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Chapitre 12 - Sol

L’orage gronde.
À peine m’extirpé-je loin de ma cage que sa puissance me gifle. Tout me submerge. Il y a l’odeur de la pluie, le vent, les vagues ; il y a Concepcion ravagé par les éclairs – mais surtout, il y a l’absence de Rafael.
J’ai gaspillé les heures à peindre son visage aux couleurs de ma hâte et là, à l’instant de confronter l’original à mes pensées, seul le vide me cueille. Qu’espérais-je ? Qu’il m’attende ? Qu’il m’épingle, nuit après nuit, à ses regards éternels ? Après des années à cultiver l’invisible, cela ne devrait plus m’atteindre. En vérité, ce vide me lacère.
Je me tourne vers la tempête. Les palmiers ploient au point de rompre, le déluge nimbe l’île d’un halo flou. La nuit sera sombre.
Comme je m’avance, prêt à rendre mon errance au vent, une lueur m’accroche. Juste un éclat posé en travers de la nuit : une bougie ? Je fronce les sourcils. La végétation malmenée masque l’objet à ma vue. Trois pas plus tard, je découvre un photophore abandonné aux pieds des caféiers. Un autre brille plus loin, sous le manguier, tandis qu’un dernier se reflète aux fenêtres de la maison. On dirait un fil de lumière dont je crois – j’espère – qu’il a été tracé pour moi.
L’espoir me rend papillon. Les sens embrasés par la clarté, je me cogne d’un photophore à l’autre. Chaque bourrasque menace de me disloquer, pourtant ma route reste droite. Lorsque je parviens enfin devant la porte, sa béance ressemble à une certitude : Rafael m’attend derrière.
Devrais-je frapper ? Si mon poing parvenait à être plus consistant qu’un soupir, je le ferai pour m’annoncer. Crier, alors ? La tempête me volerait ma voix. C’est étrange. Pénétrer le foyer d’inconnus ne m’a jamais troublé. Combien de nuits ai-je passé dans la contemplation de vies qui ne m’appartiennent pas ? Lorgner un tableau ou glaner un livre oublié constituent autant d’excuses à mes intrusions, même si la télévision reste ma préférée. Cette débauche d’images et d’émotions m’enivre ; il faut bien cela pour abreuver mon mal d’humanité.
— Et l’intimité ? me grincent parfois mes démons à l’oreille. La nudité, le vulgaire, la violence  sont des vérités sans spectateurs. Personne ne voudrait te savoir à fureter chez lui.
Quant les doutes me tenaillaient ainsi, les museler restait simple : qu’importe le lieu, qu’importe le temps, mes intrusions resteraient insaisissables. Personne ne saurait jamais.
Ce soir, cependant, ce postulat ne tient plus.
— Je suis là, exhalé-je en passant le seuil.
Ce soupir ne possède d’autre vertu que de dissoudre mes hésitations, aussi s’étiole-t-il aussitôt mes lèvre franchies. À l’intérieur, l’étrangeté m’accueille.
Rafael, les yeux clos, la tête renversée en arrière, savoure la pluie qui lentement s’écoule du patio.  Mais il tremble, la peau hérissée de frisson, comme si l’immobilisme lui coûtait. Pourquoi semble-t-il captif de son propre corps ? Je m’approche avec lenteur, bien qu’aucune son ne trahisse ma présence.
— Rafael ? Ça ne va pas ?
Il sursaute. Ses cils tressaillent, menaçant de s’entrouvrir, avant de se sceller à nouveau.
— Si, raille-t-il, la voix un peu aigre, tout va très bien. J’adore contempler l’intérieur de mes propres paupières.
Son cynisme manque de conviction. De la sueur empoisse ses tempes et ses mâchoires menacent de déboîter tant il les serre. Si je pouvais, je prendrais un fragment de sa douleur. Mais seul me restent les mots, ces piètres mots, pour le distraire de son malaise.
— C’est toi, n’est-ce pas, qui a laissé les lumières dehors ?
— Ouais. Avec cette foutue pluie, je n’avais pas le cœur à m’éterniser dans le jardin. J’espérais que tu comprennes le message. Pour que tu ne te sentes pas… je ne sais pas… abandonné ?
Quelque chose en moi s’agite avec la même rage que la tempête. Un tumulte qui me fait osciller entre rire et l’accabler de merci. Finalement, peut-être vaut-il mieux que Rafael reste aveugle à mon trouble.
