9. But in the moonlight
Je n'avais pas pu m'en empêcher. Et d'ailleurs, je n'avais pas compris non plus pourquoi, soudainement, après cette phrase encore mystérieuse et énigmatique de Taehyung, je m'étais effondré en larmes.
La fatigue, la pression, le doute, ou bien même les questions. Je n'arrivais pas à déceler l'origine de mes pleures mais tant bien même que j'avais senti mon corps me lâcher en même temps que toutes mes barrières.
Taehyung s'était précipité sur moi pour me soutenir et je m'étais raccroché à lui en laissant ce flux incessant de larmes s'échouer sur son épaule dans laquelle ma tête, enfouie, ne savait plus quoi penser.
Je ne pourrais jamais lui dire. Je ne pourrais jamais lui dire pourquoi, en cet instant, mon monde venait de s'écrouler en même temps que mon corps contre lui. Pourtant, j'avais la nette impression qu'il savait ce qu'il y avait au fond de moi, qu'il savait que, si j'avais réagi ainsi, ce n'était pas pour moi. Depuis le début, Taehyung avait toujours une longueur d'avance sur moi alors j'imaginais aisément qu'à nouveau, il en savait plus que ce qu'il laissait croire.
De quoi s'agissait-il, exactement ? Qu'est-ce que tout cela pouvait bien signifier ? Des âmes sœurs, des parcours de vies tragiques, des liens, une tentative de suicide... Le Melancholic Paradise m'était d'abord apparu comme un lieu de débauche et de plaisir. Maintenant, il se transformait peu à peu en un mystère passablement intouchable, en une énigme qui me semblait trop difficile pour moi. Mais, mêlé à ça, c'était aussi, ce soir et pour longtemps j'en étais persuadé, le lieu qui changerait ma vie.
« Ressens » M'avait dit un jour Taehyung. Encore une de ces stupides règles. Pourtant, je ressentais maintenant. Et c'était important de le relever car depuis ce jour funeste qui remontait à l'année précédente, je n'avais plus rien ressenti. Jusqu'à ce soir.
Je ressentais quelque chose, pour lui, pour les garçons, pour cet endroit. Je ressentais la peur mais aussi la sérénité. Celle que l'on avait lorsque l'on trouvait sa place. Son rôle. C'était stupide, pensais-je. Je n'étais rien d'autre qu'un inconnu pour eux, qu'un garçon arrivé un soir par hasard avec qui ils avaient sympathisé. Je n'étais pas un personnage de leur histoire, je n'étais pas mêlé au mystère incompréhensible qu'ils partageaient. Pourtant... Je ressentais le contraire. Je pleurais parce que j'étais libéré. J'étais soulagé. Dans ses bras, au milieu de cette rue sombre, j'étais chez moi. A ma place.
Il m'avait relevé le menton, et j'avais reniflé comme un enfant en le regardant dans les yeux. J'étais à peine plus grand que lui, mais il me semblait immense.
- A quoi penses-tu ? M'avait-il soufflé d'une voix tendre.
- Je n'en sais rien.
C'était vrai. L'infernal va et vient de pensées dans ma tête m'empêchait de réfléchir correctement. J'étais inondé de questions, d'interrogations mais aussi de peur et, étrangement, d'apaisement. Un sourire triste se dessina sur son visage alors qu'il glissa une main dans mes cheveux. Nous n'avions jamais été aussi proches.
- Je suis perdu... Continuais-je, abattu.
- Tu aurais toutes tes répondes bientôt, je te l'assure.
- Quelles réponses ? Ne me dit pas que j'ai un rôle à jouer, là-dedans ?
La tristesse s'évapora de son visage pour ne laisser place qu'à un simple sourire. Je crois bien que c'était la première fois que je le voyais sourire ainsi, sans prétention, sans suffisance, sans mystère. Juste sourire. Et j'aimais ça.
- Si. Le plus beau et le plus grand des rôles.
Je secouai la tête, me reculant légèrement pour anéantir cette proximité entre nous et revenir à la réalité. Taehyung sembla contrarié de ne plus m'avoir dans ses bras mais je n'en étais pas à m'attarder sur ses envies.
