Chapitre 7
– Béni soit l'inventeur du chauffage.
Je ne pouvais m'empêcher d'approuver les dires de mon frère. Vivi, As et moi, avions une petite maison un peu plus loin sur la propriété et la fraîcheur du temps au dehors n'était pas sans me rappeler les longues nuits d'hiver que nous passions souvent près du grand feu dans notre cahute. Mon frère alluma le chauffage grâce à son smartphone et rapidement, une douce chaleur nous enveloppa, nous faisant abandonner nos manteaux et nos gants.
– Bon, on est loin de Papa. Raconte tout.
Vivi sortait déjà trois mugs et nous nous installâmes près du foyer au gaz, à même le sol, autour de la table basse.
– Vous voulez savoir quoi au juste ?
– Tout.
J'avalai une longue lampée de vin chaud et je fixai l'intérieur, plongé dans mes souvenirs.
–Je ne sais pas si vous vous en souvenez de beaucoup de choses parce que vous étiez vraiment petits.
– Je me souviens que tu étais parti longtemps. Plusieurs semaines. Maman priait les dieux chaque soir avec un plus de ferveur je pense.
– Oui, c'était mon premier raid en Angleterre. J'avais 19 ans. J'étais parti en compagnie de Ragnar et de plusieurs compagnons.
C'était une époque d'insouciance pure. Celle où j'aimais ressentir l'embruns sur mon visage et que les vagues menaçaient de nous tuer lors des nuits de tempête. Nous autres, les Vikings, nous étions déjà de très bons navigateurs, mais, les drakkars de ce raid là avaient été pensés pour affronter tous les dangers.
J'avais soif d'aventure. Je voulais être porté aux nues, être reconnu comme un brave parmi les braves par les dieux. J'avais mon bouclier auprès de moi et les yeux pétillants de joie.
Ragnar était toujours à mes côtés, sa fougue entrainant la mienne. Quand nous avions vu les côtes d'Angleterre, il m'avait serré par les épaules. L'Angleterre, c'était une terre de conquêtes et j'avais hâte de pouvoir raconter à tout le monde ce que j'avais vu. Ce que j'avais fait.
Nous avions amarré nos navires sur les côtes et j'étais parti en éclaireur avec Ragnar pour voir où étaient les villes les plus proches. Nous avions marché un long moment en forêt jusqu'à entendre des rires féminins.
Ragnar m'avait fait signe d'être encore plus silencieux que lorsque nous chassions. Nous nous étions rapprochés d'arbres aux troncs épais et nous avions vu une jeune femme et une plus âgée en train de se baigner.
– C'était elle ? demanda ma sœur.
– Oui, c'était elle. Une brune magnifique. Je me souviens que mon corps a tout de suite réagi en la voyant et ça avait fait rire Rag. Il m'avait promis que si je devais recroiser son chemin, elle serait pour moi. Je dois avouer que je n'avais pas compris exactement ce qu'il voulait me dire, et je pense qu'il l'a compris directement.
Nous avions quitté l'observation de ces femmes pour déterminer où se trouvait leur ville et nous étions rentrés au campement. Le but c'était de les prendre par surprise, au petit matin. Personne n'avait encore repéré notre venue.
Mes mains se mirent à trembler et mon frère posa la sienne dessus, comme pour me calmer.
–Ça a été un véritable massacre. Nous avons mis la ville à sac. Même aujourd'hui... j'ai dû mal à croire que j'ai pu faire autant de mal. J'ai passé à la lame de mon épée des gosses aussi perdus que moi pour plaire à des dieux qui n'existent sûrement pas. Quand j'ai tué mon premier mec, j'ai dégueulé en pleine rue. C'était horrible. Rien ne prépare à la mort. J'ai repris mes esprits juste après ça, aux sons des hurlements d'agonie. Je suis entrée dans une maison dont la porte avait été défoncée et j'ai enjambé des cadavres. Le but c'était de récupérer des butins qui pourrait nous aider pour le commerce. J'étais avec Børre dans la maison et je suis monté jusqu'au grenier. C'est là, que je l'ai vue. Brunehault. Elle était apeurée et elle me regardait comme le monstre que j'étais alors que quelques heures plus tôt, j'avais été attiré par son sourire et sa joie de vivre. Sa mère a essayé de m'attaquer avec un chandelier massif et Børre l'a maîtrisée.
