Chapitre 5 : La fête
Bonjour à tous, j'espère que vous allez bien !
Une petite note pour vous informer qu'un personnage change de nom. La fondeuse désagréable qui a emmené Marya à Os Alta devient désormais Darya. Je me suis souvenue que Tatiana était le prénom de la reine (qui n'est jamais nommée dans les livres, ce qui n'aide pas à s'en souvenir. Il faut dire que son personnage est tellement marquant...). Bref, c'est tout. En avant pour la Fête des Neiges et bonne lecture :)
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— Vous êtes très belle, complimenta Galina, une camériste au visage maternel.
— Merci, c'est grâce à votre travail, complimenta Marya avec gratitude.
Elle avait encore du mal à se faire à la présence des domestiques mais les gestes calmes de la femme et de ses associées l'avaient mise à l'aise. Aurait-elle vraiment pu se débrouiller seule ?
Restée seule, la Grisha scruta son reflet. Une étrangère, princesse de la nuit et du givre, lui faisait face, prête à conquérir la fête de l'hiver. Son habit était fait de l'étoffe même des rêves, dans un style qui n'était en vigueur à la cour depuis au moins un siècle. Cette fête allait ressusciter les fantômes scintillants. Le passé idéalisé les transportait dans une Ravka glorieuse et éternelle, loin des spectres de la guerre et de la dette.
Soyeux et confortable, son letnik était une cascade d'encre mêlée de reflets de lune. Ce manteau de forme évasée possédait un col de fourrure et des boutons ornaient son pan central. Les manches avaient été raccourcies afin de ne pas la gêner. L'habit s'arrêtait un peu au-dessus de ses chevilles, laissant voir de belles bottes lustrées. Marya n'avait guère l'habitude de porter des vêtements trop longs et n'aurait pas supporté de ne pouvoir se mouvoir à sa guise.
Ses cheveux étaient séparés en deux longues tresses, leur or chaud étincelant sur son écrin de jais. Ces derniers avaient encore poussé depuis son arrivée, reflétant son arrivée accru. Un kokochnik la grandissait. La coiffe circulaire, semblable à une demi-lune et attachée à l'arrière de la tête par un ruban, était noire. Elle avait dû appartenir à une dame de compagnie d'un rang mineur et être obtenue à peu de frais. L'on n'hésitait en effet pas à réutiliser des tenues et des ornements, la priorité allait à l'effort de guerre. Ce poids étranger ne la dérangea pas car elle avait l'habitude de porter des charges sur sa tête.
Elle se leva et tournoya, admira la danse du tissu. Marya comprenait pourquoi Elena trouvait amusant de se déguiser. La beauté et le confort de ses atours la séduisaient. Se blottir dans le confort et la beauté restait toujours plaisant. Elle avait adoré choisir les couleurs, décider de son apparence et se prit à rêver d'un kefta noir et argent. Ces deux couleurs reflétaient parfaitement son âme.
Son regard s'attarda alors sur les volutes argentées sur son manteau. Les mêmes que sur son uniforme, le faisant ressembler à un kefta modifié. Il possédait d'ailleurs les mêmes propriétés protectrices. Elle aurait presque pu passer pour noble, mais les Grisha devaient rester reconnaissables.
« Nous avons le droit de nous mêler parmi eux, mais il ne faut pas que nous oubliions que nous ne sommes pas leurs égaux ni que nous prétendions être comme eux. » commenta-t-elle avec amertume.
Sur son domaine natal, le maître aimait parfois faire preuve de mansuétude et distribuait de la nourriture à ses serfs pour se donner une bonne conscience, rappelant de la même manière leur dépendance envers lui. Tout le monde le remerciait vivement pour qu'il se montre de nouveau prodigue. C'était la même situation ici. Le roi et la reine les laissaient monter dans leur firmament, mais ne les laissaient pas oublier les origines.
Elena dehors attendait avec d'autres Grisha. Son amie portrait un beau chapeau fourré et une tunique longue qui lui donnait l'air d'une guerrière échappée de quelque épopée. L'air était chargé de foudre, d'effervescence et d'impatience. L'écho des conversations ricochait dans les couloirs.
