17. We get hurt, we cry
Le bar où exposait Yoongi était à son image : décadent, sombre, animé et artistique.
Il y avait une grande salle où se tenait une grande tablée remplie d'apéritif, de bouteilles de vins, de bières et autres mets. Des gens discutaient autour et, bien loin de l'image que j'avais des vernissages, ceux-ci, sans exception, étaient tous d'un style incroyable : du punk au gothique en passant par les ultras tatoués ou bien encore les hipsters totalement clichés. Encore une fois, j'avais bien dû mal à trouver ma place, moi qui étais l'ordinaire par excellence, mais la pression de la main de Taehyung sur ma hanche me suffisait à me sentir plus lumineux que tout le monde.
Il y avait certains tableaux exposés dans cette grande salle mais d'autres étaient aussi présent dans l'annexe du bar, où se trouvait également un tatoueur qui exerçait ce soir-là. Je me demandais bien qui pouvait avoir l'idée stupide de se faire un tatouage dans ces conditions...
J'avais eu envie d'aller voir de plus près les œuvres de Yoongi mais Taehyung m'avait d'abord incité à me rendre vers le buffet pour me servir un verre de vin rouge.
- Je préférerai avoir une bière... Grommelais-je en regardant le liquide pourpre dans mon verre à pied.
Taehyung sourit en remplissant le sien puis reposa la bouteille, faisant tournoyer l'alcool avec agilité en haussant un sourcil.
- Goûte avant de dire quoi que ce soit. C'est un breuvage qui se savoure.
Pour appuyer son propos, il leva le verre face à un néon afin d'en accentuer la couleur. Il fronça les sourcils en l'observant, concentré, avant de déclarer :
- Une robe aux légères teintes marbrés, une touche d'orange...
Il porta le verre et le renifla avec attention sous mes yeux admirateurs.
- Boisé, conclu-t-il. Des notes de verdures, d'herbes fraîchement coupées. Typique d'un bon Cabernet Franc.
Impressionné, je tentai de l'imiter en portant le verre pour sentir l'alcool mais le seul adjectif qui me vint fût seulement : odeur de vin rouge. Agacé, je lançai un coup d'œil à la bouteille et un léger rictus apparut sur mes lèvres.
- Cabernet Franc, hein ?
- Absolument, répondit Taehyung avec aplomb.
- Je trouve qu'il a plutôt un goût de Merlot, ton Cabernet...
Pour se justifier, je pointai la bouteille du menton à Taehyung qui se contenta de sourire avec malice, buvant une gorgée de vin au passage, avant de tout simplement hausser les épaules.
- Peut-être ai-je envie d'être œnologue ce soir...
- Ça me semble mal parti, tu n'as l'air de rien n'y connaître en vin.
- Exact. C'est la deuxième fois que j'en bois en vérité. Mais faisons mine d'y croire un peu...
Joueur, il me gratifia d'un clin d'œil et je souris simplement en buvant moi aussi une gorgée de mon verre. Message reçu. Ce soir, Taehyung et moi étions en couple depuis des années et il était œnologue. Tout était absolument normal.
Yoongi surgit soudainement à côté de nous, interrompant notre petit jeu de regard, pour poser la main sur mon épaule et me la serrer chaleureusement.
- Hey Kookie ! Content que tu sois là. Ça te plait ?
Je hochai vivement la tête en lui offrant une œillade amicale.
- C'est magnifique, vous avez fait du super boulot avec cet endroit.
- Ravi que ça te plaise. Si tu as des questions sur l'expo, certains tableaux, ou même le thème, n'hésite surtout pas. Tout ici est exposé d'une façon bien précise, qui suit une logique, c'est plus sympa d'en comprendre le sens.
- Oh, il y a un thème ?
