19 - Newt - Quinze minutes maximum
Faire sortir l'ensemble des réfugiés par la porte principale ou même l'une de celles du personnel relevait de la mission impossible. Bien que selon Ella, elle soit capable de rendre tout le groupe invisible, elle ne parviendrait pas à tenir ainsi très longtemps, en tout cas pas suffisamment pour que tout le monde soit dehors, sans compter la présence probable de Bloqueurs d'Habilité fonctionnels.
Et même si ça avait été possible, ça n'aurait pas résolu le plus gros problème : comment réussir à amener une cinquantaine de personnes jusqu'à la Société, apparemment très loin du Centre-Ville, sans nous faire remarquer et arrêter ?
Alice proposa d'abord de nous séparer et de partir chacun de notre côté avec un petit groupe de réfugiés. Évidemment, dans "nous" elle comptait Quentyn qui n'avait jamais été à notre destination, Ariane qui n'était même pas Marquée et moi avec mon pouvoir d'immune qui ne fonctionnait plus.
Apparemment, pour parfaire la situation, les militaires avaient pris le premier sous-sol, nous interdisant l'accès aux portes et nous ne pouvions pas forcer le passage avec tous les prisonniers plus ou moins mal en point.
La discussion s'éternisait. Nous nous trouvions dans le petit bureau du secrétaire d'étage, qui côtoyait la salle de repos où tous les captifs étaient restés. Ella s'était attribué le fauteuil à roulettes derrière le meuble tandis que sa sœur et Alex, ainsi que Quentyn et Ariane, étaient assis sur des chaises en plastique. J'étais pour ma part adossé près de la porte, surplombant la petite assemblée. Tout aurait été mieux si seulement la jeune adolescente aux cheveux blancs, assise derrière Ella n'ne se trouvait pas juste en face de moi, et ne m'avait pas fixé de son regard impénétrable depuis que nous étions entrés ici.
Je n'arrivais pas à la cerner. Pire qu'Ella, si c'était possible. Était-elle une prisonnière comme les autres ? Auquel cas, pourquoi était-elle si barbouillée ? On aurait dit qu'elle avait dormi dans la forêt pour une semaine. Et pourquoi me regardait-elle comme ça ?
Alice avait repris la parole quand je la lui coupai. Je ne voulais pas être impoli, mais je commençais à étouffer et cette réunion ne servait absolument à rien.
- Est-ce que vous avez pensé à demander aux réfugiés qui peuvent utiliser leurs pouvoirs quelles sont leurs Habilités ?
Six regard à présent bloqués sur ma personne. Moi qui n'aimais pas tant que ça être au centre de l'attention, ça m'aurait donné la nausée.
- Pour quoi faire ? demanda celle que j'avais interrompue.
Je croisai le regard d'Ella et avant même que j'aie pu ouvrir la bouche, elle se leva et sortit de la pièce.
- Peut-être que l'un d'eux à un don qui pourrait nous aider, dis-je simplement en haussant les épaules avant de suivre la jeune fille.
Au moins ça me donnerait l'impression d'agir. Je devenais malade à écouter cette discussion interminable.
Ella avait déjà commencé à parler aux réfugiés quand je l'a rejoignis.
- ...et je sais que vos pouvoirs ne sont pas à tous encore revenus, mais on aura besoin de tout ce qui est en notre possession pour sortir d'ici vivant tous ensemble.
Un frémissement parcourut l'assemblée. Certains yeux reflétaient la peur, mais à mon soulagement la majorité des anciens prisonniers avaient surtout l'air décidé : ils n'avaient plus grand chose à perdre de toute façon.
Une femme d'une trentaine d'années, bien que ce soit assez difficile à déterminer dans l'état où elle se trouvait, s'avança pour prendre la parole mais un homme un peu plus âgé la devança.
- Je pense que mon pouvoir est celui que vous cherchez, annonça-t-il.
- Et quel est-il ? demanda Ella en me jetant un coup d'œil.
Plutôt que de répondre, l'inconnu ferma les yeux, et l'air se mit à luire d'une manière anormale devant lui. Il prit alors une pomme sur une table proche et la lança devant lui, mais quand elle passa dans la zone brillante elle disparut. Soudain j'entendis un bruit sur ma gauche : le fruit était réapparu dans une flaque d'air semblable à la première, et roula par terre en se cognant au pied d'une table.
Une bonne partie du groupe se mit à fixer l'homme alors qu'Ella, tout sourire, lui demandait de nous suivre jusqu'à la "salle de réunion".
Incroyable que la chance nous ait souri ainsi. Je me souvenais que ma tante me disait souvent que l'organisation était la seule chose sur laquelle je pouvais compter, qu'on ne pouvait pas faire confiance au hasard.
Tout ce qu'il te donne, il le reprendra un jour ou l'autre, quand tu t'y attendras le moins, disait-elle.
J'espérais seulement que cette fois-ci serait une exception...