Marya rejoignit le général, lui aussi vêtu à l'ancienne. Son long manteau doublé de fourrure et les galons sur sa poitrine préservaient son allure martiale. Malgré son dédain pour l'événement, il se devait de faire honneur à la cour. Mis côte à côte, ils ressemblaient à deux héros de la même histoire, prêts à affronter les étendues froides et sauvages. Ivan était avec eux, vêtu de son kefta, chose qui ne surprit absolument pas Marya. Des oprichniki fermaient la marche.
Le regard appréciatif d'Aleksander glissa sur cette femme nouvelle qui se présentait à lui. Marya s'affirmait, se révélait. Ces couleurs lui seyaient particulièrement sans lui donner une allure sinistre. Elle les brandissait avec assurance et son habituelle conviction.
Il avait autrefois porté ce genre d'habit, mais il ne s'agissait pas alors d'un déguisement. Ce genre de détail le confrontait au poids du temps. Les années se mélangeaient. Il s'attendit à trouver un autre soldat à la place d'Ivan Luda à la place de Marya. La plaie demeurait malgré ses efforts, ses injonctions à s'endurcir.
Le vent s'enroula autour d'eux avec un gémissement fantomatique. Les réjouissances faisaient monter la bile tant il s'y sentait étranger. La nuit noire reflétait celle de son âme. Marya se tourna vers lui avec un air doux et attentif ? Avait-elle perçu son élan de tristesse ? Il devrait être plus vigilant la prochaine fois.
Ils traversèrent la cour vers l'autre rive, le Grand Palais. Le sol était recouvert de neige et le ciel un manteau constellé de diamants. Les lumières de la fête guidaient les voyageurs vers la chaleur et la sécurité.
De nombreuses voitures à cheval étaient arrêtées dans la grande cour et des nobles costumés en sortaient. Marya aperçut également des dignitaires étrangers, Zemenis à la peau d'ébène ou marchands Kerch bien apprêtés. Tant de détails qui seraient à coup sûr contés à ses parents sans rien oublier. Des Grisha avaient réalisé des sculptures de glace dans le jardin et l'on y trouvait des danseurs représentés avec un niveau exquis de détails, des animaux fabuleux, dragons et cerfs aux vastes ramures...
Les arbres étincelaient également. Aucun sortilège de ne leur avait rendu leurs parures. Des fils d'argent pendaient dans le vent, des feuilles ciselées et des lanternes ciselées ornaient les branches nues. En travaillant avec le général, Marya avait mis le nez dans les affaires et les documents du Petit Palais. L'on aimait à dire que la dette, qui hantait son supérieur, était creusée par les guerres constantes. Ce genre d'excentricités devait cependant beaucoup y contribuer.
Marya entra en terrain inconnu, marcha sur de la glace sans savoir quand celle-ci allait se briser. Elle redressa la tête et adopta une démarche conquérante, martiale. Ils ne réussiraient pas à la faire se sentir en trop, c'était une promesse. Une musique céleste l'accueillit à l'entrée. Jamais rien d'aussi agréable et raffiné n'avait flatté ses oreilles.
Des artistes étaient disposés en autant d'ornements vivants, dans les coins et les escaliers pour ravir les sens des invités. Combien d'entre eux étaient en réalité des serfs ? Son ancien maître n'en possédait pas de ce type. Elle avait appris au cours de ses recherches que les certains nobles comptaient des artistes et musiciens parmi leurs possessions les plus prisées. Ces derniers se revendaient extrêmement cher.
La nourriture coulait à foison, frôlant l'indécence, les verres et les assiettes ne restaient jamais vides. L'endroit était illuminé comme en plein jour. Des lustres monumentaux éclairaient le plafond. Les murs étaient recouverts de miroirs et de fresques, le haut plafond soutenus par des colonnes dorées.
