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Chapitre 4 : Lame

Marya se présenta dans les quartiers du général. Elle se revit attendre avec Darya, la scène apparaissant à la fois proche et lointaine. La pièce recelant la grande carte tactique lui apparaissait beaucoup moins impressionnante. Elle avait grandi, s'était hissée plus haut et comptait bien continuer.

Sa route croisa celle de deux fondeurs. L'un avait le visage dur et fermé, tout en lignes austères. L'autre était au contraire plus rond et jovial. Ivan et Fedyor : parfaitement opposés et parfaitement complémentaires, tous deux haut placés.

— Mademoiselle Dourova, je suppose ? commença Ivan d'un ton à l'avenant de son apparence.

Marya les salua tous les deux. Les fondeurs étaient redoutables, l'une des plus terribles armes à leur disposition. Qu'importaient les talents dont l'on disposait, ils pouvaient manipuler votre corps et tout briser. Appréciant le défi, elle s'imagina aussitôt comment venir à bout de l'un d'entre eux. Leur obligation de voir leur cible était leur principale faiblesse et Marya possédait le moyen d'y remédier. Restait de plus toujours l'avantage de la vitesse et de l'initiative. En outre, ses crocs n'avaient pas fini de pousser.

— Depuis le temps que j'entends parler de vous ! Ne faîtes pas attention à lui, c'est un vieux grincheux mais il ne mange personne, plaisanta Fedyor en donnant un coup de coude à Ivan.

Ce dernier grimaça mais ne parut pas lui en tenir rigueur. Marya lui rendit son sourire, gagnée par sa bonne humeur. Ivan paraissait froid et strict, mais pas hostile, son attitude était dépourvue de rejet ou de mépris contrairement à celle de Darya. Sa nature le portrait simplement à l'introversion. Ce n'était pas une mauvaise chose, les personnes les plus ouvertement sympathiques pouvaient parfois être de véritables langues de vipère.

— Merci pour votre accueil, je ferai de mon mieux, répondit-elle avec un hochement de tête respectueux.

— Vous allez vous entraîner ce matin, n'est-ce pas ? Tenez.

Fedyor lui tendit une pochette et Marya y trouva quelques biscuits.

— Merci pour cette attention, je vous le revaudrai. Je fais des gâteaux plutôt corrects, promit-elle.

— Alors nous allons bien nous entendre.

Bien que touchée par l'attention, elle voulait que cela soit un échange entre égaux. Marya n'avait pas cuisiné depuis une éternité, mais ses réflexes étaient toujours là. Il ne serait pas dit que le Petit Palais la changerait complètement et la rendrait incapable de se débrouiller seule !

Le général entra en un coup de vent et plongea tout le monde dans un silence respectueux. Après avoir traité de quelques affaires avec les fondeurs, il invita Marya à le suivre. Fedyor lui adressa un encouragement silencieux à cette dernière.

La matinée était belle et ensoleillée et la neige étincelait leur faisant un instant plisser les yeux.

— Aujourd'hui, je vais vous apprendre la Coupe. Nous allons pour cette fois sur un terrain d'entraînement à l'extérieur. Vous aurez besoin de toute votre concentration pour maîtriser les bases, expliqua Aleksander.

Son cheval paraissait tiré des ombres même, une vision nocturne que même le soleil ne pouvait pas dissiper. Marya l'avait vu plusieurs fois chevaucher de ses troupes, l'allure royale, vision échappée d'un conte. Puissante, élancée et nerveuse, la bête était faite pour la guerre, bien différente des robustes chevaux de trait de ses souvenirs.

Il se mit en selle d'un mouvement fluide. Marya l'observa soigneusement, agrippa sa main gantée et mit le pied à l'étrier. Elle se raccrocha à la selle, tanga, peu habituée à la démarche chaloupée de la bête et à la hauteur soudaine qui l'accompagnait.

