Chapitre 5
Maria nous emmena à l'aéroport trois jours plus tard pour notre vol vers notre pays natal. Elle aurait bien aimé venir avec nous pour les fêtes, mais elle avait déjà prévu de rester avec tous ses petits enfants.
Elle nous étreignit avec force comme si elle laissait partir ses enfants et son amour me serra le cœur. Elle passa une main dans mes cheveux et j'observais son visage vieillissant et ses yeux pétillants pourtant de la même façon que soixante ans auparavant.
– Je veux que tu me promettes quelque chose, Sig'.
– Dis-moi, ma belle.
– Promets-moi de t'ouvrir à l'amour et de laisser ta culpabilité derrière toi. Je sais que tu n'as pas eu une vie facile. Mais crois-en ma... courte et intense vie. L'amour est la seule et unique chose qui fait que la vie mérite d'être vécue. Alors, quand votre malédiction sera levée, trouve l'amour, Sigmund. Sois heureux et surtout...
Elle glissa sa main sur ma joue alors que ses yeux se mirent à briller de larmes.
– Promets-moi d'être là, avec moi, le jour où je quitterai ce monde pour rejoindre le Valhalla, où sont tous nos ancêtres.
– Je serai avec toi, l'épée à la main et le bouclier au poing. Mais, ça sera dans très très très longtemps. Passe de joyeuses fêtes de fin d'année. On s'appelle ma belle.
Je lui fis un dernier signe et mon sourire se figea. Trouve l'amour. Je l'avais déjà trouvé. Et Hedda était morte, sans que je puisse l'empêcher. Ma fratrie s'installa ensemble en première classe et je pris le siège juste derrière eux. Les entendre bavasser me faisait rire, mais les paroles de ma cousine résonnaient en moi.
Elle ne me voyait pas heureux alors que je faisais tout pour le cacher. Qui d'autres avait vu mon désespoir ?
– Asmund ? Dis-moi, tu as rappelé la nana qui t'a demandé à la porte ?
– Je lui ai laissé un message pour l'informer que je partais en Norvège et que je reviendrais après les fêtes de Noël pour que nous puissions convenir d'un rendez-vous, me répondit-il. Je ne sais pas ce qu'elle veut en réalité, mais ça va attendre !
Je me replaçai dans mon siège. Nous avions près de 5h de vol pour Oslo, et nous devions faire la route par la suite pendant environ une heure. Nous allions arriver tard dans la maison familiale.
– Quelqu'un a prévenu Maman que nous arrivions ? lâcha Sølvi.
– Absolument pas, ce sera une bonne surprise pour elle, ris-je. D'autant plus que la petite Lili et sa mère sont là-bas aussi. Maintenant, arrêtez de me parler, je vais piquer un somme.
Je fermai les yeux pour tenter de me reposer un peu, mais c'était peine perdue. Ma fratrie était en train de rire devant moi et la seule chose que je pouvais faire, c'était attraper mon carnet à dessin pour faire une esquisse. Je n'avais pas pris le temps de le faire depuis des années et je l'avais pris malgré tout avec moi. Je plissai des yeux le temps de visualiser exactement le dessin que je voulais faire.
L'odeur délicieuse de sang que j'avais senti à Paris me revint en mémoire et je dessinai la personne telle que je me l'imaginais. J'aimais les dessins ultra réalistes et j'avais mis des siècles à me perfectionner. Après avoir fait l'esquisse, j'ouvris ma boîte de fusain pour approfondir le dessin. Les traits d'une femme apparurent sur mon carnet de croquis avec un regard franc et rempli de mystère. Je ne l'avais jamais vu. Elle ne ressemblait à aucune femme que j'ai pu voir dans ma vie. Elle ne ressemblait même pas à Hedda, qui était souvent l'objet de mes dessins.
– Ton dessin est magnifique Sig' !
Je relevai les yeux vers ma sœur qui me regardait par dessus son siège.
– Je suis contente de voir que tu t'es remis au dessin ! Tu avais abandonné depuis des années, mais tu n'as rien perdu de ta patte légendaire.
– Tu te souviens aussi que j'ai horreur qu'on me regarde dessiner avant d'avoir finalisé un dessin alors...
