14. 'Cause I'm high on life
- Il serait peut-être temps de le réveiller, vous ne pensez pas ?
- Oh, non pas tout de suite ! Laisse-moi encore un peu le regarder.
- Je veux me tatouer cette image sur la gueule. Putain, mais ce corps...
- Laissez-le tranquille...
Des voix lointaines et flous m'avaient sorti de ma torpeur, le nez enfoui dans l'oreiller, et je peinais à distinguer ce qu'il se passait autour de moi. J'avais l'impression d'avoir une masse dans la tête et ne réalisais pas tout de suite que je n'étais plus seul dans la pièce. Ce fût une caresse aérienne sur ma nuque qui me fit papillonner des yeux et lever le menton, les sourcils froncés, pour tomber sur le beau visage de Taehyung à côté de moi.
- Bonjour mon ange.
- Mmh...
Je grognai de mécontentement d'être ainsi sortit de mon sommeil et me frottai les yeux en fronçant le nez.
- Mon ange... Je vais craquer, c'est troooop mignon !
Surpris d'entendre Hoseok, je levai le nez pour de bon et remarquai alors, avec effarement, que la quiétude dans laquelle je m'étais endormi la veille était désormais bien loin car se tenaient devant moi les garçons au grand complet, des tasses de cafés dans la main et des sourires idiots collés sur le visage. Et je réalisai. J'étais nu.
- Mais... Putain qu'est-ce que vous foutez là ?!
Paniqué, je me redressai immédiatement pour attraper le coussin derrière moi et me cacher les parties intimes, sous le rire des garçons qui me reluquaient sans gêne.
- Il est 9 heures, Jungkook ! C'est l'heure de se mettre au boulot !
- Et te cache pas comme ça, dit Jimin par-dessus sa tasse avec une œillade complice. Ça fait une demi-heure qu'on te matte, on a vu tout ce qu'il y avait à voir...
Je lançai un regard plein de détresse à Taehyung qui était tranquillement assis sur le lit à côté de moi, fraîchement habillé, et il se contenta de hausser les épaules en me souriant.
- Ils étaient contents de t'admirer.
- C'est du voyeurisme !
- Oh, tout de suite les grands mots ! Soupira Hoseok en levant les yeux au ciel. On va vivre ensemble, la moindre des choses c'est qu'on se voit à poil !
- Vous avez un grave problème...
Je soupirai en secouant la tête sous le rire des garçons qui étaient tous en tenues de chantier, prêts à attaquer la suite des travaux. Je m'étonnais de les voir là si tôt, après tout Namjoon avait dû fermer le bar aux alentours de trois heures du matin, et je regrettais de ne pas pouvoir passer la mâtinée à traîner au lit avec Taehyung. Ce n'était pas quelque chose que j'affectionnais particulièrement avec mes anciennes conquêtes mais avec lui, l'idée de partager un petit déjeuner en tête à tête me plaisait grandement. L'intéressé me regardait d'ailleurs toujours avec un petit air malicieux alors que le reste des garçons nous avait enfin lâché pour commencer à faire le tour de la pièce en discutant des différentes choses à faire, et je lui demandai en me raclant la gorge.
- Euh... J'ai un sac d'affaire de rechange à l'étage, tu crois que tu pourrais... ?
- Mmh... J'aime beaucoup l'idée de te regarder y aller nu, mais je vais faire ça pour toi...
Cependant, il ne sembla pas enclin à se lever et vint plutôt me surplomber avec lenteur, son visage à quelques centimètres au-dessus du mien pour me souffler de son haleine mentholée :
- Tu as bien dormi ?
Parce que j'étais faible, et aussi parce que j'en avais envie, je passai un bras autour de sa taille, gardant l'autre bien ferme sur le coussin entre mes cuisses, et hochai la tête en souriant.
- C'était une nuit un peu courte, mais je n'ai aucun regret...
Son sourire à lui s'élargit et il réduisit l'espace entre nos lèvres pour venir m'embrasser tendrement, comme s'il ne voulait pas me brusquer et me réveiller en douceur.
