16 - Newt - Transfert
Être forcé à regarder Ella tirer de derrière dans la tête des gardes ressemblait déjà au summum de l'horreur pour moi. Malheureusement, la voir faire apparaître des lions qui se jetèrent sur les survivants et les plaquèrent à terre, pour qu'elle puisse mieux les achever d'un coup de poignard dans le crâne avec un petit bruit répugnant, n'était pas vraiment plus ravissant.
- Quoi ? demanda-t-elle avec un petit sourire devant mon air horrifié.
Les manches bleu sombre de sa veste de l'Académie étaient tâchées de rouge vermillon jusqu'au-dessus des coudes, et d'autre chose qui devait être de la cervelle mais à laquelle je préférai ne pas faire attention.
- Je croyais que tu n'étais pas une tueuse, dis-je en reprenant les paroles qu'elle avait prononcées un peu plus tôt, luttant pour empêcher ma voix de flancher.
Plus le temps passait et plus je comprenais que je n'étais absolument pas en sécurité avec elle à mes côtés.
- Je ne tue pas, je détruis, répondit dédaigneusement la jeune fille tout en essuyant sa lame luisante contre la jupe de son uniforme. Ces soldats ne sont plus humains, ce sont des robots de chair et de sang, dirigés à distance par le gouvernement. Il n'ont plus d'âme, plus de conscience.
- Mais quand même...
Je n'aimais pas la sauvagerie avec laquelle elle s'était jetée sur l'homme qui tenait le Bloqueur d'Habilité. C'était plus que de l'obligation, je voyais bien qu'elle était furieuse contre ce qu'il représentait. Comme si les militaires avaient fait quelque chose à sa famille ou autre... Quelque chose dont elle voudrait se venger.
Quentyn ne semblait pas aussi choqué que je l'étais. Il vit que je l'observais et haussa les épaules.
- J'ai déjà vu des choses bien pire. Et puisqu'à cause de mon pouvoir je ne peux rien oublier...
Il détourna le regard. Assurément, son Habilité ne devait pas toujours être facile à porter. La raison pour laquelle notre mémoire efface certaines informations est de nous éviter la folie. Et même dans le cas contraire, les images qui nous restent sont embellies : si Quentyn se souvenait précisément de tout ce qu'il avait jamais vu et entendu depuis l'apparition de sa Marque, j'imaginais mal les cauchemars qui devaient le tourmenter la nuit. Son aptitude devait tout autant être un don qu'une malédiction.
- Les autres groupes auront aussi des Bloqueurs, annonça Ella en me sortant de mes pensées. Il faut avancer avant qu'ils arrivent par ici ou nous serons de nouveau vulnérables.
Je hochai la tête et partis ramasser l'engin. Avec stupeur, je me rendis compte que ça n'avait pas du tout l'air d'une invention de haute technologie comme celles que le gouvernement affectionnaient tant : c'était une simple boîte rectangulaire en bois dur, fermée par un petit loquet métallique. Sur chaque côté étaient gravés des motifs dont j'avais du mal à déterminer le sens. Il y avait un pentacle sur le couvercle, mais le reste m'était assez obscur : des spirales, de petits personnages et même quelques animaux comme des lions, des loups, ou des ours. Près du cadenas qui la maintenait fermement close, une petite diode rouge était éteinte.
Quand je testai la résistance du couvercle, je sentis une main sur mon bras me poussant à cesser.
- Ne fais pas ça, ordonna Ella. J'ai dû briser la fiole à l'intérieur pour l'éteindre, et cette boîte est la dernière chose qui empêche son contenu de se répandre.
Ça expliquait sans doute qu'elle l'ai jetée contre le mur sitôt arrachée des mains de son propriétaire.
- J'ai vu des Immaculés être pulvérisés en l'ouvrant sans protection, affirma Quentyn.
Mon incompréhension dut se lire sur mon visage puisque ma camarade prit sur elle pour m'expliquer.
- Dans la Société, on appelle Immaculés les Non-Marqués. Disons que c'est le plus gentil nom qu'on leur a trouvé.
