : comme lui l'inconnu se rendait au Japon... Mais visiblement pas dans le même but. Ainsi l'euphorie qui avait habité Hoseok au moment de monter dans l'avion se dissipait encore une fois peu à peu au contact de ce garçon qui avait sur lui un effet qu'il ne comprenait pas. C'était sans doute l'attraction, la répulsion, la gravité, toutes ces choses dont l'explication lui échappait.
Le trajet fut calme. Hoseok ne cherchait plus à lutter contre ce qui l'empêchait de parler à son inconnu. Il s'était résolu : quelque chose ici-bas avait décidé qu'ils ne communiqueraient jamais, c'était comme ça que ça devait se passer. Ils se croisaient, se croisaient encore sans s'aborder. C'était tout et ça resterait tout. Ce constat fait, le jeune garçon s'était senti plus serein, défait de cette désagréable sensation de vouloir parler sans y parvenir. Il avait compris que vouloir était inutile quand on ne pouvait pas. Son instinct le retenait, inutile de se battre.
Parfois pourtant il jetait un bref coup d'œil à son voisin. Mais la nuit comme le jour, son inconnu arborait le même visage, la même posture, sans doute également les mêmes pensées. Peu importaient la lumière et l'obscurité, rien ne paraissait être capable de toucher cette âme en peine au regard vide.
Et Hoseok ne souhaitait pas troubler ces songes qui semblaient si profonds.
Il ne fallut pas plus de deux heures avant que l'avion ne se pose. La nuit était calme. Hoseok récupéra ses bagages après avoir une fois de plus perdu son inconnu de vue. Une étrange sérénité s'était alors emparée de lui : il avait le sentiment que de toute manière le destin n'avait pas voulu qu'il interrompe le cours de ses pensées. Ce mystérieux garçon et lui n'étaient pas faits pour se rencontrer, simplement pour se croiser encore et encore - Hoseok se demanda même s'ils ne prendraient pas encore une fois le même avion pour retourner en Corée du Sud, ça ne l'étonnerait même plus. Leurs deux chemins se mêlaient sans jamais se rejoindre.
Pour lors, maintenant qu'il était enfin à Tokyo, la ville de ses rêves, Hoseok n'avait qu'une envie : rejoindre son hôtel, y déposer ses affaires et profiter ensuite de pouvoir admirer la ville se réveiller doucement. S'il se dépêchait, il devrait être en mesure de profiter du spectacle de l'aube qui se lèverait tranquillement.
Le jeune homme donc se hâta de se rendre à l'hôtel où une femme l'accueillit avec un sourire et lui fournit la clé de sa chambre. Hoseok découvrit alors une petite pièce chaleureuse bien qu'étroite ; ça importait peu à ses yeux, il ne comptait de toute façon pas passer ses journées enfermé. Il espérait bien ne profiter de sa chambre que pour se reposer entre deux promenades.
Les étoiles brillaient encore dans le ciel nocturne lorsque Hoseok ressortit. Il avait à peine rangé quelques affaires que déjà il s'était changé et avait en vitesse attrapé son sac de voyage. Il l'avait passé sur son dos d'un mouvement vif et le voilà qui allait découvrir la capitale japonaise de nuit.
Hoseok avait trouvé un hôtel dans un quartier calme qui, néanmoins, n'était qu'à quelques minutes à pied du centre de la ville. Il ne fut donc pas surpris de voir se dessiner peu à peu devant lui des rues qu'il avait tant de fois vues en photo. L'endroit semblait plus vivant encore grâce au contraste avec le ciel endormi, il y avait tant de lumières qui brillaient que Hoseok était incapable de croire que quiconque puisse fermer l'œil dans une ville pareille. Ainsi, s'il ne fut pas surpris de voir en vrai ce qui n'avait pour lui toujours été que des images, il n'en demeurait pas moins admiratif. Une photo ne recréerait jamais une atmosphère, et celle de Tokyo était si particulière, si indescriptible.
Ça avait des airs de rêve éveillé.
Le jeune garçon passa un long moment en parfait touriste lancé à la découverte des grands boulevards. Tokyo ne dormait pas, Hoseok non plus. Ses paupières n'étaient pas même lourdes, ses yeux étaient bien trop écarquillés par l'émerveillement pour pouvoir se fermer. Il ne pouvait pas aller dormir maintenant.
L'aube se levait doucement et colorait le ciel de tons pastel. Hoseok avait quitté les artères commerçantes pour se diriger vers un endroit beaucoup plus paisible, un endroit en adéquation avec ce ciel rose-orangé. Il déambulait en effet désormais sur un chemin qui longeait le fleuve Sumida qui traversait Tokyo et qu'il avait toujours rêvé d'admirer au lever du soleil. C'était un endroit sublime, plus encore en cette période : c'était le printemps, tous les cerisiers plantés dans le parc aménagé près du large cours d'eau étaient en fleur. Ainsi, aux tons délicats du ciel répondaient ceux de ces arbres merveilleux, quant au fleuve il était d'une clarté surprenante et les rares nuages qui lui faisaient face semblaient s'y mirer. C'était un régal pour les yeux.