- Et si je ne veux pas de tout ça ? Lâchais-je d'une voix douloureuse. Et si je n'ai pas envie de faire partie de votre... Votre...
- Notre ?
Je levai les yeux au ciel, cherchant mes mots pour ne pas être blessant. « Secte » me paraissait adéquat mais je n'étais pas sûr qu'il soit approprié pour Taehyung.
- Votre... Votre amitié étrange.
- Et tu n'es pas curieux ?
Oh si, je l'étais. J'avais peur mais j'étais terriblement curieux. Cela me rappela d'ailleurs cet épisode avec Taehyung, où il m'avait assuré que, lorsque l'on s'apprête à faire quelque chose, un peu de peur est signe que ça en vaut la peine.
Voyant que je ne répondais pas, Taehyung se mordilla la lèvre un instant, jouant avec son piercing inférieur avant de soupirer et de me faire signe de la main.
- Rentrons Jungkook. Tu dois te reposer.
Je m'étais laissé faire, impuissant. A vrai dire, j'étais épuisé de cette soirée et je n'avais pas de meilleures options que de rentrer au Melancholic Paradise.
Le bar était tel que je l'avais laissé, comme si tout allait bien, comme s'il ne venait pas d'y avoir une tempête ayant tout arraché dans ma vie quelques instants plus tôt. Je reconnu Hoseok et Jimin au bar un peu plus loin mais Taehyung nous fit passer devant-eux sans nous arrêter. Les garçons m'avaient regardé avec un air peiné mais je m'étais contenté de baisser la tête et de suivre sagement Taehyung.
Dans le couloir, Yoongi apparut devant nous, sortant juste de la salle de bain. Ses cheveux blonds étaient encore humides, retombant devant ses yeux alors qu'il nous scrutait avec appréhension.
- Hey. Ça va Kookie ?
- Ça va, répondit Taehyung pour moi. Il est un peu fatigué, il doit se reposer.
Yoongi me regarda longuement avant de lancer un coup d'œil à Taehyung, lui posant une question silencieuse. Celui-ci la balaya de la main en répliquant.
- Il a vu Seokjin. Ils se sont parlé.
- Oh. Et du coup...
- Du coup il est chamboulé, le coupa-t-il très vite, comme s'il avait peur de quelque chose, que Yoongi en dise trop.
- Je vois. Bonne nuit Kookie, à demain.
Je le gratifiai d'un sourire sans saveur, ne relevant même plus le fait que Taehyung s'était imposé comme mon porte-parole. Cet échange me rappelait grandement celui avec Jimin chez lui, lorsqu'il m'avait raconté son histoire uniquement parce que Taehyung l'y avait autorisé. Son autorité commençait à dépeindre sur moi mais ce n'était pas ce soir que je lui en tiendrais rigueur.
Yoongi disparut au rez-de-chaussée et Taehyung me conduisit dans sa chambre, à ma grande surprise. Pour y avoir dormi et y avoir passé un bon moment avec Jimin lors de mon arrivée, je fus étrangement soulagé d'y être de nouveau. J'aimais bien cet endroit, bien que neutre et dénué de tout effets personnels.
- Tu veux dormir ?
- Tu vas rester avec moi ?
Ce n'était pas une demande déguisée mais bien une vraie question. Taehyung fronça les sourcils alors qu'il ouvrait un tiroir de sa table de nuit.
- Oui. Sauf si tu préfères rester seul.
- J'en sais rien.
- Alors je reste.
Comme pour conclure, il s'installa sur le lit par-dessus les couvertures, le dos appuyé contre l'armature en bois et fouilla dans le petit sac en tissu qu'il venait de sortir. Je savais qu'il était en train de rouler un pétard alors j'allai ouvrir la fenêtre avant de revenir près du lit pour m'y asseoir moi aussi.
- Vous consommez d'autres drogues ?
Taehyung ne leva pas les yeux de son ouvrage, s'appliquant à faire un petit tube de carton en guise de filtre.
- Oui. Principalement Yoongi et moi.
On aurait dit qu'il me parlait d'un régime alimentaire tant il était désabusé. Je n'étais pas étonné non plus, remarquez.
Je quittai mes chaussures et vins m'asseoir en tailleur face à lui, la tête reposant contre le mur à ma gauche.
- Comme quoi ?
