Zelda
Louis est grand. Très grand. Il est fin aussi. Pas maigre, pas d'embonpoint. Louis est sec, comme dirait Isis. Il est blond, d'ailleurs. Ce sont de jolis cheveux, plus entretenus que les miens parce qu'ils brillent au soleil et quand le vent les caresse, ils ne se cassent pas, ils se courbent. Je suis un peu gênée. Je ne pensais pas qu'il serait mignon. Quelle idée, en même temps, de ne pas mettre de photo de profil sur Facebook ?
Il m'a vu, me sourit. Puis il lit mon dernier message. Je crois qu'il n'apprécie pas ma pique d'humour. Ou alors, il rougit. J'ai du mal à savoir, il est encore un peu loin et je n'ai pas mes lunettes. Je suis myope. Ou astigmate. Aucune idée, en fait. Je suis un des deux. Le marcel ne lui va pas trop mal, il a l'air d'avoir chaud. Ça doit lui faire du bien de sentir le vent marin sur les bras.
Louis s'approche, coupe la foule pour me rejoindre. J'ai le cœur qui bat. D'habitude, je ne retrouve jamais un inconnu. Je n'ai même pas dit à Mamicha que je sortais pour ça. Elle croit que je vais manger des moules frites chez Odette. Il n'y a qu'Isis qui est au courant, mais elle m'en veut un peu : nous nous étions promis des lettres. Elle m'en a envoyé trois, je n'en ai écrit aucune. Ce n'est pas ma faute si son adresse, elle est dans mon Bullet journal.
Louis est là, en face de moi. Maintenant que je peux le regarder de près, je le trouve vraiment mignon. Le duvet sur ses joues est blond. Ses yeux sont de la couleur de l'orage. Son nez, un peu long, est cassé. Il a un joli sourire, des lèvres fines.
« Zelda ? s'inquiète-t-il.
- C'est moi, je réponds timidement. »
Je dois lever la tête pour le regarder.
« Tu m'en veux pas, si je te fais pas la bise ? me demande-t-il. »
J'ai envie de répondre que non, parce que d'habitude, je ne fais pas la bise aux inconnus.
« Parce que, avec la Covid... »
Ah oui. Bon, c'est mignon, ça part d'une bonne intention. Je secoue la tête.
« Ne t'inquiète pas, je ne suis pas très bise, de toute façon, je le rassure.
- Moi non plus, il m'avoue. »
On se sourit. Je crois qu'il est intimidé. C'est vrai que du haut de mes un mètre cinquante sept (et trois millimètres, j'insiste), je suis très impressionnante.
« Tu as mangé ? je me lance.
- Non, pourquoi ?
- Que tu ne sois pas venu là pour rien, je réponds. Je t'invite.
- Tu es sûre ? Je ne voudrais pas te déranger.
- Oui, oui, t'inquiète. »
Je crois qu'il a peur qu'on n'ait rien à se dire. Moi aussi, ça m'inquiète. Mais je me sentirais trop mal qu'il se soit donner la peine et qu'un simple merci soit sa récompense. En plus, il a l'air gentil.
« Je peux me payer mon repas, me prévient-il.
- Non, non, t'inquiète. Tu as envie de moules frites ? »
C'est direct. Un oui ou un non. S'il dit oui, c'est un type bien. S'il dit non, je prends mon bujo et je pars en courant.
« Ouais, pourquoi pas. Je préviens juste ma mère, si tu veux bien. »
J'acquiesce. Ça va, pour l'instant, c'est un type bien. Il se tourne vers la mer, sort son téléphone. C'est une antiquité. Comme le mien. Ça me fait rire de me dire que je suis tombée sur le seul humain qui possède encore un téléphone du tout début de l'écran tactile. Il finit de taper son message (non sans difficultés) et se retourne vers moi.
« On mange où, du coup ? »
.
Il a pris des moules au curry. Ce type me plaît.
Au début, on ne savait pas trop quoi se dire. Odette n'a pas fait de remarque, a pris notre commande et nous a offert une bolée de cidre. Lui, il regarde la mer et, de temps en temps, me jette un regard nerveux. Je pense qu'il ne s'attendait pas à ce qu'on se retrouve à table ensemble.
