Chapitre 64 : Jeunes et insouciants
La nuit fut plus courte pour la pauvre Juuki qui vécut sa matinée dans un état semi-comateux. Elle ne parvenait pas à se concentrer sur les cours, ses pensées étant tournées vers Suna et sa conversation nocturne avec Aisu. D'ailleurs, elle qui attendait avec impatience le voyage scolaire n'y prêta guère attention lorsque leur professeur principal l'évoqua ! Rien n'avait d'importance à ses yeux, excepté Suna. Le regard fixé sur sa montre, elle comptait les minutes la séparant de son petit ami.
Les cours du matin s'interrompirent enfin et à la pause déjeuner, elle s'empressa de voler jusqu'à leur coin de prédilection, non loin du gymnase. Elle y retrouva Suna qui était toujours l'un des premiers à s'y rendre, et prit place à ses côtés.
Le jeune homme releva la tête de la pizza qu'il était en train de dévorer.
— Tu as l'air fatiguée, ma Juu, murmura-t-il tout en effleurant les cernes marquant ses paupières.
Elle se pencha vers lui et lui souffla au creux de l'oreille, tout en lui pinçant discrètement la jambe :
— On se demande bien à cause de qui...
Ils échangèrent un regard complice trahissant l'intimité existant entre eux. Suna se saisit de la main de Juuki posée sur sa jambe et la pressa avec affection.
L'arrivée de Kijin et Mizu brisèrent cet instant magique et ils s'écartèrent à regret l'un de l'autre. Contrairement aux deux Kamiaku, les deux adolescents n'exprimaient pas beaucoup leur affection en public. Ils se comportaient comme deux époux liés par un contrat nuptial et non par les sentiments. Tout en eux, dans la façon qu'ils avaient d' s'exprimer leur amour, était mécanique, sans passion. Leurs gestes d'affection étaient aussi rares que froids.
Mizu essayait pourtant de se rapprocher de Kijin mais peine perdue ! Depuis le retour de ce séjour au bord de la mer, Kijin repoussait tous ses baisers et ses caresses ou les acceptait avec un certain détachement.
— J'ai hâte de partir en voyage scolaire, déclara Mizu pour amorcer un début de conservation. Et toi Suna, il y a un projet de prévu dans ta classe ?
L'adolescent quitta à regret les beignets suintant d'épices qu'il était en train de dévorer.
— Ouais, une pièce de théâtre.
— Vraiment !? Et quel en est le sujet ?
— Une histoire avec des esprits de la forêt.
— Ça doit être intéressant et tu y participes ?
— Ouais, je joue le rôle d'un arbre.
Mizu écarquilla les yeux de stupeur :
— D'un arbre !?
— Bah, fit Suna dans un haussement d'épaules nonchalant, vu que j'apprends jamais rien, la prof a préféré me confier un rôle muet. Vous m'enverrez une carte de votre séjour ?
— Suna, on ne part que trois jours ! déclara Juuki.
— Je sais, fit-il en lui décrochant un sourire coquin, mais je vais m'embêter sans vous...
Avec discrétion, sa main vint se poser sur le genou de Juuki. Elle se saisit des doigts fureteurs et les pressèrent contre les siens. Qu'allaient-ils devenir loin de l'être ? Ils allaient s'ennuyer ! Plus de distractions nocturnes, de concours de nourriture, de promenades au clair de lune et de combats à la console !
Mizu esquissa un sourire à la vue des deux tourtereaux. La jeune fille poussa un soupir et tenta de se saisir de la main de son petit ami, mais celui-ci se déroba à ce simple attouchement. Il ne pouvait supporter de sentir sa peau contre la sienne alors que lui, en rêvait d'une autre !
Contrairement à Aisu, il n'était pas bon comédien et ne savait pas jouer le rôle de l'amoureux transi auprès de Mizu. Le regard de la maudite se voila de larmes, Kijin piqua un fard et détourna les yeux. Juuki et Suna échangèrent un regard gêné. Kijin, honteux du malaise qu'il venait de provoquer, baissa la tête et se perdit dans la contemplation de la cour.
