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Chapitre 1 - 2

Un garçon les croisait d'une démarche assurée - selon elle, l'aveu involontaire d'une certaine inconscience. Les mains dans les poches, il souriait en biais par politesse ironique à l'égard de Miss Rudoie. Lorsqu'il l'eût dépassée, ses lèvres articulèrent silencieusement :

- Bienvenue en Enfer.

Au bleu ardent de son regard ne se mêlait pas la moindre lueur de malice. Convaincue de son sérieux, Opaline acquiesça doucement. Il s'éloigna, non sans lui jeter au passage une dernière œillade compréhensive. La jeune femme compta ses pas dont les échos décroissaient.

- Lorsque je vous parle, j'entends que vous me répondiez.

- Pardon ? sursauta-t-elle.

- Vous n'avez jamais mis les pieds dans un Orphelinat Impérial auparavant, n'est-ce pas ?

Pas de réponse. Juste un silence amer. Miss Rudoie souleva sa lippe supérieure, visiblement amusée :

- Vous ignorez donc à quels usages nous soumettons les pensionnaires ?

Figée par la vision de cette large bouche, à l'ourlet si renflé, Opaline déglutit. Ses propres lèvres s'écorchaient au contact de mots désuets. Elle ne put que soutenir le regard de la directrice.

- Chaque nuit nous distillerons vos rêves. Ils s'écouleront de vos tympans jusque dans nos fioles. Les rêves d'enfants sont le nectar de l'innocence, et il s'agit d'un délice dont l'Empereur requiert l'entière exclusivité. L'Onirium dépend des grâces Sa Majesté : elles s'achètent par de beaux songes en bouteilles. Vous acceptez le contrat ? L'extraction de vos substances oniriques en échange de la protection de l'Orphelinat.

- Je ne peux pas y couper, rétorqua la jeune femme avec un timbre éteint.

Pendant qu'elles parlaient, elles étaient parvenues au seuil d'une petite pièce.

En y pénétrant, Opaline fut prise à la gorge par une senteur âcre et enivrante ; dans le même temps, son regard brûla d'un feu pourpre. L'origine du phénomène pétrifia la jeune fille.

De fait, tout le pourtour de la pièce croulait sous les fioles entassées. Et quant à leur contenu... La substance déclinait d'infinies nuances de rouge, avec, parfois, quelques caillots au centre. Du sang. Les fioles renfermaient du sang !

Miss Rudoie gloussa devant le dégout de l'adolescente. A petites enjambées, elle courut au bureau qui trônait là, en tira un long parchemin et revint à elle.

Opaline lâcha du bout des lèvres :

- Qu'est-ce que c'est ?

- Oh, trois fois rien ! De quoi nous lier de manière plus formelle.

Avisant qu'il s'agissait d'un contrat, la jeune fille voulut en déchiffrer la teneur. Elle n'y comprit goutte, tant en regard du langage obscur que de la calligraphie apprêtée.

La directrice s'empressa d'apporter une plume. La fourrant dans les mains d'Opaline :

- Signez, maintenant.

- Je n'ai pas d'encre.

- Oui, une petite seconde !

D'un geste vif, Miss Rudoie piqua l'index de son vis-à-vis avec une pointe - elle la dissimulait jusqu'alors dans sa manche. L'acier perça la pulpe tendre du doigt. Aussi fugace et précise que fût la découpe, la jeune fille ne put retenir une grimace de douleur. Encore tremblante, elle recueillit la goutte écarlate de la pointe de sa plume afin de signer.

- Voyons voir.

Le sang brillait sur le parchemin. Comme Opaline le lui tendait, la directrice agrippa, sinon le papier, son doigt blessé. Pressant l'entaille au goulot d'une fiole vide, elle en tira un mince filet. Sitôt qu'elle obtint suffisamment de sang, Rudoie chapeauta le flacon d'un cabochon ouvragé, et, la mine satisfaite, glissa son butin dans un rayonnage croulant.

- Venez, chère petite, gazouilla-t-elle.

L'index à la bouche, Opaline posa le contrat en travers du bureau pour suivre la femme. Elles parcoururent à nouveau maints couloirs sombres et parvinrent à une modeste chambre, où deux lits se faisaient face.

