Les jours se succèdent les uns après les autres, tout comme les clients qui se font de plus en plus nombreux à l'approche de la Saint-Valentin. Chaque journée se conclut par un affreux mal de dos, une migraine infernale et une fatigue qui m'empêche de profiter de mes soirées. Vivement le 15 février ! Je n'en peux plus de toute cette effervescence autour de cette fête commerciale !

Mais il y a un point positif à toute cette agitation : je n'ai plus le temps de visionner la télévision où les journalistes s'extasient de l'originalité qu'est MatchYourValentin ou la force de relever les yeux pour détailler les nouvelles affiches publicitaires dans la rue. Avec un peu de chance, je n'en entendrais plus parler de ma vie, une fois la Sainte-Valentin passée !

Confortablement installée dans mon canapé, je me réjouis à cette idée, jusqu'à ce qu'une notification apparaisse en haut de l'écran de mon téléphone. Je cligne plusieurs fois des paupières, vérifie que c'est bien mon appareil et non celui de Marie, puis je me mets à hurler contre ma colocataire.

En furie, je pénètre dans la salle de bain où elle s'applique à étaler son rouge à lèvres. Ma brusque intrusion lui provoque un sursaut et une énorme ligne écarlate se dessine sur sa joue, lui donnant un air du Joker.

— Adeline, c'est pas vrai ! Regarde ce désastre à cause de toi !

— Qu'est-ce que c'est que ça ? m'écrié-je sans me laisser attendrir par son maquillage raté.

À bout de bras, je lui montre la notification sur mon téléphone, qui scintille comme une boule de disco lors d'une soirée des années 70. « Félicitations, vous avez matché avec Arthur Mercier » fait suite au logo représentant un cœur traversé par la Tour Eiffel, à l'image de la flèche de Cupidon. J'ai aperçu ce dessin bien trop de fois ces dernières semaines pour ignorer sa signification !

— Je t'ai inscrite pendant que tu dormais le soir où tu m'as parlé de ce bel homme qui a visité ta boutique. Ça se remarque à des kilomètres à la ronde que tu as besoin d'une personne dans ta vie ! Je n'ai fait que ce que j'ai estimé juste parce que je savais que tu ne franchirais jamais le pas.

— Je t'ai pourtant certifié que je ne voulais pas télécharger cette stupide application ! Je pense avoir été assez claire sur le sujet !

— Et tu souhaitais que je fasse quoi ? Que je te laisse à la maison, seule, en sachant que tu es incapable de profiter des plaisirs de la vie car tu te l'interdis ? Combien de temps ça va durer encore ? Il n'est plus là, Adeline, et il ne reviendra jamais ! Tu dois tourner la page !

Je me mords si fort la lèvre, pour ne pas pleurer aux souvenirs qui m'assaillent ou pour éviter de prononcer des mots que je regretterai, que le goût du sang s'empare de ma bouche.

— Je vais me désinscrire et désinstaller cette appli. Si elle est si bien programmée, elle trouvera un nouveau match à ce Arthur. Je suis assez grande pour faire mes propres choix, je n'ai pas besoin que tu t'occupes de moi.

Marie finalise son maquillage, après avoir effacé les traces de mon intrusion. Elle est tout en beauté avec ses cheveux sombres, sa robe rouge moulante et ses longues jambes accentuées par des escarpins. Cependant, je suis bien trop énervée pour le lui dire maintenant.

— Tu ne peux pas te désinscrire. Pour cela, tu aurais besoin du mail de confirmation et j'ai mis mon adresse mail, afin que tu ne puisses pas t'enfuir comme tu tentes de le faire actuellement.

— Mais c'est quoi ton problème ? Si je veux rester célibataire jusqu'à la fin des temps à ressasser mes souvenirs avec mon ex, ça ne regarde que moi ! Tu n'as pas à t'en mêler ! Donne-moi ton téléphone !

La sonnette retentit à ce moment précis, ce qui accentue ma frustration et colère. Quant à elle, Marie est ravie de ce moment d'interruption. Sans attendre, elle se lance vers la porte pour accueillir notre invité surprise.

— N'espère pas fuir de la sorte ! crié-je en la suivant dans la pièce à vivre où se trouve la porte d'entrée. Je n'en ai pas terminé avec toi !

— Louis ! Tu es en avance. Je viens tout juste de finir de me préparer. Tu tombes à pic.

Marie saisit son partenaire par le bras avant qu'il ne pénètre l'appartement, attrape son sac à main sur la commode et se sauve.

— Bonne soirée ! s'écrie-t-elle tandis que je me retiens de lui arracher la tête.

Une fois la porte close, je pousse un cri de frustration avant de donner un coup de pied dans le premier objet situé à proximité. Manque de chance, je rencontre une poubelle et la totalité de son contenu se déverse sur le sol.

— Merde ! hurlé-je si fort que j'étais certaine que tous les appartements voisins m'avaient entendue.

Après avoir ramassé les déchets de mon excès de colère, je me retrouve assise sur la cuvette des toilettes fermée, à chercher une solution sur cette stupide application pour faire l'impasse sur cette soirée. Comme Marie me l'a affirmé, je ne peux pas supprimer mon compte sans son adresse mail et impossible de me désinscrire.

Encadré de paillettes, feux d'artifice, confettis et autres, le nom d'Arthur Mercier me sort par les yeux. Il est écrit partout sur un fond rose affreux.

J'aurais deux mots à dire sur la conception de cette application si géniale.

À deux doigts de m'arracher les cheveux, je me convaincs que le mieux à faire, c'est de ne pas y aller. Cependant, l'idée de poser un lapin à un inconnu le soir de la Saint-Valentin ne me semble pas correcte. Cet homme, cet Arthur Mercier, s'est inscrit dans l'espoir de passer une nuit romantique avec une femme, moi en l'occurrence. Le laisser poireauter seul, alors qu'il l'était déjà pour ce soir et qu'il espérait y remédier, me paraît immoral.

Un débat interne des plus intenses se déroule dans mon esprit et chaque argument me tire de son côté, à l'image d'une poupée que deux enfants se disputeraient. Que faire ?

« Il n'est plus là, Adeline, et il ne reviendra jamais ! Tu dois tourner la page ! »

Marie a raison, je suis juste bien trop fière pour l'admettre. Il est temps que je refasse un pas vers les plaisirs de la vie. Je n'étais pas encore prête à le faire, mais visiblement, MatchYourValentin m'obligera à sortir de ma zone de confort. C'est décidé : je participerai à cet événement.