Après quelques secondes de flottement, les trois Kamiaku reprirent leur conversation et très vite, la discussion dériva sur l'un des leurs. Le jeune Akuma lui, ne parlait pas, préférant songer à Tsuki. La voix de Juuki l'arracha de ses souvenirs brûlants.
— Ouais, si tu veux Mizu ! déclara la flamboyante maudite de sa voix haut perchée. Mais moi, j'continue de penser qu' Ishi est un drôle d'oiseau !
Kijin releva la tête. La voix de Tsuki lui revint en mémoire. Ishi... N'était-ce pas le nom qu'elle avait prononcé lorsqu'ils s'étaient retrouvés sur la plage ? Qui pouvait-il bien être ? Un domestique du Manoir, un sbire de Taiyou ou alors, un membre de la famille ?
— C'est un des Douze ? s'enquit Kijin d'un ton qu'il espérait dégagé.
— Ouais, répondit Juuki tout en avalant goulûment une grosse portion de riz. Ce type est très bizarre : il ne sort jamais de la maison principale, ne participe pas aux repas de famille. Il vit en reclus dans l'une des pièces de la maison, près des appartements de Tsuki. Il est toujours collé à son kimono! J'arrive pas à le cerner, ce mec... Je ne sais pas s'il est fourbe, muet ou alors tout simplement idiot !
Suna, qui jusque là n'avait pas pris part au débat entre les deux maudites, prit la parole :
— Peut-être qu'il couche avec Tsuki.
Mizu en laissa tomber sa baguette de stupeur et jeta un regard ébahi à son cousin qui continuait de manger, l'air de rien, comme s'il venait de parler du temps qu'il faisait ! Juuki quant à elle, jeta un sombre regard à son petit ami.
— Non, mais ça va pas de sortir des trucs pareils ! J'te signale que tu parles de deux mecs, là ! T'as abusé de yaoi ou quoi ?
— J'aime bien ça, le yaoi , lança l'adolescent d'un ton nonchalant, mais j'préfère quand même le yuri.
— Je crois que je vais devoir mettre mon nez dans tes lectures, grommela Juuki d'un ton jaloux. Ça ne me plaît pas trop...
— Menteuse, répliqua son petit ami sur un ton taquin, je sais que tu y jettes des petits coups d'œil de temps à autre, surtout sur les premiers...
— N'importe quoi ! protesta Juuki en rougissant.
Suna jeta un coup d'œil à la montre de sa bien-aimée et se leva d'un bond.
— Merde ! J'ai dix minutes de retard !
Il s'apprêta à partir mais Juuki le retint par la manche.
— Dis, tu n'aurais pas oublié quelque chose ?
— Non, fit le jeune homme en se grattant la tête. J'ai pas oublié de mettre un caleçon propre ce matin.
— Ton sac de cours, idiot !
— Ah ça... j'sais pas où il est, ça fait deux jours que je l'ai perdu...
— Et ça ne te fait rien !?
— Je n'avais aucune affaire compromettante à l'intérieur.
— Suna, soupira Juuki en se levant à son tour, tu me désespères.
— Tu m'accompagnes ?
— Bien sûr ! J'peux bien te prêter un stylo.
— Pas la peine ! C'est anglais et je dors toujours en anglais.
Les deux Kamiaku s'éloignèrent en se disputant gentiment : Juuki reprochant à Suna sa trop grande désinvolture et lui, répliquant par des réponses farfelues ou de manière fort légère.
Lorsqu'ils furent hors de vue, un silence s'installa entre Mizu et Kijin. La jeune fille n'osait regarder son petit ami plongé en pleine réflexion. Peut-être songeait-il à leur relation ? Mizu se trompait : les pensées de Kijin étaient tournées vers Tsuki et tout particulièrement vers Ishi Kamiaku.
Les propos, en apparence badins de Suna, repassaient en boucle dans son esprit. Suna étant, derrière son masque d'indifférent, une personne perspicace, peut-être existait-il une part de vérité dans ses paroles... Sans trop savoir pourquoi, Kijin se mit à détester Ishi Kamiaku alors qu'il ne le connaissait que de nom.
— Mizu !
Kijin se tourna vers le nouvel arrivant. Mizu ne put réprimer la timide rougeur qui lui monta aux joues. Kensuke Adams fit un bref petit signe de tête à Kijin qui lui répondit par un vague grognement, avant de prendre place face à la jeune fille.