Les dignitaires emplissaient les couloirs. Le roi et la reine trônaient au centre de la grande salle, entourés de leurs courtisans et de leur fils aîné, le prince Vasily. Les deux invocateurs s'avancèrent, taches d'encre dans cet océan de couleur. Les regards assaillirent Marya de toute part. L'on ne cherchait même pas à se cacher. Ces bêtes en quête d'un morceau juteux l'inspectaient sous toutes les coutures. Elle inspira et leur refusa le plaisir de son malaise. Ce n'était que les griffures du froid et les bavardages n'étaient rien d'autre que les branches d'arbre dansant dans la brise.
La Grisha fit sa meilleure révérence, mais son regard ne se baissa pas complètement. Bien des rumeurs répugnantes lui étaient parvenues concernant le monarque. C'étaient des histoires d'homme puissant abusant de son pouvoir comme elle en connaissait pléthore.
— Votre Majesté, voici notre nouvelle invocatrice de ténèbres, Marya Dourova, annonça le Aleksander.
L'on babilla à droite à gauche, commettant sur son aspect, spéculant sur son âge et ses origines. Aleksander s'avança un peu et ne remarqua pas sur l'instant son bras tendu et levé, traçant une barrière symbolique entre Marya et les monarques.
Cette dernière put se relever. La poitrine du roi était garnie de médailles rutilantes, mais sa silhouette empâtée contredisait ces décorations. Face au général, il ressemblait à un enfant jouant à la guerre. C'était la confrontation d'un moineau et d'un aigle. La reine était parfaitement apprêtée, avec une telle rigueur qu'elle dégageait une impression de vacuité et de fausseté.
Marya et Aleksander étaient le reflet inversé du couple royal. La sombre sobriété d'un côté et le clinquant et l'excès de l'autre. Le roi la contempla un instant mais son attention fluctua rapidement.
— Nous espérons que vous ferez preuve de mérite et de vaillance dans la défense de Ravka, lança-t-il.
— J'y compte bien, moi tsar et je ne crains pas de lutter auprès de mes camarades de la Seconde Armée, répondit-elle fièrement, s'étant préparée à cette entrevue.
— Oh ! Son accent est tellement...pittoresque ! Je n'ai jamais rien entendu de pareil ! pépia la reine. D'où venez-vous ?
— De la campagne entre Revost et Adena, moya tsaritsa, répondit-elle sobrement.
— Oh, les grands espaces, la neige, le calme, ce devait être une vie charmante ! renchérit la souveraine.
Que cette femme était détachée de la réalité ! Marya ne l'envient guère. Elle ravala son fiel qui laissa une traînée brûlante dans son corps.
— C'était une vie honnête et digne, riposta Marya en enrobant son hostilité d'un sourire naïf.
« Contrairement à vous deux qui n'avez pas l'air de connaître le sens de ces deux mots. »
Ces échanges de rigueur terminés, les souverains les congédièrent, leur curiosité étanchée. Les pouvoirs de Marya n'étaient ni amusants, ni plaisants à contempler. Inutile de lui demander une démonstration. D'autres Grisha avaient de plus prévu des numéros plus intéressants. Cette dernière s'en trouva ravie et s'échappa.
Une longue suite de rencontres s'ensuivit. Ils parlèrent à des gens titrés, des militaires haut gradés et des membres du cabinet. Chaque nom et fonction étaient dûment retenus. Ces présentations furent aussi intenses qu'un entraînement. Marya observait le général, notait la manière dont de simples politesses reflétaient des jeux de pouvoir bien plus sophistiqués. La cour était une toile d'intrigues et tout l'art demeurait dans le fait de savoir tirer le bon fil. Elle s'exprimait autant que possible, ne voulant pas être une simple spectatrice. Il fallait que l'on se souvienne d'elle, tant pis s'il fallait s'avancer en terrain glissant.
Elle déterminait lesquels de ces gens pourraient être les plus utiles et ceux qui les respectaient le plus. Elle observait les autres convives. Si les Grisha se mêlaient librement aux nobles, ils faisaient néanmoins preuve d'une déférence dont ne s'embarrassait pas l'aristocratie.
Dans un couloir étroit et désert, le général et sa troupe croisèrent un comte à l'écharpe et à l'étoile rutilante sur sa poitrine.