Je répondis à son baiser sur le même ton, me fichant absolument en cet instant que les garçons puissent nous voir mais je savais aussi que ça ne les dérangerait pas le moindre du monde. Après tout, je ne comptais plus les fois où Jimin allait un peu trop loin avec Yoongi sous nos yeux innocents...
- Moi j'en ai un, me souffla-t-il en s'éloignant à peine. J'aurais aimé ne pas avoir été réveillé par les garçons arrivant en fanfare. D'ailleurs, tu as un sommeil de plomb, tu n'as pas bronché même quand Hoseok a hurlé en nous voyant nus dans le lit...
Je pouffai silencieusement en dessinant des formes imaginaires sur sa hanche.
- Il a hurlé ?
- Et je ne peux que le comprendre, tu étais très appétissant...
Ses mots glissèrent à mes oreilles tout comme sa bouche qu'il promenait désormais dans mon cou pour l'embrasser avec légèreté, me faisant me tortiller sur place en couinant comme un enfant.
- Taehyung...
- Quoi ? Répliqua-t-il doucement, un sourire dans la voix.
- Les garçons sont juste là...
Il rit contre mon oreille et remonta sa bouche à celle-ci pour y coller ses lèvres :
- Et ? Ils ne sont pas prudes, tu sais. Ils apprécieraient même le spectacle. Je pourrais facilement retirer le coussin avec lequel tu te caches et te faire plaisir, juste là, de bon matin...
J'avais fermé les yeux et manqué de gémir quand ses lèvres vinrent attraper le lobe de mon oreille pour le mordiller doucement. Ma main sur le coussin se crispa et ma réaction sembla lui plaire.
- L'idée te plaît, hein ? De prendre du plaisir devant eux, à la vue de tous ? Moi, entre tes cuisses et toi, reluqué dans ton état le plus vulnérable...
Pourquoi l'image que j'avais en tête me déclenchait des frissons par millier ? Je n'étais pas un adepte du voyeurisme, pas du tout mais je devais avouer que là... Ouais, ça me plaisait. Mais j'avais encore un peu de bon sens et réussi à repousser la main de Taehyung qui s'était approchée du coussin en claquant ma langue contre mon palais.
- Taehyung. Mes fringues.
Un petit bruit déçu sortit de sa bouche et il se redressa en m'adressant une mine boudeuse.
- Pas encore très téméraires, mon beau Jungkook... Comme tu voudras. Je reviens.
Je respirais encore à nouveau quand il se leva pour disparaître à l'étage et sentit immédiatement le regard de Jimin sur moi, de l'autre côté de la pièce. Il avait l'œil amusé par-dessus sa tasse de café et je me contentai de lui dédier un doigt d'honneur qui le fit éclater de rire. Pour le reste des garçons, aucun ne semblaient perturbé par la scène semi érotique qui venait d'avoir lieux et vaquaient à leurs occupations.
Enfin habillé, je me levai pour me diriger vers le thermos de café et m'en verser dans le mug qu'avait utilisé Taehyung en lançant machinalement.
- C'est quoi le programme aujourd'hui ?
- Toujours le même, répliqua Namjoon qui consultait son téléphone. Peinture, électricité, plomberie, et pour toi, jardinage.
Je grommelai d'avance en buvant une gorgée du café immonde.
- Je peux faire autre chose.
- T'es nul et lent.
- Eh ! tonna Jimin à l'attention de Namjoon. Parle mieux de mon bébé. Sa cicatrice le fatigue rapidement.
- « Ton » bébé est surtout fatigué parce qu'il s'est envoyé en l'air toute la nuit.
Je ne pu m'empêcher de pouffer en regardant Jimin et Namjoon se battre, m'adossant au meuble de la cuisine à côté de Taehyung qui était à nouveau accroupi face à la tuyauterie. Je baissai les yeux vers lui et remarquai qu'il souriait pour lui-même.
- Ça reste mon bébé, que cela plaise ou non à Taehyung !
L'intéressé secoua la tête en bidouillant dans sa caisse à outils.