Un petit quart d'heure plus tard, je regardais avec un mélange d'impatience, d'excitation et d'angoisse les Marqués passer un par un dans le portail qui allait les amener aux portes de la Société, là où ils seraient en sécurité. Quentyn avait ouvert la marche avec la muette et Ariane. Ils avaient reçu des directives très claires sur l'endroit où nous devions nous retrouver. Cela aurait été beaucoup plus simple si l'un d'Alice, Alex et Ella avaient été devant mais ils avaient été formels : c'était ici que le danger se trouvait, pas à l'arrivée, et si les Officiels arrivaient les trois seraient nécessaires pour les empêcher de passer.
J'étais donc resté moi-aussi, d'une part parce que je me sentais beaucoup plus à l'aise avec Alice que tous les autres, et surtout parce que je voulais m'éloigner de l'adolescente aux cheveux blancs. Je sais que c'était ridicule, mais elle me mettait mal à l'aise à un point impossible.
J'avais l'impression que chaque personne mettait une heure à traverser. À présent que l'issue était proche, j'avais peur que quelque chose tourne mal au dernier moment.
Évidemment, quand il ne restait plus qu'une petite dizaine de personnes, un explosion retentit de loin. Ella échangea un regard exaspéré avec sa sœur, puis sortit dans le couloir avec à la main un Bloqueur dysfonctionnel.
Quelques secondes plus tard elle reparut, l'air profondément agacée.
- Ils ont un autre Bloqueur, et sont trop nombreux pour que je l'atteigne. Si j'essaie de faire exploser le mien il risque d'y avoir une réaction en chaîne dans tout l'étage. Le problème est que s'ils ramènent le leur trop près d'ici le portail risque de disparaître.
Je jetai un coup d'œil au vieillard que les autres réfugiés aidaient à passer.
- Donc il va falloir les tenir éloignés d'ici et gagner du temps, résumai-je.
- Je vais essayer de les endormir, annonça Alice, mais son petit-ami la retint par la main.
- Je viens avec toi.
Je vis Ella rouler des yeux derrière eux alors qu'ils partaient ensemble dans le couloir.
- J'aimerais aider, lui dis-je, mais je ne sais pas quoi faire.
- Te taire serait un bon début.
Je la dévisageai en fronçant les sourcils.
- Pourquoi es-tu de si mauvaise humeur ? Tu es insupportable.
Elle souffla d'exaspération avant d'enfin se tourner vers moi.
- Tu n'as pas vu l'air d'Alex ? Il perçoit le danger. S'il a un mauvais pressentiment c'est que quelque chose d'horrible va se produire.
- Les soldats arrivent. Je ne vois pas trop comment ça pourrait aller beaucoup plus mal.
- Newtie, sombre idiot, il y a des millions de façon pour que tout s'écroule en un instant. Pour le moment nous sommes en vie, espérons que ça dure.
Elle avait à peine finit sa phrase que des coups de feu retentirent. Je jetai un coup d'œil au portail, il ne restait plus que l'homme qui l'avait créé.
- Est-ce que ça va disparaitre si vous y allez ? lui demanda la brune.
- Au bout de quelques minutes... Quinze maximum.
- Très bien. Allez vous mettre en sécurité, j'ai une dernière chose à faire.
L'homme acquiesça avant de passer par le carré d'air luisant, apparemment soulagé. Je me tournai vers Ella.
- Et qu'est-ce que tu dois faire ?
- Faire sauter ces saloperies de militaires, évidemment, ricana-t-elle en s'élançant vers la porte.
Je n'hésitai qu'une demi-seconde avant de me lancer à sa suite, sans doute dans un éclair de stupidité. Je ne voyais pas vraiment comment je pouvais vraiment l'aider d'une quelconque façon, après tout.
Alex et Alice se tenaient non-loin de la porte, derrière une table renversée qu'ils avaient dû amener pour servir d'abri. Le garçon tirait au fusil, tandis que sa copine avait les yeux fermés de concentration, dos aux assaillants. Elle devait être en train d'essayer d'utiliser son Habilité à endormir sur les soldats, sans grand succès apparemment. Quelques-uns tombaient bien face contre terre, mais d'autres arrivaient aussitôt pour prendre leur place, et il n'y avait pas moyen qu'elle tienne le rythme. Ils avaient déjà presque réussi à traverser l'étage. S'ils avançaient encore un peu, le portail vers la Société disparaîtrait avant que nous soyons capables de tous passer, et nous serions alors coincés ici.
Ella se glissa près de sa sœur et je l'imitai, peu désireux de me prendre une balle perdue.
- La cible principale est le Bloqueur, annonça la plus jeune. Dès qu'il est atteint il faudra courir pour passer le portail. J'ai laissé partir le type donc il va rapidement disparaître.
Les deux amoureux hochèrent la tête de concert, me faisant réfléchir une nouvelle fois à qui était réellement le chef ici.