Aucune lumière ne filtrait des volets clos, mais Opaline distingua au mur la machinerie de quelque alambic. Les rouages de laitons cliquetaient dans le silence. De larges tubes de verres courraient au plafond, y dessinant des arabesques luisantes.

- Voici votre sanctuaire, gloussa Miss Rudoie. Vous disposez de la soirée pour vous y installer, mais, dès demain, votre présence aux cours sera requise. J'ose espérer que vous savez déjà lire et écrire.

S'emparant du chandelier des mains directoriales, Opaline s'avança dans la chambre. Elle en fit le tour à pas mesurés. La directrice darda sur elle un dernier regard avide :

- Puissiez-vous trouver une nouvelle famille à l'Onirium, glissa-t-elle avant de refermer la porte.
Se laissant tomber sur un des lits, la jeune femme hocha la tête. Dans son esprit, toutefois, brûlaient encore les mots que le garçon lui avait chuchotés dans le couloir. Ils sonnaient à ses oreilles comme une étrange promesse.

« Bienvenue en Enfer. »

***

Du sang.

Un linceul liquoreux s'étend à l'horizon. Les yeux se plissent sous son chatoiement pourpre: une brume vermeille comme un suaire qui recouvrirait toute chose. Les gouttelettes pénètrent son nez, laissant dans leur sillage un parfum suave. Elle s'attarde sur l'odeur ; une douceur capiteuse, puissante mais dont les relents métalliques lui soulèvent le cœur. Rien à quoi elle soit accoutumée.

Le cou se tend, les nerfs tendus par la curiosité. On y cherche justification. Mais non : le sang provoque - d'une manière immuable - l'avidité macabre, laquelle emplit chaque esprit de concupiscence voilée. La pupille s'égaille honteusement, bien qu'on veille à en cacher l'éclat sous la courbure de cils baissés.

Elle halète, emplie de son rythme cardiaque comme d'un roulement de tambour. Plus vite. Plus fort. Elle l'aperçoit alors : le corps, le cadavre. La mort. Son cœur ratte un battement.

Les bras sont disloqués, la poitrine écartelée, la gorge arrachée. Le sang souligne la pâleur délicate de l'épiderme, où éclosent des bleus comme autant de corolles céruléennes. La narine semble encore palpiter d'un petit vent effronté. Illusion ?

Au moment où le dégout l'enlace, elle reconnaît la victime. Le visage émacié se révèle, éclaboussé du sang de ses lèvres éclatées.

- Maman.

Un désir meurt sur ses bras : celui qu'ils étreignent une fois encore l'être aimé. Le corps se fige tant de dégout que de tristesse. Néant de l'âme. Puis enfin vint le cri. Unique et terrifiant. Le hurlement d'une bête arrache sa gorge :

- Non !

- Excuse-moi, je ne voulais pas te réveiller.

Hébétée, Opaline battit des paupières. Elle déplia précautionneusement ses membres et sauta du lit - elle ne se rappelait pas s'y être assoupie. Des brumes de son rêve morcelaient encore son esprit, aussi la jeune femme plissa-t-elle les yeux pour se concentrer sur son vis-à-vis.

Il s'agissait d'une fillette maigrichonne, dans le regard de laquelle on devinait une grande malice. Ses tresses brunes et son nez retroussé lui donnait un air de lutin, bien qu'elle ne fût pas aussi jeune que le premier coup d'œil ne le laissait présager.

- Qui es-tu ? balbutia Opaline.

- Je m'appelle Gabrielle Malacieux, et je suis ta nouvelle compagne de chambre - enfin, c'est plutôt toi qui es la mienne.

Intimidée par le regard curieux de Gabrielle, Opaline se tourna à demi. Ses prunelles se cerclèrent d'une lueur songeuse tandis que - dans une timide tentative pour garder une contenance - son attention se portait vers la machinerie dont le mur était recouvert.

- Tu n'avais jamais vu d'Extracteur, avant ? demanda la fillette.

La jeune fille secoua la tête :

- Non. C'est assez étrange, comme système.

Elle suivit de l'ongle les rouages cuivrés, le verre sinueux des condensateurs, et les cylindres d'archal. Les engrenages, certains larges comme sa main, emplissaient le silence de cliquetis mécaniques. Se penchant davantage, Opaline s'aperçut que la machinerie naissait sur les têtes de lits. De vastes vantaux se déployaient autours des oreillers, et la tôle se courbait selon la forme d'un entonnoir.

