Chapitre 82 : Une Famille (4)
Kaze n'était pas loin de la vérité : après avoir veillé pendant quelques heures sur Mori, Juuki avait cédé sa place à Mizu et s'était réfugiée dans sa chambre, en compagnie de Suna.
Elle était allongée sur son lit, entre les bras de l'ancien maudit, simplement vêtu de son éternel pantalon de cuir noir. La jeune fille, la tête appuyée contre la poitrine de son amant, traçait des petits dessins à l'aide de son index sur son torse nu.
— Dommage que la représentation ait été annulée, j'aurais bien voulu te voir dans ton costume d'arbre !
L'adolescent se pencha vers elle et lui glissa au creux de l'oreille :
— Rassure-toi, je l'ai gardé. Si tu veux, je le mettrais un de ces quatre !
Juuki esquissa un sourire amusé. Soudain, le visage de Suna se fit beaucoup plus grave.
— Tu crois que Mori s'en sortira ?
Juuki parut réfléchir quelques instants avant de répondre, d'une voix triste :
— C'est la pire épreuve que puisse subir une femme... elle ne pourra jamais oublier ce que ce salopard lui a fait ! Tout comme Mizu et Chii... j'espère qu'elles trouveront un type ou une nana bien, un jour !
Elle déposa un tendre baiser sur les lèvres de Suna.
— Un peu comme toi...
— Vu que nul ne peut m'arriver à la cheville, je veux bien me dévouer pour vous consoler toutes les quatre ! déclara le jeune homme d'un ton neutre tout en se grattant l'oreille.
— Quoi !? s'indigna la jeune femme.
Elle poussa un cri de fureur et commença à le rouer de petits coups de poings. Suna se laissa faire, visiblement insensible avant de réagir. Faisant fi des hurlements rageurs de Juuki, il l'attrapa par la taille et tous deux se roulèrent sur les draps. Elle continuait d'entrecouper les baisers qu'elle lui donnait de mots d'oiseaux ; lui, y répondait en silence, l'air amusé. Les coups de Juuki se changèrent en caresses et ils s'apprêtaient à se livrer à un combat d'un tout autre genre lorsque...
— Oh, je vous dérange ?
Juuki se dressa sur un coude et jeta un regard meurtrier à Aisu qui se tenait sur le seuil de la pièce, un sourire coquin accroché aux lèvres.
— Apparemment, oui.
— On t'a jamais appris à frapper aux portes avant d'entrer, sale perverse ! hurla l'adolescente. Qu'est-ce que tu veux !?
— Ma Juu, il est presque dix heures. Hayao doit commencer à s'inquiéter pour son fiston.
— Aucun risque, répondit Suna, bras croisés sous la nuque, il est parti visiter de la famille. Dis, vu que je suis tout seul, je peux rester dormir chez toi, cette nuit ?
— Ce n'est pas que ça me dérange mais où dormiras-tu ?
— Bah, avec Juuki ! laissa tomber l'adolescent sur le ton de l'évidence. Faut bien qu'on s'habitue à dormir ensemble.
Le visage de la jeune fille vira au rouge écarlate. Les draps s'enflammèrent. Suna se saisit tranquillement du verre d'eau qui se trouvait sur la table de chevet et en versa le contenu sur les flammes.
— Alors ? demanda-t-il tout en remettant le verre vide à sa place.
— Si vous me promettez de ne pas réduire ma maison en cendres et de prendre vos précautions, je n'y vois pas d'inconvénients. Pas sûr que ce cher Hayao soit ravi de devenir grand-père tout de suite, surtout qu'il est encore jeune et très séduisant...
Juuki se saisit de son oreiller et l'envoya sur sa cousine qui l'évita de justesse.
— Toi et ta perversité, allez vous faire voir ailleurs !
— Un bébé... murmura Suna d'un ton étrange.
Le regard de Juuki croisa celui de son amant. Ce dernier brillait d'une bien curieuse lueur.
— J'aimerais bien avoir un bébé, poursuivit-il, je ferais un très bon père... Juu, que penses-tu du prénom Katsudon si c'est un garçon ?
— N'y pense même pas ! répliqua l'adolescente.
Suna ne l'écoutait plus, perdu dans de profondes réflexions :
— Ou alors, une petite fille, je pourrais jouer à la poupée avec elle. Une petite Sashimi. Qu'en penses-tu, Aisu ? demanda-t-il tout en lançant un regard inquisiteur à l'écrivain.
Aisu toussota pour masquer sa gêne. Une fois de plus, Suna l'avait percée à jour ! Beaucoup pensaient que ce rêveur de Suna ne se préoccupait guère du monde extérieur. En réalité, il s'y intéressait et était capable de deviner les secrets de ceux qui l'entouraient. Il était d'une perspicacité plus que redoutable !
— Je crois que cette conversation ne me concerne pas, murmura-t-elle. Je vous laisse donc tranquilles...
Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la porte, elle entendit Suna déclarer :
— Tu sais Aisu, même si tu es un écrivain fumant comme un pompier et buvant comme un trou, tu f'rais une mère géniale, et Raiu, un père du tonnerre !
Elle se retourna vers son cousin. Ils échangèrent un regard entendu que Juuki ne parvint pas à comprendre.
— Merci, Suna, répondit Aisu avant de s'éclipser pour de bon.
Dès que la porte se referma derrière elle. Juuki interrogea son amant :
— Ça veut dire quoi, toutes ces cachotteries !?
— Tu es trop jeune pour comprendre, répliqua Suna tout en fermant les yeux.
Juuki se pencha vers lui.
