11 - Newt - Infiltration
Ella était magnifique quand elle dormait. On aurait dit un ange déchu. Son teint pâle contrastait admirablement avec ses cheveux noirs corbeaux et ses lèvres roses. Et puis, elle était beaucoup plus belle quand un rictus malicieux, sarcastique ou simplement sadique ne déformait pas ses traits.
Moi, je n'arrivais pas à trouver le sommeil. J'avais du mal à croire que la veille encore, je m'étais réveillé dans mon lit moelleux, dans mon appartement, avec Natalie dans la chambre voisine et la perspective d'une journée plus ou moins excitante à chercher Alice. À présent, je crois que j'aurais aimé retourner au calme qui précédait notre rencontre, même si sur le moment je me plaignais de m'ennuyer. Les choses était tellement plus simples, avant.
Mais d'un autre côté, j'avais l'impression de faire ce qui était juste en m'associant avec Alice, son petit-ami et sa sœur, quoique l'absence de cette dernière ne m'aurait pas beaucoup dérangé. C'était en effet vraiment perturbant et agaçant au plus haut point, de la trouver constamment jolie puis horrible la seconde suivante. Comme quoi la beauté ne veut pas dire grand chose.
Je savais que ma tante s'inquiétait. Je savais aussi qu'elle me faisait confiance pour ne pas faire d'idioties, et j'étais justement sur le point d'en commettre une. Ce fameux Blake était incroyablement puissant : je l'avais moi-même vu transporter des voitures et leurs passagers par la pensée, et téléporter trois personnes sans même s'approcher ou sembler faire un effort. De plus, je savais que c'était un criminel très recherché, et que malgré tous leurs efforts ni le gouvernement de la Cité ni la Société n'avaient réussi à l'arrêter. Alice m'avait parlé d'une fois où, un peu comme celle-ci, un Marqué était tellement puissant que personne ne pouvait le tuer. Il avait fallu que les deux communautés ennemies s'allient le temps de l'éliminer, avant de reprendre leur conflit. Peut-être que Blake entraînerait la même chose.
Et je comptais passer sous le nez de ce fou furieux pour libérer les Marqués. Je devais bien l'être, moi-aussi, pour croire m'en sortir indemne. Mais pour l'instant, outre mes nouveaux compagnons et ma tante, c'étaient ma mère ainsi que Rachel qui occupaient toutes mes pensées, et je savais au fond de moi que j'avais le devoir de faire tout ce qui était à ma portée pour les sauver, même si c'était en vain.
L'engouement surprenant d'Ella pour ma cause me perturbait plus qu'il ne me ravissait. Soit cette fille était complètement bipolaire - ce qui ne m'étonnerait pas du tout -, soit elle cachait quelque chose - ce qui était en fait encore plus probable. Ou bien les deux. Oui, ça devait être ça.
Mon cerveau de scientifique insomniaque avait essayé d'analyser tout ce que je savais de mes trois compagnons pendant ma nuit quasi-blanche. Pour Alice, c'était plutôt simple : elle était gentille, mais très respectueuse des règles et courageuse sans être téméraire. Elle aimait également beaucoup son petit-ami et sa sœur et ferait tout pour eux. Elle était la plus sociable du groupe.
Alex parlait très peu, et seulement quand c'était nécessaire. Il paraissait un peu froid de prime abord, mais au fond je m'étais vite rendu compte qu'il était juste très pragmatique. Il aimait Alice, d'une manière un peu distante, mais également très profonde. Au fond, cette fille était bien celle qui soudait le groupe. La glue qui empêchait l'édifice fragile de s'effondrer.
Alex, pour revenir à lui, semblait ne pas aimer aller au contraire des indications de la Société, mais il était aussi un peu indépendant quand il trouvait que la situation l'exigeait, comme en ce qui concernait notre attaque. Son avis avait été décisif pour finir de convaincre sa petite-amie.