Je n'avais pas remarqué qu'il y en avait un. Je jetai un furtif coup d'œil autour de moi pour apercevoir certaines toiles avec un air dubitatif. Je reconnaissais vaguement la patte de Yoongi mais j'avais alors cru qu'il ne s'agissait que d'une simple exposition, pas que tout était pensé et réfléchie. Taehyung eut un petit rire alors que Yoongi se contenta de sourire.
- Oui, le thème est : « les mémoires akashiques ».
Encore un nouveau terme. Habitué désormais à ne pas comprendre la plupart des mots que les garçons employaient, j'attendis patiemment l'explication
- Taehyung ? Dit Yoongi en se tournant vers lui. Tu veux traduire ?
L'intéressé secoua délicatement la tête.
- Je te laisse le soin de la faire. Après tout, c'est ton travail.
Yoongi acquiesça avec un sourire et se concentra sur moi. Il vint à ma droite et m'indiqua le symbole d'un arbre au-dessus de la porte du bar :
- Tu vois cet arbre ? On l'appelle Samauma, ou l'arbre de vie, symbole d'un héritage naturel mais aussi culturel pour les peuples indigènes en Amazonie. Il est le lien entre le passé, le présent et l'avenir. C'est l'arbre de la mémoire, si tu préfères. J'ai voulu le mettre sur l'entrée car, quand on pénètre ici, au cœur de l'exposition, on se retrouve à voguer entre ces trois espaces temps. C'est un peu le principe des mémoires akashiques. En gros, ces mémoires enregistrent et stockent toutes les information du passé, du présent, et des potentiels futurs, comme un énorme ordinateur collectif qui regroupe les émotions mais aussi le vécu humain. En sanskrit, le mot « âkâsha » veut dire substance primordiale : le temps, en général, est donc l'essence même de ce que nous sommes, passé, présent et futur confondus.
J'étais persuadé que le cerveau, comme tout autre muscle du corps, prenait de la puissance et de la vigueur quand il était stimulé. A force d'entendre les discours compliqués des garçons, je me mettais maintenant à les comprendre de plus en plus vite et celui de Yoongi me parut tout à fait limpide alors que, j'en étais certain, je n'y aurais rien compris deux mois en arrière. Subjugué, je hochai la tête alors que Yoongi me désigna l'ensemble de la pièce d'une main.
- L'expo est découpée en trois pièces : ici, tu es dans le passé. Les œuvres qui s'y trouvent reflètent un temps qui n'existe plus. La pièce au fond, où Kumi est en train de tatouer, est la pièce du présent. Et dans la cours, à l'arrière du bar, c'est l'endroit où se trouve le futur.
- C'est incroyable... Soufflais-je, réellement impressionné que Yoongi ait pu monter un tel projet aussi intéressant. Il y a donc un ordre de visite ?
Un sourire se dessina sur son visage alors qu'il lança un coup d'œil à Taehyung.
- Tu ne lui as donc rien appris sur le temps ?
Pour toute réponse, Taehyung haussa les épaules en se remplissant un nouveau verre de vin rouge.
- Je lui ai dit de lire la théorie du Temps de Hawking mais je ne crois pas qu'il ait commencé...
- Hé ! Protestais-je. J'ai commencé ! C'est juste... Difficile.
- Je sais, me rassurait-il immédiatement en remettant sa main autour de mes hanches. Disons juste, pour faire court, que le temps, tel que nous le connaissons, n'existe pas.
Etonné, je haussai un sourcil.
- Il dit vraiment ça, Stephen Hawking ?
- Il le suppose. Il parle de l'espace-temps euclidien qui ne fait pas de différences entre la direction temporelle et les directions spatiales alors que dans notre espace-temps, il est aisé de les distinguer. On peut donc supposer que l'espace-temps euclidien est la vérité absolue et que donc notre temporalité réelle n'est rien d'autre que le fruit de notre construction humaine... S'interroger sur le temps, c'est d'abord penser avec notre condition d'humain, et donc questionner le sens de notre vie.