Puis elle se tourna vers le garçon plus jeune.
- Comme est-ce possible que tu aies vécu à la Société ? Je ne t'y ai jamais vu...
- Je n'y vivais pas. Mais certains le devaient car j'ai entendu ce mot prononcé une fois quand je suis arrivé ici.
Ella hocha la tête sans demander plus d'explications.
- Il faut mettre cette chose en lieu sûr, annonça-t-elle en désignant la boîte que je tenais encore. Puisqu'on ne peut pas la détruire ou la téléporter loin d'ici, il faudra la mettre dans un endroit hors d'accès pour empêcher un accident.
- Pourquoi ne pas le mettre dans le bureau du Directeur de l'Infirmerie ? proposa brusquement Quentyn.
Nous nous retournâmes vers lui d'un même mouvement, réfléchissant à son idée. C'était vrai que blesser ou tuer celui qui contrôlait cette endroit par "accident" serait bénéfique à la Société et aux Marqués encore dans la Cité. D'un autre côté, tuer des gardes sans conscience était différent de le faire à une "véritable" personne et je n'étais pas certain de supporter d'avoir ce meurtre en responsabilité.
- Sais-tu où ce bureau se trouve ? demanda Ella d'un air circonspect.
- Au dernier sous-sol. Ce n'est pas très loin d'ici, en prenant un escalier réservé au personnel on peut y être en moins de trois minutes.
Je me demandai pourquoi Quentyn s'y serait rendu. Mais l'amertume dans sa voix me convainquit de ne pas l'interroger là-dessus pour le moment.
- Toute la partie administrative de l'Infirmerie se trouve là, je suppose ? questionna Ella.
Il hocha la tête.
- Ceux d'entre nous dont le directeur trouve les Habilités utiles y sont aussi. Moi, par exemple, j'y ai passé longtemps avant de remonter il y a trois jours.
Il croisa mon regard, et je compris qu'il pensait la même chose que moi. Même s'il n'avait pas croisé Rachel, auquel cas il s'en serait souvenu, il était possible qu'elle ait été enfermée là-bas. J'avais du mal à imaginer quel don elle pourrait bien avoir, mais ça n'excluait pas qu'elle puisse être aussi puissante qu'Ella...
Cela sembla convaincre l'adolescente. Cependant, et à mon étonnement, elle sembla guetter mon approbation avant de se prononcer. Nous échangeâmes un très long regard, au terme duquel j'approuvai d'un signe de tête. C'était mon dernier espoir de trouver ma camarade de classe, puisqu'elle n'était pas dans le couloir des derniers arrivés. Ella se tourna alors vers Quentyn et lui indiqua que nous étions partant. Quelques secondes plus tard, nous courions en direction des fameux escaliers de service.
Effectivement, nous n'eûmes pas de difficulté à trouver le bureau, dont une énorme porte trahissait l'accès. Je testai la poignée, mais elle était verrouillée.
- C'est étrange, remarquai-je. On dirait que c'est fermé de l'intér...
Newt... Je t'en supplie, sauve-moi.
Je me figeai dans mon mouvement, les yeux écarquillés de stupeur. Il n'y avait personne ici d'autre que nous-trois. Mais cette voix... Même si je ne l'avais entendue que peu de fois, elle était désormais gravée dans mon esprit pour toujours.
- Newtie ? appela Ella, mais je l'ignorai et commençai à tambouriner de mes poings sur la porte.
- Rachel ? Rachel ! EST-CE QUE TU ES LÀ-DEDANS ?
Je collai mon oreille sur la surface plane et froide, mais seul le silence me répondit. Je finis par me retourner vers mes deux camarades, qui me fixaient d'un air éberlué.
- Comment peut-on ouvrir cette porte ?
Je n'avais pas fini ma phrase qu'Ella tira une épingle de sa queue de cheval et entreprit de crocheter la serrure.
- Comment sais-tu qu'elle est ici ?
- Sa voix... J'ai entendu sa voix, dans ma tête. Elle m'a demandé de la sauver.
