Chapitre 9
Il est dix heures et je suis dans la cour avec mon meilleur ami, je lui ai raconté mon rêve, en détails. Même la fin où elle a essayé de m'étrangler : j'ai eu des frissons rien que de repenser à la pression de ses mains sur mon cou. Je ne souhaite même pas à mon pire ennemi de vivre ça tellement la sensation est dure à supporter. Les images ne quittent pas ma tête un instant et je veux juste que tout ce cauchemar s'arrête. Je sais que je peux tout dire à Nino, qu'il ne me jugera pas. Je le regarde alors qu'il tire un coup sur sa cigarette en regardant le bitume.
- Je pense que tu te sens coupable de la mort de Telma, il sort après un silence. Ma mère est psy tu sais et elle m'a raconté un jour qu'un de ses patients faisait un rêve, en boucle depuis la mort de sa fille, sa fille est morte dans un accident de voiture, mais elle n'est pas morte sur le coup, elle était juste sonnée au début et la voiture a explosé. Je te passe les détails mais depuis ce jour, il rêve qu'on le brûle vivant, c'est peut-être la même chose pour toi.
- Tu as peut-être raison.
Ou alors c'est autre chose, si ça se trouve Je regarde le sol en passant en boucle ce que Nino vient de dire et continue d'y réfléchir même une fois rentrée dans la cour pour le reste de la pause. Je me sens bizarre, je ne sais pas comment expliquer ; vide, fatiguée, j'ai l'impression de ne plus être maitre de mon propre corps. Ce sont peut-être mes "pouvoirs" qui me dominent. Je n'en sais rien. Quelqu'un me sort de mes pensées. Je lève la tête et vois Mike, enfin ce qu'il reste du Mike que je connais.
- Salut, je peux te parler s'il te plaît ?
- Ouais, si tu veux, je réponds en me levant du banc.
Nous marchons une bonne minute puis il s'arrête, prend une grande inspiration, ouvre la bouche mais je l'interromps tout de suite.
- Non. Ne t'excuse pas. C'est plutôt à moi de le faire, je dis en hochant la tête. J'ai été conne de penser que tu aurais pu embrasser Amélie. Tu aimais Telma et ça se voyait : ça se voit encore.
Il pleure : c'est la première fois que je le vois pleurer. Je le connais bien, pas aussi bien que Nino, mais quand même. Depuis notre entrée en seconde, on était inséparables tous les trois avec Mike et Telma. Puis Nino est arrivé au lycée et Mike est sorti avec Telma donc on a arrêté de rester ensemble mais on est resté de super bons amis. Je le prends dans mes bras. Ils sont comme des grands frères pour moi et me disputer comme les voir pleurer me fend le cœur. Quand il se retire, je vois les larmes perler sur ses joues. Je reproduis le même geste que pour Nino et passe mes pouces sur ses joues. Il me sourit.
- J'ai quelque chose à te donner.
Il met la main dans son sac et en sort un objet que je ne vois pas sur le moment, puis je le reconnais. Et quand je le reconnais je manque de fondre en larmes, le foulard de Telma que je lui ai offert pour son seizième anniversaire. Malgré ma lutte pour les laisser enfouies, les larmes montent toutes seules et je n'ai pas le temps de les arrêter. Elles tombent sur mon pull. Tout se brouille autour de moi, j'entends à peine ce que me dit Mike. Pourquoi est-ce que je suis si faible ? Je suis tellement épuisée, je ne sais pas ce que Pierre veut de moi, je ne sais pas où il veut m'emmener mais j'ai besoin de plus de précision que juste une indication : « Retrouvez le meurtrier de votre meilleure amie. »
- Elle l'a oublié la veille de sa mort, elle était venue passer l'après-midi à la maison. J'ai voulu lui redonner le lendemain mais notre dispute a tout gâché, il sanglote en triturant le foulard dans ses mains. J'ai essayé de m'expliquer mais elle n'a rien voulu entendre et il est resté là depuis tous ce temps.
Nino nous a rejoint, il passe son regard entre le foulard et nous deux et me prend dans ses bras pour me calmer. Je tends le bras pour prendre le foulard. Une demie seconde avant que mon doigt ne touche le foulard, je me retrouve transporté autre part. Ce n'est pas une projection astrale, pas possible. Je regarde autour de moi, je suis devant le lycée exactement là où ma meilleure amie a été tuée puis je vois quelqu'un...