Un léger silence s'installa entre nous, comme si chacun prenait le soin d'enregistrer et digérer ce qu'il venait de se dire avant que je ne boive une nouvelle gorgée de vin rouge en répondant :
- Je n'en demandais pas tant mais... Merci ?
- Avec plaisir.
Yoongi éclata alors d'un rire sourd et me tapa franchement dans le dos.
- Te prends juste pas trop la tête, Kookie. Balade-toi, bois des coups et amuse-toi.
Et sur ces paroles, il me gratifia d'un sourire avant de s'éloigner de nous pour retrouver Jimin qui venait de pénétrer dans le bar et qui vint immédiatement l'enlacer, lui offrant un baiser digne des plus grands moments de cinéma. Je souris inconsciemment à cette vue en disant pour moi-même.
- Jimin est véritablement sa muse...
- Je ne te le fais pas dire, suffit de jeter un coup d'œil autour de nous.
Je suivis son regard et réalisai en effet que la plupart des œuvres dans la pièce représentait plus ou moins Jimin dans de multiples formes. J'étais d'ailleurs étonné de le voir dans la pièce « passé », j'imaginais plutôt que Yoongi l'aurait mis dans le présent ou même dans le futur mais l'artiste devait bien avoir ses raisons...
- Je vais faire un tour, dis-je finalement à Taehyung en me resservant un nouveau verre de vin que je commençai à apprécier. Tu viens ? Je vais avoir besoin de tes connaissances en matière d'histoire de l'art pour comprendre.
Taehyung m'offrit un sourire adorable alors que nous quittions le buffet pour démarrer la visite dans le sens de départ.
- Ce que j'aime, avec l'art c'est que même si l'artiste avait une volonté de faire passer un message ou une émotion avec son œuvre, le plus intéressant reste à mes yeux comment nous la recevons.
- Même si je n'y connais rien ? M'enquis-je alors que j'approchais de la première œuvre.
- Surtout si tu n'y connais rien.
Il glissa dans mon dos, collant un instant son corps au mien et souffla à mon oreille alors que mes yeux étaient rivés sur le premier tableau.
- Laisse-toi juste guider par tes émotions...
Je hochai la tête, sans lui jeter un coup d'œil, prenant sur moi pour me concentrer et m'intéresser au travail de Yoongi.
La première toile représentait Jimin et ses cheveux, mêlés au soleil, se confondait, comme s'ils ne formaient plus qu'un. Il avait l'air d'être sur une plage, de face, une étendue d'eau derrière lui, et un animal que je devinais être un chien à ses côtés. Tout cela était très subjectif mais je tentai par tous les moyens de faire carburer mon imagination car Yoongi avait un style très à lui et bien loin du réalisme.
En arrivant devant la deuxième toile, je me rendis alors compte que tout le pan de mur était en fait dédié à Jimin. Il ne s'agissait que des portraits du garçon et je trouvais cela touchant au-delà de l'inimaginable que Yoongi ait voulu dédier une si grande partie de son exposition à l'amour de sa vie. Je fis donc face à l'image d'un Jimin sous forme de portrait, dans une forêt clairsemée, tourbillonnant au milieu de lumière céleste, de racines et de feuillages. A côté, j'eu droit à un Jimin plus réalise, qui semblait marcher sur un grand pont que je devinais être le pont de San Francisco – choix étrange mais intéressant – et qui regardait par-dessus son épaule, emmitouflé dans un gros manteau de velours. J'arrivai ensuite devant le tableau de Jimin que j'avais déjà vu chez Yoongi, celui où il était en pleine orgasme et qui bouillonnait littéralement d'amour et de luxure. Puis, enfin, le dernier de la série arrivait. C'était à nouveau Jimin mais, cette fois, il avait plusieurs visages, comme s'il était dédoublé en une petite dizaine de personne, comme si on l'avait pris en photo mais qu'il avait bougé à de nombreuses reprises. C'était troublant, presque effrayant, et les expressions du visage de Jimin passait du rire aux larmes, à la joie, la peur, la douleur puis la sérénité. Je n'avais aucune idée du talent monstrueux qu'il fallait pour réaliser une telle œuvre, mais j'étais admiratif du talent de mon ami. Je sifflai d'ailleurs pour le montrer à Taehyung.
