Chapitre 98 : Les poisons orgueilleux
N'oublie jamais Taiyou Kamiaku, tu es leur Maître et eux, sont tes maudits. Ils t'appartiennent. Leurs corps, leurs âmes et leurs sentiments sont tiens. Ne l'oublie jamais, sans eux, tu n'es rien. Un roi sans sujets n'est rien.
Un rayon de soleil traversa la baie vitrée et vint frapper le visage du Maître endormi. Taiyou poussa un grognement avant de se redresser et de jeter un coup d'œil à son épouse, nue, alanguie à ses côtés. Taiyou ne put réprimer un sourire carnassier, celui du prédateur fier de celle qu'il avait élue comme favorite : ne possédait-il pas la plus belle femme de son clan ? Son regard de félin détaillait sans aucune pudeur, ce corps aux courbes parfaites s'offrant à sa vue. Le temps ne semblait pas avoir d'emprise sur cette créature aussi diabolique que magnifique.
La main de Taiyou jaillit du drap et se posa sur cette peau laiteuse, encore fraîche et tendre, appelant ses caresses. Cependant, tandis qu'il parcourait le corps endormi de ses paumes prédatrices, un curieux sentiment s'empara du Maître : la beauté parfaite et les traits divins de Sen ne parvenaient pas à chasser le souvenir d'Aisu de ses esprits. Son Aisu, sa petite maudite favorite au regard insolent et au sourire tantôt espiègle, tantôt câlin. Le Maître retira précipitamment ses doigts de la peau, comme s'il craignait de s'y brûler.
— Pourquoi ne continuez-vous donc pas ? minauda la créature à ses côtés.
Sen battit des paupières et se redressa en un geste sensuel. Son regard, glacial, se posa sur le visage renfrogné de son époux. Tout en le scrutant avec attention, elle passa une langue taquine sur ses lèvres charnues, en signe de satisfaction. Elle pouvait se vanter d'avoir conquis l'un des hommes les plus beaux de sa famille !
Le yukata du Maître, entrouvert comme à son habitude, laissait apercevoir son torse sur lequel glissait de fines gouttes de sueur. La créature se pencha vers son époux et se colla contre lui pour mieux s'enivrer de son parfum de fauve. Elle effleura sa peau de ses ongles écarlates.
— A quoi pensez-vous donc, mon cher ? chuchota-t-elle d'une voix suave tout en pressant ses lèvres contre la peau nue. À votre dernière conquête ?
Elle releva la tête et décrocha un regard narquois au Maître qui lui répondit par un sourire des plus retors. La veille, son épouse l'avait surpris en galante compagnie. Loin de s'en offusquer, la maîtresse du manoir avait félicité la jeune femme pour cette belle prise et s'était déclarée ravie de voir que son homme était encore capable de séduire des femmes... et même, comme dans ce cas précis, des jouvencelles fraîchement pubères, encore sans expérience...
Taiyou s'empara de sa main et la porta à ses lèvres.
— La jeunesse entretient mon esprit et mon corps. Peut-être est-ce là, le secret de l'immortalité.
— Sûrement, marmonna Sen.
Son visage s'assombrit. Changement qui n'échappa guère au regard aiguisé de Taiyou. Un sourire faussement compatissant se dessina sur ses lèvres.
— Ma chère, quelles sont les raisons de ces ombres voilant votre regard ?
— Raiu, grommela son épouse.
Le Maître ne put s'empêcher de tressaillir à l'évocation de ce nom détesté.
— Pourquoi donc ? S'est-il encore refusé à vous ? Auriez-vous perdu de votre pouvoir de séduction ?
— On ne peut malheureusement pas séduire un homme amoureux, répliqua Sen.
Le rire sonore de Taiyou salua sa tirade :
— Ne me dites pas que ce minable pleure encore sa chère fiancée ! Raiu et son romantisme ridicule !
— Non. La délicieuse Hana n'est rien qu'un souvenir... d'ailleurs, je n'ai jamais considéré cette fausse petite oie blanche comme une rivale...
Les deux époux échangèrent un regard entendu. Un tendre souvenir apparut alors dans l'esprit du maître. L'adorable petite Hana... derrière son visage de petite fille sage, elle dissimulait une nature plus que volcanique ! Nature que Raiu ne fut pas le seul à avoir eu le plaisir d'explorer...
Une curieuse lueur traversa le regard de l'épouse.
— À propos... demanda-t-elle d'un ton faussement innocent. Où est donc passée votre petite favorite ? Depuis quelques temps, nous ne la voyons plus au Manoir...
