20 - Newt - La Société
- Êtes-vous absolument sûre ? demanda Ella à Miss Lumina.
La belle adolescente paraissait complètement effondrée, et je ne pouvais que la comprendre. Assise au fond de son fauteuil en velours cramoisi, on aurait cru que le poids du monde venait de s'écrouler sur ses épaules.
- Je suis tellement désolée, Ella... murmura la vieille femme.
Elle retira ses lunettes et les posa sur le bureau d'ébène. Soudain le visage de l'adolescente se referma et elle se leva d'un bond, puis sortit de la pièce en claquant la porte derrière elle, ses pas étouffés par la moquette. Je m'élançai à sa suite, mais Miss Lumina me rappela avant que ma main ne se soit posée sur la poignée.
- Newt, je suis ravie de te savoir parmi nous, même dans de telles conditions. Et... tu devrais peut-être laisser un peu de temps à Ella pour digérer.
J'acquiesçai d'un sourire un peu crispé avant de sortir dans le couloir. La brune était adossée au mur lambrissée à côté de la porte, le visage enfoui dans ses mains. Elle se redressa brusquement à mon arrivée et s'éloigna.
- Ella... soupirai-je.
Elle s'arrêta mais ne se retourna pas vers moi.
- Laisse-moi seule, Newt. S'il-te-plait. Tu crois toujours pouvoir tout arranger mais là tu ne peux rien faire.
- Je suis désolée, Ella. Sincèrement.
Elle n'attendit pas que j'aie fini pour reprendre sa marche, sans un mot de plus. Je soupirai puis choisis de faire ce qu'elle m'avait demandé. Je tournai à gauche vers les escaliers.
Je me sentais dans un sens responsable du choc que venait de subir la brune, pour la bonne raison que j'étais coupable de lui avoir donné un faux espoir. Après la disparition soudaine d'Alice, j'avais dû à moitié pousser Ella vers le portail pour éviter qu'il disparaisse et que nous nous retrouvions ensevelis sous les débris du bâtiment qui collapsait.
On aurait dit qu'elle allait me tuer dans sa colère. Alors pour la calmer je lui avais fait part de ma théorie. Avant l'explosion, j'avais ressenti une sorte de décharge d'électricité dans l'air, que je n'avais vécu qu'une fois auparavant dans ma vie : juste avant que Blake m'ait téléporté. J'avais donc pensé qu'il avait peut-être transporté Alice avant l'éboulement du plafond, pour se servir d'elle comme otage ou quelque chose du genre.
Ella avait été vite convaincue. Peut-être essayait-elle juste d'y croire, comme moi. Alice... À la fois discrète et omniprésente. Elle était celle qui nous permettait de rester ensemble sans nous taper dessus. Difficile de croire qu'elle n'était pas éternelle...
Mais Miss Lumina avait le pouvoir de ressentir la mort, et si elle disait avoir senti Alice nous quitter ça ne pouvait être que vrai. Vu le choc que cette révélation m'avait causé alors que je ne connaissais la jeune femme que depuis deux jours, j'avais du mal à imaginer ce que devait ressentir Ella en ce moment. Sans parler d'Alex, qui n'avait sans doute pas encore dû se réveiller après ses blessures. En arrivant par le second portail, on nous avait dit qu'il avait directement été emmené à l'infirmerie locale, appelée "hôpital".
Atteignant le bas des escaliers d'un pas las, je passai par la gigantesque porte dont les deux battants étaient rabattus contre le mur couvert de lierre, et sortis dans l'air frais.
Je marchai lentement, observant le décor, puisque je n'avais pas pu le faire en arrivant tant nous étions pressés d'aller voir Miss Lumina pour qu'elle confirme notre théorie. Mal nous en avait pris.
Le bâtiment d'où je sortais était bâti en briques rouges en partie masquées par le feuillage. C'était le plus haut des environs, et il se situait en amont de la colline. L'allée que je foulais était couverte de petit cailloux blanc et s'avançait entre les autres constructions. Je n'étais pas vraiment certain d'être prêt à croiser d'autres personnes, aussi je m'arrêtai, les mains dans les poches de ma veste de l'Académie que je n'avais toujours pas pu changer, contemplant le paysage.
Assurément, cet endroit était très différent de la Cité, avec ses bâtiments disparates et ses arbres qui poussaient n'importe où.
Des pas résonnèrent soudain sur les graviers derrière moi.
- Hey !... Newt !
