12. Publius prend un bain
— Mec, je suis aux Champs Elysées là.
Je ne suis pas loin de la vérité, l'eau est chaude, apaisante, délicieusement embaumée de pêches et la petite brune sur mes genoux est tout aussi bienfaisante, dans un autre genre.
Rufus, à l'autre bout du bain dans la même position que moi me répond par un gémissement. Nul doute que le massage que la demoiselle lui prodigue fait effet. Notre bonheur est sans égal.
Les bains sont à l'image de la richesse de la famille Valeria, immenses. Si un jour son père fait faillite il pourra toujours ouvrir des thermes ici et s'assurer un revenu minimal. Il y a tous les agréments possibles : des bains froids, des bains chauds, des salles de massage, un bain de vapeur et même des piscines d'exercice avec courant artificiel. Ne manque qu'un toboggan pour les gamins. Je pose mes yeux sur les superbes mosaïques qui ornent les murs, autant de scènes marines qui appellent au voyage.
— Ce n'est pas exactement le même confort dans la caserne.
Je le crois sur parole, Rome entretient certes ses bâtiments mais les soldats n'ont pas pour autant droit à tant de luxe, même s'ils viennent comme nous de l'élite romaine. Un esclave passe dans mon champ de vision, il nous ressert en vin glacé. Encore une chose que nous n'aurons pas dans la caserne.
Je repousse la demoiselle et sors du bain. L'esclave qui nous servait me tend une serviette dans laquelle je m'enroule sans pudeur avant d'aller me servir un verre que je vide aussitôt. Je m'approche de Rufus qui n'a pas bougé et m'abaisse à son niveau.
— Je retourne chez le pater, je peux t'emprunter des vêtements ?
— Fais comme chez toi. Me répond t-il avec un sourire que je lui rends.
Je dépose un baiser sur ses lèvres puis quitte les lieux sans bruit. C'est déjà le petit matin, les maîtres dorment encore mais une bonne partie de la masse est debout et s'affaire. Je pénètre dans la chambre de Rufus, toujours aussi peu ordonnée, et me dirige vers son armoire. J'y pioche au hasard quelques vêtements, nous avons les mêmes goûts tout me plaira, et les enfile avant de lui emprunter une paire de chaussures. En sortant de la pièce je croise Valeria la jeune, l'une des soeurs aînées de Rufus, que je salue bien bas. Enceinte jusqu'aux yeux elle me répond par une petite révérence et un regard pétillant.
— C'est pour bientôt ?
Ce bébé au coeur d'une grande polémique familiale, selon Rufus, devrait arriver dans quelques semaines. Valeria est probablement la femme que j'admire le plus au monde. Non seulement elle a intégré la légion dès que Sylla en a donné l'autorisation aux femmes huit ans plus tôt mais en plus d'avoir tranché du Gaulois à tour de bras elle s'est choisi un fiancé plébéien. Parmi tous les hommes de sa légion, elle a choisi non pas minimum un chevalier mais un simple légionnaire. Un homme qui est artisan, futur boucher je crois, elle porte son enfant, et a menacé son père d'épouser le fils de son pire ennemi s'il ne lui donnait pas sa bénédiction.
Les femmes ont accès à la plupart des métiers depuis longtemps, les femmes de légionnaires notamment font tourner les boutiques pendant les campagnes, mais l'armée et le sénat leur était jusque là interdits. J'imagine la tête du pater si une femme vient à siéger.
— Dans trois semaines, je resterai ici jusqu'à la démobilisation de Lucius, l'été prochain. Sa mère ne m'aime pas trop. Je suis trop indépendante à ses yeux, je préfère rester loin, au moins je sais comment gérer ma mère.
— Je ne doute pas de ta capacité à également gérer ta belle-mère noble Valeria.
Elle rit doucement et m'accompagne le long des couloirs jusqu'à l'atrium. Elle fait ouvrir les grandes portes pour moi et me salue cordialement.
— Lucius a eu une permission, notre mariage a lieu la semaine prochaine.
— Rufus m'en a parlé.
— Viendras-tu ? Cela ferait plaisir à mon frère...
— Si les circonstances me le permettent.
Pas la peine de citer le pater, elle a très bien compris. Nous sommes connectés sur les réseaux sociaux et elle suit à peu près tous les amis de Rufus, et réciproquement. Notre sphère est très petite mais non moins influente.
— Je glisserai un mot à père pour toi. Le noble Crassus est également sur la liste des invités.
— Je n'en doute pas. Bonne journée noble Valeria.
Je la quitte sur ces mots et marche tranquillement dans les rues pratiquement désertes du Palatin. Quelques camions de livraisons animent les lieux et desservent les villas du voisinage. J'hésite, porte principale ou porte secondaire ? Dans tous les cas mon arrivée sera remarquée, j'opte donc pour la grande porte. Quelle expression de surprise sur le visage de Popi lorsqu'il s'avance dans notre atrium afin d'accueillir le visiteur que je suis.
— Quand êtes-vous parti jeune maître ?
Nul besoin d'être devin pour savoir que l'esclave s'inquiète d'un quelconque manquement dans la sécurité de la demeure mais je n'ai aucune envie de lui dévoiler mes issues de secours.
— Dans la nuit, père est-il déjà levé ?
Question stupide, le pater dort si peu qu'on pourrait le croire insomniaque, il ne comprend rien aux plaisirs divins de la douceur d'un matelas moelleux et de couvertures chaudes.
— Dans son cabinet de travail.
Bien, je peux aller manger sans risquer de le croiser. Je suis déçu de ne pas trouver Aurea dans le triclinium, je me demande comment s'est déroulée sa soirée après mon départ. Je m'assieds et attends que l'esclave, Bella je crois, m'apporte mon café habituel. Bella est vêtue comme toutes les esclaves de la maison, dans cette robe beige au style antique, à croire que le pater n'a jamais ouvert un magazine de mode. Elle crie la solennité et le formalisme, c'est d'un déprimant. Il aurait au moins pu choisir un tailleur mais non, traditionaliste jusqu'au bout, le pater a gardé cette tenue sobre qu'avait probablement choisie une ancêtre il y a des milliards d'années.
Ce détail mis à part Bella a tout pour plaire, elle est agréable et a toujours un bon mot pour peu que l'on lui adresse la parole. Si bien que je lui raconte mes aventures de la nuit et la fait rire aux éclats.
— Et Aurea cela a été ?
Ma petite protégée m'a manqué, les dieux savent ce dont le pater est capable.
— La nouvelle ? Elle était avec les chefs ce matin, elle n'a pas l'air très dégourdie. Elle n'a pas décroché un mot et je l'ai entendue sangloter une partie de la nuit.
Elle dit cela avec une expression mi-dédaigneuse, mi-blasée. Je commence à lui expliquer qu'Aurea est muette mais c'est à ce moment qu'elle arrive dans la pièce.
— Quand on parle du loup ! Bonj-
Je m'interromps, elle a les yeux rougis, je ne pensais pas qu'elle aurait pleuré autant. Elle a encore des larmes sur les joues.
— Plutôt une explication. Déclare une voix derrière elle.
Le pater a fait son entrée, je vais pleurer moi aussi.
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