— Réponds-moi, sinon je te jure de te frapper jusqu'à ce que tu me répondes !
— On peut dire que tu n'es pas perspicace ma Juu, déclara Suna tout en ouvrant l'œil droit. Tu ne vois vraiment pas ce qui se trame entre le Doc et notre Aisu ?
— Ça va, j'suis pas stupide non plus ! J'ai bien vu qu'ils étaient ensemble ces deux-là... je l'ai entendu aussi...
— Aisu attend un enfant, laissa tomber le jeune homme.
— Attends, t'es docteur ou quoi !?
— Non, mais perspicace, oui.
La jeune fille faillit répliquer mais l'adolescent la fit taire en déposant ses lèvres contre les siennes. Juuki glissa ses bras autour de la taille de son amant et nicha sa tête contre sa poitrine. Les deux adolescents fermèrent les yeux et enlacés, finirent par s'endormir.
♠♠♠
Kaze pénétra dans la chambre faisant face à celle de Juuki. La chambre de Mizu était plongée dans l'obscurité.
La jeune fille était allongée sur son lit. Le visage dissimulé derrière les cheveux et la tête enfouie dans son oreiller, elle laissait libre cours à son chagrin. Les souffrances endurées par Mori lui rappelaient les siennes. Cette honte et cette douleur, elle aussi, les avait éprouvées !
Mizu avait dû aussi affronter le mépris des domestiques, car nul n'ignorait au Manoir ce qu'elle était pour Taiyou : une poupée qu'il prenait plaisir à torturer, à adorer avant de le briser. Un instrument entre les mains d'un Maître à l'appétit insatiable ; et d'une mère pour qui, seuls comptaient le prestige et la puissance. Une mère qui n'avait pas hésité à sacrifier l'innocence de sa propre fille pour s'accorder les faveurs de Taiyou.
Kaze s'approcha de la jeune fille et s'agenouilla à son chevet. Un peu tremblant, il tendit la main et lui caressa les cheveux pour apaiser ses pleurs.
— Mizu...
La jeune fille releva la tête. Son visage, ravagé par la tristesse, était humide de larmes. Kaze ne put demeurer insensible plus longtemps face à pareille douleur. Lorsque les yeux de Mizu rencontrèrent les siens, il sentit des larmes perler au coin de ses paupières. La jeune fille remarqua ses larmes et ressentit une douce chaleur l'envahir : elle se sentit redevenir une petite fille. La petite sœur chérie de Kaze qu'il adorait gâter et prendre dans ses bras. Le maudit se pencha et attira l'adolescente contre lui. Mizu eut un soupir et nicha sa tête contre l'épaule rassurante de son aîné.
— Merci d'être là, Kaze, chuchota la jeune fille en fermant les yeux.
Son frère resserra son étreinte et, tout en lui déposant un baiser sur le front, lui souffla au creux de l'oreille :
— Tu n'as plus à rien à craindre, petite sœur, je ne t'abandonnerai plus.
Soudain, Kaze ressentit une violente douleur lui comprimer la poitrine. Il se détacha de Mizu et posa sa main sur son cœur. La jeune fille se redressa, les yeux écarquillés par la surprise et voulut faire un geste vers lui que Kaze repoussa.
— Ne me touche pas ! s'écria-t-il en réprimant une grimace douloureuse.
Un vent froid s'engouffra dans la chambre et pénétra le corps du maudit. Il lui semblait que son corps tout entier devenait vent ! Il leva ses mains vers son visage et vit avec surprise que celles-ci étaient devenues translucides ! Un nouveau coup de vent, cette fois-ci aussi chaud qu'une brise estivale, l'entoura et le souleva de terre. Mizu poussa un cri terrifié et en dépit du danger, s'approcha de son aîné. Le corps de son frère flottait au-dessus du sol, comme soumis à une force surnaturelle qui le dépassait. Sa longue chevelure brune voltigeait tout autour de son visage.
Tout d'un coup, le corps inerte fut secoué de tremblements et un cri d'effroi jaillit des lèvres de Kaze. Mizu se saisit de ses mains et les serrèrent dans les siennes. Elles étaient aussi froides que celles d'un mort !
La jeune fille ressentit un frisson lui grimper dans l'échine. Elle baissa la tête et vit qu'un curieux liquide, presque incolore, s'écoulait de la poitrine de Kaze, marquée d'une plaie béante.
Le liquide, au lieu de glisser sur sa peau, se dispersait dans l'air avant de former un tourbillon. Le tourbillon fit quelques tours sur lui-même avant de se changer en un magnifique papillon aux ailes couleur de l'arc-en-ciel. L'insecte battit des ailes et vint exécuter une curieuse danse autour du corps de Kaze.
Kaze ouvrit les yeux avant de redescendre vers le sol. Mizu s'agenouilla à ses côtés et lui secoua l'épaule. Kaze se dressa sur le coude avant de tendre sa main vers le visage de sa cadette.
— Tu n'as aucune raison de pleurer pour moi, Mizu. C'est fini, je suis libre.
La jeune fille poussa un cri de joie avant de se jeter dans les bras de son aîné. Celui-ci la serra contre lui.
Il leva les yeux vers le kami, qui volait toujours au-dessus de sa tête. Le jeune homme lui décrocha un clin d'œil de remerciement et d'adieu, auquel l'insecte répondit par un battement d'ailes avant de disparaître.
Notes et autres blablas
Les prénoms donnés par Suna sont des noms de plats japonais. Un gourmand tel que lui, n'est pas allé chercher bien loin, son inspiration. 😅🤣
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