- C'est peut-être ton bébé, mais moi c'est mon ange.
Mon cœur fit un petit looping de joie et je ne pus cacher mon sourire immense par-dessus ma tasse de café alors que Jimin fit une moue dégoûtée.
- C'est niais.
A l'autre bout de la pièce, posté à la fenêtre, un joint dans les mains, Yoongi ricana en lançant à Jimin.
- La blague, c'est toi qui dis ça alors que t'es H24 en train de m'infantiliser avec tes trucs mielleux. Tu vois que c'est gênant.
Il n'en fallut pas plus à Jimin pour foncer sur son petit ami et l'entourer férocement de ses bras, sa tête écrasé contre son torse en chantonnant comme un enfant.
- Mais toi t'es mon amour de ma vie entière, c'est pas pareil ! Mon amoureuuuuux !
Yoongi grognait en essayant de se débattre, mais je voyais bien qu'il faisait ça surtout pour embêter Jimin et qu'il aimait quand même cela puisqu'il laissa vite tomber et se pencha pour embrasser son front en grommelant, un sourire imperceptible aux coins des lèvres. Ils étaient vraiment le couple le plus improbable qu'il m'avait été donné de voir.
- C'est quoi l'histoire du jour pour la cicatrice de Jungkook ? Lança Hoseok qui venait de rentrer et portait à bout de bras des pots de peinture.
Seokjin, qui l'aidai en venant en prendre à son tour, pouffa en secouant la tête.
- Vous n'allez jamais le laisser tranquille...
- Non non ! Le rassurais-je d'un sourire en levant la main. Ça ne me dérange pas, j'aime bien.
Seokjin me dédia un regard doux alors que Jimin, toujours dans les bras de Yoongi, réfléchissait à vive allure.
- Mmh... Moi je crois que Jungkook s'est échappé de prison avec un hélicoptère et qu'il était pourchassé par les services secrets. Ils allaient faire abattre l'avion alors Jungkook a sauté en parachute en plein dans les montagnes du Nord et s'est blessé à l'atterrissage.
- Et il a passé une semaine entière caché dans une grotte à se nourrir d'insecte et de rongeurs ! Lança Hoseok.
- Vous êtes juste en train de raconter Prison Break, là.
Je ris doucement à la pique de Yoongi en finissant ma tasse de café, satisfait de cette nouvelle aventure. Ils adoraient inventer des histoires sur ma cicatrice et je les laissais faire. C'était toujours plein d'imaginations, de fantasmes, d'aventures et ça résumait bien leur état d'esprit : ils étaient incapables de se contenter de la réalité, bien trop ennuyeuse et insipide à leurs yeux. Ils avaient sans cesse ce besoin d'extraordinaire et je crois que j'aimais ça, aussi. J'aimais imaginer que je pouvais être le héros d'une de leurs histoires et non pas ce misérable accidenté de la route en rémission.
C'était peut-être pour ça que je ne leur avais rien dit, aussi, à propos de cet accident qui avait failli me coûter la vie un an plus tôt. Parce que c'était minable, c'était triste, c'était fade. A force de silence sur mon histoire, le mystère était devenu entier et je ne me voyais pas les décevoir en leur apprenant que, non, je n'étais pas un héros. J'étais un gars traumatisé de ses erreurs qui avait fuis son passé le plus loin possible pour tout recommencer à zéro.
Je chassai rapidement ces pensées obscures qui me ramenaient au soir le plus terrible de ma vie pour plutôt me reconcentrer sur le présent. Mon café finit, je décidai enfin à me motiver pour me mettre au travail. Tout le monde s'activait : Jin était monté à l'étage avec Hoseok et Jimin pour finir la peinture, Namjoon aidait maintenant Taehyung avec la plomberie et Yoongi s'était exilé à l'extérieur pour arranger je ne savais quoi avec l'électricité. Namjoon avait ramené des plantes qu'il m'avait demandé d'installer derrière la maison et je m'attelai enfin à ma tâche en pensant qu'ainsi, je pourrais peut-être discuter avec Yoongi et lui demander de me raconter son histoire.