- MDMA, champi, parfois de la ké aussi. Surtout Yoongi, moi je préfère le LSD.
- Souvent ?
Taehyung sourit en coin et me lança un regard tout en léchant sa feuille slim pour la coller.
- A ton avis ?
- Je ne crois pas vous avoir déjà vu sous emprises de drogues dures... Alors non ?
Il rit légèrement, son pétard au coin des lèvres et il l'alluma, soufflant la fumée dont j'avais commencé à apprécier l'odeur en répondant.
- Pourtant si, tu nous as déjà vus ainsi. A l'anniversaire de Yoongi, j'étais défoncé au LSD. Lui tournait à pas mal de merde, il fait jamais gaffe... Jimin est souvent sous MD, pour ça qu'il est une vraie chaudière sur pattes, ça le rend tactile et très entreprenant. Hoseok et Namjoon sont plus tranquilles, ils restent principalement à l'herbe sauf en cas exceptionnel. Et Seokjin...
- Seokjin ?! le coupais-je, éberlué.
Autant je n'avais pas été surpris d'entendre le petit régime de chacun des garçons, autant savoir que Seokjin aussi avait ce genre de consommation... Taehyung pouffa en hochant la tête.
- Tu le sais maintenant, il a fréquenté le Melancholic Paradise lui aussi dans le passé. Mais il restait calme, il prenait des trucs qu'avec Namjoon.
- Et vous n'avez pas peur de mourir ?
Ma naïveté certainement le fit rire et je fronçai les sourcils en signe d'agacement. Malgré son hilarité, Taehyung passa une main sur ma cuisse comme pour me rassurer alors qu'il secoua la tête.
- Non, aucun risque. Et puis, au pire... Il y a tellement de choses qui peuvent nous tuer à tout instant. N'est-ce pas mieux de partir en pleine montée d'euphorie ?
- Du peu que je sais, les overdoses sont loin d'être un moment agréable à passer.
- On fait attention, Jungkook, dit-il en tapotant son joint dans un petit cendrier à côté du lit. Tu sais, on a une règle toute simple entre nous...
- Sans blague, marmonnais-je. Et c'est quoi ?
L'œil amusé de Taehyung s'arrêta sur moi une seconde.
- Vivre. Parce que si l'on vit, on ne peut pas mourir. Pas vraiment...
- Ça ne veut rien dire.
- C'est parce que tu n'arrives pas à voir au-delà de mes mots. C'est là qu'est la clef.
Je sentis une boule d'agacement monter dans ma gorge. Il me renvoyait encore sur ce sujet-là ? Je comprenais ses doubles sens, je n'étais pas abruti mais je commençais à saturer de le voir uniquement me parler en énigme et en métaphore. Règles à la con... Pensais-je avant de me redresser pour lui faire face.
- Et c'est quoi, cette putain de clef ? Lâchais-je. Tu ne veux pas tout me balancer directement, au moins je saurais à quoi m'en tenir ? C'est quoi Taehyung ? Un jeu de piste ? Qu'est-ce que je vais trouver au bout ?
- La liberté, rétorqua-t-il de but en blanc sans réfléchir. La vie.
- Ici ? Rallais-je en désignant la pièce de mon bras. La liberté est ici, dans ta chambre impersonnelle et dans ton bar remplis de rejetés de la société ? Coincée entre les quatre murs du Melancholic Paradise ? Laisse-moi rire.
Je sentis que je l'avais perturbé avec mon brusque changement d'attitude puisqu'il me regarda longuement, comme s'il n'avait pas compris un traître mot de ce que j'avais dit. La cendre tomba sur le drap immaculé entre nous mais Taehyung ne s'en importuna pas. A la place, il fronça d'abord les sourcils avant de, doucement, poser son pétard dans le cendrier et me dire d'une voix douce.
- Tu n'es pas très patient, Jungkook...
Il releva les yeux vers moi et je retrouvai enfin son sourire sincère. Je ne décolérai pas mais je devais avouer que le tressautement dans ma poitrine était agréable. Il y eut un silence, puis il soupira en se redressant hors du lit.
- Viens.
- Où est-ce qu'on va ?
- Te montrer à quoi ça ressemble, la liberté. Tu n'es pas fatigué ?