- Il est incroyable...
- N'est-ce pas ? Dit-il avec un sourire dans la voix.
- C'est définitivement ma préférée de la série, répondis-je en indiquant la dernière toile de Jimin aux multiples visages. C'est drôle d'ailleurs que Yoongi lui ait fait les cheveux roux, ça lui va bien ! On dirait Peter Pan !
A ces mots, je sentis la main de Taehyung se crisper doucement autour de ma hanche et je levai les yeux vers lui, curieux. Il baissa les siens sur moi et me rassura d'un sourire.
- J'ai des théories très intéressantes sur Peter Pan. Je t'en parlerai un jour.
- Peter Pan ? répétais-je, surpris. Le dessin animé ?
- Le personnage, l'œuvre en général et sa philosophie. Mais passons, tu en as déjà assez ingéré pour ce soir.
Complètement d'accord, j'acquiesçai donc du menton avant de me diriger vers l'autre pan de mur où se trouvaient des toiles plus subjectives. Il s'agissait notamment d'émotions que Yoongi avait voulu transposer m'avait expliqué Taehyung. A chaque fois, je ne voyais pas trop où il voulait en venir avec ces formes imprécises mais je trouvais l'esthétique terriblement joli. Je tombai ensuite sur une toile en format paysage où il y avait plusieurs personnes, de dos, assise face à un immense soleil couchant qui était vert – choix surprenant, à nouveau. Je ne pu m'empêcher de sourire en l'indiquant à Taehyung.
- C'est adorable. Il vous a dessiné vous aussi.
- Tu crois que c'est nous ?
Je hochai la tête en lui pointant du doigt le tableau.
- Ça me semble évident, regarde, vous y êtes tous ! Un, deux, trois, quatre, cinq... Six... Sept ? Sept ?
Ma voix avait légèrement baissé de volume alors que je venais de froncer les sourcils et m'approchai de la toile pour mieux voir. Oui, aucun doute, il y avait bien sept personnes sur le tableau. Si je ne pouvais pas distinguer qui était qui, pourtant, j'avais la conviction intime qu'il s'agissait là des garçons et mon cœur se mit à battre un peu plus fort en voyant la date inscrite au coin de la toile :
Mars 2018.
Nous étions en 2013.
Qu'est-ce que cela voulait dire ?
Je me tournai alors vers Taehyung, perdu, et celui-ci sembla comprendre immédiatement ce qui me traversait l'esprit. Il hocha alors les épaules en me faisant un vague signe de main.
- Yoongi aime bien mettre des dates qui ne veulent rien dire, tu n'as pas remarqué sur les autres tableaux ?
- Mais... Balbutiais-je, hagard. C'est... C'est nous, Taehyung. C'est moi, avec vous. Dans la pièce du passé. Alors qu'il y a inscrit 2018. Ça n'a pas de sens... Yoongi avait dit qu'il avait réfléchi à tous les détails, mais ça ne veut rien dire...
- Tu es sûr ?
Son air sûr de lui me laissa presque indifférent. Pire, il me laissa un goût amer, comme si j'en avais marre de savoir qu'il avait les réponses mais qu'il ne me disait rien. Il ne me disait jamais rien. Sans le prévenir, je fis alors volteface et retournai au début de l'exposition en bousculant quelques personnes au passage. Taehyung ne me suivit pas mais je n'en eu que faire. Je m'arrêtai devant la première œuvre de Jimin. Celle où il était blond devant le couché du soleil.
2020.
La suivante, Jimin dans la forêt.
2017.
Jimin sur le pont de San Francisco.
2015.