Il était derrière le bâtiment, perché sur une échelle, à bidouiller un compteur en marmonnant dans sa barbe. Je m'approchai prudemment pour ne pas l'effrayer et posai les plantes au sol.
- Tu ne risques pas de te prendre un coup de jus ? Lui demandais-je en enfilant des gants de jardinage.
Yoongi secoua la tête sans me lancer un regard.
- Normalement non, sauf si quelqu'un a la brillante idée de relancer le courant dans la prochaine demi-heure.
Je souris pour moi-même en attrapant la pelle qui reposait contre le mur et regardai autour de moi. La maison était cernée par les champs de maïs mais Namjoon m'avait dit de planter les pieds de plantes à la lisière du champ. Je trouvais cela idiot car ainsi on ne pourrait pas en profiter car elles seraient fondues dans la masse mais il m'avait dit que je n'y connaissais rien non plus au jardinage et que je devais obéir aux ordres. Il me faisait un peu peur, parfois.
J'étais un citadin pur et dur alors une tâche aussi simple que de creuser fût un véritable casse-tête et je pestai dans ma barbe à chaque fois que je rencontrais des racines sous la pelle ou bien des cailloux que je balançais tour à tour loin dans le champ.
- Dis, lançais-je à Yoongi en essuyant la sueur sur mon front. Tu comptes continuer le street-art quand on habitera ici ?
Je ne savais pas vraiment comment l'amener à me raconter son histoire, Yoongi était un personnage énigmatique pour moi alors j'avais préféré par commencer à lui faire la conversation.
- Bien sûr, me répondit-il sans me regarder. Vivre ici ne veut pas dire arrêter de travailler, tu sais. Faut bien qu'on gagne encore notre vie.
Je fronçais les sourcils en m'asseyant au sol devant l'espace de caniveau que j'avais creusé pour y mettre les pieds de plantes.
- Taehyung a pourtant dit qu'il voulait arrêter de gérer à temps plein le bar...
- Parce que tu crois que l'argent viendra de là ?
Je l'entendis rire dans mon dos et descendre de l'échelle. Je fronçai le nez. Il est vrai que je n'avais pas pensé à la question de l'argent... Ils ne m'en avaient jamais réclamé et, même si j'avais aidé aux courses et aux matériel pour la maison, j'étais loin de rouler sur l'or ou d'avoir un salaire régulier.
- D'où viendra-t-il, alors ?
Il s'était rapproché de moi et vint s'asseoir à mes côtés, le souffle un peu court dû à l'effort, et il me donna une petite tape sur l'épaule en souriant.
- Est-ce que tu as une idée de ce que tu es en train de planter, Jungkook ?
Confus, la plante dans mes mains, je levai les yeux vers lui en secouant la tête. Il rit doucement, comme s'il me trouvait adorablement naïf.
- C'est du cannabis.
- Quoi ?!
Ahuris, je fixai la plante dans mes mains avec des yeux ronds. Il était vrai que la forme m'avait dit quelque chose, mais j'étais encore plus un novice des drogues que du jardinage... Je restai silencieux quelques secondes avant de souffler.
- Mais... Vous dealez ?
- Pourquoi tu crois que tous ces gens viennent au Melancholic Paradise ?
J'étais sur le point d'halluciner complètement, mais, avec du recul... Je m'attendais tellement à tout avec eux que j'étais à moitié surpris. Yoongi sortit d'ailleurs un joint de sa poche et l'alluma. C'était son deuxième de la journée et il n'était que onze heure. Sa consommation était la plus importante de tout le groupe et ça m'inquiétait un peu, parfois. Il recracha la fumée épaisse au-dessus de nous en souriant.
- J'pensais que tu l'avais compris.
- Non. Mais... Vous n'avez pas peur de vous faire choper ? J'veux dire... N'importe qui pourrait voir les plantes ici. Et même au bar ! N'importe qui peut rentrer et voir que tout le monde fume ! Comment c'est possible qu'aucun flic ne soit jamais venu vous contrôler ?