- Telma... je murmure.
Mais elle n'est pas toute seule. Mike est avec elle.
- Laisse-moi, je te dis ! Ne t'approche plus jamais de moi ! Crie Telma.
- Mais puisque je te dis que je n'ai pas embrassé Amélie ! C'est toi que j'aime ! Réplique Mike, en collant son visage à celui de Telma.
Telma paraît se calmer mais elle n'est pas convaincue. Je m'écroule sur les genoux. Je ne veux pas revoir ça, je ne veux pas revivre cette douleur encore et encore. Les larmes coulent sur mes joues, le torrent de culpabilité s'abat sur moi et je ne peux rien faire à part regarder Telma mourir en boucle.
- Comment je peux en être sûre ? elle proteste sans baisser la voix.
- Je t'aime Telma Dupuis, putain ! Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?
- C'est qu'un je t'aime, Mike ! Ce n'est pas la première fois que tu me fais le coup et j'ai eu la clémence de te pardonner. Mais plus maintenant, elle achève avec un sanglot.
Ma respiration se coupe quand je comprends enfin ce que vient de dire Telma ; il l'a déjà trompée... Il a déjà commis l'erreur de détruire Telma une fois...Mike la regarde une dernière fois pour lui jeter son foulard à la figure. Mais elle le rattrape et lui jette dans les mains.
- Garde-le ! Je ne veux plus rien que tu as tenu entres tes mains !
Elle se retourne, prend son téléphone et écrit un message qui m'était sûrement destiné. Mike la laisse sans se douter de ce qui aller se passer. Je reviens dans le présent. Je sais ce qui s'est passé maintenant. Le foulard avait quelque chose à révéler et c'est qu'il a fait. J'ouvre les yeux mais je vois floue et manque de tomber mais Nino me retient.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu as eu une vision ? Me chuchote Nino alors que je reprends doucement mes esprits.
- Je viens de voir votre dispute, Mike. C'est vrai que tu as déjà embrassé une autre fille que Telma auparavant pendant que vous étiez ensemble ?
Je le regarde dans les yeux et je vois qu'il comprend que je ne mens pas. Que j'ai vraiment vu ses dernières paroles envers lui. La rage coule sur mon visage, j'ai la peau qui brûle.
- Comment tu le sais ?
- Tu n'as pas répondu à ma question, je réponds calmement mais avec les yeux remplis de colère.
Je sais que je ne dois pas m'en mêler mais je dois savoir si ce que j'ai vu été une pure invention de mon esprit ou si ça s'est réellement passé ainsi.
- C'était l'année dernière, une Mélissa mais ça n'aurait rien changé, elle serait morte quand même ! il réplique en montant le ton.
- Si Mike parce que si tu n'avais pas commis cette erreur, tu serais resté avec elle jusqu'à ce qu'on arrive et elle ne se serait pas faite tuée putain ! je hurle avec des larmes de colères.
J'ai tellement envie de le frapper jusqu'à qu'il me supplie de l'achever, pour avoir abandonné sa petite amie comme ça. Mais Nino me retient le bras comme s'il lisait dans mes pensées.
- Viens, ça a sonné on y va, me murmure Nino.
Je lance un dernier regard à Mike avec plus de conviction que jamais à retrouver le connard qui a assassiné ma meilleure amie...
***
Le cours de français est interminable, je n'arrive pas à me concentrer. Je n'ai même pas réussi à sortir mes affaires de mon sac. Je vois la silhouette de la professeure qui s'arrête devant moi et me tend la main. Je lève le regard et ne comprends pas avant de voir les autres sortir leur devoir maison de leur sac ; merde, je savais que j'avais oublié quelque chose... La professeure me regarde d'un air sévère sans baisser la main. Je n'ai pas la force de lui dire que je n'ai pas fait son DM parce que j'avais d'autre chose à penser. Au bout d'une longue minute à me fixer sans sourciller, elle baisse la main et soupire.
- La mort de mademoiselle Dupuis ne vous donnera pas une excuse jusqu'à la fin de votre vie pour ne pas faire face à vos responsabilités.
Ma mâchoire se décroche d'elle-même. Elle n'a pas osé dire ça. Mes poings se serrent instinctivement et j'imagine son cou dans ma main. La satisfaction d'imaginer c'est juste jouissif. Mais je reviens sur Terre quand la professeure porte ses mains à son cou. Je me lève pour l'aider mais elle me repousse. Elle me regarde comme si j'étais un monstre. Le silence est tellement assourdissant que j'en ai la tête qui tourne. Je n'ose pas regarder les autres élèves, la seule personne que je fixe c'est Nino qui secoue la tête, comme s'il était déçu. La professeure a repris ses esprits mais elle est partie se cacher derrière son bureau comme si j'avais la peste.