Je m'en voulais de changer d'émotions toutes les deux secondes, je m'énervais à l'aduler, puis le détester, puis être fasciné par sa personne. Je ne pouvais tout simplement pas lui dire non, pas quand il me regardait ainsi et j'étais persuadé qu'il y avait une règle pour cela.
- Règle numéro 9 : quand Taehyung te propose de vivre une aventure, ne dis jamais non. C'est ça ?
Son beau rire cristallin envahit la pièce alors que je me levai, acceptant donc de le suivre où il le voulait.
- Elle n'existait pas, mais elle me plaît beaucoup. Je la rajoute sur ma liste.
- Tu en as encore beaucoup d'autres ?
Il avait repris son pétard qu'il maintenait au coin de sa bouche et nous sortions tous les deux de la chambre pour reprendre la direction des escaliers.
- Des tonnes. Mais tu arrives bientôt à la fin de celles qui te concernent.
Je n'avais pas pu lui répondre, la musique du Melancholic Paradise nous arrivant de plein fouet. L'endroit était bondé, c'était l'heure d'affluence mais ça n'empêcha pas Namjoon, derrière le bar, de nous voir filer vers la porte.
- Hey ! Cria-t-il. Vous allez où ?
- Vivre Namjoon, vivre ! Lui répondit Taehyung en se retournant à peine, riant aux éclats pour une raison inconnue alors qu'il se glissait parmi la foule jusqu'à la sortie.
Je ne l'entendais pas, mais je pouvais facilement deviner le soupire de Namjoon dans mon dos alors que je suivais Taehyung jusqu'à la porte. Le vigile nous salua poliment, comme d'habitude alors que l'air frais de l'extérieur me fit frémir d'un coup. Il était chaud mais le léger vent sur mes bras nus me déclenchait des frissons.
Taehyung sortit une clef électronique de sa poche et appuya dessus. Un bip sonore résonna dans la rue calme et il se dirigea vers un 4x4 en piteuse état, parsemé d'éclat de boue, en sifflotant. J'eu un instant de recul en le voyant monter à la place conducteur.
- Je ne crois pas que ce soit raisonnable que tu conduises dans ton état.
Pour toutes réponses, il secoua la tête en levant les yeux au ciel et se penchant pour m'ouvrir la porte de l'intérieur. Je le regardai sans bouger d'un pouce. Mon cœur avait recommencé à battre un peu trop fort.
- Allez Jungkook, ne soit pas flippé.
- Tu n'es pas en état.
- Je t'assure que si ! Tu...
Il ne continua pas sa phrase et me contempla étrangement, comme s'il venait de comprendre quelque chose. Un duel de regard s'engagea entre nous et, sans que je ne rajoute quoi que ce soit, il hocha la tête pour lui-même en continuant d'une voix se voulant rassurante.
- Je connais la route par cœur. On ne restera pas longtemps en ville, d'ailleurs, une grande partie de la route se fait sur des chemins. Tu ne crains rien. Tu me fais confiance ?
Je ne devrais pas lui faire confiance. Pas après les mensonges, les non-dits, les mystères et surtout son état qui n'était pas normal. Mais pourtant, à nouveau, cet étrange sentiment refit surface et je me m'y à croire tout ce qu'il me disait. Parce qu'au fond de moi, au plus profond de mon âme, j'avais senti qu'il avait comprit quel était mon vrai problème. Et ça me suffisait à lui accorder ma confiance.
Alors, je grimpai dans la voiture, claquant la porte derrière moi et le petit sourire de Taehyung réchauffa l'habitacle.
- Tu ne le regretteras pas.
Il était tard dans la nuit. Je n'avais pourtant aucune idée de l'heure, j'avais l'impression que cette soirée avait durée des siècles et j'avais le sentiment que ce n'étais que le début. Nous traversions la route endormie à une vitesse raisonnable, Taehyung chantonnait à voix basse alors que j'avais appuyé ma tête contre la vitre et regardait les lumières de lampadaires défiler sous mes yeux. Je n'aurais jamais imaginé que les quartiers reculés de Daegu soient si jolis dans la pénombre. Les enseignes lumineuses ressortaient vivement et créaient des halos de couleurs tout le long de notre périple. J'oubliais que j'étais dans une voiture avec un garçon à moitié stone qui m'emmenait en pleine nuit dans un endroit inconnu. Toute cette histoire sonnait mal mais pourtant, je me sentais bien. Je n'avais plus peur.
