Chapitre 81 : Âmes en peine (1)
Après avoir accompli sa sinistre besogne, Taiyou se revêtit avec décence et sortit hors de la cellule, le lieu de son crime. Alors qu'il refermait le shoji avec mille précautions, afin que nulle domestique un peu trop curieuse ne vienne à découvrir son forfait, il sentit une paire d'yeux posée sur sa nuque. Un frisson lui parcourut l'échine, et un soupir à la fois soulagé et agacé, jaillit de ses lèvres lorsqu'il se tourna vers l'inopportun. Tsuki, le visage encore marqué par le sommeil et la mise plus négligée, le dévisageait avec attention.
— Que fais-tu là, toi !? aboya le Maître en direction de l'adolescente qui le dévorait d'un triste regard.
Effrayée par le ton menaçant, la créature ramassa sa tête entre les épaules, telle une louve se courbant devant son chef de meute.
Taiyou lui coula un étrange regard avant de s'approcher de sa maudite. La jeune fille eut un cri terrifié et se plaqua, dos contre le mur. Il lui faisait face à présent et combien il lui paraissait immense cet homme, grandi par l'orgueil et la puissance que lui conféraient son kami ! Comment ne pouvait-elle pas en avoir peur ? L'adolescente ferma les yeux lorsque les doigts du Maître, encore imprégnés de l'odeur de Mori, vinrent frôler sa joue tremblante.
— Tu as changé, Tsuki et je ne sais si cela doit me réjouir ou contraire, m'inquiéter...
Le regard du fauve se posa sur le col débraillé du du kimono de l'adolescente. Une lueur animale traversa ses yeux mordorés. Il se détacha de la jeune fille et secoua la tête, comme pour chasser les pensées obscènes lui venant à l'esprit. Taiyou tourna les talons et sans ajouter un mot de plus, disparut dans le couloir.
Encore troublée par ce moment de curieuse intimité et par le regard presque tendre que Taiyou avait posé sur elle, pareil à celui qu'il posait sur Mizu ou Chii autrefois, la jeune fille s'adossa contre le mur et tenta de faire taire les battements de son cœur. Elle ferma les yeux et porta la main à son visage. Ses doigts effleurèrent sa peau, là où ceux de Taiyou s'étaient posés. Jamais il n'avait eu un geste aussi doux, aussi paternel à son encontre ! Les seules attentions qui lui manifestaient étaient soit des remontrances ou des brimades. Jamais, contrairement aux autres maudites, il ne l'avait prise dans ses bras, ne lui avait caressé les cheveux en la noyant sous les compliments. Peut-être devait-elle cette différence de traitement car elle, Tsuki, était spéciale pour Taiyou ? Elle qui représentait le plus grand échec de son existence...
Les pleurs étouffés de Mori la tirèrent de ses pensées.
La maudite se redressa et pénétra dans la pièce. La petite cellule était plongée dans la pénombre. Tsuki voulut faire demi-tour mais la curiosité fut la plus forte. Elle voulait voir le visage de la nouvelle favorite du Maître.
Son pied nu buta contre un corps. Tsuki baissa la tête et aperçut alors, Mori gisant au sol, telle un pantin désarticulé. La jeune adolescente avait les yeux clos et respirait faiblement. La maudite s'accroupit et posa ses doigts sur le visage pâle, creusé par les larmes. Elle écarta quelques mèches brunes du front fiévreux et scruta avec attention, les traits délicats de la jeune fille. Une sensation brûlante de profonde jalousie envahit le cœur de Tsuki.
Ainsi, c'était Mori, l'adorable petite Mori, qui avait remplacé Mizu ! Pourquoi Taiyou les aimait-il aussi jolies, aussi parfaites ? Comment elle, Tsuki, pourrait-elle rivaliser avec pareille créature !?
— Tsuki...
Mori enroula ses doigts autour du poignet de sa cousine et tourna vers elle, un visage décomposé. Un faible murmure, presque une prière, jaillit de ses lèvres ensanglantées :
— Aide-moi...
Tsuki s'apprêtait à protester, à assaillir la jeune fille d'insultes, mais elle n'y parvint pas. Les paroles de Kijin lui revinrent en mémoire et là, elle en comprit véritablement le sens. Ce n'était plus Mori qui l'implorait du regard mais elle-même. Comme Mori, comme Aisu et les autres. Elle leur ressemblait, liée par la même souffrance endurée à cause de ce Maître odieux et détestable, abusant de son pouvoir pour assouvir ses instincts les plus vils.
Mori ne parvenait à discerner les pensées traversant le sombre regard de son parent. Elle connaissait Tsuki. Pourquoi avait-il fallu que ce soit lui, qui la découvre !? Plus que le retour de Taiyou, ce que la jeune fille craignait à présent, était les humiliations que son cousin n'allait sans doute par tarder à lui infliger.
À sa grande surprise, Tsuki ne fit rien. L'adolescente prit sa cousine dans ses bras et l'attira contre elle. Les deux jeunes maudites restèrent ainsi enlacées, unies dans la peine et la douleur.
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