J'avais tiré la brunette par le bras pour la sortir du coin où elle s'était terrée tout en lui disant que je ne lui ferais pas de mal. C'était peine perdue. Je l'avais trainée hors du grenier alors que sa mère se faisait violer.
– Est-ce que tu...
– Non Vivi. Je ne l'ai pas violée. Je l'ai portée par dessus mon épaule alors qu'elle se débattait et je l'ai sortie de la ville. Je voulais la libérer. Mais... nous n'étions pas seuls et je n'ai pas pu le faire. Sinon, elle allait se faire agresser, c'était une évidence. Alors, j'ai pris une décision que je regrette. J'ai dit aux autres qu'elle était mon butin. Je leur ai interdit de la toucher et je l'ai ramenée chez nous. Je ne sais pas pourquoi. Le destin sûrement. Elle était terrée dans le drakkar durant tout le trajet retour. Mais je me mettais toujours à côté d'elle. Nous sommes arrivés ici et... je me souviens que tu lui as pris la main pour l'emmener à la maison, Sølvi.
– Mais vous deux, vous avez...
Ma sœur rapprocha ses doigts comme lorsque nous étions encore jeunes.
– Oui, nous sommes devenus des amants. Elle a été ma première. Ça a commencé quelques mois après son arrivée. Elle comprenait notre langue de mieux en mieux et elle est venue me rejoindre dans ma couche. C'était un soir où nous avions bu plus de bières que d'ordinaire.
Je me tus un instant, plongé dans mes souvenirs. Elle était magnifique et c'était l'une des meilleures nuits de ma vie. Je m'étais réveillé le matin avec la sensation d'être devenu un homme. Un vrai. Nous avions fait l'amour toutes les nuits, sauf celles où elle était indisposée, et ce pendant des années. Elle était devenue ma compagne sans que je l'épouse. Elle m'attendait en revenant de raid, elle s'occupait de notre foyer avec ma mère... mais j'avais décidé d'épouser Hedda, et ça... elle ne l'avait pas supporté.
– À l'époque... ça ne me paraissait pas si cruel de faire ça. De lui faire comprendre qu'elle et moi, nous ne serions plus rien l'un pour l'autre en l'invitant à mes fiançailles. Ça l'était. Et un soir, elle m'a demandée de la suivre. Je l'ai fait. Et c'est là, qu'elle m'a maudit, après que je l'ai rejetée une énième fois. Elle m'a dit que puisque je ne voulais pas de son amour, elle ferait en sorte que je n'en ai plus aucun et que je vois mourir ceux que j'aime. Je me souviens avoir perdu connaissance et je suis rentré. Deux jours plus tard, je me suis marié. Et la soif de sang est apparue un mois plus tard.
– Et c'est à ce moment là que j'ai secoué Brune, et qu'elle a lâché que ta malédiction était dans ton sang et qu'on a partagé le tien.
Asmund restait parfaitement silencieux et me demanda des précisions sur la clairière. Je répondis sans aucun filtre.
– Ça va vraiment beaucoup m'aider. Je vais pouvoir préciser mes recherches. Est-ce que tu sais ce qu'elle est devenue ?
– Brune ? Je ne l'ai pas vue depuis cette soirée chez Eiffel au XIXè siècle.
– Tu as l'air honteux. Qu'est-ce que tu as fait... non !!! Sigmund ! Tu as recouché avec ton ex !!
Ma sœur semblait désespérée mais Asmund m'adressa un clin d'œil.
– Ça en valait le coup j'espère ?
– Ouais, répondis-je à mon frère. Mais je me porte mieux quand elle n'est pas là. On évite de la ramener dans le coin, merci.
Mon téléphone vibra : notre mère nous demandait de revenir à la maison pour le coucher des enfants. Nous fûmes à peine rentrés que je compris qu'il y avait un problème. Sophie arriva en trombe dans le hall, furieuse.