- Ça sert à condenser les rêves, intervint Gabrielle. Et on dit que l'Incubateur est construit sur le même principe. Incroyable, hein ?

Elle vint aux côtés d'Opaline. La lumière dessinait leur ombre sur ce mur couvert de mécanique. Cela y traçait une silhouette chaotique, monstrueuse, comme emplie du hoquet des rouages. La fillette en fit jouer un moment les contours. Son bras dessinait tantôt une aile grossière, tantôt une corne. Elle déforma encore un instant les bordures de son double immatériel, avant de soupirer :

- J'ai tellement hâte d'en être débarrassée. D'être enfin adulte, tu vois ? Et de pouvoir sortit d'ici ! Si tu savais comme j'attends mon Incubation...

- Je ne crois pas que perdre son ombre soit agréable, hasarda Opaline.

Elle se heurta au regard acide de sa compagne de chambre. La fillette lui décochait une œillade mi- incendiaire, mi- incrédule.

- Ne dit pas n'importe quoi ! Et de toute manière, tu n'auras pas le choix. C'est la loi : l'âge adulte se manifeste par une ablation de l'ombre.

Puis, la mine soudain critique :

- Tu dois presque y être non ? T'as quel âge ?

- Dix-sept ans.

- Je m'en doutais ! Alors tu participes à l'Incubation du solstice d'hiver ? Quelle chance ! Moi, il me reste quatre ans à attendre, avant de sortir de l'Orphelinat sans cette maudite ombre. Quatre ans !

Avec flegme, Gabrielle se laissa tomber sur son lit et ajouta :

- Tu as raté le diner. Mais si tu as faim, il doit rester des choses à la cuisine. C'est directement à droite après les escaliers.

- Il n'y a pas de couvre-feu, ici ?

- Tout le monde passe outre, ne t'en fais pas, répliqua la fillette avec une mine désabusée. Essaie juste de ne pas faire trop de bruit.

Dubitative, Opaline la dévisagea, certaine que sa compagne de chambre se payait sa tête. Pourtant, la gamine soutint sans peine son regard, esquissant même, du bout des lèvres, une moue encourageante. Après une courte indécision, dont l'issue fut vite déterminée en regard des grognements de son estomac, Opaline se saisit d'un chandelier, et sortit de la chambre.

Le grand escalier grinçait au moindre pas. Au dehors, un volet claquait au vent. Le choc perçait la nuit, auquel s'ajoutait parfois la complainte d'un oiseau nocturne. Quoiqu'elle ne fût pas d'une nature couarde, la jeune femme ne pouvait contrôler son souffle ; il grondait atrocement à ses oreilles. Dans l'angoisse naïve qui l'habitait, il lui semblait que sa seule présence pût éveiller toute la maison. Ses grands yeux d'ambre voyaient dans chaque ombre une menace et dans chaque recoin un fantôme.

Soudain, un frôlement troubla le silence.

La jeune femme sursauta. Là, en bas de l'escalier ! Un mouvement furtif, comme le froissement précipité d'une étoffe... Etait-ce la directrice qui entamait une ronde imprévue ? Un élève ? La chandelle fut promptement mouchée. Puis, le cœur au bord des lèvres, Opaline ne bougea plus. A l'affût, elle compta cent battements de cœur. Son regard fouillait le noir, sans qu'elle ne distinguât d'autre danger. Quant au bruit, il s'était tu.

Comme rien ne trahissait plus une quelconque présence, la jeune femme se rendit à l'évidence. Il n'y avait personne. D'ordinaire peu sujette aux monologues, elle se gourmanda dans un murmure.

- Tout ça, c'est dans ta tête, ma pauvre fille.

Emplie de soulagement, Opaline dévala les dernières marches d'un pas alerte. Sans doute le fut-il trop ? Emportée par son élan, la jeune femme trébucha sur le tapis.

Elle se voyait déjà à terre, meurtrie de sa chute, lorsqu'une poigne de fer se referma sur son bras. La main - sortie de l'ombre - tira sur sa manche jusqu'au renfoncement de l'escalier.

L'adolescente étouffa un cri. Se débattit, mais en vain. Elle fût rudement plaquée contre un corps chaud, une paume appuyée sur ses lèvres. Un frisson anxieux vrilla son échine quand ce souffle s'écrasa contre son oreille :

- Tu veux te faire pincer par la directrice ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?