— Vous pouvez vous tenir à moi, mademoiselle Dourova, je ne vous en voudrai pas, piqua gentiment le général.

Puisque c'était si gentiment demandé...elle s'arrima à lui dans la position la moins équivoque possible. La fermeté de son corps ne lui échappa pas et le bout de ses doigts se réchauffa, un picotement s'y répandit. Elle était presque blottie contre son dos, bénéficiait un solide rempart contre le vent et le froid. Une étincelle étrange, un tourbillon de sensations jaillit. Un écho ancien répondait à l'intérieur d'elle en un langage secret, semblable au murmure du vent nocturne.

La proximité de leurs corps était indéniable, inoubliable. Le souffle de Marya effleurait fugitivement la nuque d'Aleksander. Ses mains étaient fines, mais fermes, comme elle savait si bien l'être. Leur franc toucher imprégnait sa peau à travers le tissu. Il pressa le flanc de sa monture, sentit Marya se tendre sous la soudaine accélération et décida de garder un pas tranquille.

— C'est la première fois que vous montez à cheval, devina-t-il.

— Oui, mes parents n'étaient pas suffisamment riches pour en avoir un. Mais j'aimerais apprendre, déclara-t-elle fermement.

Sa résolution était admirable de même que sa manière dont elle évoquait sa famille. Ses origines ne lui inspiraient aucune honte et elle dépeignait la situation sans misérabilisme.

— Vous apprendrez.

C'était dit. Marya le remercia, le sourire dans sa voix était audible, une dangereuse caresse sur sa joue.

— Que pensent vos parents du fait que vous soyez Grisha ? reprit-il.

— Cela nous a tous pris par surprise, mais pour eux cela ne fait aucune différence. Ils m'ont dit que je serai toujours leur fille.

Ces mots furent prononcés avec une chaleur sucrée, une confiance absolue débordante d'amour. L'envie rattrapa Aleksander. Allons bon, il n'était plus un enfant, c'était ridicule. Les siècles n'effaçaient pourtant pas la blessure des fois où il avait tendu la main vers sa mère pour ne récolter que de l'indifférence, des questions sur son père laissées sans réponse... Baghra et lui étaient enchaînés l'un à l'autre par leurs natures singulières. Il lui avait fait porter de quoi se chauffer l'autre jour, veillait à ce qu'elle ne manque de rien, mais ces gestes prenaient une allure de corvées.

La sentant plus assurée, il accéléra. Le Petit Palais s'éloigna, les bois aussi et ils arrivèrent face à des champs semblables à un long tapis d'ivoire. L'air froid était vif et pénétrant, griffait les joues, cherchait à s'insinuer sous les habits, mais leur proximité les réchauffait. Le monde était étrangement silencieux, la nature dormait encore. Personne ne les avait vu quitter le palais et nul ne jaserait donc.

Ils trouvèrent un terrain dégagé à l'ombre des arbres. Marya mit pied à terre à sa suite et repéra des mannequins d'entraînement mais aussi des rondins de bois, semblables aux souches qu'elle coupait avec ses parents. Mais ils n'étaient pas là pour ça. Aleksander se plaça devant elle, l'invitant à se concentrer.

— La Coupe est l'apanage des invocateurs comme vous et moi. Vous n'aurez pas terminé votre apprentissage tant que vous ne la maîtriserez pas. Regardez bien, expliqua-t-il avec autorité.

Marya devait prendre conscience de la pleine mesure de ses capacités et du fait de ne pas être une Grisha ordinaire. Les mains d'Aleksander touchèrent, le geste fut reproduit sans même réfléchir. Une lame d'obsidienne fendit l'air avec une célérité mortelle et une moitié de la souche chut à terre, coupée en deux.

Marya retint son souffle. Cette technique semait la terreur parmi leurs ennemis et leurs alliés et n'avait en effet pas volé sa réputation. Elle faisait de vous un cauchemar éveillé, un prédateur sans commune mesure.

Aleksander croisa les bras derrière son dos et la toisa.