– Occupez-vous de Lili, je vais commettre un infanticide.
Ma sœur suivit la mère tandis que je me déplaçai à l'étage. Lili était assise en milieu de chambre, les lèvres pincées. Elle ressemblait beaucoup à sa mère et quand elle me vit, ses yeux lancèrent des éclairs.
– Non !! Je ne veux pas.
– Tu ne veux pas quoi bichette ?
– Je ne veux pas dire désolé à Magne ! Il l'a mérité. C'est un crétin !!!
Je levai un sourcil mais elle n'en démordait pas et elle me tourna le dos. Je m'installai sur le lit.
– Tu peux m'expliquer ce qu'il a fait ?
– Il m'a dit que les filles, c'était nul ! Alors je l'ai poussé. Mais il a roulé dans l'escalier et je crois qu'il s'est fait mal. Je ne voulais pas lui faire mal, mais il a mérité d'être poussé ! C'est pas nul les filles !
– Tu as parfaitement raison. Ce n'est pas nul du tout les filles. Mais tu sais... Magne, c'est encore un petit garçon. Il ne sait pas à quel point les filles sont cool. Il n'a que des frères, alors c'est à toi de lui montrer ça. Et tu viens de me dire que tu ne voulais pas lui faire du mal, mais c'est un fait. Il a dû avoir peur et mal. Donc là, tu confirmes le fait que les filles c'est nul.
Elle baissa les yeux et je m'approchai d'elle à pas de loups.
– Je pense que tu devrais aller lui demander pardon pour lui avoir fait du mal. Ça ne te prendra que quelques secondes et ça apaiserait les tensions.
– C'est pas juste.
On frappa à la porte et je vis Asmund avec Magne sur les talons. Le petit garçon s'approcha, l'air très penaud. Je fis signe à mon frère de sortir et nous restâmes derrière la porte le temps qu'ils se présentent des excuses. Mon frère et moi nous les laissâmes lorsque j'entendis Lili lui demander s'il voulait faire une partie de Twister.
– Tu as l'air soulagé Sigmund. Est-ce que c'est dû à ta révélation de tout à l'heure ?
– Je ne sais pas. Je suis un enfoiré qui a arraché une gosse de 17 ans à son pays, qui l'a baisé pour la jeter quelques années plus tard quand son véritable amour est apparu.
– Tu as beaucoup trop ressassé cette histoire. Laisse couler.
– Je n'arrive pas à passer à autre chose et j'en ai testé des psy. Freud s'en est arraché les cheveux avec mon cas.
– J'ai bien une idée, mais tu vas la détester.
Je scrutai mon frère alors que je descendais les escaliers.
– Même pas en rêve.
Il voulait que je la revois. C'était ce que m'avait dit plus d'un psy. Il fallait affronter ses démons. C'était au dessus de mes forces. Elle m'attirait autant qu'elle me rebutait et c'était pas une bonne chose. Physiquement, elle était mon style... mentalement... elle voulait ma perte.
Je l'avais supplié à genoux de sauver ma femme. De la rendre comme moi. Elle avait refusé catégoriquement avant de disparaitre pendant plusieurs siècles. Ma femme avait agonisé dans mes bras et je n'avais rien pu faire pour la sauver. Je n'avais que mes larmes.
Le lendemain de son décès, j'étais parti en vrille. J'étais parti par le premier raid et j'avais fait un véritable carnage pour tenter de la retrouver Brune. Elle était introuvable. J'étais rentré chez moi pour tenter de retrouver sa trace puis... j'avais erré au moins deux siècles en Europe. Je l'avais trouvée dans un château en Bavière.
« Tu n'as rien compris, pas vrai Sigmund ?».
C'était ce qu'elle m'avait dit. Et j'avais commis un autre carnage pour faire disparaitre le sourire de ses lèvres.
C'était ce qui arrivait toujours quand je la voyais... des cadavres apparaissaient. Le sang appelait le sang et je n'avais nullement envie de créer un autre charnier.