- Tu sais comment je me suis fait ma cicatrice ?
Taehyung arrêta de chanter et secoua la tête.
- Dis-moi.
- J'étais en Espagne pour les vacances. Là-bas, ils organisent ce qu'on appelle des lâchés de taureaux dans les villes. Les habitants aiment beaucoup courir avec eux dans les rues et parfois, il y a des accidents. Ce fût mon cas. Un taureau m'a foncé dessus, c'était le plus gros et le plus robuste du groupe. Sa corne s'est enfoncée dans ma jambe et l'a entaillé alors qu'il avait redressé la tête pour m'envoyer valser deux mètres plus loin.
Taehyung se mit à sourire, d'un sourire incroyable, presque solaire. Je me sentais bien.
- Tu commences à comprendre, Jungkook. Ça fait du bien ?
Je l'avais regardé un instant, détaillant son profil parfait et son sourire qui ne le quittait pas et je hochai la tête en reprenant ma place initiale.
- Oui. Beaucoup de bien.
La réalité n'est pas intéressante. Le quotidien n'est pas salvateur. Mais l'imagination, le rêve, la fantaisie... ça, ça l'était. Et maintenant que ma cicatrice était dû à un accident de taureau ou à une altercation dans la secte où j'étais ou à une mésaventure dans la jungle, je n'avais plus peur. Ou un peu moins.
Nous quittions la ville pour nous approcher des bourgades aux alentours. Taehyung ne dit plus rien durant le reste du trajet et moi non plus. Le silence n'était pourtant pas désagréable et apportait une drôle d'atmosphère à cette nuit déjà extraordinaire, dans le sens premier du terme. Les lumières se faisaient moins présentes, les maisons aussi et bientôt, Taehyung quitta la route pour rouler sur un chemin terre qui longeait une forêt.
Même dans l'obscurité, il semblait parfaitement savoir où il allait et je n'avais pas peur de m'enfoncer ainsi dans la campagne déserte. On y voyait bien mieux les étoiles.
Le chemin se sépara en deux. A droite, il s'enfonçait dans la forêt. A gauche, il formait une ligne droite au milieu d'un champ de maïs peut-être, je n'arrivais pas à les identifier. Taehyung prit celui-là et accéléra quelque peu l'allure. La fenêtre ouverte, je laissais mes doigts frôler les plantes alors que, peu à peu, une bâtisse se dressait devant nous.
Il se gara devant et mon regard ne quitta pas ce que j'avais sous les yeux alors que je mettais bien à terre. Sous mes yeux, une grange imposante toute en brique se tenait là. Elle ne semblait pas en parfait état, deux fenêtres du rez-de-chaussée manquaient, la grande porte en bois tapait à un rythme régulier contre le mur et, par certains endroits, des plantes grimpaient et se faufilaient entre les briques. Pourtant, malgré son aspect fantasmagorique, je tombai immédiatement amoureux de l'endroit.
- Bienvenu au Melancholic Paradise, Jungkook.
Je n'avais même pas entendu Taehyung arriver à ma hauteur. Surpris, je tournai la tête vers lui en haussant un sourcil.
- Melancholic Paradise ? Répétais-je.
Taehyung hocha la tête, les mains sur ses hanches.
- Oui. Tu as devant toi le vrai Melancholic Paradise. Celui que tu connais n'est qu'un monde factice, tu l'as bien compris. La liberté qu'il y a là-bas n'est autre que fabriqué de toute pièce, elle est temporaire. Alors qu'ici... Ici, elle existe pour de vrai.
Je ne comprenais pas un traitre mot de ce qu'il disait. Cette grange pourrie – aussi singulière soit-elle – était le Melancholic Paradise ? C'était plutôt tout l'opposé. Taehyung remarqua que j'étais perdu mais il n'en tint pas compte et tapa dans ses mains avec un air enjoué.
- Allez viens, je te fais visiter !
