- Tu veux qu'on passe Noël avec qui ? demanda Sophie pendant le petit déjeuner.

Matt était assis en face d'elle et la contemplait. Depuis son retour, il ne se lassait pas de la regarder, d'admirer la forme de son visage, la courbe délicate de ses cils sombres encadrant ses yeux clairs, le tracé de ses lèvres roses, un peu gercées en hiver, mais sans jamais perdre de leur douceur.

- Oli et Cannelle, peut-être ? Ou Muse ? Tu n'as pas envie de revoir les gars ?

Matthew fronça le nez :

- Ils sont en Angleterre... Reprendre encore un train ou un avion ? Beuh, non, il faut que j'arrête avec les transports pour un moment, j'en ai trop pris ces derniers mois.

Sophie esquissa une moue réprobatrice.

- Je ne peux pas faire autrement pour les concerts ! Je sais que tu désapprouves à cause de la pollution, mais mon amour, comment veux-tu que je me déplace dans tous ces pays sans polluer ?

- Mon ancien employeur m'a proposé de passer la soirée du 24 avec lui, annonça-t-elle, changeant de sujet.

- Qui ça ?

- Mon ancien employeur, un ami. Il s'appelle Sébastien, il est très gentil mais on ne se voit pas souvent. On s'entendait bien mais notre relation était surtout professionnelle.

- Hmm. Je pensais rester juste tous les deux et nous faire un petit dîner en amoureux, mais si tu préfères voir ce type, pas de problème, on va avec lui...

- Pourquoi tu le prends comme ça ? soupira Sophie. Il a juste gentiment proposé ça parce que ça fait presque un an que je ne l'ai pas vu. Je te transmets la demande, et voilà, c'est tout. Pas besoin d'être désagréable... Et on est tous les jours juste tous les deux, tu ne veux pas voir du monde, un peu?

- OK, OK, désolé. Je ne connais pas cet homme, je ne sais pas si je m'entendrai bien avec lui...

- Je suis sûre que oui.

- D'accord, alors, on passe Noël avec lui. Ça ne le dérange pas que je sois là ?

- Bien sûr que non, pourquoi ?

- Je ne sais pas, parce que... parce que je suis connu ? Et parce que c'est pour moi que tu as démissionné.

- Oh ne t'en fais pas, il a digéré ma démission, depuis le temps. Et je ne pense pas que ta célébrité le dérange, il sera sans doute juste un peu gêné au début. Il ne saura pas comment se comporter avec toi, voilà tout.

- Il parle anglais ? Parce que sinon, je ne comprendrai rien de ce qu'il dira et inversement.

- Il sait se faire comprendre en anglais, oui. Je ne dis pas que c'est un champion, mais il se débrouille. Ça ira, Matt... Merci d'avoir accepté, c'était important pour moi.

•••

- Il faudrait que je trouve des vêtements plus larges, je commence à être à l'étroit dans mes t-shirts, observa Sophie en reposant au contrecœur le cintre d'une robe blanche qu'elle mettait d'habitude pour les fêtes, devenues trop serrée pour son ventre de future maman. Qu'est-ce que je vais porter, hein ?

Elle prit Matthew à témoin d'un regard et croisa les bras, frustrée de devoir ajuster sa garde-robe aux caprices de son bébé qui prenait bien trop de place.

- AH !!! hurla-t-elle alors que Matt ouvrait la bouche pour lui répondre.

Il l'observa en refermant les lèvres ; elle posa une main sur son ventre, ses yeux s'embuèrent. Il s'approcha d'elle, et dégagea sa nuque d'une mèche échappée de son chignon.

- Matthew... le bébé... Il vient de me donner un coup dans l'estomac... Il bouge, Matt, il bouge ! AH ! Encore ! Juste là... Pose ta main.

Elle lui attrapa le poignet et positionna ses doigts sur le bas de la courbe de son ventre, lui murmurant de se concentrer sur les coups de pieds et de poings que donnaient le petit, agité. Matt attendit une minute, et, alors qu'il s'apprêtait à abandonner en disant que tant pis, il avait arrêté de bouger, il le sentit. Le petit avait tapé pile dans sa paume.

Matthew croisa le regard de Sophie, qui avait un sourire ému aux lèvres.

- Bonjour, petit amour, murmura le chanteur en s'accroupissant pour se mettre à la hauteur du ventre de Sophie, qu'il caressait tendrement. Tu as l'air d'être un sacré boxeur. Ou une boxeuse, qui sait ? ... Je t'aime déjà. C'est fou, non, cette capacité qu'ont les adultes à aimer quelqu'un qui n'est pas encore là... J'aimerais te chanter quelque chose tout plein de sentiments et de l'amour que je te porte, mais je suis plus doué pour parler de l'apocalypse et des politiciens corrompus...

Il ferma les yeux alors que Sophie posait une main dans ses cheveux.

- Mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t'offrir un monde où l'amour et la joie règnent... Où cette folie relative à l'argent n'existe pas, où personne ne lorgne le voisin en murmurant des atrocités sur lui dans son dos, où les coups bas, la misère, les manipulateurs, n'existent pas, et où tu pourras grandir en sûreté...

Il se tut. Son cerveau lui hurlait que ce monde n'existerait jamais.