Quant à Ella, je ne savais toujours absolument pas quoi penser d'elle. Elle semblait à la fois très attachée à sa sœur, et solitaire. Elle détestait les règles, c'était une certitude. Mais je n'arrivais pas à la cerner, à comprendre ce qu'elle pensait. Bien qu'elle ait six ans de moins que les aînés du groupe, mon analyse l'avait révélée avoir la personnalité la plus étrange, et ça m'énervait de ne pas comprendre.
Ce n'était pas ma faute, vous savez, quand on a grandi avec une grande mathématicienne puis une grande chimiste, de toujours vouloir tout savoir.
Ella semblait aussi la plus maligne du trio. Elle avait un esprit logique et était manuelle, comme ses crochetages de serrures et ses paroles très maîtrisée envers Blake, ou du moins ce qu'elle nous en avait rapporté, le démontraient. Elle semblait avoir l'habitude de traiter avec les camps opposés et de se débrouiller en terrain dangereux. Si seulement elle avait été un tout petit peu plus ouverte à la discussion, j'aurais pu lui poser des questions. Mais actuellement je tenais trop à ma peau pour ça.
C'était dingue, quand même. Normalement, j'aurais dû trouver plus facile de parler avec une fille de mon âge qu'avec des personnes de six ans de plus que moi. Mais Ella était trop sauvage, apparemment.
Vers six heures et demi du matin, elle se réveilla. À croire qu'elle était programmée. Ou bien habituée à fuir, je ne pouvais pas trop savoir. Elle secoua sa sœur qui alla faire de même avec Alex. Moi, je ne dormais pas depuis trois heures du matin mais je ne me sentais étrangement pas vraiment fatigué. L'adrénaline, sans doute.
Nous nous trouvions dans un garage assez près du Centre-Ville, que nous avions choisi pour passer la nuit. Alice avait dormi sur la banquette arrière de la vieille voiture bleue rouillée qui trônait entre les étagères croulantes. L'endroit sentait le moisi et personne ne semblait être venu ici depuis longtemps, ce qui expliquait la décision de nous poser ici. En plus du fait que la serrure de la porte était tellement rouillée qu'il avait suffi de donner un coup dedans pour l'ouvrir.
Alex était allé s'installer sur la place passager de la vieille voiture, qu'il avait penchée presque à l'horizontale pour dormir. Ella, quant à elle, avait tiré un vieux plaid sous la table de bricolage, peut-être dans une nouvelle optique de protection. Moi, j'avais étendu le mien près de la porte. Peut-être parce que la voiture ne me disait rien, était un peu claustrophobe, et que je n'appréciais pas particulièrement les araignées qui devaient grouiller dans les étagères. Et puis aussi peut-être dans l'espoir dérisoire de pouvoir fuir d'ici en cas de problème. Après tout, j'avais beau apprécier Alice et même Alex, ça aurait été mentir que de dire que je les connaissais, et encore plus que je leur faisais vraiment confiance. Je restais avec eux par curiosité, parce que nous avions le même objectif dans l'immédiat et car j'avais réalisé que j'aimais bien être en compagnie de personnes Marquées, comme moi. Ça me donnait l'impression d'être moins seul, moins bizarre.
Après que tout le monde fut réveillé, plus ou moins en fonction des personnes, nous nous réunîmes près de la porte de garage, assis sur des vieux cartons, afin de décider de ce qu'il conviendrait de faire pour notre "expédition" tout en mangeant le petit-déjeuner. Ou plutôt les quatre croissants secs que nous avions gardés de la veille.
Le plan était simple : on entrerait par la porte principale sur laquelle Ella ferait apparaître un panonceau indiquant que le bâtiment serait fermé pour la journée. L'adolescente modifierait également notre apparence afin de nous faire entrer plus facilement. Ensuite, il faudrait trouver l'étage où les Marqués étaient enfermés, qui serait sans doute le dernier, ou le sous-sol s'il y en a un. Évidemment, le gouvernement ne pourrait pas permettre que les visiteurs des patients "classiques" des étages puissent croiser les prisonniers.
On convint d'attendre que Blake ait déclenché l'alerte avant d'enclencher le plan. Nous sortîmes donc du garage et nous installâmes sur un banc d'où on pouvait voir l'entrée.