Elle leva les yeux au ciel et se rassit sur son siège. Mon index se posa sur le visage que j'avais dessiné. Oui, la femme que j'avais représentée, si elle avait existé, aurait été magnifique. Une femme de la trempe d'une déesse.
Nous arrivâmes plusieurs heures plus tard à l'aéroport d'Oslo où je récupérai la voiture que j'avais louée pour rentrer à la maison. Il était tard et je pris le volant en me frottant les mains pour les réchauffer un peu. Je laissai un peu le moteur tourner avant de partir, le temps de programmer le GPS.
– Un GPS ? Putain, mais ça fait des siècles littéralement qu'on vient là ! Qu'est-ce que tu fous ! grogna mon frère. Touriste va !
– Quand on évitera la circulation grâce à mon GPS, tu seras bien content ! J'ai bien envie de voir Lili avant qu'elle s'endorme.
Je démarrai le véhicule et je filai sur la route en enclenchant la radio pour avoir des informations sur la région qui m'avait vue naître. Je m'engageai au cœur de la forêt après avoir échappé aux bouchons et j'éteignis le GPS. Je n'en avais pas besoin. J'étais chez moi. Ma sœur chantonnait dans la voiture une vieille comptine que nous chantait notre tante jadis. Ma tête dodelinait en rythme avec elle. Je vis bientôt les contours de la propriété et je tapai le code à l'entrée pour que le portail s'ouvre derrière moi. Je passai par le garage et quand nous arrivâmes dans la magnifique demeure de mes parents, un sourire s'afficha sur mes lèvres. Ils avaient construit leur maison sur l'emplacement exact de notre ancienne cahute. Nous avions réuni toute la place de notre ancien village à cet endroit, enterrant les reliques de certains monuments.
Ma mère apparut dans notre champs de vision et elle poussa un cri avant de courir dans nos bras.
– Mes chéris ! Vous êtes là !
Un autre cri me parvint et ma petite Lili suivit le même chemin que ma mère. Je l'attrapai dans mes bras pour la faire tourner et la garder contre moi. J'apparus dans le salon en tenant la petite en pyjama et sa mère se leva d'un bond.
– Tu as changé d'avis ?
– Exactement ! Salut Papa.
Je lui tendis la main pour qu'il la serre, mais mon père était du genre câlin viril et il me donna de grandes tapes dans le dos.
– Sig ! Lâche Lili un peu ! Je veux en profiter moi aussi ! grogna mon frère.
Je lui laissai la petite blondinette le temps de serrer sa mère contre moi. Lili était fatiguée et ma sœur l'accompagna jusqu'à sa chambre. Elle revint cinq minutes plus tard et s'assit directement sur les genoux de notre père, assis dans son fauteuil favori au coin du feu.
– Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? m'interpella Sophie. Je pensais que tu voulais passer ton Noël aux Bahamas ? Tu avais l'air assez catégorique.
– C'est de mon fait, sourit Asmund. Il ne peut pas se passer de ma lumineuse présence.
Mon père en rit dans sa barbe tandis que ma mère nous tendait une bière à chacun d'entre nous.
– Et la véritable raison.
– Je pense avoir trouvé un moyen de défaire la malédiction et il fallait que nous soyons ici.
– Tu...
Ma mère s'assit près de moi et attrapa ma main dans la sienne.
– Tu es certain Asmund ?
– Je ne peux pas l'affirmer. Il faut défaire ce qui a été créé par la magie à la fois du sang et des cieux, mais... oui, je crois savoir comment faire. Il nous fallait être ici, sous le ciel similaire de cette nuit-là. Ce sera pile après le jour de Noël.
Maman posa son regard sur moi, aimante.
–C'est vraiment ce que tu veux Sigmund ?
Je hochai la tête et la douceur de sa main sur ma joue me fit fermer les yeux.
–Dans ce cas, il va falloir que tu nous dises clairement ce qu'il faut faire mon petit chaton. Je refuse que vous vous mettiez en danger, je veux que ce soit parfaitement sécurisé.
– Oui M'man. Je ne suis pas une tête brûlée...
Tout le monde se tourna vers mon benjamin et Sophie se tordit de rire.
– Sérieux Asmund ? Je t'ai vu sauter d'un fjord à poil pour gagner un pari ! Tu es la définition même de la tête brûlée !
– C'est pour ça que je suis ton cousin favori.