D'après la voix, il s'agissait d'un pensionnaire de l'orphelinat. Agacée de s'être ainsi laissée surprendre, Opaline se dégagea.

- Je pourrais te retourner la question, maugréa-t-elle en lissant ses vêtements.

A la faveur d'un timide rayon de lune, le visage de son interlocuteur se révéla. Son visage était sévère : traits acérés, nez aquilin, mâchoire étroite, prunelles vipérines Malgré la noirceur ambiante, la jeune femme put saisir l'éclat vert de ses yeux. Tout cela s'évanouissait toutefois sous les boucles de ses cheveux blonds. Dorés, épais, il s'agissait là d'une véritable crinière de chérubin.

- T'es la nouvelle, non ? lâcha le jeune homme en la dévisageant de haut en bas.

- Oui. Je m'appelle Opaline.

Le timbre de la jeune fille laissait transparaître une certaine retenue. Intimidée, elle ne savait d'ailleurs comment poursuivre le dialogue. Son malaise s'accrut davantage lorsque le garçon, ignorant ses précédentes paroles, lui asséna, incisif :

- En tout cas, tu n'es pas très maligne pour rester au milieu des escaliers quand les pions sont en pleine patrouille.

- Je... Je pensais que, balbutia-t-elle piteusement. Je cherchais la cuisine.

- Chut ! Plus un bruit.

- Mais...

Elle n'avait pas prononcé deux mots qu'une main vigoureuse la bâillonnait derechef. L'arête du mur heurta son flanc ; le garçon la plaquait contre le coin le plus extrême du cagibi. Leur corps étaient si proches qu'Opaline dût se faire violence pour demeurer impassible. Elle s'apprêtait à exiger une explication. Le pincer, peut-être. L'écho d'une démarche lui fit se mordre la langue. Alors, ses yeux élargis rivés à ceux de son complice, la jeune femme écouta l'amplitude croissante des pas.

Quelqu'un approchait. Et traînait avec lui l'éclairage ambrée d'une bougie.

Ils s'affolèrent lorsque le nimbe lumineux s'infiltra sous l'escalier. C'était comme si leur présence clandestine attirait cette clarté. Opaline percevait le boucan de leur silence : bruissement d'étoffes, souffles saccadés, cœur en sarabande. Comment, dès lors, demeurer invisible ?

Finalement, quand la jeune fille se résolut à abandonner tout espoir, le patrouilleur disparut, entraînant dans son sillage l'éclat du candélabre. A peine soupira-t-elle de soulagement que son compagnon s'emparait de sa manche.

- Dépêche-toi, on bouge.

Ils s'engagèrent dans une course silencieuse. Les foulées du garçon, quoiqu'immenses, dégageait une assurance féline ; il s'agissait indubitablement d'un maître des escapades nocturnes. D'une main sûre, il la guida jusqu'à l'embrasure d'une porte vermoulue et verrouillée.

- Surveille le couloir, ordonna-t-il.

- Mais...

- Arrête de jacasser.

Sous le regard inquiet - mais non dénué d'admiration - d'Opaline, il extirpa un canif de sa poche. De la pointe, l'adolescent entreprit de forcer la serrure, s'accordant au passage le luxe d'un commentaire :

- Ils sont stupides. J'ouvre cette porte depuis que j'ai douze ans.

Le verrou céda bien vite. Ils s'engouffrèrent dans la pièce ; il y faisait plus sombre que dans le corridor, aussi restèrent-ils immobiles, figés dans une brève cécité.

Peu à peu, Opaline put distinguer les voutes d'une immense salle. Elle brillait par son austérité : seules de longues tables en bois brut la meublaient. Un buffet les écrasait de ses immenses proportions : gigantesque, ventru, aux angles pointus, il ressemblait, dans la pénombre ambiante, à un ogre assoupi. Le garçon en extirpa une petite boite en fer. Dedans, des biscuits secs.

Opaline y piocha allègrement plusieurs friandises, à l'image de son complice qui, les mains pleines, s'adossait au mur. Il fourra trois biscuits dans sa bouche, la mine extatique.

- Essaie de ne pas faire de miettes, postillonna-t-il dans un sursaut d'autorité.