— Adamoff, il se prétend scientifique à ces heures perdues, glissa Aleksander à Marya d'une voix marquée de condescendance.
Celui-ci les arrêta.
— Oh, voilà donc notre nouvelle curiosité...Fascinant ! Elle est apparue de nulle part, vous dîtes ? C'est la première fois que nous avons deux personnes comme vous côte à côte. C'est à se demander ce qui favorise l'apparition de ce type de talents.
Marya se raidit. Elle ne connaissait que trop bien ce regard déshumanisant. Cette sensation d'être une marchandise scrutée de toute part était l'héritage des familles serves.
— Nous sommes attendus, comte Amanoff. Je préfère de plus discuter de ce sujet avec les chercheurs du Petit Palais, contra froidement Aleksander.
L'air était lourd d'hostilité. Le général pestait de perdre son temps avec cet imbécile. Ce dernier n'en avait hélas pas fini.
— Vous devez être heureux d'avoir une compagne, piqua l'aristocrate. D'ailleurs je me demande...imaginions hypothétiquement que vous ayez un enfant, serait-il comme vous deux ?
Marya pâlit, croyant avoir reçu un coup de poing dans l'estomac. Une insulte lui brûla les lèvres et elle maudit le statut de l'homme. Le visage d'Ivan était encore plus fermé que d'habitude si cela était possible. Le général se dressa de toute sa stature, lynx prêt à bondir.
— Je suis le général de la Seconde Armée et mademoiselle Dourova et moi ne sommes pas des bêtes que vous voudriez apparier, gronda-t-il, écrasant d'autorité.
Plus aucune lueur d'émotion ne brillait dans ses yeux, seule restait l'obscurité sans espoir de pardon. L'autre recula, ayant sous-estimé sa force ou ses privilèges. Aleksander s'éloigna, le bruit de ses bottes claqua sur le dallage. Ses doigts bougèrent à peine et l'obscurité dévora un à un les lumignons. Seule resta la lumière d'un lustre et Marya comprit. Main dissimulée dans les plis de sa jupe, elle convoqua à son tour la nuit. La revanche fut douce et le comte fulminant dû retrouver son chemin dans le noir.
Une fois suffisamment loin, Aleksander se tourna vers Marya tandis qu'Ivan restait à distance. Voilà pourquoi cette fête lui répugnait. Les préjudices envers les Grisha ne s'arrêtaient pas comme par magie aux portes du Palais. Les années lui avaient épaissi le cuir mais la fureur grondait encore plus pour Marya que pour lui-même en vérité. Ce comte s'en était pris à la mauvaise personne, il n'avait pour seule arme que ses persiflages. Aleksander était trop utile aux souverains pour risquer ne serait-ce qu'une réprimande verbale.
— Vous n'auriez pas dû entendre cela, mademoiselle Dourova, finit-il par lâcher entre ses dents serrées.
— Tout va bien, ne vous en faites pas pour moi, général. J'ai l'habitude que l'on parle de moi comme si je n'étais pas là, le rassura-t-elle avec un haussement d'épaules.
Elle avait encaissé et laissé rouler. Sa sollicitude et son respect lui allèrent néanmoins droit au cœur.
La similarité de ses expériences le frappa de nouveau. Une raison de plus de penser qu'ils pourraient se comprendre. Aleksander avait subi bien des affronts en gravissant les échelons, en convainquant les puissants de pouvoir leur être utile. Combien de temps allait-il devoir encore supporter ces gens ? Sa patience rivalisait ironiquement avec celle d'un saint.
Cette nuit n'était pas encore le moment de se perdre en rêverie. Il compta les heures, jusqu'au moment où la grande horloge sonnerait leur libération.
— Retournons-y, décida-t-il sans entrain. Il ne faudrait pas que l'on se demande pourquoi nous avons disparu.