Jimin aux multiples visages.
2017-2018.
Ça n'avait pas de sens.
Ça n'avait aucun putain de sens.
Pourquoi mettre des dates du futur dans la salle réservée au passé ?
Et qu'est-ce que je foutais sur un des tableaux ?
Comme si la suite de l'énigme s'imposait à moi, je vis la porte de la seconde salle s'ouvrir un instant, laissant passer un halo de lumière, avant de se refermer. Je décidai de m'y engouffrer, croisant au passage Namjoon qui me salua mais je n'en n'eus que faire et entrai donc dans la salle du présent.
La pièce était très lumineuse, j'eus même du mal à ne pas avoir immédiatement mal aux yeux, et pour cause : des dizaines de miroir étaient accrochés au mur, certains avec des dessins dessus, d'autres vides. Le tatoueur était occupé à faire un tatouage de tigre sur l'épaule d'une jeune fille et ne prit pas la peine de me lancer un regard. Je m'avançai dans la pièce, vers un miroir qui me laissa apercevoir mon reflet.
C'était moi. C'était le présent. Sans filtre, sans dessin. Rien. Juste moi, dans l'instant.
C'est à ce moment là que j'aperçus un feutre, posé sur un petit présentoir à côté du miroir et je compris alors immédiatement que les dessins étaient en fait réalisés par les gens venant voir l'exposition. J'attrapai donc le feutre noir, restant un instant suspendu face à mon reflet, avant de tracer grossièrement les contours de mon visage. Une fois fait, je me décalai légèrement, quittant la vision que j'avais de moi, ne restant alors que la trace de mon passage.
Je venais de figer dans le miroir un moment du présent qui, déjà, appartenait au passé.
Je saluai intérieurement le talent et l'intelligence de Yoongi et choisi de ne pas trop m'attarder dans la pièce. En dehors des miroirs, il y avait des croquis pour la plupart du Melancholic Paradise, bar et hangar compris, tous daté correctement, alors je me dirigeai vers la dernière pièce, ou plutôt vers la cours arrière du bar.
Il y avait une petite dizaine de personne qui se tenait là, fumant des cigarettes, verre à la main, en voguant entre les tableaux accrochés sur un portant au milieu de la cours. Il y en avait dix en tous. Sept au recto du portant, trois au verso. Je m'avançai d'abord vers la partie de droite où il n'y en avait que trois.
Il s'agissait là de plus petites toiles, format A4 maximum. La première représentait un endroit blanc, immaculé, où seules quelques touches de gris informes semblaient former un lieu bien précis. Immédiatement, je pensais au Paradis. Il n'y avait aucune date.
Le second représentait une pièce qui ressemblait à une brocante avec un gros appareil photo argentique en premier plan, dans les tons de marron. Le suivant montrait un grand manoir typiquement coréen, majestueux, et ces deux tableaux détonnaient vraiment avec le précédent style de Yoongi.
Enfin, je fis le tour du portant pour me trouver face au sept derniers tableaux. Ils étaient simples, dénués de toutes fioritures et ne représentait qu'une ébauche de quelque chose de bien précis.
D'abord, une salle de spectacle vide. Le second, un toit d'immeuble. Le troisième, un cadenas. Le quatrième, un pont au-dessus de l'eau. Le cinquième, une ruelle sombre. Le sixième, une voiture en plein phare puis, le dernier, un simple rond. Nu, basique. Un rond parfait, c'était tout.
Je ne sentis pas tout de suite la présence de Taehyung dans mon dos. Ce fût seulement quand deux mains se posèrent sur mes hanches que je réalisai qu'il était près de moi et je me tournai vers lui, tombant immédiatement dans son regard protecteur et curieux.
- Tout va bien ?
Je ne savais pas trop quoi répondre. J'étais chamboulé, mais sans réussir à expliquer pourquoi. Je haussai alors les épaules, las.
- Ça me procure de drôles d'émotions, cette expo.
