
42 - Rachel - Télékinésie
Ses yeux me paraissaient irréels.
Cela ne faisait que quelques jours que je ne l'avais pas vu, et pourtant j'avais l'impression que c'était une éternité.
Et l'espace d'un instant, quand son regard vert tomba sur moi et ne me lâcha pas, ces quelques secondes furent les plus belles que j'avais vécues depuis que j'étais arrivée dans cette stupide Société.
Ensuite il sourit, et mes angoisses s'évaporèrent légèrement. J'avais fait le bon choix, je devais m'en convaincre. Quoi qu'il ait pu faire, quoi que Newt en pensait, Dany ne méritait pas la mort. Et si j'étais la seule à le voir, qu'il en soit ainsi.
Mais son sourire devint vite sadique, et je compris que j'allais devoir intervenir rapidement avant que la situation ne dégénère.
Un toussotement à ma droite me fit tourner la tête et rompre le contact visuel avec le châtain. C'était Newt... qui me fixait d'un air peu ravi.
Je me détournai, un peu gênée. J'avais oublié que nous n'étions pas seuls, que toute la Société nous observait. De nombreux regards étaient fixés sur ma personne.
J'étais effrayée à l'idée que Newt ait compris quelque chose. Je l'en savais capable. Il était mille fois plus intelligent que moi, après tout. Et il était très probable qu'il s'interpose malgré son pouvoir d'immunité qui ne le défendrait pas beaucoup.
Si seulement l'exécution avait eu lieu dans la discrétion comme cela était prévu. Je ne comprenais pas pourquoi les dirigeants avaient si rapidement changé d'avis... J'avais bien pris garde à surveiller leurs faits et gestes à ce propos, mais malgré cela je n'avais pas pu prévoir que ce serait reporté. Ce devait être une décision de dernière minute...
Une femme d'une trentaine d'années aux courts cheveux bruns monta sur l'estrade d'un air digne, rejoignant en quelques pas Dany. Celui-ci ne daigna même pas lui accorder un coup d'œil. Il ne regardait que moi. Je lui souris tristement en retour.
- Mon nom est Jane Dean, annonça la Marquée d'une voix forte en se tournant vers les spectateurs. Il y a un an, Blake a tué mon père et ma sœur. Aujourd'hui il payera pour ce crime, et tous les autres qu'il a commis.
Malgré son ton clair, je sentais qu'elle était émue. Ses paroles m'apportèrent plus de trouble que je l'aurais pensé. Je m'imaginai à sa place... Si Dany avait assassiné mon géniteur et Octavia. Je le haïrais. Je souhaiterais vengeance. Et je serais incapable de le trouver sympathique.
Après tout, je le connaissais depuis si peu de temps... Je n'avais passé qu'une dizaine de jours en sa compagnie. Était-ce suffisant pour juger quelqu'un ?
J'étais tellement persuadée que Dany pouvait changer, mais au fond je sentais que s'il le pouvait, il n'hésiterait pas à exécuter chacune des personnes ici-présentes. Même Newt.
Et j'allais m'opposer publiquement à sa mort... Devant tous ces gens qui avaient de bonnes raisons de le détester.
Étais-je folle ?
Oui, sans doute.
Parce que c'était un tueur. Cette exécution sauverait sans doute des tas de personnes. Ma raison me hurlait que c'était pour le mieux.
Mais malgré tout je ne pouvais pas le supporter. Je le savais. Ça me détruirait.
Et puisque j'étais égoïste, j'allais devoir le sauver.
- Puis-je dire un mot ?
La voix s'était élevée comme une ombre au-dessus de l'assemblée. Impénétrable. Presque... joueuse. J'étais terrifiée, même si je devais avouer qu'elle m'avait manqué.
- Ce n'est pas la coutume, d'accorder une dernière parole aux condamnés ?
Personne ne répondit, chacun fixant le prisonnier d'un air fermé. Ils souhaitaient que tout se termine au plus vite, c'était bien visible.
- Très bien. Alors tout d'abord je voudrais vous remercier d'être venus si nombreux assister à ma mort. Ce n'est pas tous les jours, n'est-ce pas, qu'on peut voir un tel spectacle... Je sais que j'ai tué quelques uns de vos proches. Ne croyez pas que je m'en fiche. Je vois encore leurs visages, l'air qu'ils avaient quand je leur ai arraché la vie. Mais ne croyez pas non plus que je regrette.
Grand sourire aux lèvres, Dany parcourait la foule de ses yeux verts, brillants de haine et de folie.
- Tais-toi, l'interrompit Jane d'un ton froid avant qu'il ait pu ajouter quoi que ce soit. Tout le monde ici sait cela.
Elle s'avança encore vers lui mais il recula.