C'était une chose à laquelle je n'avais jamais vraiment pensé mais maintenant que nous abordions le sujet... Il était vrai que j'étais rentré sans soucis le premier soir au Melancholic Paradise et la drogue était partout autour de moi. J'aurais pu être un flic en civile et faire une descente dans la seconde. Pour toute réponse, Yoongi s'allongea dans l'herbe, les yeux tournés vers le ciel sans nuage, et me répliqua :
- Longue histoire. On a des relations.
Encore un secret à découvrir. Génial... Pensais-je avec lassitude. Je le laissai cependant couler, décidant de ne pas m'en préoccuper pour le moment car je sentais bien que Yoongi n'avait pas l'air enclin à m'en parler. Je décidai alors de le mener là où ça m'intéressait. Tout en continuant à planter ces putains de plans de cannabis, je lui lançai après un petit moment de silence :
- Yoongi...
- Mh ?
Je jouais avec la terre du bout de mes doigts sans oser le regarder. J'avais peur qu'il m'envoie royalement chier.
- J'imagine que Taehyung t'en a parlé, mais... Je suis en pleine... Recherche de ma raison d'être ici et je voulais savoir si, enfin... Si ça ne te dérangeait pas de me raconter ton histoire ?
Le silence qui suivit m'inquiétai un peu et j'étais déjà prêt à lui sortir une excuse pour me barrer quand Yoongi releva la tête pour me lancer un regard amusé.
- Eh bah putain, pas trop tôt.
Je fronçai les sourcils.
- Tu t'y attendais ?
- Bien sûr, répliqua-t-il en se redressant pour s'asseoir en tailleur. Pourquoi tu crois que j'ai soudainement arrêté de bosser pour venir me planter à côté de toi ?
- J'aurais dû le voir venir...
Il rit un peu en faisant tomber la cendre de son joint.
- Certainement.
- Donc, ça ne te dérange pas ?
Il secoua la tête en me rassurant d'un sourire.
- Pas du tout.
Je le vis s'installer confortablement, comme s'il se préparait à faire un long discours. Il fit craquer sa nuque, toussota un peu pour s'éclaircir la voix et enfin, il se lança alors que toute mon attention était tournée vers lui.
- J'suis pas un type qui fait dans le sentimental donc compte pas sur moi pour te sortir un truc larmoyant, j'veux pas que tu t'apitoies sur mon sort non plus donc on va faire dans les grandes lignes. Je suis un gosse né sous X. Pas de parents, pas de famille. J'ai appris bien plus tard que ma mère avait 16 ans quand elle est tombée enceinte de moi et qu'elle a dû m'abandonner sous la pression familiale. J'ai grandi dans un orphelinat de Busan où pas un foutu couple de mes deux n'a eu envie de m'adopter. Je m'en foutais un peu à vrai dire. Les orphelinats ne sont pas aussi terribles que ce que l'on raconte dans les films : j'avais accès à une Play, je pouvais fuguer à ma guise, j'avais tout un tas d'éducateurs très sympa qui nous emmenait fumer de la weed, des potes plutôt cools, bref, c'était pas la misère sur terre. Est-ce que j'ai quand même souffert de ne pas avoir reçu d'amour d'une famille ? Peut-être bien mais, quand t'a jamais connu ça, ça peut difficilement te manquer. J'ai eu une enfance « heureuse » on va dire, dans le sens où je faisais un peu ce que je voulais, que je n'avais pas trop de cadre éducatif et que j'étais le seul que mes conneries dérangeaient. Sauf qu'un jour, j'ai vraiment merdé : je commençais à beaucoup fumer, j'avais à peine 16 ans et ce n'était pas la première fois qu'on me choppait avec toutes ces merdes sur moi. Alors, de l'orphelinat, j'ai été transféré en foyer pour adolescent. Et c'est là que j'ai rencontré Taehyung.
En entendant son nom, mes yeux s'écarquillèrent comme des billes et cela fit tiquer Yoongi.
- Tu ne le savais pas ?
- Non... Murmurais-je.