Une grimace tord soudain sa bouche. Il se courbe : dans sa silhouette brisée transparaît son envie de disparaître. Une larme – une seule – gonfle entre ses cils emmêlés. Comment parvient-il à la ravaler ? Ce garçon incarne-t-il donc la plus amère des résiliences ?
Je m’assoie à ses côtés dans l’espoir que la proximité de ma voix, à défaut du reste, le réconforte un peu.
— Est-ce que je peux faire quelque chose ?
— Si tu avais le pouvoir de défaire les malédictions, tu aurais réglé la tienne depuis longtemps, non ?
Un semblant de sourire s’étale sur mes lèvres :
— À vrai dire, je ne sais pas lequel de nos deux fléaux est le pire.
— On peut toujours jouer à qui a la plus grosse, version destinée merdique. Ça risque d’être un brin morose, mais si ça m’empêche d’entendre ces foutus Malheurs, ce sera déjà ça de pris.
J’ose un soupir :
— Il y en a beaucoup ?
— Ils se sont déchaînés ce soir, confesse le jeune homme à mi-voix. Ils grouillent partout. Ils sortent des murs, du toit, du sol.
Un spasme lui fronce les sourcils. Rafael déglutit avec difficulté, comme s’il renvoyait au fond de lui un nodule garni d’épines.
— J’ignore s’ils profitent de l’orage, mais depuis mon arrivée, ils n’avaient jamais été si laids.
Un éclair éclate tout près. Sa blancheur éventre la nuit, illuminant chacun des recoins où s’agitent les démons de Rafael. Je les imagine, boules putrides accrochées au crépi, prêtes à l’engloutir.
— Tu ne veux pas sortir ? Hasardé-je. T’éloigner un moment ?
Pour se moquer sans doute, le vent arrache un volet. L’écho tire un frisson au supplicié, qui dénègue avec amertume.
— J’ai essayé, mais ils me suivent. La pluie les rends plus impressionnant encore. Presque sauvages. On dirait qu’ils grossissent avec les rafales.
— Ta tante ne peut rien faire ?
— Sa séance de spiritisme l’a lessivée. Elle ronfle comme une ogresse.
Ainsi s’épuisent mes suggestions. Je me sens balourd : resterai-je là, mutique, tandis que lui succombe à ses Malheurs ? Supporter ses cauchemars en silence ne me convient plus. Je m’y suis trop usé. Dans le néant de ma cage, j’ai gardé, encore et encore, ce venin corroder mon âme. J’ai ravalé mon désespoir jusqu’à le voir pourrir – se taire, c’est souffrir encore. Alors je choisis la légèreté.
— Bon, très bien, allons-y pour le concours de pathos.
— Euh… Quoi ?
— Puisqu’il faut se résoudre à attendre, nous n’allons pas passer la nuit à redouter tes malheurs en silence. Et puis, c’est toi qui parlais de comparer nos vies. Je te propose deux questions auxquelles nous répondrons chacun notre tour.
— Non, grince Rafael.
Un rictus étire son visage comme il précise :
— Les questions doivent toujours venir par trois.
— Soit, répliqué-je sans m’attacher à cette fantaisie. Je te laisse l’honneur de la première.
L’hésitation se suspend entre nous. La pluie y déroule son crépitement, et j’ai l’impression que le monde entier vibre sous le déluge. Dans un geste inconscient, Rafael bat la mesure des gouttes. Il réfléchit longtemps. Moi, je m’attarde sur son profil impassible, sur le pli toujours amer de sa bouche et celui ombrageux des sourcils. Ses cils, très longs, palpitent au gré de sa réflexion.
Je sursaute quand enfin il rompt le silence :
— Ce n’est pas facile mais si tu devais nommer un regret… un seul regret né de ta malédiction ?
— Vaste question ! Des remords, j’en cultive une bonne centaine. Certains sont morts avec ta venue. Si j’étais toujours imperceptible, ce regret écarterait le reste, mais tu es là, alors…
Je m’égare en moi-même, sans avoir besoin de chercher bien loin ; les perspectives de l’aurore me suffisent.
— Je regrette de ne pas connaître le soleil.
— Oh. La chaleur, c’est très surfait, assure Rafael.
La légèreté de sa voix vacille un peu, mais l’essentiel est là : un sourire dissipe la mélancolie.
— Et toi ?
Il ne m’offre aucune hésitation, juste une vérité brute délivrée sans fard.