— Lorsque vous serez sur le champ de bataille, vous n'aurez pas du bois inanimé face à vous mais un être humain de chair et de sang. Et il vous faudra faire la même chose. Pour vos camarades, pour défendre notre pays. Vous ne pourrez pas fuir.

Il redevint l'homme impitoyable, le maître de guerre, le familier du carnage. Adoucir la réalité la desservirait. Elle devait accepter ce qu'impliquait ce geste.

Marya comprit qu'il s'agissait déjà d'une mise à l'épreuve, d'une manière de la jauger. Aussi approuva-t-elle gravement. Elle contempla le bois et se représenta une sève écarlate à l'endroit où se trouvait la coupure. Cela lui rappelait le sang qui avait coulé à flots le jour où Andrei le voisin avait eu son accident. Sa mère et elle lui avait posé un garrot en attendant que de l'aide arrive. Sur l'instant, Marya n'avait écouté que son la nécessité d'agir. Ses ennemis étaient là : la seule solution était de faire face et de se battre.

— Je suis prête, général.

— Pour commencer, répétez simplement le geste. N'appelez pas les ombres. Ne faites rien tant que vous ne l'aurez pas maîtrisé.

Elle risquait autrement de se blesser. Il se plaça devant elle et refit l'enchaînement au ralenti. La Grisha l'observa minutieusement et l'imita, prit compte de ses instructions et recommença autant de fois que nécessaire. Ce fut une danse singulière dont les gestes répétitifs rappelaient à Marya ses corvées quotidiennes. Tous deux étaient semblables à deux oiseaux posés sur la neige. Le froid rougissait les joues du général, ce qui amusa Marya.

Lorsqu'il passèrent à la suite, elle était persuadée de pouvoir reproduire ce geste en dormant. Elle rassembla ses forces. La quantité d'énergie était conséquente pour faire venir les ombres, mais il fallait en outre les façonner, les aiguiser, sans perdre de temps. L'enchaînement devait être le plus rapide ou l'ennemi frapperait le premier.

Marya se heurtait contre une barrière invisible, tentait de toutes ses forces de l'enfoncer. Elle tâtonnait dans l'obscurité, ayant l'impression de glisser un fil dans l'étroit chas d'une aiguille. Des griffes et des pointes lui étaient déjà venues mais jamais une lame capable de scier une colonne vertébrale. Se heurter à ses limites après un progrès linéaire aurait pu la décourager, mais Marya faisait confiance à la nuit.

Le général était là pour la guider à chaque nouvelle tentative. Loin de se contenter d'insister, il l'interrogeait sur son ressenti et ajustait ses instructions en fonction. Il alternait entre corrections et encouragements, lui donnant la force de déployer ses ailes. Le travail des instructeurs du Petit Palais, capables de se mettre à la place de n'importe quel élève, l'avait toujours impressionnée. Son univers s'était rétréci, ne restait plus que l'obscurité qui pulsait dans ses veines, dansait autour de ses doigts. Elle était une chasseresse à l'affût, au regard féroce, jetée à corps perdu dans la lutte.

Et Aleksander admirait et reconnaissait sa ténacité. Enseigner ainsi n'était guère naturel. Il avait passé une partie de la nuit à la lumière de la bougie à réfléchir à comment s'y prendre. Sa mère était convaincue que leurs pouvoirs venaient des expériences avec le merzost menées par son grand-père, de ce qu'elle appelait une insultes aux lois de ce monde. Il se trouvait finalement que la nature était créative et n'avait pas dit son dernier mot. Marya n'abordait pas les choses de la même manière que lui, se heurtait à un obstacle là où il avait tranquillement navigué, franchissait en un bond des ronces qui l'avaient retenu. Communiquer avec elle lui permit de prendre conscience de tout ce qui la rendait fascinante et unique.

