Chapitre 90 : Promesse en roc
Les vois-tu ? Quoi donc ? Les signes du Destin. Ces signes annonçant la mort d'un être qui t'es cher. La Mort rôde tout autour de toi, félin menaçant tapi dans l'ombre, guettant patiemment son heure et la proie désirée. Peux-tu entendre son grognement gourmand et sinistre ? Elle se rit de toi, de l'humanité toute entière qui ne peut rien contre ses forces ténébreuses.
— Hé papy ! Tu rêves ?
La voix suave de Chii Kamiaku tira Kishin Akuma de ses pensées. Les deux jeunes gens se trouvaient dans le salon du jeune homme, entourés par d'épais grimoires qu'ils feuilletaient depuis la matinée. Les restes du déjeuner s'éparpillaient sur les livres et leurs vêtements. Depuis leur rencontre fortuite dans la bibliothèque et leur conversation dans le café, Chii et Kishin passaient leurs journées ensemble, à déchiffrer de vieux manuscrits sur les malédictions et les kamis. Il leur arrivait d'interrompre leur lecture studieuse pour discuter de tout et de rien.
Au début, ils passaient de longues minutes à se dévisager sans rien dire, tous deux se tenant sur la réserve. Ils avait fini par discuter de banalité : le temps qu'il faisait, des informations du jour... et les banalités étaient devenues confidences. Ils se découvraient peu à peu, s'apprivoisant doucement, sans brusquer l'autre.
Kishin avait compris ce que refermait les mots voilés de Chii lorsqu'elle évoquait un peu sa vie au sein du clan Kamiaku. Il avait deviné que derrière son apparence de femme fatale, se terrait l'âme d'une petite fille fragile et sensible, meurtrie par l'existence et qui avait chèrement payé sa liberté, au prix de nombreux sacrifices : celui notamment d'être séparé du reste de sa famille et surtout de ce frère aîné qu'elle adorait, mais qu'elle ne voyait qu'en cachette car lui était encore enchaîné aux Kamiaku.
— J'te signale qu'on a deux foutues malédictions à foutre en l'air, alors c'est pas le moment de roupiller ! reprit la jeune femme.
Kishin lui adressa un sourire entendu. C'était avant tout pour ce frère aîné, un maudit comme elle, que Chii désirait briser ces chaînes maudites. Elle croyait qu'en le libérant de son kami, son frère retrouverait une existence normale...
Comme tous les membres de sa famille, Chii ignorait que Ishi, son cher aîné, n'était plus soumis aux mêmes lois que les Douze, mais qu'il s'était de lui-même enchaîné à leur clan, par dévotion envers Tsuki... Kishin et Chii se ressemblaient : ce n'était pas par égoïsme qu'ils s'acharnaient à faire voler en éclats des règles ancestrales mais pour des êtres qui leur étaient chers.
Kishin contempla longuement la gravure illustrant la page qu'il était en train de lire. C'était une vieille illustration du démon Majinai, représenté sous la forme d'un loup noir aux yeux injectés de sang. Dans sa gueule, il tenait un os immaculé. Un long frisson d'effroi parcourut l'échine du jeune homme : cette image menaçante n'était-elle pas, de nouveau, une mise en garde ? Un mauvais présage ? Il crut entendre le hurlement d'un loup à l'agonie résonner dans la pièce mais après tout, peut-être n'était-ce qu'une illusion...
— Chii, murmura-t-il tout en tournant la page pour échapper à cette image.
La jeune femme releva la tête de l'énorme grimoire sur lequel elle était penchée.
— Ouais ?
Pour la première fois, elle vit des larmes voiler le regard noir de Kishin.
— Et si tout cela est inutile ? Que pouvons-nous faire nous, simples mortels face aux forces surnaturelles alliées à la puissance du Destin ? N'est-ce pas là un acte vain et prétentieux que de vouloir lutter contre la volonté des divinités ?
À sa grande stupeur, la main lourde de bagues de Chii vint se poser sur la sienne.
— Non, parce que nous le faisons pour des gens que nous aimons, chuchota-t-elle d'un ton doux qui ne lui était pas familier. Et ça, ce n'est pas ridicule !
Ils échangèrent un sourire et ne purent détacher leur regard l'un de l'autre. Le visage de Chii s'enflamma et une légère secousse sismique se fit ressentir sous leurs pieds. Elle avait compris que les sentiments qu'elle éprouvait à l'encontre de l'exorciste étaient bien plus que de l'amitié et cela la gênait. Avait-elle le droit, elle, la petite fille souillée, la chose brisée du Maître, d'aimer un homme ? Et surtout un homme tel que Kishin Akuma ?
Ce qu'ignorait la jeune fille était que Kishin lui aussi, était en proie à des émotions qu'il ne parvenait pas à expliquer. Il appréciait chaque jour davantage la présence de la maudite, il guettait avec impatience son arrivée, savourait avec délice chaque instant passé à ses côtés. Comme il devait se faire violence pour ne lui dérober un baiser ! Sa raison et son honneur résistaient encore vaillamment à ses sentiments... mais pour combien de temps encore ? Il connaissait pourtant par cœur les lois de son clan à ce sujet : l'amour chez les Akuma n'existait pas, on se mariait par convention. Le mariage était avant tout, un rituel sacré, une union raisonnable, arrangée par les parents qui ne laissait aucune place à la passion, seulement au respect et à la retenue entre les deux époux.
Chii ne put se résoudre à ôter sa main de celle de Kishin. Elle l'aimait et s'était décidée à assumer ses sentiments... du moins, lorsque viendrait le jour de sa libération ! Elle serait alors une femme comme les autres, prête à croire en un avenir meilleur que celui qu'elle espérait avant sa rencontre avec Kishin...
Kishin resserra ses doigts autour de ceux de la jeune femme. Comment pouvait-il envisager un avenir serein alors que tout autour de lui, il pouvait sentir la mort rôder ? Son regard se posa sur le visage de Chii ; mais depuis qu'il l'avait rencontrée, il se plaisait à rêver d'un autre futur, débarrassé de toutes contraintes familiales, de lois ancestrales ou de malédictions. Un avenir normal, entouré de ceux qui lui étaient chers : Chii et son frère.
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