La jeune fille ne parut pas convaincue mais resta concentrée sur sa tâche. Quentyn également semblait croire que j'étais devenu fou, mais je préférai l'ignorer pour l'instant, même si ça ne me rassurait pas : puisqu'il se souvenait de tout ce qu'il avait vécu, son étonnement devait signifier qu'il n'avait jamais dû croiser un télépathe. Peut-être cela n'existait-il même pas. Peut-être étais-je réellement déséquilibré. Étrangement, cette pensée me perturba moins que je l'aurais cru.
Finalement, et après un temps qui me parut interminable, la lourde porte s'ouvrit avec un petit cliquetis, et je me précipitai à l'intérieur.
- Rachel ?
Je devais avoir l'air complètement timbré, mais pour l'instant je m'en fichais totalement. Je fis rapidement le tour de la pièce, et dus me rendre à l'évidence : ma camarade de classe n'était pas ici.
Dépité, je m'effondrai dans le fauteuil du bureau, qui semblait avoir été projeté dans un coin de la pièce. Il était incroyablement confortable, et à mon étonnement la place était tiède.
- Il y avait quelqu'un ici, dis-je en fronçant les sourcils.
- Ça expliquerait pourquoi la porte était fermée de l'intérieur, sans qu'on voie de clé, grogna Ella.
Nos regards se croisèrent, et vu son air furieux, je compris qu'elle était arrivée à la même conclusion que moi.
- Blake, crachai-je.
D'un coup, mon siège me parut beaucoup moins sympathique, et je me levai.
- Est-ce que... ça veut dire que Rachel était avec lui ? soufflai-je avec horreur.
Ma voix se brisa sur le dernier mot. Si elle l'avait croisé, il y avait de très faibles chances qu'elle ait survécu. Même s'il n'avait pas semblé s'attaquer aux captifs avec la même hargne qu'aux infirmiers et soldats, on avait retrouvé quelques cadavres : ceux qui avaient dû se trouver sur son passage.
- Non, pas forcément, répondit la brune à mon grand soulagement. Si tu n'as pas rêvé, et que pour je ne sais quelle raison tu as pu entendre ses pensées, elle peut être absolument n'importe où. Je connais un télépathe que les kilomètres ne gênent pas.
- J'ai quelque chose qui pourrait vous aider, annonça Quentyn en désignant l'écran de l'ordinateur tactile intégré au bureau.
Nous nous approchâmes, et je remarquai ce dont il parlait : l'écran était ouvert sur une liste des prisonniers. La barre de recherche contenait le nom de Noémie, et Ella, avec une colère que je ne compris pas, l'effaça pour le remplacer par celui de mon amie.
Le temps du chargement me parut incroyablement long. Je serrais les poings, peut-être un peu trop fort puisque je sentis mes ongles s'enfoncer dans la peau tendre de ma paume. Mais actuellement, je m'en fichais tellement.
Enfin, un message apparut à l'écran :
Rachel P394
Parents : Robert et Marianne P394
Frère / sœur : Octavia P394
Âge : 16 ans
Adresse : 394, rue P secteur Nord, Cercle 6
Activité : élève à l'Académie, section biosciences, 2ème année
Statut : Marquée (2 jours), contenue
Habilité : Auteur, classe A, 3ème sous-sol, non-contenu
Transfert : Charlie 5, aujourd'hui
On pouvait cliquer sur chaque information pour avoir plus de précisions, mais la dernière donnée n'amena à rien d'autre. Je me tournai vers Ella en quête d'explications.
- Qu'est-ce que ça signifie ?
- Ça signifie que ta copine n'est plus ici. Elle est en vie, mais dans un autre bâtiment qui nous est totalement hors d'accès. Et si...
Un gigantesque craquement lui coupa la parole. La porte s'arracha de ses gongs et explosa tandis que nous jetions tous les trois sous le bureau.
J'étais tellement perturbé par ce que venait de dire Ella que je ne compris pas immédiatement ce que l'arrivée des gardes signifiait : ils auraient un Bloqueur, si bien qu'aucun de nous n'avait plus de pouvoir.
Nous étions pris au piège.
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AFleurDeMot
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