La personne me tournait le dos, sourde à mes appels.

Je criais de toutes mes forces sans que le moindre son sorte de ma bouche, et elle continuait à s'éloigner de moi, inéluctablement. Je savais que je voulais l'arrêter, mais pas pourquoi. Alors je courais derrière elle, mais même si elle marchait je ne parvenais pas à la rattraper.

Si seulement j'avais au moins été capable de la reconnaître... Mais je n'y parvenais pas. Sa silhouette était environnée de brume et je ne comprenais pas même pourquoi j'avais tellement envie de l'atteindre.

Puis la fille s'évanouit dans le brouillard, et je me retrouvai chez moi.

Ma tante était assise à son bureau, dans son petit laboratoire. Elle portait sa blouse et pianotait nerveusement sur un écran d'ordinateur tactile. Son corps était tendu à l'extrême et ses cheveux blonds ondulés ramenés en chignon lâche partaient dans tous les sens.

- Natalie ?... murmurai-je en m'approchant d'elle.

Elle sursauta et fit volteface. Pendant un instant ses yeux cernés se perdirent dans le vague, et je pus voir à quel point elle était mal en point, rongée par le stress... Sans doute à cause de moi. Puis son regard se fixa sur mon visage et s'illumina tandis qu'elle se levait d'un bond de son fauteuil à roulettes.

- Newt ?

Sa voix était légèrement étouffée par le rêve mais restait largement compréhensible.

- C'est moi, répondis-je en sentant les larmes me monter au yeux.

Le sourire qu'elle m'adressa me fit un instant oublier toute l'angoisse que je vivais désormais au quotidien, mais quand elle voulut me serrer dans ses bras ceux-ci passèrent à travers moi. Je compris que pour elle je n'étais qu'une illusion, qu'un mirage, qu'un... hologramme.

- Es-tu réel ? demanda-t-elle avec circonspection.

- Oui, c'est ma Marque, elle me permet de faire des choses étranges...

Je me serais attendu à ce qu'elle paraisse surprise ou même curieuse, pourtant sa seule réaction fut de se renfrogner.

- Es-tu dans la Société ?

- Euh... Oui, c'est un problème ? m'étonnai-je.

Elle hocha la tête d'un air inquiet.

- Il faut que tu fasses extrêmement attention à tout ce que tu dis, à tout ce que tu fais.

- Mais pourquoi ? Les gens sont sympas... Enfin la plupart. Et d'ailleurs, comment connais-tu son existence ?

- Pas le temps pour les questions... soupira-t-elle. Mais méfie-toi de tout le monde, promets-le moi s'il te plaît.

- Je... Très bien, d'accord je te le promets. Mais je ne comprends pas pourquoi...

- Crois-moi sur parole... Je suis content que tu sois voyageur de rêves, ainsi nous pourrons certainement parler à nouveau.

- Natalie... je dis alors que son image et celle du petit laboratoire s'estompait autour de moi.

- Prends bien soin de...

Avant qu'elle ait pu finir sa phrase, je me retrouvai dans un décor sensiblement différent. Quatre murs blancs m'entouraient, percés uniquement d'une porte à l'apparence épaisse et d'un miroir certainement sans-teint.

Si je n'avais pas vu l'Infirmerie s'effondrer sur elle-même j'aurais pu croire que je m'y trouvais.

Mais la pièce était bien plus petite, et vide à l'exception d'une couchette sur laquelle​ un homme semblait endormi. Je restai figé sans savoir comment réagir, mais avant que je puisse décider il se redressa et se tourna vers moi.

- Qui est là ?

Comme ma tante, il lui fallut un instant pour parvenir poser ses yeux gris sur mon visage figé. Le sien s'illumina.

- Un voyageur de rêves ! s'exclama-t-il. Enchanté. Ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé à quelqu'un...

- Euh... Qu'est-ce qu'un voyageur de rêves exactement ?

- Oh, je vois... Tu n'es pas encore Marqué. Bon, disons pour simplifier que tu es capable de visiter des personnes de ton choix pendant ton sommeil. Mais la question c'est... pourquoi moi ?

- Je n'en ai aucune idée, soupirai-je. Je ne vous connais pas.

L'homme passa la main sur ses yeux, puis se leva. Il était plus grand que moi, qui l'étais déjà assez.

- Je m'appelle Nick, se présenta-t-il. J'ai vingt-cinq ans si on compte les trois que j'ai passé ici. Et tu peux me tutoyer.

- Ah, d'accord... Et où es-tu exactement ?

- Une délégation de l'Infirmerie dans le Cercle Huit. Je n'en sais pas plus, ils ne me laissent pas sortir.

Je hochai la tête, un peu étonné. Si j'avais copié l'Habilité d'un voyageur de rêves je devais voir des personnes à qui j'avais envie de parler, même inconsciemment... Mais je ne comprenais pas pourquoi j'aurais envie de voir ce type.

- Je m'appelle Newt, annonçai-je, ne voyant pas vraiment pourquoi je ne le ferais pas.

- Ravi de faire ta connaissance.

- Tu es un Marqué ?

- Oui, soupira Nick. Mon pouvoir est de voir des petits aperçus du futur. Le gouvernement trouvait ça utile, c'est pour ça que je suis enfermé ici. J'ai déjà vu ton visage dans une de mes visions.

- Ah bon ? m'étonnai-je. Qu'est-ce que je faisais ?

- Tu étais avec une fille blonde.

- Avec des lunettes ? demandai-je, pensant immédiatement à Liana.

- Non. Elle était plutôt petite, avec une queue de cheval un peu ébouriffée. Il y avait des arbres autour de vous, mais je ne sais rien de plus. Tu as compris ce que ça pouvait signifier ?