Le Maître s'écarta du corps chaud et détourna les yeux pour masquer son regard. L'absence de Aisu lui pesait... et rien, pas même les jeunes domestiques du Manoir, ne parvenait à combler ce manque. Tout en elle lui semblait irremplaçable : le son de sa voix, son rire impertinent et surtout, ses yeux couleur de glace. Et lorsqu'il apercevait leur fils, cet enfant qui possédait bien des traits en commun avec sa maudite, le souvenir de Aisu devenait insoutenable. Il repensait souvent aux paroles et aux caresses échangées entre eux lors de ses longues nuits d'insomnie en solitaire. Et ses conquêtes avaient toutes le visage de l'écrivain... Il avait dû s'avouer, non sans mal, que Aisu était particulière à ses yeux. Elle n'était pas seulement sa chose ou sa maudite mais également une femme. La femme qui lui avait donné un fils. La femme qu'il aimait sans jamais avoir osé lui avouer sincèrement...
Sen perçut la mélancolie de son époux. Un sourire malfaisant s'étira sur sa bouche couleur de sang : ainsi, elle avait deviné juste. Taiyou, l'impitoyable Maître des Kamiaku s'était bel et bien entiché de cette petite peste qui s'était permise de se mettre en travers de son chemin ! L'écrivain lui avait dérobé tout ce que elle, Sen, convoitait : l'affection de Taiyou et surtout, l'amour de Raiu. Mais patience, bientôt, elle allait lui faire payer son impertinence. Aucune femme n'avait le droit de rivaliser avec elle ! Puisqu'elle ne pouvait pas avoir Raiu Kamiaku alors personne ne l'aurait et surtout pas cette écrivaillonne !
— Il est vrai, reprit l'épouse d'un ton câlin, qu'entre ses contes et son nouvel amant, elle n'a plus assez de temps à consacrer à son Maître...
Ces simples mots furent comme un coup de poignard dans le cœur du Maître.
— Que viens-tu dire !?
Il se retourna vers son épouse, ses yeux de félin étincelaient d'une lueur meurtrière. D'un geste brutal, il se pencha vers elle et la saisit par le cou.
— Répète ce que tu viens de dire ! hurla-t-il d'un ton rageur tout en accentuant la pression de ses doigts autour de sa gorge.
Sen déglutit avec difficulté avant de répondre d'un ton balbutiant :
— Je les ai vus... elle et Raiu... ensemble. Et si j'en crois les ragots, votre maudite passe la plupart de ses nuits en compagnie de votre cher demi-frère.
Taiyou enfonça ses ongles dans la peau palpitant sous ses doigts. Sen ne put réprimer une grimace à la fois douloureuse et moqueuse. Elle venait d'évoquer le sujet interdit. Le Maître n'aimait pas se rappeler que lui et ce traître de médecin partageaient le même sang, le sang paternel.
Savourant sa prochaine victoire, Sen esquissa un sourire mauvais et se mit à toiser son époux d'un œil méprisant :
Taiyou n'était rien ! Il n'était que le jouet de Asahi, le kami solaire. Sans lui, jamais il n'aurait été respecté en tant que chef de famille ! Car l'homme lui, était entièrement soumis à ses caprices et désirs. Taiyou Kamiaku était un lâche. Sans ses maudits, il perdait de sa prestance et de son autorité.
— Et au vu du ventre joliment arrondi de votre maudite, poursuivit Sen tout en retirant les doigts meurtriers de son cou, je doute fort que ce cher Raiu et elle aient passé toutes leurs soirées à discuter en tout bien, tout honneur, autour d'un verre de saké.
Taiyou plongea son regard dans celui de son épouse. La lueur qu'il y lut, confirma ce qu'il craignait. Il comprit de suite, le sens de ses insinuations perfides !
— Tu mens !
— Vous croyez ? Tenez, je parie qu'en ce moment même, votre chère Aisu se trouve dans le pavillon de votre frère et s'active pour la sauvegarde de notre clan !
La jalousie fut plus forte que la raison. Taiyou s'arracha du lit conjugal, se revêtit avec décence et, sans accorder un seul regard à cette vipère lui faisant office de femme, quitta la chambre en claquant la porte coulissante.
Sen massa son cou endolori tout en se vautrant avec délice dans les draps de soie. Elle savourait sa victoire. Elle osait à peine imaginer la réaction de son époux lorsqu'il surprendrait les deux tourtereaux en pleins ébats ! Elle éclata d'un rire mauvais, qui résonna longtemps dans la chambre : en montrant à Taiyou que même sa petite préférée l'avait trahi ; elle, Sen, allait davantage l'affaiblir et pourrait enfin, s'emparer du titre de chef de clan qu'elle convoitait depuis bien longtemps. À moins que cela ne soit plus simple que cela et que Taiyou et Raiu n'en viennent aux mains et ne finissent par s'entre-tuer, voilà qui comblerait tous ses espérances ! Elle prendrait le petit Yuki, l'héritier de Taiyou, sous son aile bienveillante et en ferait un disciple des plus dociles, entièrement dévoué à elle, future régente des Kamiaku.
Tout en rêvant à sa gloire future, Sen se laissa emporter par le sommeil. Elle ne doutait pas de son plan machiavélique et ne parvenait pas à lui trouver la moindre faille.
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