J'y repensais le soir même alors que je me plongeais dans un sommeil réparateur. Brune ne devait pas revenir dans ma vie. Je ferais tout pour l'en éloigner.
Je fus réveillé par les rires des enfants. J'avais l'intention de passer un peu de temps seul et je filai littéralement par la petite porte pour me rendre dans le centre ville en voiture. Je n'avais pas proposé à ma fratrie de m'accompagner cette fois. Je trouvais rapidement une place pour me garer et je filai dans un café pour prendre une boisson chaude et de quoi grignoter.
Ce fut à ce moment précis, alors que je savourais mon chocolat chaud aux épices, que je sentis son odeur. Elle était juste derrière moi. Je relevai ma tête.
– Bonjour, Mademoiselle della Alidosi, murmurai-je distinctement en fixant le dehors.
Je tournai les yeux et elle fut surprise de me voir. Elle était splendide, un bonnet blanc enfoncé sur sa tête.
– Oh ! Je ne pensais pas vous voir... vous allez bien ? Je pensais qu'avec votre chute, vous seriez en train de vous reposer.
– Et pourtant... me voilà ! Je vous en prie, asseyez-vous...
Je n'arrivais pas à détacher mon regard d'elle. Elle retira son bonnet et ses cheveux bruns encadrèrent son visage. Ses yeux noisettes étaient grands, et laissaient entrevoir toute son innocence. Elle s'installa juste en face de moi.
– Est-ce que mon frère a pu vous recontacter ?
– Non pas encore ! Mais je ne lui en veux pas. Je comptais l'appeler dans la journée.
Elle avait un café à emporter devant elle et elle ouvrit son manteau avant de décaler son écharpe. Elle portait un décolleté plongeant et son cou... son cou me donnait envie de m'y plonger.
– Je peux lui dire de nous rejoindre si vous le souhaitez. Dès que nous sommes en famille, mon frère est très pris par les enfants. Il adore trainer avec eux.
– À vrai dire... je pense que je peux également vous faire ma demande. Enfin, si vous êtes disposé à m'écouter ?
Elle étira sa bouche, près de son grain de beauté et je fus tout simplement subjugué.
– Je vous écoute le temps de ma boisson.
Je passai une main dans mes cheveux et je regrettai tout à coup de ne pas pouvoir lire dans les esprits. J'aurais aimé connaître le fond de ses pensées alors qu'elle approchait son gobelet en carton de ses lèvres pulpeuses légèrement maquillée.
– Voilà, je suis professeur à l'université de Milan, section histoire...
– Enseignante-chercheuse ?
– Oui c'est ça ! J'ai participé à plusieurs travaux de recherche sur la période du moyen-âge... et mes découvertes récentes me laissent penser que votre maison de famille se trouve sur un site archéologique exceptionnel.
J'arrêtai de ciller durant un moment.
– Vraiment ?
– Absolument. Si je voulais voir votre frère, c'est parce que j'ai appris qu'il faisait parti de la famille Sørensen et j'ai pensé qu'il pouvait potentiellement m'aider à proposer à vos parents de pouvoir faire quelques fouilles sur votre immense propriété.
– Et que pensez-vous trouver de si exceptionnel ?
– La tombe du légendaire Ragnar Lodbrok.
Je restai neutre alors que mon cœur s'emballait. Comment était-elle venue à cette conclusion ? Je finis par lui demander et le jeune femme sortit sa tablette de son sac à main. Elle me montra le scan de plusieurs documents anciens. J'attrapai sa tablette dans ma main et je la frôlai au passage. Sa main était chaude et un frisson me parcourut. Elle retira sa main immédiatement gênée. Je fixai les documents. Je pouvais les lire aisément, mais je me contentais de les parcourir pour ne pas lui montrer.
– Et ces documents sont fiables ?
– Ils ont été écrit par une sœur du couvent des Ursulines qui a été enlevée par des Vikings.
Je relevai les yeux et je la fixai.
– Et comment s'appelait-elle ?
Je sus de qui elle parlait avant même qu'elle ne prononce son prénom.
Brunehault.
***
✨Rendez-vous demain pour la suite ✨
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