- Ah. Bon, bah de toutes façons, j'suis obligé de te le dire, ça fait partie de l'histoire... Donc j'ai rencontré Taehyung dans ce foyer où il était depuis trois mois à peine. Je lui laisserai le soin de te raconter son histoire à lui mais pour ma part, nous sommes devenus très vite ami. C'était mon super pote, on a fait les 400 coups ensemble. Il était encore plus allumé que ce qu'il ne l'est maintenant. Il passait son temps à lire des bouquins gros comme mon cul sur la philosophie et la métaphysique puis quand il sortait en douce avec moi le soir, il se mettait la tête à l'envers et me parlait déjà de ses conneries de vie libre et sans contraintes. Ça me faisait marrer, honnêtement je le prenais pour un illuminé mais bon... ça a duré 1 an ainsi, jusqu'à ce qu'un jour, un peu avant mes 17 ans, son père débarque de nulle part et l'emmène avec lui. J'étais dégoûté, mais la vie est ainsi faite, les gosses allaient et venaient là-dedans... On s'est donc perdu de vue et j'ai continué à tracer ma route. Je suis sorti du foyer à 18 ans. Bon, ils ne te laissent pas seul à la porte avec une valise comme tu vois à la télé, hein... J'étais suivi, on m'a aidé à trouver un boulot, et je m'en sortais pas trop mal. Sauf que les mauvaises habitudes ont la vie dure, surtout quand tu te retrouves totalement libre... J'ai traîné avec de mauvais gars, commencé à fumer trop d'herbe, à aller taguer la nuit dans les rues... J'avais un taf sympa de plongeur dans un resto mais je me suis fait jeter après être arrivé défoncé. J'en ai trouvé un autre ensuite, comme livreur de pizza mais j'avais fait croire que j'avais mon permis alors que pas du tout et j'ai eu un accident. Rien de grave, mais quand les flics ont vu que je roulais illégalement, je me suis mangé une putain d'amende et j'ai à nouveau perdu mon taf. Les spirales de merde, ça arrive vite tu sais. J'avais plus de taf, tout mon fric est passé dans la drogue ou dans mes bombes de peinture et, petit à petit, j'me suis retrouvé à la rue.
« Ta drag queen, ton idole déchue, ton ex-clochard et ton dépressif »
Les mots de Seokjin me revinrent immédiatement en tête. Ça y est. Le premier puzzle était enfin terminé. Yoongi était l'ex-clochard, donc irrémédiablement... Taehyung était le dépressif. Un vent de panique me traversa sans que je ne sache trop pourquoi et je tentai de me donner contenance en hochant la tête à Yoongi qui jouait avec des brins d'herbes devant lui.
- Je te passe les détails mais la rue, c'est pas marrant. Y'a une vraie solidarité mais, putain, c'est flippant. T'as l'impression que tu pourras jamais remonter la pente. T'as plus de fringue, plus d'hygiène, plus de fric, c'est impossible que tu puisses te présenter à n'importe quel entretien d'embauche et puis, de toutes façons, t'as pas d'adresse donc ça te ferme toute possibilité. C'est l'horreur, vraiment. Je ne souhaiterai ça à personne, pas même à mon pire ennemie. J'avais voulu faire le caïd durant toute mon enfance mais là, j'te jure, j'en menais pas large. Je sombrais. C'était... L'enfer. Mais le vrai, tu vois. Le truc où tout ce que t'attend, c'est de mourir parce que t'as personne pour toi et que si tu crèves, ça changera rien, personne viendra te pleurer et ton corps finira dans la fosse commune.
J'avais le cœur qui battait à mille à l'heure, je n'en revenais pas de son histoire et de la souffrance qu'il avait vécu sans que je ne me doute de quoi que ce soit. C'était si tragique, toutes leurs histoires l'étaient... Comment pouvais-je faire partie de ça ? Je me sentais soudainement bien idiot avec mes soi-disant démons du passé. C'était rien, le niveau zéro comparé à ce que Yoongi et les autres avaient vécu. Ça allait crescendo et j'appréhendais désormais d'entendre les histoires de Taehyung et d'Hoseok.
