cinq
Je referme la porte en verre derrière moi. Je m'adosse et m'affale contre la paroi, le cœur allégé de ma très chère mélancolie. Je réprime un frisson devant le froid incisif qui me transperce de part en part. J'aime comme les bourrasques rougissent mon nez et colorent mes joues.
Je remonte le col de ma veste légère d'un air distrait parfaitement étudié quand je sens une ombre passer à côté de moi.
— Oh, à plus tard !
Elias se retourne et me fait un sourire en coin avec accrochée à une de ses joues une ridule, semblant de fossette.
— J'espère, souffle-t-il en s'éloignant, mains dans les poches et yeux ballants.
Je ne sais pas quoi faire. Du coup, je croque une amande, et j'avance jusqu'à mon arrêt de bus. Une bruine désagréable saupoudre mes cheveux. J'aimerais être une héroïne romantique qui aime la pluie, qui saute dans les flaques avec un grand sourire aux lèvres, heureuse de sentir la grâce divine source de vie, une eau pure et cristalline qui purifie les pensées et filtre la perversité de l'humain.
Mais en réalité, elle me colle et recouvre de sa pollution la moindre parcelle de mon corps trop peu couvert.
Je soupire. Les autres bus passent les uns après les autres. Les poussettes et vieillards défilent, aucune trace du mien. Je voudrais pouvoir faire des ellipses, de temps en temps.
Les idées noires seraient bien moins pénibles si on pouvait se contenter de se laisser glisser de l'une à l'autre au lieu de devoir faire de longs trajets en se débattant contre elles. Je soupire.
Je ne sais pas si c'est le mois de septembre qui fait ça, mais je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à tout ce qu'il me reste à accomplir. Et surtout tout ce que je n'ai pas réussi à accomplir. Quelle horreur que toute cette insupportable négativité, moi qui me suis toujours revendiquée comme presque la plus grande optimiste.
J'abandonne. Je rentrerai à pieds.
Je m'éloigne. Je me demande ce que les gens voient, quand ils me croisent. Qu'est-ce qu'ils pensent ? D'ailleurs, à quoi je ressemble, avec les cheveux frisés par la pluie ? J'esquisse un bref mouvement de tête vers une vitrine que je dépasse. Je scrute mon vague reflet, la superposition des calques de lumières et d'ombres sur fond de promotions. Je replace une mèche de cheveux avec nonchalance.
Mes pensées dévient. Une semaine seulement avant la fin des vacances, et la reprise des cours ne me réjouit pas spécialement, même si elle me permettra d'échanger tout mon ennui contre une montagne de stress.
— Roxanne ?
Surprise, je me retourne. C'est Sol, l'ami avec lequel je partageais toutes mes nébuleuses. J'esquisse un sourire.
— Tiens, salut.
— Toujours aussi petite, à ce que je vois.
— Toujours aussi agréable, à ce que je vois.
L'ironie dans nos voix me fait sourire. Ces petites piques m'ont manquées, je crois. Mais je ne suis pas dupe, je sens la distance, l'hésitation dans nos regards. Où on en est, déjà ? Est-ce que vraiment, on peut faire abstraction du temps qui a passé depuis celui où on était le repère de l'autre dans le noir ?
Je ne pense pas.
Après tout, les gens s'éloignent. J'aimerais tant revoir nos liens indestructibles briller dans ses yeux. La promesse que nous serions à côté, juste pour l'autre, juste pour le besoin. Parfois, cette amitié éternelle me manque. Puis, je pense à autre chose. Déjà, alors que les souvenirs de ces moments se lisaient sur son visage, Sol se ferme à nouveau.
— Bon, je dois y aller, alors à bientôt, j'espère.
— Oui, c'est ça.
Je le regarde partir et me faire un dernier signe avant de tourner au coin d'une rue, quelques mètres plus loin.
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