Le livre volète juste au-dessus de mes yeux tandis que les pages tournent lentement à ma guise.

- Je sais qui meurt...

Je grogne et referme le bouquin d'un clignement d'œil avant de tourner la tête vers ma sœur qui entre dans la tente. 

- T'en fais pas sœurette, motus et bouche cousue.

Elle mime une fermeture éclair sur ses lèvres et m'offre un splendide sourire avant de s'affaler à mes côtés et de scruter le plafond avec moi. Elle reste silencieuse un long moment et je sais que ce n'est pas dans ses habitudes de ne pas sortir un mot pendant plus de cinq minutes.

- Qu'est-ce qu'il y a June ?

Ma sœur soupire et croise ses mains sur son ventre. 

- J'ai un mauvais pressentiment.

Je fronce les sourcils. June ne se trompe jamais. Elle a eu un mauvais pressentiment le jour de notre enlèvement, elle a eu un bon pressentiment le jour de notre évasion et des exemples, j'en ai plein la tête.

June a des facultés que jamais je n'atteindrai. Même si nous, les adolescents, utilisons notre esprit pour démontrer notre talent, nous avons des pouvoirs bien différents. Alors que j'agis sur les objets et les corps solides, June peut s'insinuer dans les esprits et les modifier à sa guise. Contrairement à ce que l'on peut penser, pour une Orange, June n'est pas dangereuse. Elle contrôle ses émotions à la perfection et ne fait jamais d'écart. Pour elle, ses dons sont une malédiction et elle s'emploie à ne jamais en user pour sa propre volonté ou faire le mal. Elle-même dit que certains Bleus sont bien plus dangereux qu'elle et je suis parfaitement d'accord avec elle. June n'a jamais brisé du verre sous le coup de la colère ou renversé une pièce entière lors d'une crise de larmes. Elle n'a jamais blessé ses parents, sa sœur, ses amis alors que ses émotions la submergeaient complètement. 

Pas comme moi. 

- Tu crois qu'on devrait partir ? lui demandé-je.

- Tu es bien trop impulsive petite sœur, ce n'est sûrement rien. 

Elle essaie de me rassurer, mais je vois à son pli sur le front que quelque chose la tracasse. Evidemment, elle-même ne sait pas ce que c'est, mais je vais rester sur mes gardes le reste de la journée.

Après le dîner, je vais faire un tour dans la forêt avec ma meilleure amie Beatrice. Nous nous connaissons depuis la primaire et quand nous avons appris que toutes les deux nous faisions partie des survivants, nous avons été grandement soulagées. Beaucoup de nos amis étaient déjà morts, nous n'aurions pas supporté de nous perdre mutuellement. Où que June et moi allons, depuis que nous avons découvert nos pouvoirs, Beatrice va. 

En effet, depuis plusieurs années maintenant, nous avons découvert que certains adolescents étaient immunisés contre le fameux virus qui a décimé chacun des nôtres âgés entre 11 et 21 ans. Ça a été la panique totale pendant des mois avant que l'on prenne connaissance des survivants. Le gouvernement a immédiatement pris des mesures radicales contre ces jeunes enfants dotés de particularités hors du commun. Nous sommes tous passés par les camps de concentration qui rassemblent les adolescents survivants afin de maitriser leurs pouvoirs et de les garder loin des autres. Ils ont toujours eu peur de nous. Les dirigeants de ces camps nous ont même attribué des couleurs, liées à la couleur que prennent nos yeux durant l'utilisation de nos dons et ensuite rangées de l'aptitude la moins dangereuse à la plus dangereuse. Les Verts sont les surdoués, les Bleus sont les Télékinésistes, les Jaunes sont les Electrokinésistes, les Rouges les Pyrokinésistes et les Orange, les Télépathes.

Ces derniers ont tous été décimés, jugés trop dangereux, les camps s'occupent de leur cas dès leur arrivée. Quand June et moi avons compris leur petit jeu, nous nous sommes débrouillées pour qu'elle passe pour une Bleue. Or, toujours porter les mêmes tenues, respecter le couvre-feu, ne pas lever le regard devant un garde, être dans les bonnes grâces des Traceurs et ne pas utiliser nos pouvoirs, c'était pas pour nous. Alors on s'est enfuit du camp dans lequel nous étions séquestrées depuis plus de deux ans. Nous formons une famille à nous trois. Le jour où nous avons quitté nos parents pour ce camp, nous nous sommes promis de rester soudées. 