- Sortez de ma salle. Allez vous changer les idées chez la CPE.
Je mets mon sac sur mon épaule et m'en vais de la salle en claquant la porte. Je prends un temps dans le couloir pour remettre mes idées en place : j'ai réussi à étrangler quelqu'un rien qu'avec la pensée... Le fait de serrer le poing et d'imaginer son cou autour... Je regarde mes mains et commence à prendre peur de mes propres pouvoirs. Je tape à la porte, on me dit d'entrer.
- Mademoiselle Morel, vous venez m'amener qui aujourd'hui ? Demande le CPE.
- Personne, c'est moi qui me suis fait virer.
Il me regarde comme s'il n'en croyait pas ses oreilles. Au bout d'un moment, il hausse les sourcils et soupire. Je n'ai pas la force d'argumenter sur ce qu'il vient de se passer ni même d'expliquer que j'ai réussi à étouffer ma prof par la pensée.
- Bien... Je vais appeler vos parents.
Ma mère travaille aujourd'hui et rentre très tard. Ayden est tout seul à la maison, c'est lui qui va répondre au téléphone. Il compose mon numéro fixe. Ça sonne puis quelqu'un décroche.
- Allô. Oui, je suis le CPE du lycée Montmartre. Oui, elle a été exclue de son cours de français. Vous pouvez venir la chercher je vous prie ?
Il sort des formules de politesses et raccroche. Il pose ensuite ses coudes sur le bureau et me fixe, compatissant. Il se passe bien deux bonnes minutes avant qu'il ne me pose enfin une question.
- Qu'est-ce qui s'est passé, mademoiselle Morel ?
- Rien.
C'est totalement faux, j'ai complètement craqué ; je suis un zombie depuis plusieurs semaines, je marche hors de mon corps je veux que ça s'arrête que cette douleur s'arrête. Il ne demande pas plus d'explication ce qui me soulage un peu. Au bout de deux minutes de silence complet qui m'ont parues deux heures, mon frère toque à la porte.
- Bonjour.
Il me regarde avec un air sévère. Je déteste quand il fait ça et il le sait. On dirait le regard de ma mère quand j'ai cassé les tasses de mamie : surtout qu'ils ont exactement les mêmes yeux, ce qui n'arrange rien. Il va falloir que j'invente une excuse pour sortir d'ici parce que la vérité ne va jamais passer.
- Mademoiselle Morel, pourquoi est-ce que Madame Edwards vous a exclue ?
- Je lui ai répondu, je murmure d'une voix presque inaudible.
- Tu as quoi ? Demande Ayden.
Il n'a pas entendu ce que j'ai dit puisqu'il me regarde d'un air interrogateur. Mais le CPE a très bien entendu.
- Elle a répondu c'est bien cela ? Très bien. Vous irez en retenue demain à 15h45, est-ce clair ?
Je hoche la tête positivement.
- Merci Monsieur, dit Ayden en serrant la main du CPE.
Je tourne la tête et lève les yeux au ciel : il n'a jamais été copain avec l'autorité mais depuis qu'il a quitté l'école, ils se comportent comme un parent. Nous sortons tous les deux et on se dirige vers sa voiture.
- Qu'est-ce qui t'as pris ? Demande Ayden sur un ton de morale.
- Ne me prends pas la tête, s'il te plaît.
- Tu vas te calmer d'accord, tu as eu du bol que ce soit moi et pas maman qui réponde au téléphone. Tu te serais fait déchirée.
- Et alors tu n'as pas à me faire la morale tu n'es pas mon père. Le jour où tu le seras tu pourras l'ouvrir !
Il arrête brutalement la voiture en donnant un coup de frein, ce qui me fait pousser un cri de surprise. Il déteste qu'on parle de papa. C'est un sujet sensible à la maison et je sais que j'ai dépassé les bornes quand je vois sa mâchoire se crisper.
- Sors ! Sors de là, tu rentreras à pied, ça te changera les idées. Allez, il ajoute en me voyant immobile.
Je sors de cette foutue bagnole et me dirige non pas vers la maison mais chez Nino.
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