Il se dirigea vers la porte branlante, moi sur ses talons et tâtonna un instant sur le mur à l'intérieur avant de trouver l'interrupteur et d'illuminer l'endroit. Il n'était composé que d'une seule et même pièce qui faisait toute la surface de la bâtisse, un bon 100 mètres carré à vue d'œil. Les murs et le sol étaient en bonne état mais il n'y avait absolument aucun mobilier, rien, à part un escalier dans le fond à droite qui menait à l'étage.
- Cet endroit appartenait à mon père, dit-il en s'avançant dans la pièce. Il appartenait encore avant ça à un oncle éloigné de la famille qui était agriculteur. Mon père en a hérité mais il ne s'en est jamais servie. Il ne voulait pas s'en débarrasser non plus, il avait plein de projet pour le lieu mais aucun n'a vue le jour.
Je m'avançai dans la pièce, inspectant chaque recoins avec un intérêt grandissant mais aussi une sorte d'incompréhension.
- Et maintenant... Qu'est-ce que tu veux en faire ?
- Tu sais ce qu'est la libre pensée, Jungkook ?
Je secouai la tête, ne voyant toujours pas le rapport et ayant l'étrange impression que Taehyung divaguait d'un sujet à un autre sans transition. Il sourit pourtant en venant près de moi.
- La libre pensée, c'est l'idée que ce que tu penses, ce que tu fais, ce que tu aimes, ce que tu n'aimes pas n'est pas dicté par un quelconque facteur extérieur. Par exemple : crois-tu en Dieu ?
- Non, répondis-je aussitôt.
- J'imagine que tu ne viens pas d'une famille croyante alors ?
J'acquiesçai et il continua.
- Tu as été élevé dans un certain cadre où la religion n'avait pas sa place, donc tu n'y adhères pas. Pourquoi ? Parce que tu l'as choisi ou parce tu as subi ? C'est un exemple parmi tant d'autres, ça peut aussi bien porter sur tes convictions politiques, tes goûts musicaux, tes qualités ou tes défauts... On remarque souvent qu'un enfant reproduit le schéma familiale et, s'il n'en a pas, s'accroche à ce qu'il voit autour de lui, dans le quartier où il grandit ou à la télévision. C'est pour cela qu'il est difficile, voire quasi impossible d'échapper à sa condition. C'est pour cela malheureusement que, la plupart du temps, les catégories sociaux-culturels ne changent pas de générations en générations. Tu auras plus tendance à voir un garçon devenir médecin si son père l'est avant lui, n'est-ce pas ? Alors qu'un fils de paysan deviendra très certainement paysan à son tour.
- Et la libre pensée, dans tout ça ? Dis-je en essayant de suivre du mieux possible.
J'avais toujours du mal à m'accrocher quand Taehyung partait dans ses débats à sens unique mais je faisais mon possible pour comprendre car je trouvais ça fascinant. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un d'aussi intéressant et passionné dans le passé.
- J'y viens, répondit-il en me faisant un clin d'œil. Ce que je veux dire, c'est que l'on se croit libre mais on l'est rarement. C'est comme ce que je t'expliquais l'autre fois avec l'histoire du feu rouge : tu es conditionné. Et moi, ce que je veux, ce dont je rêve... C'est d'avoir une pensée libre, qui n'est en aucun cas guidé par mon passé ou par des influences extérieures.
- C'est ce que vous faites déjà avec les garçons, non ? Vous vivez avec vos propres règles ?
- On peut dire ça comme ça, sourit-il. Mais ce n'est pas assez pour moi. Je veux plus. Et ça...
Il désigna la pièce autour de lui d'un air fier.
- Ça, c'est ma pensée libre.
- Te reclure dans une grange en ruine ?
Il leva les yeux au ciel, faussement agacé.
- Tu ne comprends pas. Je veux créer un monde dans ce lieu, un monde à part entière où l'on reviendra aux principes fondamentaux. Vivre et se laisser vivre. Je suis convaincu que l'humain n'est pas fait pour travailler toute sa vie comme un chien et espérer couler des jours heureux en attendant la mort. Je refuse de penser ainsi. Je prône l'anticonformisme, l'opposition aux normes et là... Là, on rejoint la pensée libre. Tu me suis toujours ?