– Tu es l'un de mes cousins favoris. D'ailleurs, tant que vous êtes tous là... est-ce que l'un de vous accepterait de nous héberger Lili et moi pendant une durée indéterminée ?
Mon père se redressa et lui demanda sérieusement si elle avait des problèmes.
– La mère de Mitch. C'est elle mon problème. J'ai tout fait pour que Lili connaisse la famille de son père, mais c'était une erreur. On s'est prise la tête toutes les deux, et elle m'a hurlé dessus que j'étais une mauvaise mère et qu'elle m'intenterait un procès pour récupérer la garde. Elle va me rebalancer toutes les erreurs que j'ai pu faire, comme ma fuite à l'étranger après le décès...
Ses yeux s'embrumèrent et je commençais à m'énerver très sérieusement. Mon poing se referma.
– Je pense que ma solution c'est que je parte à l'étranger, alors si l'un de vous accepte de m'héberger le temps que je...
– Ma maison à Milan est un peu grande pour moi tout seul, l'interrompit mon frère. Tu peux venir quand tu veux et je peux même te trouver un travail à la Pinacothèque de la Brera. Redonne-moi ton CV, je serai ta lettre de recommandation.
Sophie travaillait en tant que conservatrice dans un musée et parlait italien couramment, même si elle devait être un peu rouillée. Il était assis juste à côté d'elle et elle l'attrapa dans ses bras avant de se mettre à pleurer tout en le remerciant. Il décala notre petite cousine et essuya ses larmes.
– Je ferai n'importe quoi pour toi. C'est un sentiment partagé par l'intégralité de notre famille. Tu prends soin de nous, nous prenons soin de toi. Et on continuera aussi longtemps qu'on le pourra. Nous prendrons soin de Lili, puis de ses enfants, et des enfants de ses enfants, jusqu'à la fin de ce monde. Elle est notre petit trésor, comme ses cousins italiens, américains et ceux qui vivent à Bergen. Alors, tu peux nous demander ce que tu veux, et si c'est dans nos moyens, nous le ferons pour toi, d'accord ?
Elle hocha la tête, réconfortée et pour changer l'ambiance triste qui s'était installée dans le salon, ma soeur se leva des genoux de mon père pour jouer du piano. Elle commença un chant de Noël et un sourire fleurit sur le visage de ma mère.
– Vous allez tous nous aider pour la décoration de Noël... Demain, vous partirez avec votre père chercher un arbre. La petite l'attend avec impatience.
Je plissai des yeux.
– On est obligé ? J'aurais bien profité de mon lit demain...
Ma mère me jeta un regard noir et je baissai les yeux.
–Demain à la première heure, c'est noté.
Je finis par me redresser pour monter dans ma chambre. Elle ne changeait jamais au fil des ans. Ma mère n'y mettait les pieds que pour faire le ménage dedans et retirer la poussière. Je me laissai tomber sur mon lit. Demain serait un autre jour.
Je fus réveillé en sursaut par Lili qui sauta sur mon lit.
– Sig !!!! Viens voir ! IL NEIGE !
Je me frottai les yeux et j'ouvris mes rideaux. La neige était épaisse au dehors et Lili la fixait d'un air émerveillé.
– Tu veux qu'on aille faire une bataille ?
–OUI !!!
Elle tapa dans ses mains et sautilla pour sortir de ma chambre. J'attrapai une robe de chambre en soie bleue nuit et je la rejoignis alors qu'elle m'attendait dans le couloir.
– Dis moi micro, tu veux faire un truc trop cool ?
– Je ne suis pas micro ! Mais oui !
– On descend la rampe d'escalier tous les deux.
Ses yeux s'agrandirent puis se plissèrent. Je savais ce qu'elle allait dire.
– Maman a dit que c'était interdit.
–Quand tu es toute seule, oui c'est interdit, parce que c'est dangereux. Mais avec moi à tes côtés, ma Lili, rien ne peut t'arriver.
Je lui tendis les bras et elle s'y précipita. Je nous installai sur la rampe de l'escalier et je la sentis s'agripper à moi. Son petit cœur battait la chamade non pas de peur mais d'excitation. Je pris de l'élan et elle éclata de rire. Nous arrivâmes quelques secondes plus tard en bas des escaliers.
– On peut recommencer ? C'était vraiment trop cool !