- Il faut trouver un moyen de tirer dans le Bloqueur, mais ils le gardent en sécurité à l'arrière, remarqua Alex.
- Dans ce cas il faudra traverser.
Les soldats avançaient encore, et nous étions bien trop proche du portail. Pendant une demi-seconde je faillis m'y rendre puisque de toute façon je ne servais pas à grand chose, mais je me résolus. Si mes camarades devaient mourir aujourd'hui ce serait avec moi : je ne saurais plus vivre avec moi-même autrement.
Alice et Alex n'avaient pas des fusils électriques mais des véritables, trouvés dans l'armurerie avec des grenades. Ella prit l'arme de sa sœur pour tirer tandis que l'aînée s'évertuait toujours à endormir les soldats. Je ne voyais pas comment nous pourrions tous sortir vivant de là, même si les militaires tout comme moi utilisaient des fusils électriques dont les impacts ne traversaient pas la table. Nous n'avions pas assez de temps.
Il me fallut un instant pour me rendre compte que l'air était devenu électrique, au sens littéral du terme. Mon regard se dirigea d'abord sur l'arme que je tenais fermement, mais ce n'était pas technologiquement possible qu'elle soit la responsable.
Une explosion me poussa à me tasser derrière la table. C'était Alex, qui avait lancé une de ses grenades. Apparemment sans atteindre l'objectif, auquel cas le souffle aurait sans doute été beaucoup plus important.
- Je vais devoir m'avancer, annonça-t-il.
Alice voulut répliquer mais une déflagration l'en empêcha : l'un des gardes était lui-aussi pour une obscure raison armé d'un véritable fusil. Ella le toucha à la poitrine et il s'effondra avec un soubresaut.
Je ne compris pas ce qui venait de se produire avant de voir Alex tomber au sol. Alice se précipita à ses côtés et le retourna sur le dos : une tache rouge sombre enflait au-dessus de sa hanche. Un trou ornait la table à mi-hauteur.
Quand Alice releva le regard vers moi, complètement estomaqué, je lus dans ses yeux une fureur que je n'aurais jamais cru y voir. À ce moment, elle ressemblait énormément à sa sœur.
- Ella, Newt, amenez Alex au portail et sauvez-le. Je vais montrer à ces robots ce qu'il en coûte de toucher à ma famille.
- Mais... commença la cadette sans cesser de tirer sur les soldats qui avançaient moins vite, mais trop tout de même.
- Faites ce que je dis, ordonna son aînée en coupant court ses protestations. Il faut le soigner.
Alice avait saisi l'arme de son petit-ami et visait les soldats avec une incroyable précision. Ella resta bloquée un instant, accroupie derrière la table, puis son air résigné revint. J'attrapai les épaules d'Alex pendant qu'elle faisait de même avec ses pieds.
- Fais-les payer, dit-elle avant de nous faire entrer par la porte toute proche.
Un corps était beaucoup plus lourd que je l'aurais pensé. Sitôt à l'abri, nous le reposâmes à terre, inconscient. Il fallait se dépêcher.
- Combien de temps penses-tu qu'il nous reste ? demandai-je.
- Deux ou trois minutes.
Nous entreprîmes de faire passer Alex par le portail, espérant qu'il y aurait quelqu'un de l'autre côté pour le réceptionner. Puis cela fait, et comme je m'y attendais, Ella se tourna vers moi.
- Pars, me dit-elle. Je ne vais pas laisser ma sœur.
- Elle peut encore nous rejoindre...
Sans m'écouter, elle fit demi-tour jusqu'à la porte, et je la suivis. Alice tirait depuis son abri mais le groupe avait considérablement avancé. Il ne devait pas être à beaucoup plus de vingt mètres à présent, et on pouvait distinctement voir leurs visages impassibles.
- Tu peux le faire si tu cours ! cria Ella à sa sœur.
- J'arrive. J'y suis presque...
Je me demandais de quoi elle pouvait parler quand une intense déflagration me projeta en arrière. Le pire fut le bruit. Pendant un instant, je crus que mes tympans étaient morts, tant le silence qui suivit l'explosion était étouffant. Puis j'ouvris les yeux et me relevai en titubant un peu jusqu'à la porte, et je compris sa raison : le plafond du couloir s'était entièrement écroulé sur les gardes qui du coup, avaient cessé de tirer. Mais le soulagement fut de courte durée. Le bâtiment était en train de s'effondrer sur lui-même, les étages collapsant sur les sous-sols détruits, comme en témoignaient le fracas qui résonnaient de partout.
Ella était à côté de moi, le souffle de l'explosion nous ayant projetés dans la salle du portail en nous sauvant sans doute la vie au passage. Mais la belle jeune fille ne semblait pas soulagée.
Elle fixait l'endroit où sa sœur se tenait l'instant plus tôt. Seuls y étaient visibles d'énormes blocs de béton.
Pas une larme ne maculait ses joues couvertes de poussière de plâtre.
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AFleurDeMot
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