Je hochai quand même la tête pour faire bonne impression mais cela commençait à faire beaucoup pour mon esprit. Taehyung le remarqua et il rit doucement.
- Je m'emporte parfois quand je parle de mes convictions.
- Ne t'excuse pas, tu es magnétique. Je ne suis juste pas aussi cultivé que toi.
Une émotion inconnu traversa son regard l'espace d'un instant et un air satisfait se dessina sur son visage.
- Tu es cultivé, ne dis pas n'importe quoi.
Il se trompait lourdement, j'étais loin d'avoir son intelligence mais je le laissais dire, continuant de faire le tour de la pièce jusqu'aux escaliers que je me refusai à emprunter à la vue de leur état.
- Et donc... Repris-je. Que veux-tu faire, ici ?
- Un endroit où, enfin et pour toujours, Yoongi, Jimin, Namjoon, Seokjin, Hoseok et moi pourront vivre comme nous l'entendons.
- Ce n'est pas déjà le cas ?
J'essayais de ne pas me laisser submerger par la déception de ne pas avoir entendu mon prénom parmi la liste, cela venant confirmer une fois de plus que, même si j'étais impliqué dans tout leur bordel, je ne faisais pas vraiment partie de leur monde.
- La libre pensée, Jungkook, répéta-t-il avec un air malicieux. On dirait, mais ce n'est pas vrai. Ça a pris beaucoup de temps pour eux de comprendre ça. Seokjin est en plein dans cette acceptation-là. Nous n'attendions que lui.
Je hochai la tête, faisant mine de m'intéresser au bois des marches de l'escalier jusqu'à ce que je sente Taehyung approcher dans mon dos, puis son souffle s'échouer sur ma nuque. Des frissons marquèrent ma peau.
- Que lui... Et toi.
- Moi ?
Je me retournai et fit face à Taehyung et à ce même regard envoutant qu'il m'avait dédié un peu plus tôt alors que je voulais m'enfuir du Melancholic Paradise.
- Oui, toi.
- Comment ça ? Vous saviez que je viendrais ? Vous...
La lumière se mit à grésiller au-dessus de nous, s'allumant et s'éteignant par à-coup et Taehyung soupira.
- Elle déconne encore... Viens.
Il m'entraîna à sa suite à l'extérieur de la bâtisse, éteignant derrière lui avant de se diriger vers la voiture. Je croyais que nous allions quitter l'endroit alors j'ouvris la porte mais Taehyung me fit signe de m'arrêter. Il alluma les phares et, au lieu de grimper sur le siège conducteur, il escalada le capot de la voiture pour monter sur le toit solide du 4x4, m'invitant à le rejoindre en me tendant la main. Je le rejoignis non sans effort et m'installai sur la tôle à côté de lui. Il avait tout juste la place pour nous deux et nos genoux se frôlaient. Le ciel était incroyable au-dessus de nous.
- J'ai peur d'aller trop vite, reprit-il en regardant les étoiles. Je crois que n'ai pas le bon rythme avec toi. J'avais fait l'erreur avec Seokjin dans le passé, mais je n'étais pas autant impliqué. Je ne devrais pas te montrer tout ça, te dire tout ça...
Il eut un rire sans joie puis tourna la tête vers moi.
- Je ne t'attendais pas toi, à proprement parler. Mais c'est une évidence Jungkook, tu ne crois pas ?
Je me perdais dans son regard, secouant à peine la tête pour répondre.
- Je ne comprends toujours rien...
- Il faut que tu découvres tout ça par toi-même. Je ne peux pas te le dire, j'en ai trop fait et j'ai besoin d'être sûr que je ne me trompe pas. Mais tu es sur la bonne route, je te l'assure...
- Il y a quelque chose qui vous lie tous le six, n'est-ce pas ?
Soudain, le regard de Taehyung se mit à briller d'un éclat incroyable et je su que j'avais eu juste. Je m'étais souvenu d'un seul coup d'une conversation entre Seokjin et Namjoon où le premier parlait de cela justement et j'en étais sûr désormais, c'était là, la clef.
- Exactement.
- Tu me jures que ce n'est rien en rapport avec des vampires, des loups garous ou des trucs chelou comme dans les films ?
Il pouffa bruyamment et secoua la tête.
