J'interceptai Ella alors qu'elle sortait de l'hôpital. Elle se tenait droite comme toujours, mais les cernes sous ses yeux perdus dans le vague témoignaient de son réel état d'esprit. Son air devait refléter le mien. Elle posa son regard sur moi pour le détourner aussitôt, puis passa devant moi et se mit à marcher à grand pas dans le couloir carrelé, si bien que je dus presque courir pour la rattraper.

- Ella... Il faut qu'on parle.

- Je n'ai pas envie de discuter avec toi, me coupa-t-elle sèchement.

- Est-ce que... Alex va bien ?

- À ton avis, imbécile ?

À la vitesse où elle avançait, nous étions déjà presque sortis du bâtiment.

- Je suis vraiment désolée, Ella...

- Non, tu ne l'es pas. Tu ne comprends pas.

- Ma mère a été arrêtée quand j'avais huit ans, insistai-je. Je sais ce que ça fait de perdre un proche.

Nous étions dehors, fouettés par les feuilles mortes emportées dans le vent, quand Ella s'arrêta brusquement et me poussa vers le bâtiment. Je me retrouvai plaqué contre le lierre avant même d'avoir le temps d'être surpris. À croire que ça devenait une habitude.

- Tu ne comprends pas, répéta-t-elle en me fixant de ses yeux noirs trop près des miens, une main appuyé contre mon torse. Arrête de me parler, notre... alliance, ou peu importe ce que c'était, est finie.

Sur ce elle me laissa planté là comme un abruti et s'enfuit entre les arbres. J'hésitai pendant une seconde à la suivre puis renonçai : premièrement car elle m'avait l'air beaucoup trop remontée pour tenir une conversation civilisée, deuxièmement parce qu'elle devait connaître les environs un petit milliard de fois mieux que moi, vu qu'elle vivait ici. Je ne parviendrais jamais à la rattraper.

Je choisis également de laisser Alex tranquille. Avec le choc qu'il avait dû subir dès son réveil, lui qui n'était déjà pas très ouvert à la discussion, il valait sans doute mieux lui laisser un peu de temps pour digérer.

Je me dirigeai donc de nouveau vers le bâtiment appelé école. Heureusement, le chemin pour y accéder n'était pas très compliqué, puisqu'il suffisait de suivre la route. J'arrivai avant la sonnerie, et puisque je n'avais absolument pas envie de retourner en cours de Mathématiques affronter déjà les regards, j'allai m'asseoir sur un banc près de la porte d'entrée.

Je ne sais pas trop combien de temps je restai assis là, perdu dans mes pensées qui ne menaient à rien, le visage entre les mains. Ella, Alex. Rachel, ma mère, ma tante, même Kale, mon ami de l'Académie. Et puis Alice. Surtout Alice.

Quand je relevai le visage, mes yeux tombèrent sur celui d'une jeune fille. La surprise me fit sursauter. Elle sourit et me dit bonjour. Je répondis dans un murmure, et elle s'assit à côté de moi.

Elle était jolie, d'une manière très différente de Rachel ou Ella. La première était ravissante dans sa timidité, sa légère maladresse et sa naïveté adorable. La seconde l'était d'une manière hautaine et froide, universelle. Elle était belle parce que c'était comme ça et personne ne pourrait jamais le contredire.

La nouvelle-venue paraissait magnifique par la gentillesse qui émanait de chaque centimètre-carré de son corps telle une aura. Son sourire était si communicatif que pendant un instant j'en oubliai les évènements horribles de la veille.

Elle n'était pas très grande, sans doute une petite tête de moins que moi. Ses yeux étaient marron irisés d'or, et ses cheveux blonds, qui voletaient autour de son visage tels une auréole, captaient les rayons du soleil. Une paire de lunettes à monture fine était posée sur son nez parsemé de petites tâches de rousseurs. Sa peau était mordorée, pour une raison inconnue puisque cela faisait longtemps que le soleil s'était caché.

On aurait dit un ange.

Je dus la fixer pendant un trop long moment puisqu'elle se mit à rire d'une façon adorable.

- Je m'appelle Liana, annonça-t-elle de sa voix claire, m'interrompant quand je voulus me présenter à mon tour. Je sais qui tu es, Newt. Tout le monde ici connait ton nom. Un Marqué qui l'est depuis trois ans sans s'être jamais fait prendre et qui a lancé sans même connaître son Habilité une attaque sur l'Infirmerie, ça ne passe pas vraiment inaperçu.

- Ah... Et, euh... Comment tu sais tout ça ?

- Les gens parlent... Alex aussi.

J'acquiesçai en silence, me demandant qui était cette fille. Elle avait l'air d'avoir mon âge à peu près, peut-être un peu plus, mais je ne l'avais pas vue dans la salle de classe plus tôt dans la matinée. Était-elle dispensée également ? Aucun moyen de le savoir.

Si elle était amie avec Alex, elle devait sans doute l'être aussi avec sa petite-amie.

- Étais-tu... commençai-je.

- Oui ?

- Étais-tu proche d'Alice ?

Elle soupira, tordant ses mains. Je vis que ses yeux brillaient et je m'en voulus aussitôt de parler de ça.

- Je suis désolé, je ne voulais pas...

- Ce n'est rien, murmura-t-elle avec un petit sourire triste. Elle était... quelqu'un de formidable. Je suis fille unique, tu comprends. Je suis née ici, je l'ai toujours connue. Elle était comme une grande sœur pour moi. Mais surtout elle était incroyablement courageuse, et je l'ai toujours énormément respectée pour ça. Elle était très douée avec son pouvoir. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis glissée silencieusement dans sa chambre étant petite parce que je n'arrivais pas à dormir...