*
Les lumières se reflétaient dans la flûte que tenait Marya, les saveurs nouvelles imprégnant sa langue par petites gorgées. Les danseurs firent un instant oublier le reste, elle était au spectacle. Les tenues se déployaient sous les mesures de la valse, tantôt languissante, tantôt langoureuse. Elena était venue la trouver avant de repartir avec un autre groupe. Au loin, Fedyor forçait Ivan à avaler des sucreries, ce qui l'amusa un instant.
Une amertume poisseuse ne la quittait cependant pas. La discussion avec le comte avait remué toutes ses vieilles colères. Elle croyait entendre de nouveau vitupérer sa mère, prenant le ciel indifférent à témoin.
Marya contint un soupir. Elle adorait danser dans son village. Les fêtes, les rondes autour du feu, faisaient entrer la chaleur et la joie. Hélas, les pas lui étaient inconnus. La Grisha n'aurait pas eu le temps de s'entraîner si elle l'avait voulu. D'autres priorités occupaient son esprit : effectuer enfin une vraie Coupe et accroître ses connaissances en stratégie militaire.
Le général s'était un peu éloigné. Un homme en profita et fondit sur Marya. Son allure ascétique et ses vêtements sombres lui donnaient l'allure d'une chauve-souris. La lueur dans ses prunelles reflétait une ferveur exaltée, son vêtement sacerdotal tranchait au milieu des convives.
L'apparat. Le conseiller spirituel des souverains de Ravka. Un autre oiseau de mauvaise augure ?
— J'ai entendu parler de vous, mademoiselle Dourova, commença-t-il d'un air affable. Je me demande si vous êtes un signe, deux êtres liés à la nuit qui apparaissent en même temps...où est l'équilibre ? De mauvais jours viennent-ils vers nous ?
— Cela ne pourrait-il pas être un simple hasard ? contra Marya sans crainte.
D'autres la voyaient-ils comme un mauvais présage ? Mais l'on racontait que le général n'avait pas d'âme, alors... Ils ne parviendraient cependant jamais à la dégoûter d'elle-même. Le temps prouverait la vérité.
— La nuit est le refuge de la perdition et des mauvaises choses. Elle est la tentation du pouvoir, l'aveuglement. Gardez-vous de finir comme l'hérétique noir. Faites preuve d'humilité et de repentance, priez les saints et demandez-leur de vous garder sur le chemin de la vertu.
Elle eut alors un sourire froid, un rayon de lune distant daignant à peine l'effleurer. Ses sourcils se levèrent légèrement. Si cet homme croyait sa nature corrompue, alors rien ne servirait de jouer à l'ingénue. Marya n'était plus une petite serve, l'inférieure de tous. Elle n'avait plus à ruser et à louvoyer et se réjouit de tenir ouvertement tête, sans ravaler ses mots.
— Je vous remercie de vous soucier de moi, mon père. Et je vous comprends : il est humain d'avoir peur du noir. Cependant, je n'ai de mon côté aucune inquiétude. Je connais mon âme et ma droiture. Je n'ai pas honte de qui je suis. Mon don est un cadeau, je ne me repentirai pas et j'avancerai sans crainte. Quant au fait de savoir si je suis un mauvais présage pour Ravka...nous verrons après mon retour du front.
Ses mots furent libérés avec une conviction vibrante, une énergie refusant d'être soumise.
— Pour une personne préférant la lumière...vous êtes très à l'aise pour vous dissimuler dans l'ombre. J'en viendrais presque à vous envier, mon père, ajouta-t-elle d'un ton faussement ingénu avant de prendre congé et de se détourner.
Elle se détourna fièrement. L'apparat n'avait aucun pouvoir au Petit Palais et Marya ne l'avait pas directement insulté. Les nouveaux mots appris devenaient de très belles armes. L'apparat avait de plus de nombreux ennemis qui le considéraient comme un imposteur.
— J'admire votre esprit et votre constance ! l'interpella une voix féminine. Permettez-moi de me présenter, je suis Ia duchesse Ioanna Bashkirova.
Une femme revêtue d'une somptueuse robe de neige et d'or lui faisait face lui faisait face. C'était donc la fameuse sœur de Darya qui avait récupéré l'héritage. Elena n'avait pas menti : elle paraissait plus âgée que son aînée. Les lignes au coin de ses yeux se creusaient avec son sourire. Ses yeux marrons étaient cependant chaleureux et ses boucles châtain disparaissaient presque sous sa coiffe emperlée.