- Non, très chère. Il y a une personne ici qui pense que j'ai un bon fond, que je suis capable de changer. Ça aurait peut-être pu être le cas, d'ailleurs. Mais bon, vous n'aurez plus l'occasion de le voir. Je ne vous pardonnerai jamais.
Jane se tourna vers Miss Lumina, qui se trouvait à gauche de la scène, en bas des marches qui permettaient d'y monter. Après une seconde, la vieille dirigeante hocha la tête, et la brune approcha ses mains l'une de l'autre.
Plusieurs spectateurs moins stupides que les autres avaient compris que c'était de moi que Dany avait parlé, et me fixaient avec une curiosité malsaine qui me donna envie de hurler et de m'enfuir en courant. Je dus rougir un peu.
- Vous faites les fiers depuis votre colline, avait poursuivi le châtain, imperturbable. Vous vous croyez intouchables, et innocents. Vous dites que je suis un meurtrier, mais demandez-vous pourquoi je suis devenu ainsi. C'est vous qui avez détruit ma vie. Vous qui m'avez forcé à partir de chez moi à treize ans pour vivre seul dans la rue. J'ai dû apprendre à survivre au jour le jour, pendant que vous étiez en sécurité. Je n'ai fait que vous rendre ensuite ce que vous m'avez fait.
Un grésillement coupa la parole au garçon. La trentenaire avait formé une énorme boule d'électricité entre ses deux paumes, et s'apprêtait à faire taire Dany à jamais. Beaucoup dans le public semblèrent soulagés.
- C'est un beau jour pour mon exécution, continua pourtant le châtain. Merci à ceux qui l'ont choisi, parce que...
- Tais-toi ! cria la Marquée, juste avant que l'énergie contenue dans ses mains soit projetée dans la direction du garçon dans un flash éblouissant.
Pendant plusieurs secondes je dus clore les paupières. La trace de l'attaque résidait encore sur ma rétine brûlée.
Quand j'ouvris les yeux, je vis qu'à l'endroit où s'était trouvé Dany ne résidait plus qu'une large tâche noircie sur le bois de l'estrade. Je suffoquai. Se pouvait-il que...
Puis je réalisai que la femme aux cheveux courts avait les bras menottés dans le dos. Elle semblait complètement perdue, et un murmure parcourut les gradins parmi tous ceux qui l'avaient remarqué aussi.
- Je disais donc que ce jour était très bien choisi, car la seule personne encore plus cruelle que moi n'est pas ici pour m'arrêter. Bonne mort, mes amis.
Le silence tomba sur l'assemblée quand le garçon réapparut au centre de l'estrade, se frottant les poignets avec un grand sourire sadique.
Puis il tendit la main et Jane fut projetée dans les airs jusqu'en bas de l'estrade, où elle s'écroula dans l'herbe.
Au même moment, je sentis une poigne se refermer sur mon bras et me tirer. Je levai les yeux vers Newt. Les hurlements retentirent autour de nous, et soudain ce fut la cohue. Les gens se bousculaient pour s'enfuir, criant, gesticulant, prêts à tout pour s'éloigner au plus vite de cet endroit. Je fus tant poussée par mes voisins que je ne me rendis pas vraiment compte de ma descente avant de me retrouver en bas des marches. Newt qui, par bonheur, ne m'avait pas lâchée, m'entraîna de l'autre côté, sous les gradins. De là nous étions suffisamment éloignés de la scène, et protégés par les Marqués qui fuyaient de chaque côté.
- S'il te plaît, dis-moi que tu n'as rien à voir avec ce qui vient de se produire, lâcha le blond en me fixant de ses yeux clairs.
- Je...
A ce moment précis, j'aurais tant voulu savoir mentir... Ou non en fait, ça n'aurait fait que rendre la situation pire. Newt aurait fini par comprendre et j'aurais perdu toute la confiance qu'il pouvait encore placer en moi après ça.
- Je t'avais dit que je le libérerais. Si tu m'avais aidé on aurait pu faire ça discrètement et sans mettre personne en danger. Je n'ai pas eu le choix.
- Rachel... soupira-t-il.
Les événements le dépassaient, je le voyais dans ses yeux. Il s'était beaucoup attaché à la Société, comparé à moi. Si Liana ou Alex ou Quentyn était blessé... Il ne s'en remettrait jamais.
Octavia, ma sœur adorée, était en sécurité à l'hôpital, mais les autres...
Et Newt était dans l'incapacité totale de les défendre. Même moi, je ne faisais pas suffisamment confiance à Dany pour être sûre qu'il ne tuerait personne maintenant que ses ennemis lui étaient présentés sur un plateau d'argent. Et les soldats répliqueraient... et l'abattraient. Même lui ne pourrait pas se défendre face à des dizaines de Marqués entraînés.
