2 - Rendez-vous.
Comme prévu, seule Marion entre chez Marie et s'assoit sur le canapé. Sans plus de cérémonies, l'invitée lève les yeux vers son hôte et livre son information.
- C'est fini avec Charles.
- Tant mieux.
Les sourcils de Marion se froncent légèrement et Marie lui sourit, expliquant sa pensée.
- Il ne te correspondait pas. Au niveau du moral. Je veux dire, t'aurais pas pu le supporter.
- Exact.
Un silence s'installe et une nouvelle question inattendue surprend Marie.
- Pourquoi tu m'as invitée?
- Parce que j'ai l'impression qu'on va bien s'entendre. Et surtout parce que j'aime ta façon de réfléchir et de débattre. Et parce que je préfère avoir des remords que des regrets. Je t'explique : chaque situation n'arrive qu'une seule fois, autant la vivre à fond. Alors je fais ce que je veux, et parfois les remords viennent me ronger l'esprit. Mais au moins, je n'ai pas des «si j'avais..» qui me hantent. J'aurais pu te laisser partir sans te donner mon numéro et j'aurais eu des regrets, je te l'ai donné et j'aurais peut être des remords de l'avoir fait. Tu comprends la nuance?
- Dans le premier cas, tu n'aurais pas agi et ça aurait stoppé la possibilité de connaître quelque chose de nouveau et dans l'autre ce serait de ta faute si un problème arrivait et ça se passait mal.
- Alors pourquoi tu es venue?
- Disons que dans ce cas, je n'avais rien à perdre. Je n'aurais aucun remord si ça se passe mal parce que j'avais du temps à tuer et que je ne te connais pas assez pour me faire une opinion de toi. Alors que j'aurais pu regretter si j'avais refusé.
Marie hoche doucement la tête et Marion émet un sourire, son premier en sa compagnie.
- T'as souri.
- C'est toi qui m'a fait sourire.
- Moi?
- Ton visage est juste irrésistible quand tu réfléchis, c'est ça qui m'a fait craquer.
- C'est normal qu'il change, puisque je fais un effort mental.
- Certes, mais ça reste irrésistible.
Marie hoche les épaules ; les dires de Marion ne la gênent absolument pas. Pourquoi serait-ce le cas? C'était une simple remarque, rien de plus. Même pas un compliment bien réfléchi, juste une parole pensée et prononcée, vraie pour l'une comme pour l'autre. Oui, le visage de Marie devient une adorable bouille irrésistible quand elle réfléchit, pourtant ça ne la rend pas plus attirante ou plus enfantine que Marion, ça fait juste partie d'elle et de son physique. A quoi bon nier la vérité, surtout lorsqu'elle est identique des deux points de vue?
- Marion.. Pourquoi Charles? Je veux dire, il ne sait ni argumenter, ni organiser ses idées, ni trouver des exemples et des contre-exemples. Il ne connaît pas le principe d'introduction, thèse, antithèse puis conclusion. Si j'exagérais un peu en ironisant péjorativement, je dirais même que la notion de réflexion lui est inconnue et le fait de réfléchir impossible. Alors, en sachant tout ça, quelles qualités chez lui ont réussi à combler ce manque?
- Aucune. Aucune qualité de ton frère n'a pu camoufler sa difficulté à débattre, la preuve étant qu'il est à nouveau célibataire, ou il l'était avant-hier à dix-neuf heures tout du moins, et moi de même. Charles est beau, personne ne le niera, ni toi, ni moi, ni quiconque. Il attire le regard et séduit facilement grâce à son enveloppe corporelle. Seulement, toute la partie de son cerveau réservée à la méditation, l'étude des débats et des questions posées est manquante ; peut être a-t-elle été remplacée par une hormone faisant augmenter la beauté de son corps. Alors oui, certes, son corps m'a fait tomber sous le charme, mais son manque d'esprit m'a bien vite désenchantée.
- Tu es sortie avec lui seulement pour son physique?
- Quelqu'un t'a dit que j'étais un ange?
- J'aime pas quand tu réponds à mes questions par une autre interrogation.
- Je sais, et c'est normal que ça te frustre. Mais j'aimerais quand même ta réponse.
- Alors non. Non, je ne te considère pas comme un ange ; pour être encore plus sincère, je ne te considère tout simplement pas. Pas dans le sens où je t'ignore, dans le sens où je ne pense rien de toi. Je ne te connais pas, comment le pourrais-je? J'attends de te découvrir pour te considérer, donc non, je ne te considère pas comme un ange ni comme un démon, ni comme rien du tout. Je te considère comme une personne, comme Marion. Voilà, je te considère en tant que Marion.
- Non je ne suis pas sortie avec lui juste pour son physique. Je ne suis pas sortie avec lui parce que je l'aimais non plus ; d'ailleurs ça n'a jamais été le cas, ni le premier jour ni le dernier.
Marie ouvre de grands yeux mais n'interrompt pas Marion. Elle espère avoir l'explication à une telle action au cours de ses paroles. Elle sait à quel point une remarque peut déstabiliser et faire dégringoler une idée bien pensée et organisée ; elle n'ose donc pas la couper.
- Laisse-moi t'expliquer Marie : ton frère est un tombeur. L'autre jour, je l'ai entendu discuter avec son ami, le métisse aux yeux verts, un certain Jones, de son record de, je le cite, «gamines brisées par mois». Non Marie, ton frère n'a pas de mal à aimer sur le long terme, je suis certaine que tu t'es déjà posé la question. Non, il n'est pas repoussant et son âme suffirait aux trois quart de ses conquêtes d'un jour. Non, il n'est ni méchant, ni violent, ni brusque. La seule raison pour laquelle une nouvelle fille apparaît toute les semaines, c'est pour remplir son, je le cite à nouveau, «tableau de chasse». Oui Marie, ton frère est un salaud qui profite de son corps pour séduire des jeunes filles innocentes qui croient à ses mensonges. Oui, il aime briser des coeurs, faire espérer pour détruire au plus profond possible et en rire avec Jones. Discuter de toutes les horreurs qu'il a commises, photos souvent à l'appui sans l'accord de la demoiselle, coller des photos sur une nouvelle feuille pour se sentir fort et gribouiller leur noms à l'encre bleue pour en garder une trace, pour pouvoir les compter.
Les grands yeux de Marie sont à présent emplis de larmes coulant sur ses joues. Elle veut nier l'évidence, mais pourquoi Marion lui mentirait-elle? Pourquoi salir l'image de son frère si c'était son invention? Et pour combler le doute, une vibration dans la voix de Marion prouve la véracité de ses propos.
- Je t'en prie, ne pleure pas. Tu n'aurais jamais pu deviner. Désormais, tu peux comprendre pourquoi je ne pouvais l'aimer. Je ne supportais plus de l'entendre parler de ça avec contentement, alors j'ai craqué et j'ai décidé de lui donner une leçon. Alors je ne suis pas un ange, mais j'ai réussi à le surprendre. J'ai fait mine de me laisser charmer par son apparence puis avoir par ses mensonges, jusqu'à accepter de sortir avec lui et de souper avec toi pour l'avoir à son propre jeu. Dieu sait si ça a changé quoi que ce soit, mais si ses chevilles ont quelque peu dégonflé ce serait déjà une belle victoire.
Sur ses quelques mots, Marion se redresse et se relève, attrapant sa veste et son foulard sur le siège.
- Pense à tout ça, à très bientôt Marie.
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