- En bien ou en mal ?
Taehyung avait commencé à doucement remonter ses mains sur mes hanches pour les caresser et je me laissai aller contre lui, mon verre toujours fermement dans une main, l'autre sur son avant-bras.
- Mitigé.
- C'est tout ce qu'on t'a raconté sur le temps, couplé aux dates bizarres de Yoongi, qui t'a fait cet effet-là ?
- Oui. Ça, et le fait que je sois présent sur une des peintures appartenant au passé.
- Ne te tracasse pas, Jungkook, tenta de me rassurer Taehyung en m'offrant un sourire. Yoongi a très bien pu peindre ça la semaine dernière et le foutre dans cette salle un peu au hasard. Après tout, il y a bien tout un mur destiné à Jimin et, à ce que je sache, il ne fait pas parti de son passé...
Je méditais sur les mots de Taehyung. Dans la logique, j'étais d'accord avec lui, il n'y avait pas de quoi m'affoler. Mais, sans que je n'arrive à le formuler, je ressentais quelque chose de différent, quelque chose de puissant même face à cette exposition... Comme si, moi aussi, je venais de voyager entre le passé, le présent et le futur.
- En plus, reprit Taehyung, il a peint Jimin de mille manière, dans certaines situations qui n'ont parfois jamais eu lieu. Donc ne te focalise pas dessus, Yoongi est un artiste, il ne faut pas chercher à tout comprendre.
- Tu veux dire qu'il a inventé tous ces Jimin ?
Ma question sembla soulever un intérêt grandissant chez lui. Il prit le temps de réfléchir, m'emprisonnant un peu plus dans ses bras, et alors qu'il me berçait dans que je m'en rende compte, il répondit :
- Je ne pense pas que nous existons d'une façon unique, mais d'autant de façon qu'il y a de gens qui croisent notre route. Les perceptions de chacun modèlent une image de nous-même qui ne pourra jamais être totalement juste ou totalement identique avec une autre personne : J'existe dans ton regard d'une manière inédite et différente car nous avons une relation particulière. Si tu me décris, tu le feras en utilisant ton ressenti sur ma personne, tu ne seras pas objectif et c'est normal. Tu pourras dire par exemple que je suis beau, que je suis intelligent, gentil, drôle ou j'en passe. Si tu parles de moi en ces termes à quelqu'un qui me déteste, il ne me reconnaîtra pas à travers tes mots car il a une toute autre image de moi. J'existe, de milliers de façon, et c'est fabuleux. Car je ne suis pas une seule entité, je ne suis pas juste Taehyung, je suis des milliers de Taehyung. Des milliers de personnalités à ma portée, et ainsi, des milliers d'opportunités et de vies à construire.
- C'est pour ça que tu aimes mentir sur ce que tu fais ou es ? Lui demandais-je avec un léger sourire.
Il me le rendit avec bienveillance, le regard malicieux.
- Dans un sens, oui. Si tu parles de moi à certaines personnes, ils vont te dire « Ah oui, Taehyung, l'œnologue ! » ou encore « Taehyung, le guitariste d'un groupe de rock » ou bien même « Taehyung, celui qui est propriétaire d'un bar ? » Et, au final, quelle est la part de mensonge ? Des gens pensent déjà que je suis un fou illuminé qui ne croit qu'à l'anarchie et au chaos alors que c'est totalement faux. Autant alimenter un peu plus le fantasme sur ma personne, qu'en penses-tu ? Si j'existe en tant que charlatan et personnage nocif pour certains, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas aussi être une toute autre version de moi-même. Une version qui existe à leurs yeux et qui, donc, est légitime. Réelle.
- Donc... Repris-je en réfléchissant à toute allure. Tous ces Jimin représentés sont réels ?
- Peut-être que oui. Peut-être n'est-ce là que la perception de Yoongi sur son petit-ami et qui nous échappe. Je n'en sais rien. Je crois qu'il ne faut pas trop se prendre la tête, surtout.