- Je te le jure Jungkook, ce n'est rien de tout ça. C'est bien réel.
- Et... J'ai un rapport avec ça ? Je fais partie de... Ce truc, moi aussi ?
Taehyung ne répondit d'abord pas, laissant ses yeux se perde dans les miens avant que, d'une voix aussi douce qu'un souffle, il ne me réponde à demi-mot.
- Je l'espère...
Il faisait sombre mais, pourtant, j'arrivais à le voir comme si nous étions en plein jour. La lune se reflétait dans ses grands yeux de chats et son visage était dégagé grâce au doux vent qui faisait voleter ses mèches bleues en arrière. Je n'avais jamais, jamais vu un humain aussi irréel et j'avais du mal à croire que c'était moi, en cet instant, qu'il dévorait du regard.
La chaleur apaisante et douloureuse dans ma poitrine refit soudainement surface et j'eu un déclic.
- C'est maintenant, n'est-ce pas ?
- De quoi ?
- Le bon moment.
Il avait juste souri mais pourtant, j'avais pu remarquer sa poitrine se gonflant de plaisir. Lentement, il enfonça sa main dans sa poche et en sortit, pour ma plus grande surprise, une petite pierre pas plus grosse qu'un abricot. Il me la tendait et je l'ai pris du bout des doigts en fronçant les sourcils.
- C'est une pierre de lune, m'expliqua-t-il.
Je savais à quoi ressemblait une pierre de lune, et le caillou informe qu'il m'avait offert en était loin mais c'était aussi ça, Taehyung. Ce que certains pouvaient qualifier de mensonge étaient pour moi les plus belles histoires qu'il m'avait été donné d'entendre et je préférais mille fois croire en lui plutôt qu'à la réalité. J'ai donc souri aussi.
- Elle est très jolie.
- Fais un vœu, Jungkook.
J'acquiesçai en hochant la tête et fermai les yeux, serrant très fort dans ma main la petite pierre alors que je formulais mon souhait avec la plus grande concentration. Plus je serrais la pierre, plus j'y croyais fort et, comme après tout la vie n'est qu'une succession de miracle et que c'était le bon moment, Taehyung exauça mon vœu en venant poser ses lèvres contre les miennes.
Quand quelque chose dépasse l'entendement, on dit souvent que le cœur s'arrête de battre un instant et créer une sorte de pause dans notre système nerveux. Je pense que c'est exactement ce qu'il s'est passé à ce moment-là. Mon corps s'est mis sur pause tout simplement, parce que ce que je vivais, ce que je ressentais était tout simplement trop pour lui. Je n'avais jamais été le genre de garçon à rêver de romantisme ou bien à croire à l'épanouissement d'une vie auprès de quelqu'un. Je n'avais jamais voulu vraiment m'engager, fuyait la dépendance affective et ne m'autorisais que très rarement à ressentir. Pourtant, à cet instant, alors que mon esprit venait de se remettre en marche et que je rendais avec toute ma force et ma passion son baiser à Taehyung, je commençais à y croire. Plus que ça même, j'en étais certain. Je ne l'avais pas cru quand il m'avait dit qu'un baiser entre nous changerait ma vie et, même si je n'avais aucune idée de quoi serait fait demain je comprenais pourtant qu'il avait eu raison sur toute la ligne, depuis le début. Il changeait ma vie. Il la changeait et je n'étais absolument pas préparé à ça. C'était une évidence mais j'avais peur. Peur... Peur ? Si j'avais peur, ça en valait la peine, non ?
Alors il s'est allongé sur moi, m'enivrant de son parfum incroyable et de son aura magnétique se mêlant insidieusement à la mienne et, tandis que mes mains l'exploraient de partout et que sa bouche ne pouvait pas se détacher de la mienne, deux petits mots résonnaient dans mon esprit en boucle. Deux petits mots qui, étrangement, sonnaient comme la réponse à tout... Celle que j'attendais...
« Âme sœur. Âme sœur. Âme sœur. Âme soeur. »
Après une longue absence, me revoici pour la suite de Melancholic Paradise. J'espère que cette histoire vous plais et que les réponses se dessinent petit à petit pour vous.
On se retrouve bien vite. Je vous aime, prenez soin de vous. <3
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