Chapitre 82 : Une Famille (5)
Aisu arriva au seuil du salon. Elle s'immobilisa et contempla longuement la haute silhouette du médecin accoudée au kokatsu. Elle le connaissait pourtant par cœur ce visage, dont elle avait rêvé durant des années, mais il lui semblait que jamais, elle ne s'en lasserait...
Se sentant observé, Raiu se retourna vers l'ombre et lorsqu'il reconnut la silhouette tant aimée, un tendre sourire se dessina sur ses lèvres.
L'écrivain s'arracha à sa contemplation et s'assit face à lui. Les deux maudits restèrent pendant quelques minutes silencieux, à simplement se regarder. Enfants, ils n'avaient jamais eu besoin de mots pour se comprendre, un simple regard suffisait. Au fil de ans, ces mêmes mots les avaient séparés l'un de l'autre, car ils avaient refusé de les prononcer ou de les remplacer par d'autres ! À présent, les regards avaient de nouveau remplacé les paroles.
Raiu porta la main à son paquet de cigarettes, en tira une et la tendit à son amie, mais celle-ci la repoussa.
— Non, j'ai arrêté.
— Quelle surprise ! Moi qui croyais que tu ne pouvais pas t'en passer ! Dis-moi, et le saké ?
— J'ai arrêté de boire aussi, confessa la jeune femme.
— Je vois que tu deviens raisonnable. À quoi est donc dû ce changement ?
Aisu prit un air grave que Raiu ne lui connaissait pas. Elle releva la tête et planta son regard dans celui de son cousin.
— Raiu, si jamais, je...
Elle ne put continuer et préféra détourner la conversation :
— Mori doit rester ici, ce n'est pas la place qui manque ! En plus, elle est davantage en sécurité chez moi qu'au Manoir. Jamais plus, Taiyou ne posera les mains sur elle !
L'écrivain, sa tirade achevée, se mordit les lèvres. Certes, ce qu'elle venait de dire n'était pas un mensonge : elle désirait recueillir l'adolescente afin de lui offrir un toit sûr. Auprès du Maître, Mori était désormais en danger et elle souhaitait la préserver d'un sort peu enviable, pareil à celui qu'avait connu Chii et Mizu.
Aisu se trouvait pitoyable. Pourquoi n'osait-elle pas lui avouer la vérité ? Par crainte de sa réaction? À cause des risques qu'elle lui faisait encourir ? Tout cela à la fois sans doute...
Le maudit n'étant pas né de la dernière pluie, il devina que sa compagne lui dissimulait quelque chose. Il posa sa main sur la sienne et la pressa avec affection.
— Aisu, s'enquit-il d'un ton doux mais ferme. Y a-t-il autre chose dont tu souhaites me parler ?
Elle devait lui dire.
— Non, répondit-elle tout en secouant la tête.
Raiu eut un froncement de sourcils soupçonneux mais l'air abattu d'Aisu, le dissuada de poursuivre son interrogatoire. Il ne voulait surtout pas qu'elle se sente épiée ! Si elle avait un problème, tôt ou tard, elle finirait par lui en parler... du moins, l'espérait-il. Il avait une entière confiance en elle et pourtant, il ne put empêcher la suspicion de venir troubler son esprit.
— Taiyou ? Tu l'as revu ? Que s'est-il passé ?
Aisu n'avait pas la force de se rebeller contre ses accusations à peine voilées. Elle se contenta de lui décrocher un regard las, qui pour Raiu, valait toutes les réponses du monde. Face à un tel regard, si désarmant de lassitude et de sincérité, ses soupçons fondirent comme neige au soleil. Il marmonna un vague pardon avant de redonner à la conversation un ton moins inquisiteur. Il coula un regard malicieux à sa cousine.
— Allez, avoue-le mon Aisu, au fond, tu les aimes bien ces ados ! C'est pour ça que tu comptes transformer cette maison en auberge de jeunesse !
Surprise par ce ton badin, qui ne ressemblait guère au médecin, l'écrivain lui décrocha un regard ébahi, qui eut pour effet de faire apparaître un sourire taquin sur les lèvres du maudit.
— Ma pauvre, plus le temps passe, plus tu sembles te changer en une véritable mère poule !
— Toi aussi.
— Disons que depuis quelque temps, il semblerait que mon instinct paternel se soit réveillé... l'âge sans doute, répliqua le jeune homme sur un ton mi-sérieux, mi plaisantin.
Loin de faire rire Aisu, cette boutade, — mais en était-ce vraiment une? — la fit fondre en larmes. Des stalactites jaillirent du plafond tandis que des stalagmites se dressèrent sur le sol. La table basse se changea en un glaçon géant. Raiu, stupéfait par une telle réaction, ne sut comment la rassurer par les mots. Il se rapprocha de la jeune femme, la prit par les épaules et l'attira contre lui.
— Aisu, pardonne-moi, murmura-t-il d'une voix penaude. Mon Aisu, que t'arrive-t-il en ce moment ? Je ne te reconnais plus ! Je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué : tu ne fumes plus, tu ne bois plus, tu ne sors plus... Juuki m'a confié qu'elle t'entendait souvent pleurer. Et puis, tu sembles m'éviter comme la peste...
Aisu se pencha vers son compagnon et nicha son visage au creux de sa poitrine.
- Non, Raiu, tu n'y es pour rien... le problème, c'est moi.
Elle se cramponnait à lui, comme si elle craignait de le voir s'éloigner d'elle, une fois de plus.
— J'ai peur de te perdre, avoua-t-elle entre deux sanglots. J'ai peur de ce qui pourrait se passer si Taiyou venait à découvrir notre relation. Je m'inquiète pour Kijin et les autres. J'ai peur pour tous ceux que j'aime. Je m'en veux d'être aussi lâche... parce que cette femmelette, ce n'est pas moi, tu comprends ?
La jeune femme releva la tête et murmura :
— Ne m'abandonne pas ; même si je suis une vraie poule mouillée, tu veux bien encore de moi ?
Raiu lui ébouriffa les cheveux avec douceur.
— Je t'ai perdue une fois, je ne recommencerai pas cette erreur. Lâche ou pas, je serai toujours là pour toi.
Il scella sa réponse d'un baiser, chassant, pour un temps, les mauvais pressentiments de sa compagne.
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