Reconnaissant la voix du garçon, je me retournai. C'était Quentyn, l'air essoufflé, le visage si rouge que ses tâches de rousseur en disparaissaient presque.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je avec lassitude.
- Tu veux peut-être aller voir ta chambre ? Prendre une douche, te changer ?
Sa réflexion me fit sourire.
- Pourquoi ? Je pue ?
- C'est toi qui l'a dit. Tu viens ?
J'acquiesçai d'un hochement de tête et suivit le garçon plus jeune entre le feuillage. Une fille d'une douzaine d'années cessa tout mouvement en nous voyant passer, les yeux exorbités.
Peut-être que je puais vraiment.
Quentyn nous amena vers une petite porte peinte en vert avec le nombre douze écrit en marron, qu'il poussa. Nous pénétrâmes dans un couloir plutôt lumineux qui donnait sur deux rangées de portes numérotées et un escalier. Je montai derrière le roux, qui finit par s'arrêter devant la dernière, tout au bout de l'étage. Il me tendit une petite clé.
- Ils les ont distribuées avant que vous arriviez, expliqua-t-il. J'en ai pris une pour toi. La salle de repos est de l'autre côté. C'est ici que sont tous les garçons mineurs qui n'ont pas de famille et donc pas de maison...
Je le remerciai rapidement, puis il me laissa et j'entrai dans la chambre. Un grand lit aux couvertures brunes, un bureau et une chaise à l'air confortable, une imposante penderie. Pas beaucoup plus petit que chez ma tante, et incroyablement plus agréable que le garage miteux où j'avais passé la nuit précédente. Une porte à ma gauche donnait sur la salle d'eau.
Je me jetai sur le lit et me roulai en boule comme un enfant. L'exténuement dû à une nuit blanche et aux deux terribles jours que je venais de vivre ma frappa brutalement. Avant que je comprenne de quoi il s'agissait, une goutte tiède vint dévaler ma joue et tomber sur le dessus-de-lit.
Alice.
Elle ne pouvait pas être morte, c'était impossible.
Je la connaissais à peine mais mon implication dans ce qui lui était arrivé était trop forte pour que je le supporte. Pendant un moment, je regrettai presque de ne pas être insensible aux émotions comme les Citadins normaux, les Immaculés.
Pourquoi avais-je proposé d'attaquer l'Infirmerie ? Ne me rendais-je pas compte du risque ?
C'était moi qui aurait dû périr dans l'éboulement... Alice était une femme extraordinaire qui ne méritait pas de disparaître à cause de moi.
Et Rachel était perdue, peut-être pour toujours. J'avais été incapable de la sauver, comme en fait de faire à peu près tout ce que j'essayais.
Les larmes noyèrent ma peine et le matelas. Je ne sais pas trop combien de temps je restai ainsi à pleurer silencieusement en position fœtale. Dans tous les cas, je finis par m'endormir d'épuisement.
- Newt ?...
Une voix à présent familière me tira du sommeil. J'ouvris les yeux sur le visage de Quentyn. Avec ses cheveux trop longs ébouriffés, il aurait fait peur à n'importe qui au réveil, et je n'y fis pas exception. Je poussai un cri de surprise qui le fit rire à mon insu.
- Tu n'avais pas fermé ta porte, expliqua-t-il en haussant les épaules.
- Et c'est une raison pour me réveiller ?
- Non. Mais les cours, si. Tu as dormi plus de dix-sept heures d'affilée.
Si cette dernière information ne à m'étonnait pas outre mesure, je fronçai les sourcils. Oh non...
- Ne me dis pas qu'il y a une Académie ici aussi ?!
- Ils appellent ça juste l'école mais je suppose que c'est la même chose.
Je soupirai longuement, reprenant difficilement mes esprits. Je n'arrivais même pas à savoir quel type de rêve j'avais fait. Mais pas un vert, ça c'était certain. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine.
Je congédiai gentiment Quentyn avant de me lever pour enfin prendre une douche tant méritée.
Trois bons quarts d'heure plus tard je sortais du bâtiment, traînant les pieds. Le garçon était déjà là, discutant avec deux autres adolescents de son âge. Je décidai de ne pas le déranger, mais il m'appela. Je me retournai vers lui d'un air un peu las, et il me présenta ses camarades, Jon et Tessa. Évidemment, eux connaissaient déjà mon nom. Je répondis d'un signe de tête mais n'ouvris pas la bouche.