« Et sinon, tu es de Dinard ? finit-il par me demander.
- Non, je suis de Strasbourg.
- Ah, c'est sympa là-bas.
- Tu y es déjà allé ?
- Non, mais j'ai vu des photos. »
Son air niais me fait sourire. Il a l'air de se sentir bête. Peut-être que mentalement, c'est la panique et qu'il ne sait pas trop quoi dire. Moi, c'est comme ça que je fonctionne, quand je suis intimidée. Je dis toujours n'importe quoi.
« Et toi ? Tu as toujours habité à Saint-Malo.
- Oui, je suis un bon vieux breton.
- Comme en témoigne ta descente impressionnante. Est-ce que tu veux une autre bolée ? »
Il sait que je me moque gentiment. Il se détend, se redresse dans son siège.
« Non, non, me répond-il. J'avais juste super soif. Tu fais quoi, dans la vie ?
- Conception de jeux vidéo. Et toi ?
- Je suis étudiant à Oxford en littérature et culture du monde anglais.
- Wouah ! »
On est tellement gêné qu'on en récite nos CVs. Et avec ça, il ne m'a toujours pas rendu mon bujo. Mais je ne sais pas trop comment le réclamer. J'ai peur d'être impolie.
« Je suis désolé, finit-il par me souffler quand nos marmites de moules et nos frites sont à table. Je crois que je suis un peu intimidé.
- T'inquiète, moi aussi. Je ne voulais pas que tu penses que je suis ingrate. Après tout, tu n'étais pas obligé de me le rendre mon journal.
- Il doit être important à tes yeux... si je perdais mes pétunias, j'aimerais bien qu'on me les rende.
- T'as un truc avec les fleurs, toi, non ? »
Louis rit. C'est un joli son. J'ai un type dans ma promo... Martin ? Oui, c'est lui. Eh ben, Martin, quand il rit, on a l'impression qu'une montagne s'effondre. Au début, ça nous faisait toujours un peu peur, avec Isis. Maintenant, on est habitué.
« Non pas du tout ! Juste avec les pétunias.
- Pourquoi ?
- Ça a toujours été comme ça. »
J'ai envie de rire. Quand on le regarde, on n'imagine pas que Louis aime jardiner et étudie la littérature. Ce qui me pousse à me demander si lui aussi, il est surpris.
« Et toi, ton carnet, il est si précieux que ça ? »
J'hoche frénétiquement la tête.
« Pas qu'un peu ! j'ajoute. Dedans, il y a mes adresses, tu sais pour envoyer des cartes et rassurer mes parents. Et puis, il y a des choses très personnelles.
- Je croyais qu'un bujo, tu t'en servais pour organiser ton emploi du temps.
- Entre autres. Mais moi, c'est aussi mon journal intime. Vraiment, t'es un chic type de me l'avoir ramené.
- C'est normal, qu'il répond. »
Je crois qu'au fond, ça doit lui faire plaisir de savoir que je récupère mon carnet. Il fouille dans son sac à dos, attrape quelque chose. Il dépose mon bujo sur la table, entre nos plats de frites. Je reconnais la lourde couverture de cuir, les ficelles qui peinent à le maintenir fermer. Il y a toutes ces pages gondolées par mon aquarelle, celles qui ont triplé de volumes parce que j'y colle des souvenirs et des photos. Et puis, je la vois, qui dépasse un peu. L'enveloppe de Mamicha.
Je l'attrape, l'observe sur toutes les coutures.
« Zelda ?
- Oui ?
- Je voulais juste te prévenir...
- Hm ? »
Louis se gratte le crâne, un peu gêné.
« Je l'ai ouvert. »
Je fronce les sourcils. Je m'apprête à l'incendier. En fait, c'est un idiot.
« Mais pas pour le lire ! qu'il se rattrape avant que j'aie eu le temps de le maudire. En fait, j'y ai juste mis une fleur.
- Un pétunia ? je souffle, un peu hébétée par son culot. »
La pression se relâche. Mes épaules se détendent. Il est maladroit, mais il est marrant. Il me fait penser à mon meilleur ami, au lycée.
« Ouais, avoue-t-il. Comme ça, au moins, ton bujo oubliera pas son court séjour chez moi. »
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