– Qu'est-ce qui était trop cool ?
La voix de sa mère la fit rosir, mais la petite fille espiègle qu'était Lili eut un sourire en coin, assez similaire à celui de mon père d'ailleurs.
– C'est un secret avec Sigmund, je ne peux pas te le dire.
Sophie leva les yeux vers moi.
– Est-ce que ce serait un secret à base de rampe et d'escalier ?
La petite gloussa et sa mère me fusilla du regard alors que sa fille filait dans la salle à manger.
– Tu partages donc notre secret avec ma fille ?
– Je ne peux pas répondre à cette question, mais si c'était le cas, j'ai insisté sur la dangerosité de la chose. De manière purement hypothétique, bien évidemment.
Elle m'embrassa sur la joue.
–Merci de faire des trucs avec elle. Elle a besoin d'avoir une figure masculine et... ton frère et toi, vous faites parfaitement le taf.
– Tu es une mère extraordinaire, contrairement à ce que sa grand-mère peut dire. Tu fais passer les besoins de ta fille avant tout. C'est la marque des bons parents. J'ai oublié de te le dire hier soir. Et puis... J'aurais aimé avoir une fille comme toi.
– Quand on voit ma relation avec mon paternel, moi aussi j'aurais aimé t'avoir comme père. Bon, je meurs de faim !
Elle m'attrapa par le bras et me ramena dans la salle à manger où le reste de ma fratrie avait l'air de zombie. Mes deux parents rayonnaient.
– La Maman de Zoey a demandé à Maman si tu étais célibataire, Sig'!
– Elle est jolie la Maman de Zoey ?
– Pas autant que Maman ! répondit la petite fille. Oncle Søren ? Est-ce que je peux venir pour choisir le sapin moi aussi ?
– Évidemment, nous attendons juste l'arrivée de tes cousins de Bergen. Ils viennent passer les fêtes avec nous eux aussi, ajouta mon père en nous fixant mon frère, ma sœur et moi. Les petits arrivent en avion et leurs parents nous rejoindront plus tard.
Ils avaient à peu près l'âge de Lili et cette dernière paraissait enthousiaste. La maison allait bientôt grouiller d'enfants et de rire. J'allais avoir besoin de calme et de sérénité.
– Quand arrivent-ils à l'aéroport ? demandai-je.
– Vers midi ! me répondit ma mère. Vous serez bien aimable d'aller les chercher d'ailleurs les enfants.
J'avais personnellement la flemme de m'y coller, aussi je fixai ma mère droit dans les yeux.
– Tu veux que je grimpe sur le toit pour installer les décorations ?
– Tu ferais ça ?
Je hochai la tête et elle m'adressa un sourire franc.
– Tu es vraiment un bon petit garçon, Sigmund. Asmund, tu aideras ton frère tandis que votre et sœur et moi, nous allons à l'aéroport chercher les petits. Il n'est pas exclu que nous fassions un peu de shopping. Sophie, tu veux venir avec nous pendant que Søren garde la petite ?
– C'est gentil, mais je dois refaire mon CV, ça va me prendre la matinée. Pourquoi tu regardes tante Asta ainsi, ma bichette ?
– Est-ce que c'est bon le sang ?
– Tu n'aimerais pas en boire, tu trouverais ça dégoûtant, lui affirma ma mère.
–Ça veut dire que je pourrais pas devenir un vampire quand je serai grande ?
– Non, tu ne pourras pas, répondis-je fermement.
Elle eut l'air attristé, mais son sourire fleurit de nouveau sur ses lèvres.
– Et est-ce que je pourrais devenir une sorcière ? Comme Amandine Malabul ?
– Franchement, ça peut le faire, répondit Asmund. Tu as un chat ou pas ?
Elle secoua la tête et se tourna totalement vers sa mère.
– Maman ! Il nous faut un chat, et un chaudron et aussi...
Le moulin à paroles était de sortie et après le petit déjeuner, au moment de rejoindre ma chambre pour enfiler des habits, je songeais à ses paroles. Elle aimait les vampires parce qu'elle nous aimait nous. Lili était trop petite pour se rendre compte à quel point nous étions dangereux. Les prédateurs au dessus des autres prédateurs.
Les tueurs, au dessus des autres tueurs.
***
✨Rendez-vous demain pour la suite ✨
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