L'air était frais sans être froid, le vent n'était qu'une brise légère, et le calme régnait en maître aussi bien dans ce paysage irréel que dans l'âme de Hoseok. L'onde était tranquille et le jeune garçon était seul au beau milieu de cette nature assoupie.
Du moins c'était ce qu'il croyait. Jusqu'à ce qu'il le voie. Non, ce n'était pas son inconnu. En revanche, Hoseok le reconnaîtrait entre mille... c'était le bouquet qu'il avait cueilli lorsque leur car s'était arrêté.
Le petit bouquet était posé à même le sol, près de la rive. Il faisait pâle figure auprès des fleurs superbes déposées au même endroit et qui attisèrent bien vite la curiosité de Hoseok. Le jeune homme s'approcha, tout à coup anxieux. Il avait l'étrange sensation qu'il allait découvrir quelque chose au sujet de son inconnu. La raison de sa venue ici.
Parmi les bouquets déposés là, il y avait une plaque simplement posée sur le sol, une plaque que recouvraient les fleurs et quelques bougies qu'on avait visiblement allumées récemment. Près du bouquet laissé par son inconnu se trouvait une courte lettre dont Hoseok se demanda si c'était le mystérieux garçon qui l'avait écrite. Quelques gouttelettes en avaient fait couler l'encre ; elles étaient trop peu nombreuses pour que ce soit l'œuvre de la pluie.
Curieux quoiqu'inquiet, Hoseok s'accroupit et, sans poser les mains sur la lettre manuscrite de peur de l'abîmer, il la lut. Elle avait été écrite par un dénommé Yoongi, pour son petit frère Jimin venu étudier à Tokyo - c'était son rêve - et qu'on avait retrouvé avec un ami... tous deux morts noyés dans la rivière Sumida une semaine auparavant.
Yoongi s'y excusait de n'avoir pas pu venir plus tôt, lui qui avait promis de venir à Tokyo au prochain lever de soleil. Dans sa lettre il décrivait sa douleur ainsi que la sensation de solitude et de détresse qui s'était faite si pesante maintenant que s'était éteint celui qu'il appelait affectueusement son petit soleil.
L'écriture était concise, délicate, presque poétique. On y retrouvait un lyrisme mélancolique profondément touchant qui serra la gorge au jeune garçon. Ces mots débordaient de sincérité et de douleur, Hoseok pouvait y lire un passé heureux et une âme désormais en peine qui promettait pourtant qu'il irait de l'avant pour lui, le frère qu'il aimerait toujours et n'oublierait jamais.
Hoseok posa un regard ému sur le petit bouquet.
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Oui, je sais : c'est assez paradoxal que pour l'occasion de la St Valentin je poste un OS sans la moindre relation amoureuse - d'autant plus qu'avec « Sonate », c'est seulement mon second écrit sans histoire d'amour. XD
Mais comme je vous l'avais dit, je voulais quelque chose de différent. Des histoires d'amour, j'en écris tout le temps, quel intérêt d'en balancer une de plus ? C'est pour ça que cette fois j'ai voulu aborder une autre forme d'amour, l'amour fraternel. C'est pour cette raison que Hoseok n'a pas approché Yoongi, parce que cette histoire était l'histoire de l'amour qu'il éprouve pour son frère : Hoseok n'avait pas sa place, Yoongi ne pouvait pas éprouver de sentiments pour lui. Pour accentuer cette impression de détachement, vous l'aurez remarqué, j'ai aussi pris le parti de n'écrire aucun dialogue. Hoseok et Yoongi ne communiquent pas ensemble, mais en vérité ils ne communiquent avec personne. Ils sont dans leur bulle. ;)
J'imagine par ailleurs que beaucoup auront remarqué de quoi je me suis inspirée pour cette histoire : je voulais décrire l'amour qu'on peut ressentir pour un membre de sa famille, et je me suis souvenue de ce poème que mon père adore et qui, il est vrai, est absolument magnifique. C'est pour ça que cet OS, « Au prochain lever de soleil », est une réécriture du poème de Victor Hugo « Demain dès l'aube » écrit à la mort de sa fille. Je vous laisse aller lire ce poème si vous ne le connaissez pas, j'ai essayé dans cette histoire de penser à chaque détail (aussi bien narratif que formel), depuis le lien à la nature (caractéristique du romantisme) jusqu'au rythme ternaire du premier vers que l'on retrouve dans ma première phrase. :)
J'espère en tout cas que ça ne vous a pas déçus, merci beaucoup d'avoir lu cette histoire ^^
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Cet OS est désormais disponible en format papier, dans mon recueil intitulé Sonate (au prix de 6€99). S'il vous a plu et vous intéresse, le lien Amazon est à la fin de mon profil, mais vous pouvez également le trouver sur le site de la Fnac, etc. Il suffit de taper le titre (Sonate) et mon nom de plume (Manon Lilaas). ^^
Et dans tous les cas, cet OS ne bougera pas d'ici, il restera toujours sur Wattpad ;)
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