- Oui, soufflai-je, un peu estomaqué. Sais-tu où se situe le bâtiment Charlie 5 ?

- Je l'ai déjà vu dans mes visions, oui. Il se trouve dans le secteur nord-est du cercle Dix.

Près de là où devait se trouver la Société...

- Merci beaucoup, saluai-je Nick. Je te promets de revenir te parler dès que je peux, j'ai des affaires à régler.

Il me dit au revoir en souriant, et je forçai mon esprit à revenir dans la brume blanche, puis à la faire disparaitre.

Je m'éveillai en sursaut dans mon lit, le souffle court. Sans me laisser le temps de réfléchir, je me levai et partis enfiler un jean, une chemise et des chaussures, et sortis de ma chambre. Descendant les marches de l'escalier quatre à quatre, je fus rapidement dehors.

J'avais habituellement une excellente mémoire, si bien que je me souvenais bien de l'endroit où le portail par lequel j'étais arrivé était situé. Le seul problème était de savoir s'il y était encore ou non...

Je me mis en marche immédiatement, prenant mes repères sur les bâtiments, la route et les arbres étranges que j'avais pu remarquer en arrivant.

J'étais déterminé comme peut-être je ne l'avais jamais été. Pour la première fois de ma vie, mon futur me semblait clair. Je savais ce que je devais faire et rien ne pourrait m'en empêcher.

- Newtie ?

Je me figeai au milieu de la route. Ainsi donc, il y avait encore des personnes dehors à cette heure ?

- Qu'est-ce que tu fous là ? demanda Ella en sortant de la pénombre pour venir se planter devant moi, les bras croisés. Il fait nuit noire...

- Je pourrais te retourner la question.

- Moi j'ai le droit, je suis Poursuiveuse. Pas toi.

Je soupirai, cherchant une excuse qui n'impliquerait pas de lui dire où j'allais... mais ses yeux noirs semblaient sonder les tréfonds de mon âme et m'empêchaient de réfléchir convenablement.

- Je vais chercher Rachel, lâchai-je finalement, détournant le regard comme un enfant pris en faute.

- Et pourquoi ça ? s'étonna la brune.

- Je ne peux pas vraiment t'expliquer... Je sais que je dois la voir, c'est tout. C'est... notre destinée.

- Je ne crois pas à ces foutaises, ricana la jeune fille.

- Bon, j'ai eu une vision du futur, mentis-je.

Pour une raison qui m'était inconnue, je n'avais pas envie de lui parler de Nick.

- Ah bon ? s'exclama-t-elle d'un air un peu étonné. Et qu'as-tu vu exactement ?

- J'étais avec Rachel dans la forêt. Mais... Ce n'est pas que ça. Ça fait longtemps que j'ai l'impression que nous sommes supposés être ensemble, et là c'est vraiment un besoin de la voir, presque un manque.

Ella ne parut pas convaincue mais me fixa pendant un long moment, réfléchissant sans doute ardemment à mes paroles.

- OK, je vais t'aider, annonça-t-elle finalement.

- Ah bon ? m'exclamai-je, surpris.

- Oui. Mais ne crois pas que je le fasse pour toi, c'est simplement pour sauver Rachel. Tout seul tu ne pourrais jamais y parvenir, puisqu'on ne peut pas rejoindre le portail sans autorisation.

- Donc il faut que j'aille demander à Miss Lumina ?

- Il faut que tu retournes te coucher et que tu me laisses gérer. Seul un Poursuiveur peut sortir, et contrairement à moi tu n'en es pas un. Demain matin j'aurais l'autorisation pour moi-seule et il faudra simplement que tu me rejoignes là où nous sommes arrivés, aux premières lueurs avant que tout le monde ne soit levé.

Je hochai la tête, quoique peu rassuré. Mais même si je n'avais pas envie de l'embarquer avec moi dans cette histoire, je devais bien avouer que sans elle je serais certainement incapable de sauver mon ancienne camarade de classe.

- Une dernière chose, la rappelai-je alors qu'elle s'éloignait déjà. Est-ce qu'il y a un ordinateur dans la Société ?

Son regard me traversa de part en part tandis qu'elle essayait sans doute de comprendre la raison de ma demande.

- C'est à propos de ces nombres, expliquai-je. Je pense qu'il s'agit d'un code.

- Merci Newton, je m'en doutais aussi. Mais pourquoi tu as besoin d'un ordinateur ?

- J'ai plusieurs théories sur la façon dont le message est codé... Alors je pourrais tout essayer à la main, mais ça irait sans doute beaucoup plus vite en créant un algorithme qui le fasse pour moi.

Elle sembla hésiter pendant un instant.

- Très bien, il y en a deux. Le premier se situe dans le bureau de Miss Lumina, je me suis approprié le second. J'espère pour toi que ça va marcher. Je te le montrerai demain si on revient en vie.

J'acquiesçai, soulagé qu'elle accepte si facilement, car cela me simplifierait la vie. Puis je me détournai et repartis à grands pas vers le bâtiment des dortoirs, espérant que personne ne nous avait vus dehors.

Pourtant j'eus beaucoup de mal à m'endormir. Mes pensées dérivaient sans cesse sur Nick, Rachel et Ella. Je ne comprenais pas les motivations de celle-ci pour m'aider. Ce n'était certainement pas par simple bonté de cœur, puisqu'elle ne semblait pas en avoir. Qui savait ce qu'elle pouvait avoir derrière la tête...

Étais-je en train de faire une erreur en lui confiant l'avenir de Rachel ?...

Seul le silence me répondit.

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