Yoongi soupira, comme s'il se remémorait ces moments avant de reprendre doucement.
- J'avais encore des cachés contre l'anxiété que je prenais pour me calmer mais aussi pour me défoncer. J'en abusais, je savais que je ne pourrais pas m'en reprocurer mais je me les envoyais par trois ou quatre juste pour ne plus rien sentir, pour attendre que ça passe et que la vie s'occupe de moi. Et puis, un jour, au bout de trois mois... J'ai vu le bout du tunnel sous la forme d'une grosse dame avec un putain de chapeau à fleur ridicule.
Incrédule, je fronçais les sourcils et Yoongi rit de bon cœur.
- Elle s'appelait Soonbyul et était une bénévole d'une association qui s'occupait d'aider les jeunes dans la rue. J'étais un cadavre quand elle m'a trouvé. Elle m'a emmené à l'hôpital, l'association a payé pour les soins et ensuite, quand j'ai pu remarcher et manger correctement, ils m'ont collé à la soupe populaire pour me faire trois sous. Et là... Là, ma vie a changé.
- Jimin.
Je l'avais dit à sa place et le sourire le plus niais et le plus adorable du monde se dessina sur son visage.
- Ouais. Putain de Park Jimin qui a débarqué un jour, tout aussi mort de l'intérieur que moi, et qui m'a regardé comme si j'étais une œuvre d'art. Je n'ai jamais cru à ces conneries d'amour au premier regard, j'étais même pas intéressé par les mecs à l'époque mais putain, lui... Sa douleur me parlait directement, tu vois ? Au départ, il ne m'adressait pas la parole, il venait prendre sa bouffe et allait manger dans un coin de la pièce comme un animal apeuré. Puis, petit à petit, il s'est mit à me sourire, à me saluer. Et, un jour, il m'a attendu à la sortie. Il m'a accompagné jusqu'au logement social où je vivais avec 4 autres gars et en voyant l'état de l'endroit, il m'a proposé de venir vivre chez lui. C'était prématuré, je ne le connaissais pas ce gars mais j'aurais fait n'importe quoi pour ne plus pioncer dans ce trou à rat. Je l'ai donc suivi chez lui et je ne suis jamais parti.
A ce souvenir, il sourit encore plus grand.
- Ne lui dit pas sinon il va fanfaronner toute la sainte journée avec ça mais... Je suis tombé fou amoureux de lui la première nuit. Il paniquait à mort, c'était trop drôle à voir, il n'avait rien du Jimin que tu connais aujourd'hui. Il m'avait fait un chocolat chaud et je me souviens qu'il stressait tellement qu'il en avait renversé partout sur son lit. Il était limite au bord des larmes et ça m'a fait de la peine alors je me suis levé et je l'ai pris dans mes bras. Et, alors que j'ai cru qu'il avait éclaté en sanglot, je me suis rendu compte que c'était moi qui pleurais. Jamais personne ne m'avait pris dans ses bras et je crois que pour lui aussi, ça faisait longtemps. Nous étions comme deux cons, à pleurer l'un contre l'autre et après une bonne demi-heure à nous vider de toute notre eau, j'ai été frappé par une évidence incroyable et je l'ai embrassé. Et notre histoire d'amour stupide et mielleuse digne des plus grands dramas de merde a commencé. Par la suite, comme tu le sais déjà, j'ai rencontré Namjoon et Seokjin à la soupe populaire également. La vie commençait à reprendre des couleurs, j'aimais Jimin à en crever, j'avais des amis et tout allait bien. Et, sortit de nulle part, des années après l'avoir perdu de vue, Taehyung est revenu. Il m'a proposé de bosser au bar, j'ai dit oui à condition d'embarquer les gars avec moi et la suite de l'histoire, tu la connais...
Il conclut son discours d'un signe de tête solennel, son pétard éteint au bout des doigts alors que je me sentais comme vidé de toute énergie. Toute cette douleur, toutes ces épreuves...