Hors de question d'utiliser les méthodes de sa mère. Baghra ne savait pas instruire sans ses coups de cane. Soit elle soumettait, soit elle poussait à se rebeller et à écraser. C'était sa manière de révéler le vrai fond de chacun : sans sentiment et en accueillant l'échec que par des moqueries. Si sa mère avait pu entendre ses pensées, elle lui aurait demandé de quoi il se plaignait. N'avait-il pas ainsi obtenu la suprématie sur ses ennemis ?

Peut-être avait-elle raison, mais cela resterait entre eux. Baghra lui aurait reproché d'être trop doux et trop patient. Mais c'était ainsi qu'il réussissait présentement. Son expérience de meneur lui avait appris à varier l'approche en fonction de l'interlocuteur et du résultat. Et Marya lui faisait confiance. Ce mot l'éblouissait et le saisissait plus qu'il n'aurait dû. Briser ce cycle en devenait jubilatoire, le général se retrouvait étreint par le même sentiment que lors de leur première rencontre. Elle lui offrait la possibilité d'écrire une nouvelle histoire, de faire que les choses se déroulent différemment. Il pouvait lui épargner certaines épreuves et le faisait volontiers. Chacun devenait plus familier de l'autre et ils atteignirent une nouvelle harmonie, leurs êtres s'alignaient.

— Pensez à une lame, aux sensations qu'elle vous inspire, lui intima-t-il avec la même intensité que s'il avait fourni le même effort.

Marya ferma les yeux, parcourut mentalement la courbure des faucilles utilisées chez elle. Le poids du couteau de son père, toujours glissé de ses habits, part indissociable de sa personne, s'imposa. Il n'existait pas de meilleure lame malgré sa finesse et sa petitesse. C'était une arme autant qu'un outil, un lien indéfectible qui l'accompagnait partout et la tirait de bien des situations. Elle se représenta son métal étincelant, son tranchant redoutable et se tendit vers l'avant. Marya se souvint de pourquoi elle était ici. Ses doigts se touchèrent et l'obscurité naquit.

Elle ouvrit les yeux, concentrée mais épuisée, comme dans un rêve. L'obscurité devant elle était devenue une ligne immobile, figée elle aussi. La lame. La Coupe. Ses yeux cherchèrent ceux du général et elle sourit. Son corps épuisé lâcha et la lame se dissipa en fumerolles.

— Vous avez bien travaillé, mademoiselle Dourova. Nous arrêtons pour aujourd'hui, la félicita-t-il.

Mieux valait ne pas la presser comme un fruit. Elle n'était pas du genre à se plaindre, à lui de dessiner les limites. Le coin de ses lèvres se remonta en un sourire véritable. Son impression se confirmait : elle pourrait devenir une alliée de valeur.

L'invocatrice s'étira, un vertige la prit. Elle se sentait drainée, son énergie s'écoulant comme de l'eau. L'envie de s'asseoir la prit, ses muscles et son dos protestèrent. Fedyor avait bien eu raison de lui donner ces biscuits... Elle en mangea un peu et en offrit au général. Amusé, il cueillit les friandises au creux de sa paume.

— Pourquoi ne pas monter devant cette fois ? Je vous montrerai comment diriger le cheval. Il n'a pas l'air commode mais il est docile malgré tout.

Marya accepta et se plaça à l'avant de la selle. Elle se retrouva aussitôt distraite par des bras fermes autour de sa taille, se glissant dans le creux comme s'ils étaient faits pour s'y trouver. Il l'aida à tenir correctement les rênes. Marya retint son souffle et chercha son équilibre. Son talon effleura le flanc du cheval.

— Ne vous en faites pas, je vous rattraperai si vous tombez, souffla le général à son oreille.

Il n'évoquait pas seulement la situation présente, c'était évident. Et l'invocatrice lui en fut reconnaissante.