Elle s'arrêta pour reprendre son souffle, les yeux fixés sur le bâtiment. Mu par un instinct, je lui pris la main et la serrai doucement dans la mienne. Cela lui redonna le sourire. Je me rendis compte à quel point je n'aimais pas la voir triste.

- Dès qu'elle en a eu l'âge et les capacités, continua Liana, Alice a tout fait pour faire partie des corps expéditionnaires, ceux qui ont le droit de partir d'ici pour se rendre dans la Cité. Elle est devenue la plus jeune Poursuiveuse depuis la fondation de la Société. Moi, j'aurais eu trop peur, je pense. Je ne suis pas comme elle ou comme toi.

- Mais je ne me sens pas courageux... soupirai-je. En fait je suis terrifié. Depuis mes huit ans, quand ma mère a été prise par la Cité parce qu'elle était Marquée. Encore plus ces deux dernières années, quand le moindre faux pas pouvait causer mon arrestation. Ça fait du bien de ne plus devoir faire constamment attention à être parfait.

Elle rit doucement puis tourna vers moi ses yeux couleur d'ambre sombre, le sourire aux lèvres.

- Certaines personnes n'ont pas besoin de se forcer pour avoir l'air parfait.

Je ne sus quoi répondre. De toute manière, la cloche sonna avant que j'ai seulement eu le temps de rougir.

- Il est temps d'aller au réfectoire, annonça Liana en se levant, tenant toujours ma main dans la sienne. Pas besoin de faire la queue, comme ça.

L'instant précédent semblait définitivement oublié, et c'était sans doute mieux ainsi.

La cantine, minuscule à côté du Restaurant Académique, se situait juste derrière le bâtiment des cours. Un groupe de cinq enfants, quatre garçons et une fille qui devaient avoir environ douze ans étaient déjà là, et nous nous plaçâmes derrière eux. L'unique représentative de la gente féminine parmi les plus jeunes avait le crâne presque rasé, et je me demandai pourquoi sans oser le demander.

La nourriture, elle, ne changeai pas beaucoup de celle de la Cité. Purée et jambon, pas extraordinaire pour des personnes avec des pouvoirs...

J'allai m'installer avec Liana tout au fond de la salle, dos à l'entrée.

- Tu dois être très bon en maths pour que Madame Cooper t'ait laisser partir pendant son cours, cette vieille chouette, lança celle-ci après plusieurs minutes de silence relatif.

Je haussai les épaules, un peu gêné.

- Ma mère était mathématicienne.

Elle ouvrit la bouche pour répondre puis la referma, l'air un peu honteuse d'avoir amené sur le tapis un sujet pareil, mais je l'en rassurai.

- Ne t'inquiète pas. Après tout, continuai-je, je ne suis même pas sûr qu'elle soit... morte.

Liana baissa les yeux vers son assiette et aucun de nous ne dit mot avant un long moment, quand je remarquai soudain une tension chez elle. Puis mon regard suivi le sien, et tomba sur Ella.

Magnifique comme jamais, elle avançait entre les tables d'un pas conquérant en faisant balancer ses longs cheveux noirs ondulés, comme si le lieu lui appartenait. Elle ne me jeta même pas un coup d'œil.

- Je la déteste, entendis-je Liana marmonner entre ses dents.

- Pourquoi ? demandai-je en me tournant de nouveau vers elle, même si je me doutais un peu de la réponse.

- Juste parce qu'elle est elle. A toujours faire des masses pour rien du tout, à se prendre pour la reine au milieu de sa cour. Le pire, c'est que la plupart des gens ici l'admirent. Je ne dis pas qu'il l'apprécient, mais ils l'admirent. Même ceux qui comme moi la connaissent depuis l'enfance, et savent qui elle est réellement... Regarde-les. Tous à lui faire des minauderies. Tout ça parce qu'elle est puissante. Tout ça parce qu'elle est belle.

La tournure de la situation me gêna. Je ne pouvais pas dire que je l'appréciais vraiment, mais j'avais l'impression... je ne sais pas. Que la journée et demi que j'avais passée en compagnie de la brune faisait que je la connaissais.

Mais après tout, j'avais vite compris qu'elle cachait certaines choses. Par exemple sa conversation avec Blake. Ou bien la véritable raison pour laquelle elle voulait libérer les Marqués prisonniers du gouvernement...

- Ça fait plaisir, continua la jeune fille qui me faisait face en reportant ses yeux sur moi, de parler à quelqu'un qui la voit pour ce qu'elle est. Je vous ai vu vous disputer, tout à l'heure, expliqua-t-elle en haussant les épaules devant mon air interrogatif.

Je hochai la tête avant de jeter un nouveau coup d'œil à Ella, qui riait avec un garçon brun plus vieux que moi. Elle semblait définitivement m'ignorer.

Et malgré tout ce que j'avais pu dire ou faire, et même si je ne faisais absolument pas confiance à la jeune fille, mon cœur se serra douloureusement dans ma poitrine.

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800 vues tout rond, je crois que ça se fête ! Je propose donc de vous montrer si vous le souhaitez un petit dessin d'Ella de la façon dont je la vois dans un des prochains chapitres...

Merci à ceux qui votent et commentent...

Mais surtout merci de lire !

AFleurDeMot