Le salon était toujours fermé à clé. C'était une règle que Miss Brown pensait appliquer au mieux. Pourtant n'importe quel individu passant plus d'une semaine à l'orphelinat s'en rendrait compte : il y avait un moment où cette règle n'était pas respectée : le vendredi, en fin de matinée.

Le vendredi était le jour des invités, il y en avait un chaque semaine, que ce soit un ami, un passant ou un pèlerin. Il prenait le café avec la directrice le matin et une fois qu'il avait terminé il s'en allait. Ça, c'était le déroulement hypothétique des choses. La réalité était toute autre : en effet, Miss Brown était une femme bavarde, très bavarde. Intarissable, surtout quand il s'agissait de ses élèves. Elle pouvait donc passer parfois plus d'une heure, devant l'orphelinat, à parler avec des invités souvent pressés de partir. Elle rentrait ensuite à l'intérieur, et fermait la porte du salon à clé, persuadée d'avoir appliqué ses principes à la lettre.

C'était donc le vendredi qu'allait se dérouler l'opération que Simon aimait appeler : lettre-suicide-Mallory (LSM pour faire plus court). Une opération suicide pour récupérer une lettre à cause de Mallory, avait-il dit pour se justifier.

Manon avait attendu toute la semaine, elle ne tenait pas en place ! Aussi, elle répondit avec le regard le plus noir dont elle était capable quand Simon lui demanda pour la énième fois si elle était sûre de vouloir prendre ce risque.

     L'opération LSM commença à 11h24 précisément. Miss Brown raccompagna son hôte à la sortie comme chaque vendredi.
    - Aller ! Go go go ! On a environ une demi heure ! lança Angelica en franchissant la porte du salon.
    Une demi heure. Largement suffisant pour simplement récupérer une clé. Angelica alla directement se placer contre l'armoire et fit signe à Manon de venir sur ses épaules pendant que Simon montait la garde à l'entrée. Manon passa la main sur le dessus de l'armoire. Très vite, elle sentit le petit objet métallique et froid contre sa paume. Elle s'en saisit immédiatement.
    - Ça y est ! Je l'ai !
    Sa voix était beaucoup plus sérieuse qu'elle ne l'avait imaginé étant donné qu'elle était en réalité en totale euphorie. Angelica la fit descendre et ils sortirent tous les trois du salon. Le plus dur était passé mais ce n'était que la première partie de l'opération LSM.

    Ils se rendirent tous les trois devant la chambre de la directrice. Sans même se concerter ils commencèrent un compte à rebours.
    - Trois... commença Angelica.
    - Deux... continua Simon.
    - Un ! finit Manon, au bord de l'explosion.
    Elle avait l'impression que son cœur battait de plus en plus fort, comment faisaient les autres pour ne pas être assourdis ? BOUM...BOUM... Elle n'entendait plus que ça. Elle appuya sur la poignée. BOUM...BOUM... Elle se dirigea lentement vers le meuble. BOUM...BOUM... Elle tourna la clé dans la serrure. BOUM...BOUM... Elle ouvrit le tiroir, il était rempli des dossiers de chacun des orphelins. BOUM...BOUM... Elle saisit le sien, il était tout mince. Elle aurait voulu prendre directement la fameuse lettre mais elle savait qu'elle allait le regretter si elle manquait de curiosité. BOUM...BOUM...
    Prénom : Manon   Nom : ?
Date de l'arrivée : 22 décembre 2720
Âge lors de l'arrivée : 7 ans
Amenée par son oncle, avec son cousin Mallory.
Raison : ne peut plus s'occuper d'eux (sûrement manque de moyens)
Elle se sentait comme une archéologue découvrant avec passion les vestiges d'une ancienne civilisation. Sauf que c'étaient ceux de sa propre vie qu'elle découvrait. La lettre maintenant ! Elle allait attraper la précieuse lettre et partir. Quand Simon la retint.
- Regarde le dossier de Mallory ! Il y a peut-être quelque chose d'autre !
Manon sursauta. Depuis quand était il là ? Plongée dans sa lecture, elle ne l'avait pas vu entrer. Quoiqu'il en soit, il avait raison. Sa patience était mise à rude épreuve. Elle attrapa le dossier de Mallory.
Prénom : Mallory. Nom : ?
Date de l'arrivée : 22 décembre 2720
Âge lors de l'arrivée : 8 ans
Amené par son oncle, avec sa cousine, Manon.
Raison : ne peut plus s'occuper d'eux (sûrement manque de moyens)
Totalement inintéressant. C'était ce qui qualifiait le mieux ce document. Il n'y avait strictement rien de plus que dans son dossier à elle.

Elle se saisit de la lettre, comme un affamé ce serait saisit d'un jambon et partit en courant dans sa chambre. Simon et Angelica n'avait qu'à la suivre ! Une fois arrivée, elle s'assit sur son lit et commença sa lecture.