Sa force se devinait même sans paroles. C'était une femme rompue aux jeux de la politique, cheffe de famille. L'aigreur de Darya n'était guère surprenante : elle aurait pu être à sa place et façonner la destinée du pays plutôt que d'obéir à des ordres et de retourner Ravka à la recherche de futures recrues.
La duchesse ne la traitait cependant pas avec hauteur mais une curiosité et un respect sincères.
— J'ai entendu parler de votre parcours, mademoiselle Marya Dourova. J'étais intriguée à l'idée de vous rencontrer et vous voici.
— Tout l'honneur est pour moi, duchesse. Vous savez sans doute que c'est votre sœur qui m'a emmenée à Os Alta ?
Marya lui laissa cette ouverture de comprendre quels étaient les rapports exacts entre les deux femmes.
— En effet, j'ai cru le comprendre dans une lettre. Mais..j'espérais voir Darya aujourd'hui, mais il semble qu'elle ait décidé de ne pas de montrer..., soupira la noble dame en jouant avec ses parures.
Elle scruta de nouveau la foule, s'apprêtant presque à en voir sortir la fondeuse. Son expression trahissait une attente mélancolique, bien trop souvent déçue, mais qui ne connaissait pas la résignation. La Grisha la comprenait. Les deux femmes avaient dû être proches. Perdre sa sœur était une amputation.
— Hélas, je ne l'ai pas vue quitter le petit palais, annonça doucement Marya.
— Je vois, reprit plus durement Ionna en se redressant. Transmettez-lui mes salutations si vous la croisez, voulez-vous bien ?
— Votre sœur et moi avons des affectations et des occupations différentes. Cependant, je lui en toucherai un mot si possible.
Le moins elle approchait Darya, mieux c'était. Mais la duchesse ne méritait pas d'entendre cela et Marya n'avait pas le cœur à refuser ouvertement une telle requête.
— Je comprends et je vous remercie. Par ailleurs, avant que nous ne nous quittions...je serais intéressée par le fait d'en apprendre plus sur vos expériences et votre ancienne vie, mais sans mauvaise curiosité. Voyez-vous, je pense que le servage est un archaïsme qui doit être aboli le plus rapidement possible. Nous ne pouvons pas prétendre être une nation éclairée et verser dans ces indignités. Je tiens un salon avec d'autres personnes qui ont à cœur de changer Ravka. J'espère vous y voir un de ces jours.
Ces propos furent déclarés calmement, sans baisser le ton. Ionna affichait ses idées avec l'audace conférée par son rang.
Les battements de cœur de Marya s'espacèrent. C'était peut-être étroit d'esprit de sa part, mais elle n'avait pas cru entendre ces propos de la part d'une aristocrate. Mais après tout, l'éducation n'élevait-elle pas l'esprit ?
Les avertissements de la corneille lui revinrent en mémoire : les choses n'étaient pas toujours ce qu'elles paraissaient. Ses motivations était-elles dictées par le simple humanisme ?
Une seule certitude demeurait : cette femme pouvait aider ses parents. Restait donc à entrer dans la danse.
— Ce serait un grand honneur, madame la duchesse. J'espère pouvoir répondre à votre invitation.
— Ce fut un plaisir d'échanger avec vous. Au revoir mademoiselle Dourova, profitez autant que possible de cette fête.
Il n'y avait maintenant plus qu'à espérer qu'Ionna se souvienne d'elle et à lui rafraîchir la mémoire le cas échéant.
*
La fête s'achevait enfin. Le cerveau de Marya était une ruche furieuse. Elle suivait le général et Ivan vers la sortie. La jeune femme ignorait l'heure qu'il était. Des serviteurs passaient avec quantité de verres vides, seuls les gardes restaient droits comme des statuts, complètement immobiles. Quelqu'un cuvait, les pieds dépassant de derrière un rideau.
