Dès le premier pas qu'elle fit dans le village, Miss Brown sut qu'il s'était passé une chose terrible. Telle l'ambiance du marché changé en musée des horreurs, l'atmosphère douce du village avait été remplacée par une tension lancinante. La sensation se confirma au fur et à mesure qu'elle avançait dans les rues, suivie de ses élèves. Les passants lui accordaient des regards tristes et compatissants et quand elle approcha de la place du village, une odeur de brûlé se fit sentir. C'est là que son cœur fit un bond : devant elle, se trouvait son orphelinat, l'œuvre de toute sa vie, dont elle avait pris soin depuis tant d'années, et dont tout le deuxième étage avait été avalé par des flammes. Il n'en restait plus que des poutres maintenant. Son bureau, les chambres du personnel, l'infirmerie avaient été anéantis...
    L'infirmerie... Un frisson d'effroi lui parcouru le dos. Mathieu ! Oh non si un enfant avait perdu la vie au cours de cet incendie elle ne se le pardonnerais jamais !

    C'est à ce moment là qu'un homme émergea de la foule qui s'était rassemblé autour du bâtiment. Il tenait quelque chose dans ses bras. Enroulé dans une fine couverture. Il s'approcha d'elle, l'air compatissant. Elle lui rendit un regard plein d'horreur. Non, non, non ! Elle ne voulait pas l'entendre ! Et pourtant, calmement, très calmement, il lui expliqua que l'incendie avait été rapidement repéré et qu'ils avaient fait tout ce qu'ils avait pu, que l'étendue des dégâts aurait pu être bien pire, qu'ils avaient eut beaucoup de chance. Mais tout cela, Miss Brown ne l'écoutait pas, elle ne voyait qu'une chose : c'était ce qui se trouvait dans ses bras. L'homme déplia la couverture, laissant apparaître les restes calcinés d'un enfant, en répétant qu'ils avaient fait tout ce qu'ils avaient pu. Les yeux de la directrice restèrent fixés sur le corps de l'enfant. Elle avait échoué... elle avait failli dans sa tâche... elle n'avait pas réussi à le protéger... Elle s'écroula par terre, elle était accablée de tristesse. Mais elle ne pleura pas, Miss Brown n'était pas quelqu'un qui pleurait facilement et il lui fallait se ressaisir. Qu'allait devenir ses petits protégés si elle ne tenait pas le coup ?

    Alors elle se leva, et avec toute la détermination dont elle était encore capable, elle décida de prendre les choses en main. Elle ramena ses élèves dans ce qu'il restait de leur orphelinat et entreprit de faire l'appel. Quand elle eu finit, elle sut que Matthieu était le seul mort à déplorer. Cela la rassura un peu et la conforta dans son idée de réparation, psychique dans un premier temps, puis matérielle dans un second. Elle essaya tant bien que mal de calmer les enfants en leur répétant qu'il ne s'agissait que d'un malheureux accident, fruit de la malchance et du hasard, qui ne se reproduirait jamais. Puis à la nuit tombée, elle les envoya tous se coucher. Pour le personnel dont les chambres avaient été brûlées, elle aménagea des lits provisoires avec des couvertures qu'elle gardait précieusement en cas d'urgence. Certains allèrent aussi dormir dans une auberge.

    Par chance, sa chambre à elle n'avait pas était touchée. Elle put donc se coucher sans encombre. Cependant, elle ne parvint à s'endormir qu'après de longues heures et plongea dans un sommeil cauchemardesque, peuplé d'enfants à moitié calcinés, d'incendies et de cages remplies d'individus faméliques.