Ces mots me firent doucement rire. Pas trop se prendre la tête... Comme si je ne faisais pas que cela depuis bientôt 2 mois !
Comme pour conclure cette conversation et ma petite montée de stress, Taehyung vint me voler un baiser que je lui rendis avec plaisir avant qu'il ne souffle contre mes lèvres :
- Va profiter de la soirée, mon ange. Je suis sûr que tu manques à Jimin.
- Auquel Jimin je manque, à ton avis ? Jimin à la plage ? Jimin dans la forêt ? Jimin sur le pont ? Jimin en Peter Pan ?
J'avais dit ça avec un ton amusé, pour détendre à mon tour l'atmosphère mais Taehyung ne répondit pas. Il se contenta de sourire, et je cru percevoir même un éclair de tristesse traverser son regard mais il le fit rapidement disparaître en venant m'embrasser à nouveau, de manière totalement spontané, passionné, ce qui me surpris tout autant que ça me ravi.
Il ne me libérait qu'une bonne minute plus tard, après avoir pris le temps de m'embrasser comme s'il n'allait plus pouvoir le faire de la soirée, et il m'entraîna de nouveau à l'intérieur où, en effet, je fus accueilli en fanfare par Jimin mais aussi Hoseok.
- Mon chat ! S'écria le premier en se jetant dans mes bras. Il faut absolument que tu viennes avec moi, je vais me faire tatouer !
Surpris, j'ouvris de grands yeux alors que dans son dos, Yoongi soupira à s'en fendre l'âme.
- Bébé... Dit-il d'une voix las. Ce n'est pas une bonne idée.
Jimin se retourna immédiatement, le regard agacé, et pointa du doigt son petit ami en l'accusant.
- Tu devrais être honoré que je veuille me faire tatouer ton nom sur le cœur !
- Son nom ?! répétais-je. Carrément ? Tu n'en fais pas un peu trop ?
La petite tête rose de Jimin revint sur moi et m'accorda à mon tour une mine dangereuse.
- Je l'aime ! Je veux qu'il le sache !
- Il le sait, je te l'assure... Soupira Hoseok à côté de nous.
Je regardai les deux garçons devant moi qui avaient l'air bien éméché et, remarquant que mon propre verre était vide, je le levai pour leur montrer en indiquant le buffet.
- Et si on allait d'abord boire un coup et y réfléchir calmement ?
Il n'en fallut pas plus à Jimin et Hoseok pour crier de joie, comme si je leur avais annoncé une bonne nouvelle, et se précipiter vers le buffet. En les suivant, je captais le regard de Yoongi qui me hurlait un « merci putain » et je pouffai avant de rejoindre mes amis.
C'était finalement une grave erreur. Car, en plus de m'être laissé saoulé par Jimin qui remplissait mon verre à tout va et qui manquait à chaque fois de renverser de l'alcool sur les toiles de Yoongi, je me retrouvai sans rien comprendre, deux heures plus tard, bourré, en leur compagnie ainsi que celle de Kumi, le tatoueur.
Jimin avait accepté de ne pas se faire tatouer le prénom de Yoongi mais, à la place, il était allongé sur la table sur le ventre, le t-shirt relevé, et subissait avec une douleur mal dissimulée la création d'un petit tatouage sur la hanche : un cœur. Je me moquais de lui sans aucune vergogne, tout comme Hoseok, jusqu'à ce que ce soit mon tour et que, idiot que j'étais, je décide également de me faire tatouer.
Pourtant, je n'aimais pas plus que ça les tatouages, mais j'étais bourré et j'avais vu, parmi les propositions de flash du tatoueur, des petites ailes d'anges tout à fait adorable qui furent bien vite gravé à jamais dans ma peau, dans ma nuque, juste à la racine de mes cheveux. Le tatoueur m'avait bien demandé à plusieurs reprises si j'étais sûr de moi mais j'avais acquiescé avec une conviction sans borne.