— La relation avec ma mère. Elle a été la gardienne de mes heures perdues, le témoin de mes pires angoisses, la consolante, la rédemptrice… elle a été mon premier Malheur, aussi. J’ai su bien malgré elle ce que lui faisait subir mon père. Et je n’ai jamais trouvé les mots pour lui en parler. Quel genre de fils ne dit jamais merci, hein ? Ou pardon ? Quel genre de fils amène sa famille à la rupture ? À force de me préserver de mon père, de mes sœurs et de moi-même, ma mère s’est perdue.
Ce jeu, en un sens, invoque la pire des cruautés. L’égoïsme m’amène à penser que lui, au moins,  a eu une mère. Quelqu’un l’a aimé. Mais moi, qui a veillé mes insomnies ? D’une mère, je n’en retrouve pas le moindre souvenir. Si seulement…
Non. Je secoue la tête, m’interdisant la suite. La rancœur ne mènera nulle part. Ne reste que la douceur, peut-être, pour dénouer les ronces de nos âmes.
— Tu connais les plus grandes blessures des autres et je suis convaincu qu’un jour, tu trouveras les mots pour les guérir.
Rafael passe une main lasse sur sa nuque.
— Ça reste plus facile d’exalter les Malheurs que de les calmer.
— Il faut essayer.
— Ouais. En attendant que je développe ce don pour la bonté, pourquoi ne pas enchaîner sur la deuxième  question ?
Un ton d’excuse me vient comme j’avoue :
— Celle-ci se nourrit de ma seule curiosité. Que vois-tu dans le miroir ? Ton propre Malheur ?
Là encore, Rafael n’octroie aucune demie-mesure. Il déballe ses pensées sans autre entrave qu’un rictus légèrement désabusé.
— Si seulement ! Cela me permettrait au moins d’affronter ma malédiction en face. Mais, comme le reste, ce que je regarde ne m’appartient pas. Dans mon reflet traînent tous les Malheurs de ceux qui ont croisé ma route. Il y a mon visage au milieu d’une marée de monstres. Ma silhouette au travers d’une armée de cauchemars.
— Tu n’as pas peur de t’y perdre ?
— J’ai passé les dernières années à fuir mon reflet. De toute façon, savoir à quoi je ressemble est le cadet de mes soucis.
Je soupire :
— Pour moi c’est tout l’inverse. Je me suis traqué partout pour me prouver que je n’étais pas juste un atome qui rêvait trop.
— Mais tu vois tes mains, non ? Tu peux toucher ton visage ?
— Et s’il s’agissait seulement d’un symptôme de ma folie ? Me voir, ce serait comme toi face à ton Malheur : me connaître enfin.
— Si je dessinais moins mal, ironise Rafael, je tirerais ton portrait.
— Pourrais-tu quand même essayer ?
— Loco, tout ce que tu obtiendras c’est un bonhomme-bâton. Pas sûr que ça t’aide.
J’envoie à mon voisin un regard qu’il n’attrapera jamais.
Il reste une anecdote à délivrer, la dernière, et j’en redoute la teneur. J’en viens à désirer qu’elle ne survienne jamais, car le silence qui s’avance ne présage rien de bon. Rafael, pourtant si décidé jusqu’alors, remâche son hésitation. Dans la lumière blafarde d’un nouvel éclair, il ressemble à une statue d’argent. Combien de temps avant qu’il n’ose ? Assez pour cesser de compter ses respirations. Et assez pour frémir lorsqu’il lâche :
— Qu’attends-tu du futur ?
À ceci, je ne veux pas répondre. L’avenir représente une masse nébuleuse et Rafael, une comète de passage. Qui sait si demain il me verra encore ? Dans un an, dix ou cent, visitera-t-il toujours mes nuits ? Mais peut-être m’étiolerais-je avant, captif de ma cage.
Trop d’inconnues me bouleversent, alors je triche :
— Je ne sais pas. Et toi ?
— Dans l’idéal, percer le secret de tia Tania et celui de ton origine ; rester sur Ometepe et ne jamais revoir mon père ; trouver la manière de fuir mes Malheurs, voire les entraver pour de bon. Avoir une vie – putain, le mot m’écorche la bouche – normale.
— Quel programme ! raillé-je gentiment.
Rafael hausse les épaules.
— J’ai précisé dans l’idéal. Si l’on parle de projet immédiat, survivre à cette nuit me conviendrait assez.
— Ne t’inquiète pas, l’aube finira par arriver.
Et il s’endormira avant, roulé en boule aux pieds de ses cauchemars, couvert de mon regard et du bruit crépitant de la pluie.

***

C'est mon chapitre préféré jusqu'à maintenant 😚

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