— Je ne vous dérange pas, j'espère ? demanda-t-il avec son accent si charmant, qui faisait frissonner la pauvre Mizu.
— Non, pas du tout, murmura-t-elle, fortement troublée par ses yeux bruns. Que puis-je faire pour toi ?
— J'viens d'apprendre que nos deux classes participaient au même voyage, c'est cool, non ?
— Oui, très...
— À ce qu'il paraît, c'est toi la déléguée de ta classe, j'me trompe ?
Mizu acquiesça d'un petit signe de tête. Un sourire radieux se dessina sur les lèvres de son interlocuteur.
— Ça tombe bien ! Je suis aussi le délégué de ma classe ! Puis-je émettre quelques suggestions de dernière minute concernant ce voyage ?
— Je t'en prie.
Lassé par la conversation des deux adolescents et surtout, parce qu'il désirait être un peu seul, Kijin prit son sac et sans saluer Mizu, qui d'ailleurs ne fit pas attention à son départ, quitta leur petit bout de terrain alors qu'il venait à peine de toucher à son déjeuner.
Le jeune homme traîna des pieds jusqu'à un banc isolé et s'y installa. Ishi Kamiaku. Tsuki et Ishi. L'image de Tsuki suspendue au cou d'Ishi hantait son esprit. Pourquoi éprouvait-il ce sentiment de jalousie ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Pourquoi accordait-il tant d'importance à cette scène sur la plage !? Ce n'était qu'un baiser ! Une provocation de la part de l'étrange créature !
Kijin se prit la tête entre les mains et pressa ses doigts contre ses tempes. Il devait cesser d'y penser ! Ce n'était pas normal de nourrir de tels sentiments, si inexplicables et douloureux, pour une personne telle que Tsuki Kamiaku !
— Hé, petit démon ! Tu rêves ?
Il redressa la tête. Juuki lui faisait face, ses yeux flamboyaient de malice. Quant à son cou, il était marqué de curieuses traces, ressemblant étrangement aux contours d'une bouche.
— Tu sais quoi Kijin, déclara-t-elle tout en prenant place à ses côtés, j'veux pas te vexer, mais je te trouve bizarre en ce moment... à moins que l'amour ne te donne des ailes ?
Pour seule réponse, elle eut droit à un grognement agacé.
— Voilà qui était digne de notre cher Raiu !
Kijin ne put réprimer un sourire amusé. L'exubérance de Juuki était un véritable remède contre la morosité !
— Par contre toi, on peut dire que tu as la forme, fit-il en lui décrochant un regard entendu.
— Ça se voit tant que ça !? demanda-t-elle en rougissant.
— Oui... beaucoup même...
— Tu sais, je comptais vous en parler, mais j'avais peur que tu me juges mal. Après tout, pour les autres, Suna est comme mon frère et puis, je suis maudite... mais...
La jeune fille baissa la tête.
— Quand tu as parlé à Majinai et que tu as cru que Suna était en danger, j'ai eu peur pour lui et j'ai compris combien je tenais à lui.
Sentant le regard de Kijin posé sur elle, l'adolescente releva la tête. Elle s'attendait à du mépris, voire de la défiance vis-à-vis de cette relation. Mais non, le regard de Kijin était rassurant et l'encourageait à vivre cet amour au grand jour.
— Les autres, Juu, on s'en fout ! Si toi, tu es heureuse avec Suna, c'est le principal !
— Je sais, c'est ce que lui dit tout le temps, mais nous sommes maudits et...
Elle ne put achever sa phrase. Kijin lui saisit la main.
— Bientôt Juuki, je t'en fais la promesse, cette malédiction sera brisée.
La maudite ne sut quoi dire mais le regard et le ton de Kijin étaient tellement solennels, qu'elle se mit à espérer. Disait-il la vérité ? Elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance : si Kijin promettait la fin de la malédiction alors il devrait en être ainsi !
Note et autre blabla
Le point Suna : le yaoi est un manga ou un animé mettant en scène une intrigue sentimentale entre deux hommes. Le yuri est son pendant féminin.
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