L'air frais purifia Aleksander, l'âpre senteur de l'hiver chassa tous les parfums capiteux. Les invités conversaient une dernière fois et échangeaient des adieux. Des serviteurs passèrent près d'eux, les fixant d'un peu trop près dans l'obscurité. La duchesse Ionna n'était pas loin s'attardant sous les arbres argentés. Tout s'engourdissait désormais.
Une détonation transperça soudain l'obscurité. L'un des oprichnik à leurs côtés s'effondra. Marya se drapa aussitôt dans les ténèbres tandis que le général faisait de même. Les cris des invités paniqués transperçaient ses tympans tandis que tout le monde tentait de se mettre à l'abri. Tous ses sens étaient en alerte, elle réfléchissait à une vitesse folle. On voulait la tuer. Mais elle ne les laisserait pas faire.
Nuit protège-moi, dissimule-moi. Sois mon armure, mes dents et mes griffes...
Un autre homme surgit de derrière les arbres, arme levée. Les ombres de Marya se déposèrent sur ses yeux et tandis qu'il gesticulait pour les retirer, Ivan leva les mains et lui ôta la vie avec une froideur implacable. De son côté, Aleksander avait utilisé la coupe sur l'un des assassins.
Un dernier assassin était présent mais au lieu de venir vers eux, il se précipita sur la duchesse. Cette dernière le vit arriver, tétanisée. Marya ne réfléchit pas. Elle tendit les mains, droit devant elle. Tout était clair cette fois, son pouvoir chantait dans ses veines. Elle expira dans l'air glacé et la Coupe partit. L'arc de nuit pure fendit l'air sans un bruit.
L'invocatrice vit les yeux écarquillés, presque surpris de sa victime, alors que son torse s'affaissait, se scindait puis la douleur, l'horreur absolue. Il chut dans la neige, morceau de bois pulvérisé par la hache.
« Je l'ai fait » songea-t-elle, encore à moitié sidérée. Cette force destructrice venait d'elle seule. Lorsque le calme revint et que la situation fut sous contrôle, Marya fit quelques pas vers sa victime. Son cœur battait si fort que ses tempes tremblaient. Pourtant, elle se sentait distante, étrangère.
Une contempla la mare de sang maculait la neige, étincelant à la lumière des lampes, rouille vorace. Elle contempla les muscles tailladés, la cage prisée des côtes, les organes encore rouges et palpitants répandus à terre. Des convulsions parcouraient encore le cadavre. L'odeur familière du fer et de la mort l'assaillit. Elle observa de sa hauteur pour prendre la pleine mesure de ce qu'elle venait de faire, contempla le visage de ce qui avait été autrefois un homme, vit les éphélides répandues sur ses joues, ses prunelles bleues gelées par le trépas.
Elle avait déjà porté des coups et avait blessé pour se défendre mais n'avait jamais tué personne. Jusqu'à maintenant.
« Quoi qu'il arrive, rappelle-toi de ce qu'il faut faire pour survivre et pour tes camarades.»
Marya avait sauvé sa peau et celle de la duchesse. Rien d'autre ne comptait. La scène recommençait pourtant sans fin dans sa tête.
La fête était bel et bien finie.
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Je suppose que le moodboard fait un peu plus sens maintenant ;)
J'espère que ce chapitre vous a plu. Pour celui-ci, je me suis un peu perdue dans les recherches et j'ai passé pas mal de temps à chercher le nom de certains vêtements. C'est ce qui s'appelle de la motivation. J'aurais bien aimé mettre une scène où ils dansent tous les deux mais le chapitre était déjà trop long. Pas grave, n'est que partie remise ;).
Je fais le NaNoWriMo ce mois-ci et sur un autre projet donc je ne pense pas poster mon prochain chapitre dans deux semaines mais soyez assurés que je ne délaisse pas cette histoire. Si elle vous plait, n'hésitez pas en attendant à me faire un petit signe et à me dire ce que vous voyez pour la suite.
A bientôt :)
Bonus : quelques unes de mes inspirations pour la tenue de Marya (tout vient de Pinterest)
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