D'après moi, si nous avons reçu ces dons, c'est pour une bonne raison. Ne pas les utiliser reviendrait à nous transformer en cocotte minute. Et personne n'aimerait voir l'un de nous exploser. 

Pour les Verts, comme Bea, c'est assez facile. Son intelligence surdéveloppée ne peut pas trop faire de mal. Du moins pas directement. Parce que pour monter des plans diaboliques, Bea est la meilleure. C'est elle qui a eu l'idée de nous évader. Après avoir subtilement fait passer le mot aux plus puissants d'entre nous, elle a rusé pour ne jamais être soupçonnée. Grâce à June, nous sommes passées devant les gardes sans soucis alors que j'avais volé des tenues militaires dans les bureaux des soldats. 

Beatrice nous a guidées jusqu'à la ville la plus proche grâce à son sens aiguisé de l'orientation, où nous avons volé une voiture avant de filer vers le campement dont nous entendions parler depuis des mois, caché en Virginie. Il nous a été facile de trouver des gens assez informés pour nous faire écouter la fréquence EDO et nous rendre à l'endroit cherché. L'Insaisissable nous a accueilli comme de véritables membres de sa famille. Il s'est beaucoup intéressé à June, mais elle ne l'était pas par ses entraînements intensifs. Il a essayé maintes fois de rentrer dans sa tête, mais elle lui a tenu bon. A dire vrai, je ne lui ai jamais fait confiance, c'est tout de même le fils du Président Gray. Il a beau nous servir de magnifiques discours sur la haine qu'il porte à son père et à ce qu'il lui a fait subir, il a fallu d'un mauvais pressentiment de June pour que je le glisse directement sur ma liste noire. Mais il nous offre de quoi manger et une véritable communauté, alors je préfère ne pas ouvrir ma grande bouche. Tant que je reste assez loin de lui et de ses yeux de feu, je me porte très bien. 

De toute façon depuis qu'une nouvelle Orange a fait son apparition, il n'a d'yeux que pour elle. J'ai parlé une fois avec son copain, Liam. C'est un Bleu alors nous avons un peu discuté de nos capacités et nous sommes échangés quelques tuyaux très intéressants. Il a réussi à faire s'évader des centaines d'enfants du camp dans lequel il était emprisonné. Rien qu'à la force de l'esprit. C'est plutôt fort, je dois l'avouer. 

- Il fait sombre, ce soir, fait remarquer Bea.

- Quelle perspicacité ! ironisé-je.

- Non, je veux dire... c'est anormal même pour la nuit.

Je me fie aux sens de Bea. D'ailleurs, celle-ci scrute le ciel noir comme l'encre d'un œil suspicieux.

- Ne me dis pas que toi aussi tu...

- J'ai un mauvais pressentiment. 

- Ok, on rentre au camp.

Je n'hésite pas une seconde de plus. Deux personnes qui m'avouent dans la même journée avoir un mauvais pressentiment, ça me met mal à l'aise. Un long frisson me parcourt soudain l'échine et des cris déchirent le silence de la forêt.

Bea et moi nous lançons un coup d'œil et nous courrons vers le campement le plus vite possible. Les cris s'amplifient, des flammes se dressent dans l'air et je comprends que nous sommes attaqués.

Le spectacle est un véritable cauchemar. D'épaisses flammes embrasent les campements et tout le monde crie dans tous les sens. Des soldats, reconnaissables à leur tenue militaire, braquent leurs armes lourdes sur les enfants et les adolescents en hurlant de se mettre à genoux. Au centre, je reconnais la petite nouvelle, Ruby. Ses yeux flamboient et elle semble faire face à une haute silhouette. Une fois la fumée dissipée, je reconnais Clancy. Le feu se reflètent dans ses yeux orangés. Une armée de soldats l'entourent, prêts à s'attaquer à la jeune métisse, mais celle-ci arrive à les faire se retourner contre l'Orange d'un clignement de paupière. 

