Matt longea la mâchoire de Sophie du doigt, lui murmurant doucement de se réveiller. Elle ouvrit les yeux, rencontra les siens, et un sourire s'épanouit sur ses lèvres.

- Tu n'oublies pas notre rendez-vous, mon amour ? susurra Matthew en embrassant son front pour lui dire bonjour.

- J'ai pas envie...

- Mais c'est important, on va avoir la réponse aux questions qu'on se pose depuis le dernier rendez-vous. Et il faut y aller si tu veux un suivi de grossesse efficace. Allons, un peu d'efforts, ma belle, ça ne sera pas long...

Elle se leva et s'habilla de mauvaise grâce, avala une tartine, et se prépara à sortir. Aujourd'hui, Matthew et elle se rendaient à leur deuxième consultation prénatale. Déjà quatre mois avaient passé... On était à présent fin janvier, presque au milieu de la grossesse de Sophie, et Cannelle approchait de la fin de la sienne. Leurs enfants auraient deux mois d'écart, calcula Sophie en descendant du taxi.

•••

- Monsieur est souvent absent pour son travail, c'est bien ça que vous avez dit au précédent rendez-vous ?

- Exactement, acquiesça Matthew.

Le médecin qui les avait accueillis la dernière fois était absent, son collègue fraîchement sorti de l'école le remplaçait. Il parlait un anglais fluide, sautillant sur les accentuations qu'il s'appliquait à mettre un peu partout. Matt n'avait donc aucun mal à le comprendre, et tout leur entretien se déroulait en anglais, à part pour les termes techniques, dont le docteur ne connaissait pas la traduction ; il s'adressait alors uniquement à Sophie avec un léger froncement de nez. Son niveau d'anglais limité l'agaçait clairement, et Matt s'en amusait, réprimant un sourire à chaque fois qu'il repassait en français.

- Ce n'est pas l'idéal pour le développement d'un bébé, ni pour votre confort. Un enfant a besoin de ses deux parents pour se construire, et si l'un d'eux n'est presque jamais là, il en souffrira. De plus, si, madame, vous prenez seule la responsabilité de vous lever la nuit pour calmer les pleurs de votre petit parce que votre compagnon est absent, vous verrez la fatigue s'accumuler sans occasion de l'évacuer. Non, vraiment, je vous conseille, cher monsieur, de vous débrouiller pour être là le plus souvent possible tant que le bébé n'a pas acquis un minimum d'autonomie. Je sais qu'en tant que futurs parents, vous sous-estimez toujours l'épuisement, autant physique que moral, qu'engendre la naissance d'un enfant. Mon rôle est de vous prévenir et de vous aider à vous y préparer. Je vous le dis clairement : vous vous effondrerez si vous devez élever un enfant seule.

- Mais il y a bien des femmes qui le font, murmura timidement Sophie, impressionnée par la certitude que le jeune homme mettait dans ses propos. Et elles n'en meurent pas, elle se portent plutôt bien, même. Pourquoi je ne pourrais pas le faire ?

- Tout ce que je dis, c'est que si vous ne voulez pas être au bout du rouleau après une semaine seule avec cet enfant, monsieur doit s'arranger pour être auprès de vous le plus souvent possible.

- Ça n'est pas compatible avec mon activité professionnelle, répéta Matthew pour la troisième fois. Désolé de parler avec de tels termes, mais si je ne bosse pas avec mon groupe, mes fans se mettront à me haïr pour mon manque de ponctualité – déjà qu'on ne sort pas d'albums souvent... – et je me retrouverai à la rue. Je suis sûr que Sophie sera assez forte pour surmonter ça, et je lui enverrai tout l'amour et la force du monde. Mais, à distance.

Le médecin fronça le nez.

- Je ne suis là que pour vous donner des conseils, après, vous les écoutez ou pas, comme vous voulez... De toute façon je ne pourrai pas vous forcer à rester chez vous, n'est-ce pas ? Alors faites comme bon vous semble, c'est tout.

Il les mit dehors quelques minutes plus tard, il avait sans doute mal digéré que Matt ne suive pas ses conseils à la lettre. Le chanteur passa un bras autour de la taille de Sophie, et ils marchèrent une demi-heure pour rentrer chez elle.

- Il faudrait qu'on trouve un plus grand appartement, si on veut s'installer ensemble.

Sophie leva sur lui un regard effrayé.

- S'installer ensemble ?! Mais je suis bien ici... Et tout le luxe dont tu affubles tes résidences ne m'attire pas du tout, mais alors pas du tout, du tout. Et puis tu ne seras jamais là, à cause de ton groupe, alors que moi, je devrai rester garder notre enfant... Je ne pourrai pas te suivre en tournée quand cet enfant sera scolarisé, je devrai rester là pour le garder. À quoi bon me déplacer mon chez-moi ?

- Je ne sais pas, chérie, je ne sais pas, je suppose juste. Désolé, ajouta-t-il. C'est juste que j'aurais l'impression que notre relation est plus sérieuse, si on habite ensemble.

- Alors emmène tes affaires ici, même s'il n'y a pas beaucoup de place...

- C'est bien trop petit ! Et on sera bientôt trois, en plus. Tu as pensé à l'endroit où tu allais mettre son berceau ? Tous ses jouets ? Un placard pour les couches, biberons, ses vêtements, aussi. Ça prend de la place, un bébé, et de la place, dans ton studio, il y en a tout juste assez pour une personne. Je te laisse réfléchir et prendre ta propre décision, mais t'entasser ici avec un gosse, je sais que ce n'est pas une bonne idée.