
Louis
Je relis le dernier message de Zelda. Est-ce qu'elle est triste de ne plus me parler ? J'aimerai bien. C'est peut-être un peu pompeux de ma part de m'imaginer ça. On n'est même pas amis.
« Tu as dit qu'il viendrait quand, Dean ? s'inquiète ma mère, le crayon derrière l'oreille, l'agenda sur les genoux.
- Du 15 au 20. Ça irait ?
- Je suppose, elle murmure en cherchant les dates sur le papier. Ah, on sera parti avec ton père.
- Vous allez où ?
- On pensait partir quelques jours dans le Sud pour voir Adeline et les petits.
- Ah, c'est cool. Ils vont bien ?
- Oui, j'imagine. »
Adeline, c'est la sœur de ma mère. Elle a quitté notre chère Bretagne pour un type des montagnes. Maintenant, elle habite à Perpignan et élève trois enfants sous le soleil écrasant du Sud de la France. Je l'aime bien, Adeline. Quand j'étais petit, elle me laissait toujours manger son dessert.
« Au fait, hier, tu étais avec qui ? »
La question me surprend. C'est vrai que j'avais dit que je mangeai avec une amie.
« Euh, c'est une amie.
- Je croyais que Victoire était avec son père au Canada.
- Victoire n'est pas ma seule amie, maman... je grogne. J'en ai une autre. »
Enfin, pas vraiment. Zelda n'est pas mon amie, c'est une connaissance. Mais c'était quand même plus facile à dire. Amie. 4 lettres. Connaissance. 12 lettres. Du temps de perdu à taper un message, à mettre des mots sur des relations. Du temps perdu à essayer de définir tout ce qui nous tombe entre les mains.
« Bon, très bien, qu'elle dit en levant les mains en l'air. Tu as mangé quoi ?
- Des moules. »
La phrase fait mouche. Ma mère me dévisage. A la fenêtre, Pétunia qui somnole se réveille. Elle trotte jusqu'à nous, pose sa tête sur mes genoux, geint.
« Mais chéri, souffle ma mère. Tu détestes les moules ! »
Aïe. Je suis percé à jour. Oui, mais, c'était la proposition de Zelda. Elle était là, si petite, si jolie. Elle me dévisageait de son regard brun, jouait d'une main nerveuse avec le vent et ses cheveux caramel au beurre salé. Comment lui dire non ?
« Je déteste les moules ? »
C'est vrai que, depuis ce matin, j'ai un peu mal au ventre. Je ne supporte pas trop les fruits de mer. Mais quand elle m'a proposé de manger avec elle, je me suis senti bizarre. Heureux. Je crois que c'était de la joie, oui. J'avais un millier de question à lui poser, en fait. Alors, j'ai sauté sur l'occasion.
« Décidément, tu me surprendras toujours, même à vingt-trois ans... murmure ma génitrice en se redressant. »
Elle me regarde de travers, tente de scruter un défaut dans ma programmation. Qu'est-ce qu'elle a raté ? Rien. Si, elle a raté Zelda. C'est Zelda, le défaut dans ma programmation. Elle et ses grands yeux bruns.
« Je vais promener Pétunia, je rajoute, comme pour dissiper ce drôle de moment entre une mère et son fils. »
Mon chien sent que je me redresse. Elle enlève la tête de mes genoux, lève sa truffe vers mon visage et glapit de joie.
« Oh oui ! je m'exclame. Tu as compris qu'on sortait ? Mais quelle chienne intelligente ! »
Ma mère sourit. Elle sait que je suis gaga. Mais comment lui résister ? Pétunia est le plus bel Epagneul Breton que je connaisse. Elancée, grande, touffue. Aimante, attentionnée, douce. Calme et réfléchie. C'est mon chien. Mon autre amie, puisque je ne peux pas qualifier Zelda ainsi.
« Si tu sors, tu voudras bien faire des courses pour moi ? s'inquiète ma mère.
- De quoi tu as besoin ?
- De beurre salé et de rhum.
- Ce sont deux envies très précises.
- Effectivement. Je fais des crêpes. Maintenant, si tu préfères des moules, le poissonnier est encore ouvert... »
Elle me taquine et je n'apprécie pas trop. Je lui tire la langue, elle apprécie encore moins.
« Et cette fille, elle était comment ? qu'elle ajoute en criant dans l'appartement à mesure que je m'éloigne vers ma chambre.
- Caramel au beurre salé ! »
J'entends ma mère qui ricane. Mais je m'en fiche. Depuis tout petit, elle sait que Caramel au beurre salé, c'est ma couleur préférée. C'est délicat, comme sucrerie. Un peu gras, un peu lourd. Mais si doux, sur le palet. Et ça se marie bien avec tout. Je crois que si ça continue, ma mère ne va pas me lâcher.
La laisse de Pétunia est sur mon bureau. Elle trône sur les papiers pour mon essai, comme un message subliminal de mon chien qui voudrait bien que je sois un peu moins sérieux. Mais les études, c'est important, que je lui dis parfois, quand on part se promener. Ça nous éloigne de quelques kilomètres, certes. Mais un jour, on pourra gambader ensemble dans les jardins d'Oxford. Pétunia jappe joyeusement. Je crois que l'idée lui plaît. Je lui ai promis : un jour, elle verra l'Angleterre.
J'attrape le saint graal canin. Le bout de la laisse glisse sur le bureau, agrippe quelque chose de dur et l'entraîne avec lui. Sur mon parquet, ça fait un petit cling froid. Je me penche, étonné.
C'est une clé.
Et elle n'est pas à moi.
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