Les deux Télépathes se livrent un combat épique. Leurs querelles ne m'intéressent pas, je dois retrouver ma sœur. 

Je m'apprête à m'élancer entre les enfants en pleurs, mais Beatrice me retient par le poignet. 

Je montre mes yeux bleus et elle me lance un regard navré.

- Ce sont des Rouges, dit-elle.

Je regarde avec elle vers un groupe d'enfants qui ouvrent la bouche en grand pour laisser sortir le feu qui coule en eux. A ma droite, Liam use de ses pouvoirs pour retenir les flammes à l'aide d'un conteneur. 

- Il faut trouver June et se barrer en vitesse d'ici. 

Ma meilleure amie acquiesce et nous nous ruons au milieu de la bataille. J'évite les gerbes de flammes du mieux que je peux en hurlant le nom de ma sœur à tout va. Des hélicoptères emmènent déjà certains adolescents, nous sommes les prochains. 

Un de leurs engins volants s'explose alors sur le sol et je comprends que les Oranges, anciennement amis, ont quelques différents. 

Quelqu'un m'attrape alors par les épaules, je tombe sur le sol dans une grimace. Un soldat pointe son fusil sur moi.

- Ne bouge plus ! tonne-t-il.

- Alia !

Je me retourne pour voir Beatrice à la merci de deux autres soldats qui la maintiennent au sol avec force. Elle se débat, mais ce n'est pas suffisant. 

Je jette mon regard le plus noir à nos assaillants et me redresse, or mon adversaire me donne un coup dans l'estomac. Je me plie en deux et la rage s'écoule dans mes veines. Mes yeux deviennent bleu vif et le soldat enlève le cran de sureté.

- Je dois retrouver ma sœur.

D'un geste de la main, j'envoie balader le fusil et assène un coup de pied dans les tibias du soldat qui s'écroule sur les genoux. Je me tourne ensuite vers les bourreaux de ma meilleure amie et prends le contrôle de la veste de l'un d'eux que je repousse au loin. Je m'occupe du second en ressentant l'énergie de son collier en or que j'enserre autour de son cou. Immédiatement, il se met à suffoquer. Bea se place derrière moi et m'intime de la suivre, mais je commence à perdre le contrôle. Cette puissance qui m'envahit a raison de moi et je continue de faire souffrir cette ordure. 

- Arrête Alia !

Beatrice me tire en arrière et je reprends mes esprits. Le soldat essaie de reprendre son souffle. Je suis sur le point de le laisser agoniser et de repartir, pourtant il me faut d'abord des informations.

J'attrape alors l'arme d'assaut - que je ne sais pas utiliser - et la pointe sur l'homme.

- Un geste et la balle part, le menacé-je. Dis-moi ce qu'il se passe ici.

Je sais que j'ai pris l'avantage au moment où le soldat relève des yeux larmoyants sur moi.

- Clancy Gray nous a appelés. On doit tous vous emmener dans le camp le plus proche.

J'ai l'impression de recevoir un coup de poignard dans le ventre. Pourtant, je m'y attendais. Clancy n'est qu'un hypocrite, il travaille sûrement avec son père pour tous nous canaliser dans leurs stupides camps de la mort.

Le soldat profite de mon moment de flottement pour esquisser un geste vers l'arme que je tiens, mais je lui donne un coup de canon dans le crâne et il s'effondre dans la poussière.

Je jette l'arme et coule un regard inquiet à Bea.

- Si on ne retrouve pas June tout de suite, ils vont l'emmener et ils sauront ce qu'elle est.

Bea acquiesce et nous repartons une nouvelle fois dans la bataille. J'arrive sœurette.  

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Et voilà le premier chapitre ! Qu'en pensez-vous ? Des avis sur les deux sœurs ? ^^

N'hésitez pas à commenter, j'adore vous répondre ! :*

Ecrit le 13 Septembre 2018, corrigé le 16 Juillet 2019 et republié le 7 Septembre 2019.