Qu'avais-je fait ?...
- Je sais, répliquai-je. Je n'ai rien à te reprocher...
- Il va essayer de t'atteindre, me coupa Newt. S'il approche je le tue.
- Vraiment ? ricana une voix à ma droite.
Je fis volte-face en même temps que le blond, pour me retrouver nez à nez avec le sourire suffisant de Dany.
- Oui, cracha Newt d'un ton glacial.
- J'aimerais t'y voir, répliqua le châtain dans un éclat de rire. Ton aura est bien faible... immune.
Le blond serra les poings tandis que Dany s'avançait vers nous à pas lents, le yeux fixés sur mon ami. Essayerait-il réellement de s'interposer ? Non... il se ferait tuer.
- Tu es libre, lâcha finalement Newt. Va-t-en avant que les autres ne te tuent. Et laisse-nous.
- Qui crois-tu être pour me donner des ordres, blondinet ?
Il était si proche à présent qu'il m'aurait suffi de tendre la main pour le toucher... Le temps sembla se surprendre. Les hurlements des Marqués ne nous atteignaient plus. Dans leur fuite, avaient-ils ne serait-ce que remarqué que Dany n'était plus sur l'estrade ?
Newt me tira derrière lui pour faire face de toute sa hauteur au châtain, et celui-ci se figea, son sourire s'évanouissant. Je sentis sa colère enfler, destructrice.
- Je t'interdis de la toucher, articula-t-il lentement, fusillant le blond de son regard vert qui s'était brusquement assombri.
Pendant quelques secondes il ne se passa rien. Puis Newt lâcha mon poignet et se jeta sur le télékinésiste.
Un cri s'échappa de mes lèvres, tandis que le châtain, surpris, projetait mon ami plusieurs mètres plus loin d'un geste du poignet.
Après un instant d'hésitation, je me précipitai vers le blond, qui se relevait tant bien que mal.
- Newt... Est-ce que ça va ?
- Très bien.
Dany nous fixait d'un air impénétrable.
Je ne compris rien à se qui se produit ensuite. Le châtain avança d'un pas et soudain, fut jeté au sol.
Je restai figée, le fixant avec des yeux écarquillés de stupeur. J'étais si surprise que je n'amorçai pas même un geste pour le rejoindre. Mais soudain il disparut, et réapparut debout, quelques mètres plus loin, les bras tendus vers l'avant. Peu importe ce qu'il essayait de faire, rien ne se produisit.
Alors il se téléporta une seconde fois, et les feuilles mortes qui tapissaient le sol s'élevèrent pour former un tourbillon autour de lui. Puis elles furent projetées à une vitesse phénoménale dans ma direction.
Je me détournai, criant, mais pas une ne me toucha. Elles passèrent autour de moi pour s'agglutiner ensuite de l'autre côté, et foncèrent droit sur Newt.
Toutefois, au lieu de le réduire en charpie comme j'aurais pensé qu'elles le feraient, elles se figèrent, masse sombre immobile qui formait comme un mur entre nous. Puis elles retombèrent, voletant un instant au vent avant de se déposer sur le sol, inertes, aux pieds du blond.
Celui-ci ouvrait des yeux ronds, et ses mains étaient ouvertes.
Je ne savais pas quel sens donner à ce que je venais de voir. J'avais l'impression que c'était mon ami qui avait fait cela, qui contrait les pouvoirs de Dany. Mais Newt était immune...
En tout cas c'était ce qu'il m'avait dit.
- Rachel, m'appela-t-il. Écarte-toi.
- Qu'est-ce que tu vas faire ?
À ce moment une énorme branche arrachée apparut au-dessus de la tête du blond.
- Attention ! m'écriai-je.
Mais elle eut à peine commencé à tomber qu'il leva les yeux vers elle, et soudain elle fut projetée vers moi à pleine vitesse. M'évitant de peu, elle vola en direction de Dany, puis celui-ci leva la main et elle disparut. Cette fois, c'est deux branches qui s'élèvèrent dans la direction de Newt.
- Écarte-toi, Rachel, cria Dany à son tour tandis qu'une racine sortait de terre à côté de lui.
Si ces deux-là étaient d'accord sur un point, cela ne pouvait présager rien de bon.
Le châtain eut tôt fait de projeter sur mon ami les végétaux qui le gênaient, passant une nouvelle fois très près de moi.
- Qu'est-ce que... protestai-je. Mais arrêtez ça ! Tout de suite !
Je me sentis brusquement écartée quelques mètres plus loin, au moment où un banc arraché des gradins s'écrasait sur le blond. Celui-ci leva les mains et les planches furent réduites en petit bois, l'évitant cependant de très peu.