Chaque contact était d'habitude pour Aleksander un pari bien calculé. L'isolement était un tortionnaire aux formes multiples. Les avertissements de son enfance ne le quitteraient jamais. Mais la barrière de leurs gants lui offrait un répit. Marya ne sentirait rien ainsi. Il était en sécurité. C'était un mot étrange, un peu vide, peut-être, dont il avait oublié l'effet.

Marya prit ses marques et se tint plus droite tandis qu'ils avançaient tranquillement. Sa posture était un peu raide, mais elle compensait en ayant l'air aussi fière que possible. Loin d'être rétif, l'animal était bien entraîné, même si la présence de son maître devait l'aider à garder son calme.

— La fête des Neiges aura lieu au palais dans un mois environ. Tous les Grisha ont le droit de s'y rendre, je souhaite que vous faisiez partie de mon escorte. D'autres comme Ivan et Fedyor seront là également.

Son offre la surprit. Marya avait bien entendu parler de ce divertissement tenu par la reine pour le départ des derniers frimas. L'idée de se mêler à la noblesse lui paraissait toujours étrange et peu séduisante. C'était néanmoins un bon moyen de comprendre pleinement son nouvel univers. Mettre un visage sur ceux qui régentaient leurs vies, comprendre son environnement, était aussi judicieux que nécessaire.

— Vous travaillez avec moi, reprit Aleksander en devinant ses pensées. Il est important que vous voyez l'univers dans lequel j'évolue et les personnes que je côtoie. J'en profiterai pour vous expliquer les rouages de la cour.

Cela éveillerait des rumeurs, c'était évident. Mais il ne pouvait pas continuer à traiter comme n'importe quelle recrue car ce n'était pas le cas. De plus, les nobles attendraient aussi de voir cette autre singularité, la future terreur de leurs adversaires. La place des deux invocateurs de ténèbres étaient côte à côte, c'était une question de symbolique, d'apparences. Et ces dernières comptaient plus que tout à la cour.

— Dans ce cas, il faudra que je prenne des leçons d'étiquette. Les nobles ne sont pas prêts pour mes manières provinciales et mon accent, ironisa-t-elle.

— Vous aurez le nécessaire. Et je vous rassure, je ne goûte pas plus ce rassemblement que vous. Ce n'est qu'un gâchis de temps et de ressources. Mais nous devons bien en passer par là, lâcha-t-il avec mépris.

C'était un résumé de leur vie actuelle, beaucoup de sacrifices pour avoir le droit d'exister. Jusqu'au jour où tout cela prendrait fin. La présence de Marya adoucirait néanmoins tout cela, telle du miel dans un breuvage infect.

— Nous pourrons toujours nous éclipser dans les ombres si cela devient insupportable, plaisanta-t-elle.

Elle l'entendit rire, un son bas, franc et chaud et un frisson de triomphe parcourut sa colonne vertébrale.

— Pressons un peu l'allure, voulez-vous ? Le palais nous attend.

Plus assurée sur sa monture, Marya tint fermement les rênes pendant tout le trajet du retour. L'envie de galoper, de sentir l'air sur son visage la prit. On devait avoir l'impression de voler par-dessus les champs, toucher la liberté du doigt. Ce rêve la sustenta pour l'instant.

*

Elena et Marya longeaient le lac. Les rires des enfants, occupés à faire un bonhomme de neige, résonnaient comme des grelots. Les cheveux d'ébène coupés au carré de son amie étaient presque dissimulés sous sa toque épaisse et ses yeux bleus paraissaient givrés. Marya avait l'esprit léger, ayant reçu auparavant une lettre de sa famille. Ses parents étaient en bonne santé, les saints en soient remerciés.

— La fête des Neiges ? Moi j'y vais surtout pour la nourriture. Et pour les habits. On se déguise en quelque sorte, expliqua la hurleuse.

— Je vais me déguiser en Baba Yaga, taquina Marya. À ce propos, j'ai revu Darya Bashkirova dernièrement. Elle est toujours aussi agréable que du lait ayant tourné. Est-ce qu'il lui est arrivé quelque chose ou bien elle s'est réveillée et a décidé d'être comme ça ?