Ils restèrent ensuite muets, consacrés à engloutir leurs gâteaux. Puis, enfin, lorsque les bruits de mastications eurent assez rythmé le silence, la voix du garçon s'éleva :

- Qui as-tu perdu ?

Sa compassion manifeste fit frémir sa complice. Seul un murmure lui vint en réponse :

- Ma mère.

- Je suis désolé que tu aies atterri dans cet endroit.

Si les paroles du garçon ébranlèrent Opaline, ce ne fut rien en comparaison de son sourire. Tout à la fois doux et compréhensif, il rendait son visage moins sévère. De prime abord abasourdie, l'adolescente eut ensuite une moue reconnaissante. L'autre enchaîna avec un éclat enjoué :

- Je ne me suis pas présenté. Théophile Fauvevent, spécialiste des mauvais coups en tout genre.

Leur nouvelle complicité vola en éclat car soudain, minuit sonnait. Théo bondit sur ses pieds. Ses boucles volèrent.

- Si on part maintenant, on évitera la prochaine ronde. Tu sauras retrouver le chemin ?

- Bien sûr.

Ils s'en furent en courant. Le garçon dût verrouiller la porte, aussi Opaline fit-elle mine de l'attendre. Il la repoussa d'une main désabusée, un petit sourire supérieur aux lèvres.

- Vas-y.

Et comme elle partait déjà :

- Une dernière chose : ne crois pas tout ce qui se raconte, ici.

Que voulait-il dire ? La jeune femme ne s'appesantit pas sur le sous-entendu ; elle détala aussitôt. Elle n'imaginait pas retrouver sa chambre si aisément - quoiqu'elle ait pu affirmer à Théophile. Et pourtant... Elle fila, légère et imperceptible, jusqu'à la pièce. Pas une fois son regard ne discerna de menaces dans les ombres du corridor.

Un soupir satisfait lui échappa lorsqu'elle parvint au seuil de la mansarde. Le chambranle grinça au passage de la noctambule, qui verrouilla derrière elle. Opaline s'immobilisa alors à quelques pas du lit.

Gabrielle dormait.

D'ordinaire, la jeune femme vouait une étrange passion aux gens assoupis. Elle retrouvait dans la courbure des cils un charme innocent, éphémère ; dans la bouche entrouverte tout l'abandon du monde ; et dans l'impassible du visage une quiétude absolue. Rien qui pût s'observer, en somme, quand l'éveil s'amorçait.

Mais bien que la moue de l'endormie lui parût angélique - loin de la peste diurne - autre chose la retenait.

De toute évidence, Gabrielle rêvait ; de cela naissait un bien singulier phénomène.

Un halo nacré, lumineux, dont l'éclat palpitait à l'unisson de quelque rythme inconnu, se déversait des narines de l'enfant. On retrouvait cette texture d'une brume embrasée par l'aube, tant crémeuse que dorée.

Opaline amorça un geste, mais, rougissante, se reprit aussitôt : toucher le flamboiement lui paraissait bien impudique. C'était inexplicable. Unique. On ressentait l'essence même de Gabrielle Malacieux dans les courbes chatoyantes.

Cela faisait une dégoulinade de brillance. Une vomissure somptueusement irisée qui s'écoulait jusque dans les vantaux de l'Extracteur. Là, le rêve - puisque c'en était un - disparaissait dans un ultime et délicieux gargouillis. Ça n'en finissait pas de s'écouler, du nez de Gabrielle à cette mécanique de traite.

Cette vision enflamma la jeune femme de sentiments contradictoires. Fascination et répugnance se disputait son âme à forces égales. Comment une substance si merveilleuse pouvait être, sans que ce fût un miracle ? Comment avait-on pu matérialiser un rêve ? Cela faisait-il seulement mal ? N'avait-on pas de séquelles à se déprendre de cette part si intime de sa conscience ? Afin de taire ses doutes, Opaline se jeta en travers de sa couche. Les pans de l'Extracteur enserraient son propre oreiller ; elle en frissonna.

Le rêve de sa compagne projetait d'étranges lumières au plafond : il traçait un réseau de paillettes dorées. Bien que la fatigue brouillât sa vue, la jeune femme se plut à les contempler un moment. C'était apaisant. Et, alors que le sommeil l'emportait enfin, Opaline, dans un murmure pâteux, se fit une ultime réflexion :

- Je me demande comment sera mon rêve.

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