- Tu es incroyable, Yoongi, fût tout ce que j'étais capable de répondre.
Il leva les yeux au ciel, amusé et secoua la tête.
- On l'est tous à notre manière, Kookie. Toi aussi, j'suis sûr que t'en as bavé.
Pour appuyer ses propos, il désigna ma cicatrice du menton et je grimaçai légèrement. C'était si peu à côté de lui...
- J'espère que ça aura pu t'éclairer, en tout cas, dit-il en me tapotant doucement l'épaule avant de se lever. Je ne répondrais à aucune question parce que je sais déjà que t'as réussi à arnaquer Seokjin hier, mais je voulais juste te dire ceci : nos douleurs sont toutes légitimes. Quand on a mal, quand on traverse une épreuve, il n'y a pas de hiérarchie. On a eu des vies de merdes, les mecs et moi mais toi aussi et tu as le droit de le revendiquer, tu n'es pas obligé de te cacher derrière nos histoires à la con sur ta cicatrice. T'as le droit de te plaindre, t'as le droit de dire pourquoi tu étais malheureux. Et je te jure, ici, personne ne te jugera jamais. J'y crois de tout mon cœur Kookie, t'as ta place parmi nous alors libère-toi.
Et, sans me laisser le temps de répondre, il m'adressa un dernier sourire avant de me tourner le dos et de m'abandonner seul, assis dans l'herbe, mon cerveau surchauffant et mes craintes assourdissantes pour seule compagnie.
J'avais l'impression que ce genre d'histoire ne pouvait pas exister, pas dans la réalité mais j'en avais la preuve désormais. Mais en revanche, quel était le lien avec moi là-dedans ? Qu'est-ce qui était censé m'éclairer ? Je ne voyais rien, absolument rien qui puisse m'aider.
Alors, oui, Yoongi a passé une partie de son adolescence en foyer avec Taehyung, ce qui me confirme ce qu'il m'avait dit, à savoir qu'ils se connaissaient depuis longtemps. Mais je ne comprenais pas ce qu'avait pu y faire Taehyung, il m'avait pourtant dit qu'il avait un père qui possédait cet endroit ainsi qu'une mère qui vivait encore à Busan...
Je décidai d'abandonner mon activité jardinage, je n'avais plus du tout l'énergie pour m'y remettre. Je me levai, tel un automate et fit le tour de la maison pour atteindre la cours de devant. Là, je trouvai Jimin qui semblait en pleine pause au soleil, à côté de Namjoon qui fumait et de Taehyung qui se tenait devant la bâtisse, les yeux rivés sur la façade, comme s'il l'analysait. Mes pas se dirigèrent automatiquement vers lui et vers son sourire magnifique qu'il me dédiait et je vins le prendre dans mes bras, de toutes mes forces, sans un mot. Il sembla un peu surpris de ce rapprochement, nous qui n'étions pas démonstratifs devant les autres – excepté pour la petite écartade du matin – mais il me serra dans ses bras en retour en nichant sa tête dans mon cou, respirant à fond mon odeur.
- Tout va bien mon ange ?
Je hochai la tête en raffermissant ma prise autour de ses épaules et je compris Yoongi à cet instant. Avoir la personne que l'on aime dans ses bras et la sentir tout autour de soi... C'était le pansement le plus puissant du monde. Et maintenant que je savais que Taehyung avait souffert et souffrais peut-être toujours, maintenant que j'y voyais un peu plus clair sur son passé, sur son passage en foyer et sur cette dépression... Je voulais moi aussi être son pansement, je voulais être la personne qui lui retire tous les maux et qui, par sa simple présence, lui suffisait pour être heureux. Je voulais être la plus belle chose qui lui soit arrivé, tout comme il l'était pour moi.
Gros chapitre sur l'histoire de Yoongi. Celles d'Hoseok et de Taehyung ne tarderont pas à faire surfaces elles aussi. Alors? Toujours pas d'idées? ;)
On se retrouve la semaine prochaine pour la suite. Je vous aime fort, prenez soin de vous. <3
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