— D'après ce que j'ai compris, elle n'aime pas être une Grisha et devoir rester ici. C'était l'aînée de sa famille et une riche héritière. Elle a vécu le fait d'entrer au Petit Palais comme une dégradation. Tous ses biens lui sont passés sous le nez, elle a dû quitter sa famille et s'est retrouvée incapable de décider de son existence. Elle n'aime pas le général parce qu'il est lui donne des ordres et je suppose aussi parce que ce n'est pas un Grisha ordinaire. En plus, elle est allée plusieurs fois au front, a été blessée... je pense qu'elle doit avoir envie de se reposer. Si elle va à la Fête des Neiges, elle croisera ses frères et sœurs qui ont maintenant l'air plus âgé...

Marya l'écouta avec sérieux et concentration. Tout ceci était fort logique. Toutes deux avaient gagné au change en découvrant leurs pouvoirs, même si la nostalgie demeurait, un mal poisseux qui allait et venait. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Darya était en quelque sorte passée de noble à serve. Le rejet de la fondeuse envers elle faisait en tout cas sens.

— Quel âge a-t-elle, au fait ?

— Mmmm, elle est dans la cinquantaine, réfléchit Elena.

L'expression de Marya trahit sa surprise, Darya paraissait avoir la trentaine. Elle revint cependant à la réalité : c'était logique pour une Grisha. L'invocatrice avait intégré la théorie mais peinait encore à l'appliquer dans sa vie de tous les jours.

— J'ai toujours du mal à m'y faire, chez moi, les gens font généralement plus vieux que ce qu'ils sont. Rassure-moi, Lena, tu as bien vingt ans comme tu le prétends ? questionna-t-elle, joueuse.

Ici, non seulement tout le monde faisait son âge mais certains paraissaient bien plus jeunes qu'ils ne l'étaient.

— Non, j'ai trois cents ans et j'ai connu tes arrière-arrière-arrière-grand-parents, rétorqua la hurleuse, des éclats de rire dans la voix. Après, je comprends, je suis ici depuis plus longtemps que toi, donc mes repères sont différents.

— Oui, je n'arrive toujours pas à me dire que si je tiens jusque-là, je pourrais vivre bien plus longtemps qu'une personne normale. Heureusement que nous vieillissons tous au même rythme. Ce serait bien difficile autrement, de regarder tout le monde partir sans changer soi-même. Nous serions bien seuls.

Mélancolique, Marya s'imagina les histoires dont le palais avait été témoin. Sa nature la séparait des personnes ordinaires, seuls les autres Grisha pouvaient pleinement comprendre son expérience. Elle avait été marquée, métamorphosée dans un temps à la fois long et court. Heureusement que ce lieu existait pour les réunir, leur permettre d'être plus forts ensemble.

— Ne t'inquiète pas, quand on sera toutes les deux de vieilles commères, on s'assiéra sur le parvis et on regardera tout le monde passer en racontant des ragots.

Elana sourit et Marya se laissa réchauffer par ce rayon de soleil. Ce monde recelait bien des périls mais en attendant, elles pouvaient bien rêver. Toutes deux se battraient et arracheraient cette place au soleil avec les dents s'il le fallait.

Un petit groupe s'était rassemblé près de la glace, nouant avec entrain les attaches de leurs patins.

— Oh, j'aimerais en faire, tu viens ?

La glace était solide mais la peur prit pourtant Marya, un étau de lierre s'enroulant autour d'elle en voyant l'un des Grisha en tester la fermeté sous son pied.

— Je n'ai pas très envie...fais attention, lança-t-elle d'un ton ferme et pressant.

Les mots lui échappèrent tandis qu'une désagréable sensation de recul la prit. Marya était absente, indifférente. Le corps de Nastja, ses cheveux humides plaqués à son front et ses lèvres bleuies flottait dans son esprit. Le cadavre léger et mou entre se déposa entre ses bras. Elle vit soudain Elena, tremblante et fiévreuse, à la place de sa sœur, entraînée dans les froides profondeurs. Une respiration douloureuse, presque un râle lui échappa.