La seule partie du plan que je n'aimais pas était le changement d'apparence, pour la simple et bonne raison que c'était Ella qui s'en chargerait. Pour l'instant, elle nous avait rendus invisibles, afin que les passants ne s'étonnent pas de notre immobilité.
Un peu après neuf heures, le premier signe que quelque chose se passait se manifesta. C'était un infirmier qui courait, sortant en trombe de la porte principale. Or, les infirmiers ne courent jamais, pas en temps normal. Pourtant, aucun de nous ne bougea, conscient que l'attention générale des gardes ne devait pas encore être divertie totalement. C'est à la première explosion, qui fit se figer les piétons autour de nous, que nous décidâmes de nous lever, toujours invisibles. Nous pûmes rentrer sans encombre dans le bâtiment. La secrétaire était là, passant un appel d'une voix angoissée, quand nous réapparûmes sous son regard terrifié. Elle me fixait tout particulièrement, et vu comment Ella souriait, je me demandai qu'elle apparence elle avait bien pu me donner. Sans doute pas quelque chose de très flatteur.
Mais bon, ce n'était pas le plus important pour l'instant. Cette femme allait sans doute nous demander qui nous étions et il fallait vite inventer un mensonge. Pourtant, avant qu'aucun de nous n'ait bougé, elle s'effondra la tête le première sur son bureau.
- Est-ce qu'elle va bien ? m'étonnai-je en m'approchant.
- Elle est juste endormie, idiot, répondit Ella avec dédain.
- C'est toi qui a fait ça ? demandai-je à Alice en ignorant délibérément sa sœur.
Elle haussa les épaules avant de s'engager dans le couloir le plus proche. Nous tombâmes rapidement sur un ascenseur, et rentrâmes à l'intérieur. Il n'y avait pas de sous-sol et seulement cinq étages. Je m'attendais à ce qu'on se rende à ce dernier, mais Ella passa les doigts sur le mur métallique jusqu'à tomber sur un petit bouton presque invisible. Aussitôt, une nouvelle rangée d'étages s'illumina en-dessous des anciens.
- Ils adorent les trucs du genre, dans les bâtiments officiels de la Cité, expliqua la jeune fille devant nos airs ébahis.
Avait-elle déjà été ici, ou dans un autre lieu appartenant au gouvernement ? Bien que la question me brulât les lèvres, je la gardai pour moi.
- Il faut qu'on se sépare, reprit-elle. Deux vont en haut et deux en bas.
- Es-tu sûre que c'est une bonne idée ? demanda Alice, visiblement inquiète et peu convaincue.
Alex prit avec tendresse ses doigts entre les siens tandis qu'Ella acquiesçait.
- C'est ça ou risquer de nous retrouver coincés ici après que Blake soit parti. S'il y a un problème nous nous retrouverons au garage. Faites confiance à la pro.
Les deux plus âgés acquiescèrent en partant en courant dans les escaliers proches en direction de l'étage. Juste en passant devant moi, Alice mit sa main sur mon épaule avec un air d'encouragement. Ça ne me rassurait pas. Au début je pensais que c'était elle qui dirigeait le groupe, mais elle et même son petit-ami semblaient se reposer pour l'occasion sur l'avis de la plus jeune. Cela déclencha dans ma tête toute une série de questions qui s'épancha quand je compris ce que le départ des amoureux signifiait.
J'allais devoir faire équipe avec la folle furieuse.
- Eh bien, Newtie, dit-elle en se tournant vers moi d'un air peu ravi, il semblerait que je doive faire la baby-sitter. Un seul conseil, si tu veux vivre, suis-moi à la trace.
Sur ce elle appuya sur le bouton indiquant -1, et les portes se refermèrent derrière nous.
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AFleurDeMot
PS : merci énormément pour les 200 vues en si peu de temps, même si j'écris avant tout pour moi-même ça fait vraiment chaud au cœur de savoir qu'il y a des personnes qui apprécient mon histoire ❤
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