La violence du combat s'accentua, et je compris que le seul moyen pour éviter que l'un des deux garçons ne soit tués était de m'interposer, si bien que je courus reprendre ma place entre eux malgré la dangerosité du geste.
- Chérie, décale-toi où tu risques d'être blessée, me lança Dany. Et toi blondinet, ne crois pas que tu puisses apprendre en quelques minutes à maîtriser un pouvoir que j'ai mis des années à approfondir.
Newt grimaçait. Il semblait souffrir, mais sans que je puisse savoir la cause de sa douleur. Je ne comprenais plus rien... Il m'avait affirmé être immune et pourtant son pouvoir semblait être la télékinésie, comme le châtain. J'essayais de me persuader qu'il ne m'avait pas menti mais pourtant... la preuve se trouvait sous mes yeux.
Et soudain tout cessa. Les végétaux qui volaient retombèrent au sol, Dany arrêta de se téléporter tous les deux mètres. Et des cris retentirent tout autour de nous.
C'était les soldats de la Société. Certains étaient armés, la plupart se préparaient à utiliser leur pouvoir. Newt s'était écarté, me fixant d'un air d'excuse et de peur. Je vis le châtain lever les mains vers les assaillants.
Qui pourrait l'arrêter ? Ils allaient devoir s'y mettre tous ensemble pour le tuer. Et les pertes seraient considérables.
Alors, au moment où l'attaque allait partir, je fis quelque chose de particulièrement stupide. Je parcourus en quelques enjambées l'espace qui me séparait de Dany et me jetais à son cou.
Ses bras se refermèrent autour de moi, et l'espace d'un instant j'oubliai le reste du monde, même la voix de Newt derrière moi qui me criait de revenir.
- Ils vont te tuer, chuchotai-je. Ils sont beaucoup trop nombreux, même pour toi.
- Je ne fuirai pas. Ils doivent payer, répondit le garçon contre mon oreille.
- Non, Dany. Laisse-les. Ils ne méritent pas ta haine.
- C'est eux qui l'ont déclenchée.
- Pas tous, pas les enfants. Dany, écoute-moi, sois plus fort qu'eux, ignore-les. La vengeance ne t'apportera pas la paix.
Il ne répondit pas un instant, et je craignis qu'il n'ait mal pris mes remontrances. Je savais qu'il pouvait se montrer assez susceptible, mais je n'avais pas le choix. Je devais lui faire entendre raison ou c'en était fini de nous.
- Ils sont en train de décider si la perte de ma vie vaut ta mort, poursuivis-je. Mais ça ne durera pas longtemps. Ils vont me tuer avec toi. Téléporte-nous loin, s'il te plaît. Sauve-moi, et sauve-toi. Je ne veux pas que tu meures. Je ne t'ai pas fait échapper à l'exécution pour que tu te fasses abbattre maintenant.
- C'était toi ?... Mais qui te dit que je vais perdre ? Je suis bien plus puissant qu'eux. Même ton blondinet, j'allais le réduire en charpie. Et je peux toujours t'envoyer quelques mètres plus loin en sécurité.
- Dany, partons avant qu'il ne soit trop tard. Si tu m'écartes ou si tu touches à Newt, tu me perdras. Je ne reviendrai jamais vers toi, je te haïrai. Je ne te pardonnerai jamais.
Pendant un instant, le châtain ne dit rien, et je savais que son regard devait être fixé sur les Marqués. Une larme qui avait échappé à ma volonté s'écoula lentement sur ma joue et je serrai Dany contre moi, paupières closes. J'entendis Newt crier une dernière fois, puis le châtain raffermit notre étreinte, et la forêt disparut autour de nous.
Je n'eus pas besoin d'ouvrir les yeux pour le savoir. L'odeur du bois mouillé et la terre meuble sous mes pieds, craquante de feuilles mortes, avaient été remplacées par la douce chaleur de l'intérieur et un sol dur.
Il l'avait fait. Il m'avait écouté.
Et, soudain l'angoisse que j'avais accumulée pour lui des jours durant, la peur de mourir et le mensonge de Newt à propos de son pouvoir, soudain tout cela fut trop à supporter. Je craquai, m'abandonnant aux bras de Dany, les larmes s'écoulant en flot ininterrompu tandis que le garçon me berçait contre lui.
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Des avis ?
Des fautes ?
Des incohérences ?
Je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu publier ce chapitre mercredi, mais j'ai eu un gros problème de wifi pendant quelques jours... Le suivant viendra demain comme prévu, j'espère que vous ne m'en voulez pas trop pour l'attente
Merci à ceux qui votent et commentent...
Mais surtout merci de lire !
AFleurDeMot
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