— Eh, ça va aller tu sais ! Et puis je ne suis pas seule, protesta la hurleuse.

Elle la dévisagea, perplexe, ne comprenant pas l'attitude de son amie. Gênée et occupée à revenir parmi les vivants, Marya ne donna pas d'explications. Elena ne comprenait pas la raison de son attitude. Son amie se comportait parfois en mère poule alors qu'elles avaient presque le même âge !

— Amuse-toi bien, conclut Marya.

Les deux amies se séparèrent et Marya s'éloigna un peu. Elle marcha un peu jusqu'aux abords des bois. Les épais arbres formaient presque un mur. Un soupira la quitta. Dans un conte, l'héroïne en quête de son destin aurait rencontré la sorcière dans un lieu semblable.

Un craquement se fit entendre. Son instinct lui signala qu'elle était observée et se prépara à combattre. Une femme jaillit des ténèbres, un panier sous le bras, appuyée sous sa cane. Les années avaient marqué ses traits saillants. Ses cheveux blancs étaient une écume bouillonnante, ses yeux sombres et froids, une nuit cruelle et dévorante. Vêtue de noir sans fioritures, elle avait une attitude impériale, une branche droite épaisse et noueuse.

À première vue, on aurait pu la prendre pour une babouchka d'un village voisin, ou encore une ermite, une originale.Ses traits parurent aussitôt familiers à Marya. Elle dégageait le même air profondément ancien, froid et patient que le général. Si quelqu'un aurait mérité ce nom de sorcières des bois, c'était elle.

La femme haussa un sourcil. Son regard patient suivit les ornements noirs qui ornaient son kefta. Marya était la seule dans tout le palais à porter cet habit. Un rictus méprisant tordit sa bouche. Elle se grandit et serra les poings.

— Ais-je quelque chose sur le visage ? riposta-t-elle, la défiant du regard.

Ce genre de personne se nourrissait de la peur et du malaise. Il ne fallait surtout pas lui donner de quoi se repaître. La femme la dévisagea, avec l'air distant et moqueur d'une corneille perchée sur sa branche et observant les gens en contrebas.

— Vous êtes la nouvelle singularité du Petit Palais. Vous n'êtes encore consciente de rien. Méfiez-vous et rappelez-vous que les apparences ne sont pas ce qu'elles semblent.

L'avertissement sonna tel un glas dans l'air froid. Il y avait aussi dedans une chose profondément personnelle.

— Savez-vous quelque chose que j'ignore ? la défia Marya.

La femme cessa de lui accorder son attention et se détourna, disparaissant comme elle était venue. Un parfum de malaise demeura bien après son départ. Il était aisé de balayer d'un revers de la main ces imprécations. Cependant, la femme paraissait avoir une rancoeur personnelle envers le Petit Palais. Marya se promit de se renseigner à son sujet. 

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Finalement je suis de retour plus tôt que prévu, j'étais inspirée et motivée. J'en profite d'ailleurs pour remercier les personnes qui ont voté et commenté cette histoire. Cela compte pour moi et m'encourage à continuer. 

Ma semaine a été un peu chaotique, j'ai vraiment hâte de quitter ce boulot, mais écrire m'a apaisée et m'a permis de m'évader. Cette histoire me fait rêver et j'espère qu'elle vous fera rêver aussi. 

Les scènes entre Aleksander et Marya (ou Macha et Sacha comme je les appelle parfois) donnent le ton de la suite de leur relation (oui, il n'y a pas écrit "canon divergent" pour rien !). 

Dans le prochain chapitre, nous aurons donc la fête des Neiges (il faudra que je fasse quelques recherches...). Donc je vous dit...à dans 2 ou 3 semaines pour la suite ! 

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