Je les suivis vers la bâtisse appelée "école". Dans la Cité, on allait à l'école de son secteur jusqu'à dix ans, puis au collège jusqu'à quatorze, et si les résultats étaient satisfaisants on allait ensuite à l'Académie dans la filière qui nous était choisie. Rien de tout ça par ici, une simple barrière séparait la cour où les jeunes enfants jouaient de celle où nous nous trouvions.
Mon premier instinct en pénétrant dans l'enceinte fut de chercher Ella du regard. J'espérais qu'elle allait mieux depuis la veille, même si je me doutais bien que non. De toute façon, elle n'était nulle part en vue.
Le second instinct fut de me rendre dans un coin et de me faire tout petit. Sitôt que j'étais entré une dizaine de regards s'étaient posés sur moi comme une chape de plomb, expulsant l'air de mes poumons et faisant brûler mes joues. De colère et de honte principalement. Ces ados ne savaient-ils pas que j'étais la cause de la mort d'Alice ?...
Assurément pas. Ou bien peut-être n'en avaient-ils cure. Un garçon qui devait avoir à peine douze vint me remercier. J'avais sauvé sa grande sœur, apparemment. Je bégayai une excuse et allai m'éloigner quand une cloche sonna, me faisant sursauter. Le son de crécerelle ne ressemblait en rien à celui, sourd, qui marquait le début des cours à l'Académie.
Je suivis les adolescents de mon âge qui se dirigeaient vers un escalier. J'entrai avec eux dans une minuscule salle de classe avec quarante chaise maximum. On se sentait mieux que dans les amphithéâtres bondés auxquels j'étais habitué, ou du moins ça aurait été sans doute le cas s'il n'y avait pas des personnes qui s'acharnaient à me regarder et me parler. Je m'installai tout au fond dans un coin.
Je n'étais heureusement pas le seul nouveau. Outre Quentyn, il y avait également deux filles de quatorze et dix-sept ans. Apparemment, au-delà de cet âge on pouvait arrêter l'école, ou bien il fallait changer de classe.
Je crois que je somnolai pendant une bonne partie du cours. Des Mathématiques... J'aurais été plus intéressé par de l'Histoire, pour voir la vision qu'en avait la Société, sans doute sensiblement différente de celle de Natalie et de celle de la Cité.
J'avais toujours excellé en Mathématiques. Sans doute à cause de ma mère, dont c'était le métier. Les réponses m'apparaissaient la plupart du temps comme des évidences, quand je voyais les autres élèves s'enfoncer. Je ne saurais même pas vraiment expliquer comment je faisais. Je savais, point final.
J'avais fini l'exercice que nous avait donné la professeur en moins de cinq minutes. J'avais déjà eu cette leçon l'année précédente. Habituellement je faisais semblant d'avoir un peu de mal pour éviter de me faire remarquer, mais je n'en avais plus besoin à présent, et j'étais actuellement beaucoup trop fatigué pour faire un effort de toute façon. Je savourais simplement le fait que personne ne me regarde, m'assoupissant doucement...
- Newt ? Vous feriez bien de vous mettre à travailler au lieu de regarder par la fenêtre.
Répi de bien trop courte durée. Ma feuille fut retirée d'entre mes coudes.
- C'est parce que j'ai fini, madame, soupirai-je.
Son visage passa de l'agacement à la surprise puis à l'émerveillement en quelques secondes.
Elle finit par me dire que je pouvais sortir de classe si je voulais, je n'avais clairement pas besoin de son aide pour ce cours. Je partis donc en laissant feuilles et stylo.
- Alex s'est réveillé, m'annonça-t-elle plus bas alors que je poussai la porte un peu grinçante.
Je la remerciai d'un signe de tête puis replaçai le battant de bois derrière moi. Je soupirai à nouveau.
Ella allait sans doute annoncer la nouvelle à Alex, elle était la mieux placée pour le faire. Ce serait un moyen de la croiser. D'un autre côté, je n'étais pas absolument sûr d'en avoir envie.
Reprends-toi, songeai-je.
Je détestais me lamenter sur mon sort, ça ne me ressemblait pas. Il était temps que je me reprenne en main. S'il restait un moyen de sauver Rachel je le trouverai. Et la seule personne qui pouvait m'aider était Ella...
Il était temps de l'affronter.
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Des avis ?
Des fautes ?
Des incohérences ?
Chapitre sans beaucoup d'action je sais, mais qui sert de transition...
Merci à ceux qui votent et commentent...
Mais surtout merci de lire !
AFleurDeMot
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