- Comme ça tu pourras t'envoler ! M'avais lancé joyeusement Jimin alors qu'il galérait à se remettre le pansement en place par-dessus son t-shirt.
- J'adorerai m'envoler... Dit Hoseok pour lui-même, le menton dans la main. Mais j'ai trop peur du vide pour ça...
- Ça n'a rien à voir avec le fait de voler ! Avais-je rétorqué en me redressant, le regard bougon.
- C'est pour quoi alors ?
J'allais pour payer le tatoueur mais Jimin m'en empêcha, assurant que l'on mettrait cela sur le compte de Yoongi et je n'avais pas cherché à insister, éludant aussi au passage sa question alors qu'à peine sur mes pieds, je faisais déjà demi-tour pour rejoindre la pièce du passé où se trouvait Taehyung.
- Tae ! Criais-je en l'apercevant avec Seokjin et Namjoon.
Il fût surpris de me voir arriver en criant mais un sourire se dessina bien vite sur son visage alors qu'il haussait un sourcil, curieux.
- Tu as l'air bien en forme.
- Il est bourré, oui ! Rit Namjoon en me regardant de haut en bas.
Je ne fis pas attention à cet idiot et m'exclamai plutôt.
- Regarde ce que j'ai fait !
Excité comme un gosse, je me retournai et relevai mes cheveux pour que Taehyung puisse apercevoir le tatouage sur ma nuque. Je ne pouvais pas voir sa réaction alors je lui lançai par-dessus mon épaule.
- Ça te plaît ?
- Putain, Kook... C'est un vrai ?
- Oui ! Répliquais-je avec joie en me retournant enfin pour lui faire face. C'est Kumi qui me l'a fait, il est cool non ?
Taehyung jeta un regard un peu mauvais en direction de la pièce du tatoueur, comme s'il avait envie de l'engueuler mais à la place il se renfrogna et posa un regard attendri sur moi.
- S'il te plaît, c'est le principal. Mais pourquoi des ailes d'anges ?
- Parce que c'est moi, l'ange. Je suis ton ange, Tae !
Si je n'avais pas été si bourré, si je n'avais pas été dans un état second, j'aurais pu voir le visage de Taehyung se transformer et passer de la joie à... A une forme de bonheur tellement extrême que je n'arriverai pas à la qualifier. C'était comme si j'avais dit la bonne réponse, celle qu'il attendait et Taehyung n'attendit pas pour poser son verre sur le buffet à côté de lui et m'attirer dans ses bras pour une étreinte passionnée.
- Mon ange... Murmura-t-il à mon oreille.
J'avais fermé les yeux, gargarisé par cette réaction, et je m'étais blottit contre lui en souriant.
- Ton ange... Répétais-je à demi-mot.
Nous étions restés ainsi un long moment, sans rien se dire, sans rien ajouter, parce que parfois il fallait se passer de mot avec Taehyung quand, ce qu'il me semblait de longues minutes plus tard, j'ajoutai d'une voix douce :
- Je suis ton ange et ton âme sœur.
Un frisson traversa Taehyung qui me serra un peu plus fort avant de, très vite, se détacher de moi et de secouer la tête, l'air grave. Il posa son front contre le mien, soupirant légèrement, comme s'il ne voulait pas me quitter avant de redresser la tête et de regarder autour de lui.
- Je dois trouver Hoseok. Il faut qu'on parte.
- Pourquoi ? Demandais-je, surpris par ce brusque changement de discours.
Taehyung abandonna mon corps à mon plus grand regret et se mit à observer partout autour de lui en fronçant les sourcils.
- Il faut qu'il te raconte son histoire. Il faut que tu comprennes, Jungkook. Parce qu'il est hors de question que je passe une seconde de plus à ne pas être certain que tu es la personne que j'ai attendu toute ma vie.
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